samedi 3 octobre 2020

"Inter Color et AxisModula: concert de cloture n° 2" Musica : du sur "paroles" bien mesuré !


Intercolor + AxisModula

Pour la première fois, une douzaine de formations musicales strasbourgeoises se réunissent pour clore Musica et lancer leurs saisons. À 17h, toujours au Temple Neuf les deux jeunes ensembles Intercolor et AxisModula, pour la première fois à Musica se réunissent pour présenter un programme commun.

Ce programme sera dense et oh combien fertile qui démarre par un Aperghis, parlé, chanté, murmuré par voix de maitre de Sarah Brabo, voix mûre, exprimant tous les facéties de la partition, des intonations, des intentions du compositeur. Contrastes, modulations dans de beaux aigus, charnels et habités, pleins et vivants. Piano, grosse caisse et instruments malins pour border cette interprétation mutine, coquine, malicieuse. Le ton monte et c'est à une manifestation que l'on semble assister: slogans et autres répétitions, piano emballé, voix de chacun qui donne le ton: c'est drôle et bien relevé, anarchique et militant comme on aimerait manifester dans la rue ! En rouge et noir, cuir, moulée, Sarah mène la danse à toute blinde, conteuse, diseuse de bonne aventure, captivante, convaincante. 

Des accents baroques succèdent, interprétés par "la relève", le groupe "INTERCOLOR", cymbalum, accordéon et autres pour une belle basse-danse précieuse, sereine: les mélanges de timbres opèrent, tout semble se confondre solennellement. 

Puis c'est le temps des présentations: deux ensembles qui planchent sur la place de la parole en musique, ça donne de quoi jaser! Et "paroles, paroles" ce ne sera pas du vent que ce très judicieux programme qui  enchaine les pièces, variées, étonnantes du répertoire contemporain et baroque. Un piano solo sous les doigts agiles de Nina pour séduire et marquer le territoire des mots qui alternent avec le jeu du piano: des phrases, monologue qui s'adresse au public alors que son corps s'expose aussi au jeu. La voix humaine comme instrument; les instruments comme voix humaine qui se baladent dans l'immense espace du temple pour reformer le groupe, faire se correspondre les timbres, se marier les ambiances. Les interprètes prenant l'espace des autres de façon délicate sans prise de pouvoir. Lent glissement d'un morceau à l'autre.Du Cage en chaire, du Berbérian, clou du spectacle: il faut voir et entendre Sarah Brado dans ce morceau de bravoure:voix de loup, femme bilboquet qui fuse, croasse, craquète, grogne, gronde....Mutine, animale, pince sans rire, comédienne, versatile en diable dans ces rôles, attitudes, postures multiples qui se succèdent et traversent son corps. Gamme complète des impressions et habitudes sociales: tétanie, folie, passion qui beugle, aboie, coasse: de la haute voltige !

 Du bien être de la Renaissance à l'ultra contemporain, le métissage opère, les alliances comme de bons cépages se font, divines et ce festin de Babette aux interludes, entremets improvisés, régale et nourrit de saveurs et fragrances sonores le public: lui même convier au rude exercice de l'improvisation à partir d'une partition "écrite" "Les deux vitesses": verticalité et horizontalité des gestes et sons au menu comme consigne pour une joyeuse création collective participative! 

Générosité et talent de mise pour ce programme qui promet de belles carrière aux unes et aux autres!

Programme

AxisModula
George Aperghis — Il gigante Golia pour soprano, piano, clarinette et percussions (1975)

Ensemble Intercolor
Carlo Gesualdo — Moro, lasso, al mio duolo pour cymbalum, violon, accordéon, saxophone et clarinette (1611)

AxisModula
Brian Ferneyhough — Opus Contra Naturam (2000)

Ensemble Intercolor
Mogens Christensen — Folia for five pour cymbalum, violon, clarinette, accordéon et saxophone (2019)

Collectif
improvisation

AxisModula
Lansing D. McLoskey — Theft pour piano (2011)

Collectif
John Cage — A chant with claps pour voix et battements de main (1940)

Ensemble Intercolor
György Ligeti — Cuckoo in the Pear-Tree pour cymbalum, violon, clarinette, accordéon et saxophone (1988-1993)

AxisModula
Cathy Berberian — Stripsody pour voix seule (1966)

Ensemble Intercolor
Tamara Miller — Hendiduras friccionantes pour cymbalum, violon, clarinette, accordéon et saxophone (2020) — création mondiale

Collectif  
Michelle Agnès Magalhães — Les Deux Vitesses performance participative

"Concert de cloture" de Musica: Accroche Note et Quatuor Adastra ! La splendeur des interprètes, la beauté de la composition!


