dimanche 20 juin 2021

"farm fatale" : la terre "ferme" se cultive ! Philippe Quesne partenaire attentif du monde rural déchainé: panique à la basse-cour.

 


présenté par le maillon avec le TJP CDN dans le cadre de"les narrations du futur"

Une drôle de pastorale dans un monde où les hommes auraient disparu. La scène est blanche, comme un carnet à dessin qui attend d’être rempli.

"C’est une communauté de cinq épouvantails qui vont s’en charger : solidaires poètes et musiciens, entre fourches et bottes de paille, ils façonnent et revivifient un monde disparu avec des sons et des slogans, des souvenirs et des archives sonores, des objets, des rêves et leur projet secret... À l’écoute des pulsations du monde, attentifs à ce qui les entoure, ces clowns aussi contemplatifs que militants aspirent à une autre réalité, qu’ils vont construire peu à peu. Tandis qu’ils enregistrent méticuleusement les cris d’animaux et s’émerveillent devant la beauté de la nature, ils font état, avec un humour laconique et désarmant, de la menace agro-industrielle et du turbo-capitalisme. Au croisement du théâtre et des arts plastiques, Philippe Quesne et son équipe européenne font rêver d’un monde où l’homme se résoudrait à prêter l’oreille pour entendre enfin la voix de la planète."

C'est comme dans un poulailler, une grange, un hangar de ferme: le décor est campé sur fond blanc immaculé cependant:des bottes de paille éparpillées ou suspendues, un univers qui va bientôt se peupler de poètes-paysans aux allures d' épouvantails à moineaux! Curieuses créatures hybrides, visages masqués aux expressions rurales, brutes et frustres...Du beau monde cependant qui va sévir pour accueillir le chant des oiseaux, l'abeille butineuse et tout autre animal familier de la "terre-ferme", ferme fabuleuse qui se révèle héroïne d'une fable écologiste en puissance. Les propos sont en toutes langues et le suisse-allemand aux accents musicaux si pondérés, est ravissant à l'oreille.Histoire de basse-cour où l'on pond des oeufs d'or, où le cochon est socle d'un piano, où les notes de musique parsèment l'espace sonore d'un bon grain à moudre! Cinq escogriffes affublés de loques joyeuses, de sabots Océdar, de paille et de haillons, face au monde agricole mécanisé et inhumain. Cinq marionnettes bien articulées et sans manipulateur apparent,capables de tout pour défendre une bonne cause avec un brin de naïveté, de gentillesse, de dévotion. Et pourtant le verbe sonne fort et impacte le récit burlesque de ces êtres "bee or not to bee" qui interview la reine des abeilles, esseulée par le génocide de ses consœurs par la faute des pesticides du voisinage... C'est drôle et fin, bien rythmé, aux accents étranges, aux voix transformées comme au bébête- show dans un guignol contemporain amusé, amusant. Ferme du bonheur à deux étages, au confort alléchant pour animaux privilégiés...Tout est respect et reconnaissance, considération pour le monde animal dont ils se font les porte-parole, les ambassadeurs bienveillants...Épouvantails au grand cœur généreux, militants sans escorte de compromission: intègres et riches d'humour aussi par leur modeste naïveté. Complices et confères de lutte, en musique, toujours pour adoucir les mœurs de voisinage hostile et malveillant. C'est du baume au cœur, parfois un peu "lent" à s'installer: mais c'est affaire de temps à prendre pour mieux se comprendre, se distancer du brut de coffrage immédiat de la vie rurale. Celle ci est luxueuse et réfléchie, et la " farm fatale" est redoutable, bastion et repère d’ostrogots virulents et combattifs.Satire et pamphlet du monde contemporain en période électorale, ils seraient ces idoles dérisoires, des pantins croquignolesques de nos édiles en campagne ! Philippe Quesne à la barre pour naviguer sur ce petit bout de "terra incognita", l'indomptable parcelle du champ que l'on ne parvient pas à domestiquer ni cultiver: indiscipliné en verve et à bon escient !


Au Maillon le 20 Juin

ditribution

  • Créé et interprété par : Raphael Clamer, Léo Gobin, Nuno Lucas (rôle créé par Damian Regbetz), Julia Riedler, Gaëtan Vourc'h
  • Conception, scénographie, mise en scène : Philippe Quesne
  • Collaboration scénographique : Nicole Marianna Wytyczak
  • Collaboration costumes : Nora Stocker

"York" : né avec des dents dans le palais pour broyer le monde ! York-shire indomptable ! Un théâtre de pleine ère !