Pour la première fois, une douzaine de formations musicales strasbourgeoises se réunissent pour clore Musica et lancer leurs saisons. Accroche Note et le Quatuor Adastra ouvrent le bal de cette journée en l'Église du Temple Neuf.

Qu 'il fait bon les retrouver "nos" ensembles de musique contemporaine ! Alors en avant pour "une folle journée" de créations et de découverte .

Accroche Note
Jiwon Seo — Eon 3m, oq pour voix et électronique (2020) — création mondiale

C'est la gracile et douce Françoise Kubler que l'on retrouve, robe longue noire, en chaussures "plates" !Une chambre d'écho magnifie en direct tous ses éclats et variations multiples de voix pulsée, éructée.Langue, lèvres gorge déployée, en émoi: elle annone, susurre, balbutie au micro, butine les notes  en babils, les consonnes sonnantes, les raclures, les chuchotements convoqués pour un royal chaos Vocalises et phonation au menu de cette pièce courte et franchement séduisante et convaincante. Elle bégaie en éclats lyriques, acrobaties vocales de trapéziste.Un texte narratif s'empare de ses lèvres: terribles histoires abracadabrantesques, dans des pépiements, telle une fée maléfique: un "miroir" semble la hanter: cet univers ravageur, apocalyptique de morts-vivants fait mouche; des cris délirants, déchirants d'horreur pour satisfaire notre curiosité en alerte.Françoise Kubler, à l'aise dans cette voltige, brève et coup de poing.La compositrice, tout de blanc vêtue, salue de concert, dans toute sa simplicité (qui n'a qu'un pli).


Jonathan Pontier — La théorie du bonhomme ( Continu-disContinu I ) pour clarinette et soprano (2020) — création mondiale

Un duo complice, dans la malice des sourires que s'adressent les deux "phénomènes", créateurs de l'Accroche Note. Lente plainte de la clarinette, onomatopée de la chanteuse dans une langue inconnue, étrange. Des attaques vocales franches, des glissades contrôlées: ils dialoguent, se répondent, s'appellent, s'attrapent comme Daphnis et Chloé, bergers de l'écho: ils s'interpellent comme deux oiseaux volages, inaccessibles; la superbe acoustique du lieu réverbérant les sonorités, épousant les contrastes des timbres et des hauteurs. Gaie, enjouée, la pièce, minutieuse, pleine de souffle, zézaie, pépie, roucoule, alerte, vive, plaisante, à l'image de ces deux interprètes si riches: l'empathie fonctionne et le compositeur, lui aussi de "couleurs" sonores vêtu, vient honorer le public de sa présence!


Rebecca Saunders — Metal bottle necks study pour guitare électrique (2018)

Un solo de guitare, très inspiré, l'interprète Rémy Reber, tel une Madone à l'enfant, concentré sur son instrument,son jeu. Des déchirements prolongés, récurrents de sons fracassants, griffés à même les cordes dans un magnifique doigté, générateur de petits miracles. Des effets de ventilation, des jeux de mains, glissés, hachés, très contrastés, modulés font effet de surprise.Une belle présence, brève mais forte et puissante;

 


Augustin Braud — Nocturnes pour voix, clarinette-contrebasse, guitare électrique et piano — création mondiale

Françoise Kubler reprend le flambeau en lente mélopée, bordée par les trois autres compères: alanguie, sereine, litanie nostalgique, "sprechgesang" très baudelairien, quasi inspiré des ambiances de la pure mélodie française... Le guitariste, une fois de plus,  physiquement habité par ses propos sonores Profondeur sombre, bizarre d'agonie, de mort dans une diction parfaite, la pièce suit son cour, hypnotisante.

Pause

Quatuor Adastra
Charles-David Wajnberg — Stoa pour quatuor à cordes (2020) — création mondiale 

Ils prennent le relais, en formation de musique de chambre, quatre cordes en harmonie dans mesures et durées communes qui s'étirent lascives, rêveuses, lointaines. Nostalgiques ou mélancoliques intonations, minutie des enluminures sonores ou tempétueuses au chapitre. Tendre et belle musique bien "chambrée", secrète, ténue, discrète présence aux oreilles de chacun des auditeurs. Puis ils se déplacent aux pupitres, se dispersent dans l'espace pour laisser seule la violoncelliste, grave, recueillie. Les autres en fond de temple magnifient l'espace sonore, traversent la nef de leurs ondes et laissent "mourir" les dernières notes sous l'archet suspendu de l'artiste.

Accroche Note + Quatuor Adastra
Kaija Saariaho — Figura pour clarinette solo, piano et quatuor à cordes (2016)

Au final, un beau cadeau : six interprètes, cordes, piano, clarinette: ça vibre d'emblée sous le souffle de Armand Angster qui semble ainsi mener le bal dans une fantasque ambiance bigarrée. Ondes, flux, flots de sonorités maintenues dans un rythme relevé, serré. Décisif. Plein de couleurs et de tonalités, précipité du piano qui se propage aux autres, sympathie entre eux, course et concurrence aux sons pour satisfaire une écriture musclée, tonique. A l'assaut du "splendide", du rayonnant, du beau ! Dans un train d'enfer vertigineux, la tension, la course folle atteint son apogée au zénith de sons mêlés, diffractés aussi. Le calme revient, suspicieux, suspect....Attente, reprise, on est en alerte, on retient son souffle. La clarinette, pièce maitresse du jeu engendre accalmie, puis reprend sa course crescendo. Les bercements, balancements qui l'emportent soulèvent et déposent les auditeurs au paradis du sensible

Ce concert phare inaugure une journée palpitante...

Accroche Note + Quatuor Adastra

"Walk the walk" : marche, démarche ! Ca déraille et c'est canon!


 À la fin du XIXe siècle, le physiologiste Étienne-Jules Marey inventait la chronophotographie qui permit d’observer les mouvements décomposés d’un animal, d’un humain, ou encore de la fumée dans l’air. Simon Steen-Andersen se réapproprie cette technique d’amplification visuelle et propose, au moyen de tapis de course, une étude sur la marche, mouvement a priori anodin renfermant un potentiel théâtral infini. Rythme, pulsation, vitesse, synchronie et équilibre sont les composantes de ce « théâtre-musical-choréo-lumino-fumo-performatif », selon ses termes, traité à la manière de scènes de prises de vue filmique réalisées en direct, où les corps musiciens sont mis à l’épreuve de la suspension du temps.

Simon Steen-Andersen création française 
"Loco-loco motive d'or...."
Alors que la chorégraphe Mathilde Monnier et ses compères développe une "démarche" sur "de la marche en danse", voici le trublion du mouvement sonore qui s'y attèle ! 
Surprise que ce micro qui se balade, suspendu au cintre et ses bruits de pas, de cheval au galop qui inaugurent le show.Pas de deux, de quatre interprètes, virtuoses de l'humour et du décalage, de ce qui chiffonne et défrise. En bon trublions, les voici aux prises avec la "locomotion", l'histoire de l'image par l'image animée. Marey, un mythe pour l'étude de la décomposition du mouvement qui inspira autant Carolyn Carlson que le cinéma muet.Battements de coeur, rythme et frappes, résonance de talons qui frappent le sol dans une démarche autoritaire...Jolis squelettes fluos cernant les membres de fantômes sans chair qui défilent, lignes brisées de corps manipulés. C'est drôle et décalé, salutaire et cette bande des quatre garçons dans le vent ventilent à tord cette masse d'informations: interviews, saynètes burlesques décapantes, apparitions, disparition à l'envi derrière un rideau noir, diaphragme photo-graphique, tir à canon de clichés iconographiques."Marche, ne parles pas": leitmotiv que l'on voudrait leur rappeler tant ils demeurent "bavards" par des gestes redondants, des scènes qui se répètent. La chorégraphie tarde à apparaitre dans ce grand fatras plein de fracas et de tracas pour celui qui regarde.

Tirs de canon comme la femme boulet de foire, "femme bilboquet": toute une époque revisitée !Sympa, sans plus. Ba - daboum, ba-daboum et paf dans le mille! Les manchons des micros en vedette pour ce show inédit de pacotille ! Les fumigènes en salves de ce petit théâtre de foire du Trône, amusent...Les quatre fils de joie s'animent en couleur fluo, défilent sur un tapis mouvant, marche à la Marey Marcheurs dans le vent, claquettes de semelles sur sol résonant..."Le danseur du dessus" Top Hat", veille au grain en marchant comme une araignée dans le plafond déglingué de leur crâne.Un solo de batterie suspendue recentre le ton jovial de cette fête foraine: un énorme manchon d'air aspire à devenir caverne transparente mais se dégonfle vite comme une baudruche...Couloir sans issu de pérégrinations joyeuses par une équipe tonitruante qui fait malgré tout chaud au corps en déversant ainsi ses vagues . Marey, Hermès ou Pégase  aux pieds légers s'en réjouirait cependant !

Ensemble This | Ensemble That