York (Henri VI 3e partie et Richard III)


Cie du Matamore

Cycle Shakespeare

Assemblage inédit de deux pièces de William Shakespeare, York réunit en effet la dernière partie d’Henri VI et la 3e partie de Richard III, qui forment la première tétralogie de l’auteur sur l’histoire d’Angleterre. C’est une histoire sans fin qui ne cesse de nous dire le monde et qui résonne à nos oreilles avec force en ces temps tourmentés. Ouvrage de propagande à la gloire des Tudor et d’Elisabeth Première, Reine d’Angleterre, la tonalité générale de l’œuvre glorifie la famille Lancastre au détriment des York qui y sont noircis. Mais Richard III n’est pas seul à incarner le mal, il n’est que le plus intelligent d’une meute de loup. En remontant le temps, nous recherchons et observons alors les origines du mal. L’histoire n’en devient que plus cynique. Rien n’est retiré à l’horreur. On ne la justifie pas.
Richard n’est que le résultat d’un processus qui nous concerne tous. Richard n’est pas anglais. Richard est partout où la démocratie n’est pas. Shakespeare, à jamais notre contemporain !

 Après " Sauvage" de Tchekhov, voici la nouvelle création de la compagnie du matamore et du théâtre de la faveur. Cet été, nous vous convions à vivre une grande épopée shakespearienne en pleine forêt, "York". Cette fresque est composée de deux pièces de William Shakespeare, la dernière partie d’Henri VI et Richard III. 11 comédiens, 4 h de spectacle. Un plateau de bois. "Suppléez par votre pensée à nos imperfections, divisez un homme en mille et créez une armée imaginaire..." W. Shakespeare

Retour dans la Vallée de la Faveur par un bel après-midi estival quasi caniculaire...Fraicheur de la forêt atteinte après un long parcours sylvestre: entrée en matière pour un accueil chaleureux, verre de l'amitié et des retrouvailles salutaires après confinement !

Et en avant pour l'aventure, un périple théâtral dans la prairie qui surplombe la demeure champêtre des Sipptrott, les artisans du bonheur et créateurs hors pair de sculptures divines...Assis, dispersé savamment, le public est invité au son du cri d'un loup à vivre une épopée picaresque à la Shakespeare. On s'en régale d'avance, de retrouver les comédiens du Matamore et Sipptrott junior, en pleine éclosion.Démarrage en trombe sous pluie de salves sonores pétaradantes...C'est comme une guerre de tranchée annoncée: au loin accourent soldats et fusils, comme au cinéma, cadre 16 ème contenant toutes les facettes d'une histoire de roi, de reine, de trahison, d'alliance, de calculs machiavéliques: des intrigants perfides, manipulateurs, manipulés, frôlant la mort pour mieux être exécuté par des tueurs à gage, rémunérés par la facétie, l'orgueil, la cruauté...Charlatants ou récupérateurs de destinées royales chancelantes, de filiation, de "vendetta" cruelle et dantesque !La mise en scène, cinq heures durant palpitante,avec petite pause bucolique, histoire de "souffler" et de se rassurer de ce monde torturé par l'ambition et l'assaut des tourmentes historiques Seul, Richard sera le personnage, pilier, pivot des intrigues, manipulateur diabolique animé des pires intentions, monstre, "crapaud" qui grenouille au sein de familles ennemies prêtes à tout pour venger et punir... Quasimodo boiteux ,usurpateur,désigné pour faire le mal et constituer une galerie de cadavres exquis, pour faire le "mâle"aussi auprès de proies féminines.

Quasimodo malicieux et calculateur à tombeau ouvert

Richard, c'est Yann Sipptrott qui tient le haut du plateau, une scène qui se transforme au gré des accessoires simples, modestes comme la mise en espace qui souligne judicieusement, attirances, séparation, rejet des multiples personnages changeant qui l'entourent. Seul, face à un contexte belliqueux et sanglant, hurlant des douleurs de l'ambition ravageuse d'un climat questionnant patrimoine, descendance, filiation, héritage: la cupidité va bon train et orchestre les intrigues et forfaits. Richard, le bossu qui trimbale ses handicaps physiques avec "aisance" cinq heures durant: une performance physique qui l'emporte et nous tient en haleine: le corps courbé, empêché, contraint à se déplacer claudiquant, entravé. Un corps en mouvement qui se coltine rage, passion débordantes au regard de ses proches contemporains. Comme un génocide familial, la pièce avance, ravageuse et l'on tient la tension sur ce tarmac à ciel ouvert, ère de jeux périlleux et calculateurs: tous, personnages généreux ou vils, hommes ou femmes en révolte ou en état de siège permanent pour gagner un trône, une couronne inaccessible objet de pouvoir et de convoitise...Théâtre pour "Wilderman" assoifé de sang et de conquêtes .Comme une chasse au sanglier, jambon d'York en puissance, trophée de Basse-Cour, basse-danse de futurs cadavres...C'est la grâce de Siptrott junior qui mène le jeu, la mise en espace de Serge Lipszyc qui opèrent sans jamais en découdre. Né les dents déjà plantées pour mordre et mâcher, broyer le monde...On digère les cadavres et autres assassinats concoctés par de sombres calculateurs, on vibre avec des femmes humiliées, conquises, séduisantes, en colères. Épouses, mère ou séductrices en herbe, se jouant de destins prémédités.Et la mort qui hante et façonne ce retour à la terre éternelle berceau de la vie, poussières d'étoiles, entre terre et ciel. C'est bien là le propos dans ce vaste paysage terrien, inondé de l'éther céleste du lieu. Matamore, "tueur de maures" pour ce nouvel envol de la compagnie de Serge Lipszyc, aux multiples personnages dont un délicieux facteur à la Jacques Tati fredonnant "A bicyclette" de Yves Montant, à travers champs. Champ cinématographique, hors champs au cadre évolutif, zoom ou focales au service du regard et de l'écoute du spectateur bucolique....Au pays des Plantagenet, on plante avec les dents, le nez, les griffes et Yann Siptrott se fait Denis Lavant, fourbe et calamiteux....La chorégraphie induite par déplacements, petits groupes ou solitude est remarquable!Et chacun incarne le verbe, vit et déploie toute une gamme de ressentis pour vivre moultes personnages, parfois non identifiables, tant leur succession donne le vertige!Terra incognita rebelle pour défricheurs improbables de sentiers non battus, de chemin creux comme celui qui nous a guidés vers la prairie, Land'Art de brindille, de fagots, de sentinelles harborescentes....Signés de Hugues Siptrott, peintre paysan. 

Un trône comme siège éjectable, confessionnal, échafaud ou guillotine...Un cercueil de bois noir pour une ode amoureuse et une tente abri de guerre pour coulisses à vue.Des costumes sombres et grisonnants, une jupe plissée à la Madame Grès, des houppelandes,des casques, des bottes: on est sur un champ de bataille où l'on y jette corps et âme!

Ni fleur, ni couronne mais un état de trône permanent, échafaud ou guillotine, confessionnal parfois....

Une fresque contemporaine servie par des artistes, comédiens galvanisés par l'atmosphère du lieu qui change au cours de la représentation: lumières du jour, ciel moutonneux, orage lointain, annoncé dans le texte comme des prédilections, des préméditations maléfiques...On quitte la prairie comme après une longue séance cinématographique, plein écran, perspectives et focales au poing, scène de guerre, ou solo et duos amoureux perfides...Que dire de plus que l'enchantement opère et toujours renouvelé par le dynamisme d'une équipe qui gagne et dans la mêlée se joue comme un match performant, endiablé, animé par coups de théâtre et narration à fleur de peau. Costumes sombres et gris, tente de guerre et dressing en coulisse à vue...

"York" jusqu'au 4 JUILLET à la Vallée de la Faveur


 

mardi 8 juin 2021

"Quand caresse le loup": se perdre et fendre les brèches du récit..à la recherche du temps retrouvé.

 


Le Festival de Caves... Hors Caves ! Cour, jardin, préau... l’édition 2021 s’adapte aux contraintes sanitaires et sort au-dehors.

"Quand caresse le loup", de et avec Simon Vincent, mise en scène Régis Goudot, costumes Louise Yribarren. En coproduction avec la Cie Mala Noche/Besançon. 


Un homme progresse à travers la montagne. Il s'enfonce toujours plus loin, dans le froid. Un chien obéissant marche dans ses pas. À distance, un loup, habitant clandestin de ce monde reculé. Un loup, qui va et vient dans le paysage ; qui se montre et disparaît dans le silence et la discrétion que lui impose sa liberté. 

On se retrouve donc "à la porte du garage" d'un immeuble de Bischheim, cour privée arborescente et fraiche, au crépuscule naissant...les martinets crisant dans le ciel clair Le sourire aux lèvres derrière les masques et l’œil pétillant de curiosité ! Il est là tout proche, on le frôle, assis frontal, en plein air..."Loup, y-es-tu?"....Une table, une chaise où se pose le narrateur, blouson et bonnet noir, jogging au corps: il lit, conte les prémisses de ce qui ne seront jamais des "aventures", mais un récit palpitant, partagé par le narrateur et le personnage, la bascule savamment dosée d'un coté à l'autre de la "lisière", frontière naturelle entre paysage décrit, et vécu d'un homme en "quête" du voir plus que du savoir.


Un périple qui frôle le danger, esquisse un écho comme la muse qui hante les sommets, les creux pour mieux réverbérer le son de ses paroles....et se fondre, disparaitre à jamais dans le roc. Car il s'agit ici de petite géographie, tectonique des plaques et des mots pour évoquer le précipité de la vie, l'abime des instants qui basculent d'un coté ou de l'autre, "vers" l'événement partagé entre corps et géologie, fractures et faille, col et brèche... Vers la bête, celle que cet homme révèle dans ses instincts, ses intuitions premières....Une bière à la main, "il" cause, nous introduit dans le récit d'un homme qui murmure ses impressions, ses morsures dans les cavités, trous et accidents au bord du chaos de l'existence. Quoi "dire" sinon rendre compte de la "rencontre", cette promesse de l'inconnu recherché que l'on frôle sans cesse. Il érafle, s'engouffre, s'enfonce comme un écorché dans un dédale  qui absorbe les bords de la rivière: personnages géomorphiques très présents tout le long du récit et du monologue qui s'étire à nos oreilles.

Marcher dans le crépuscule comme Lenz à la recherche de paysages inouïs, fort bien décrits et suggestifs de montagnes, guide du périple sur ce chemin risqué: une chute dans les eaux glacées concrétise les faits, les actes de ce qui n'est pas "rêverie d'un promeneur solitaire", mais la marche initiatique d'un chasseur, chercheur de sa propre réalité. Un peu de musique rap tirée du téléphone portable pour nous entrainer dans un passé aux pouls tectoniques rythmiques d'un cœur palpitant.Suspendu dans l'étonnement, sorti de sa tanière, effleurant ce qui ne s'attrape pas...Un danseur se dessine à travers corps, attitudes en suspension et verbe fertile en images issues du glossaire de la géologie: traces et couches fondatrices de nos fondements.Telle une description pas à pas, précise, haletante d'un cheminement vers une balade sans guide, partie du milieu dans les plis et replis de la montagne Synclinaux et anticlinaux d'un relief revisité à l'occasion du franchiement des obstacles ou étapes d'un voyage, départ initiatique vers un ailleurs.En déserteur, en "objecteur de toute conscience" obéissance, vers l'indisciplinaire du récit. Il "part" , crapahute, marche bouffonne, loufoque à la Nietzsche. Seul son chien, inquiet semble le prévenir, lui suggérer le retour en arrière, à la voiture, à la niche où stationnent la routine et le connu..Équilibriste du chaos, danseur de corde sans filet, funambule aérien dans le roc montagneux L'itinéraire n'est pas tracé, pas de balise ni de repère: "ne demande jamais ton chemin car tu pourrais ne pas te perdre" !Un détour par un bivouac dans un refuge frustre et rustre vers les crêtes, les belvédères et autres brèches à franchir...Pause au creux d'un feu salvateur: on y "divague" diverti par cet écueil bienfaiteur qui vient calmer le récit, ou le vécu direct du personnage.Il n'a pas de nom, ce marcheur qui bientôt frôle l'animal tant attendu: le loup à peine nommé, "lui" avec les croisements de regards l'un envers l'autre, simplement dans la sobriété de l'évocation de cette rencontre forte et évidente. Le récit toujours suspendu aux cordes du rythme de la syntaxe légère, qui tient en haleine, en apnée Ce sera la voiture au loin repérée, très loin, rouge comme un phare inaccessible qui fera le retour à une réalité rassurante. Adieu le conte, le personnage se retire, c'est la fin d'un aveu au creux du bassin de réception d'un glacier frangé de moraines, qui borderait le lit majeur d'un torrent fougueux: les courbes de niveau pour mieux suivre la pente et éviter les montées ou descentes vertigineuses de cette "histoire", conte ou légende à ne pas dormir debout!


Simon Vincent en soliste d'exception, discrètement façonné par Régis Goudot, profilant ainsi les bords et contours d'un homme sans qualité aux multiples facettes à découvrir le temps d'une "rencontre insolite" aux portes du garage.La grotte et autres "trous" du récit faisant office de caves naturelles...De chambre d'écho où se perd la muse éponyme.

A Bischheim le mardi 8 JUIN