vendredi 23 juillet 2021

La danse dans le festival "off" d'Avignon 2021 (partie une) "Au gré des écritures"


 "Soeurcières" par la compagnie Pluméa: le tribu de la chasse aux sorcières !

Commençons par la vision d'une affiche: comme deux coquelicots, virevoltent deux danseuses en longue robe rouge: puissante image de ce qui va se révéler être un spectacle intimiste dans son petit écrin, au théâtre des "Lilas's". Lieu de mémoire de la danse dédié à sa fondatrice, Lilla Nett.

Un duo plein de charme où la dose de pure poésie du geste se mêle à une once de malice, d'expressivité des deux interprètes, pour ce conte de fée plutôt issu d'un grimoire alchimiste fort attirant. Car y résister à ces onguents mêlés de couleurs et de fumées, serait injure.La plus "sorcière" de ces deux sourcières est au buffet d'une boutique fantasque où les bestioles donnent le meilleur de leurs sécrétions pour alimenter fantaisie, rêves et dure réalité.


La danse y est fluide, sensuelle, chatoyante comme les costumes et les couronnes de fleurs qui évoqueraient un folklore inventé, incarnat, roux et vivace, aux couleurs chaleureuses d'un feu follet. Surtout ne brûler pas ces deux comparses de mas de la saint jean: le bûcher pour fioles magiques, continent noir des femmes différentes. Adèle Duportal et Charlotte Arnould pour défendre aussi la condition de la femme, condition de soi et de la joie lumineuse du partage Un conte atypique, effervescent, tonique et merveilleux. La sororité , gémellité secrète et discrète sur fond de choix musicaux délicieux. 


"Landing" compagnie X-PRESS: atterrissages sur le tarmac!

Un duo circassien aux qualités de rebond, de sauts et pirouettes aériennes de toute beauté: deux danseurs virtuoses s'adonnent à l'exercice périlleux de chutes et rechutes sur un sol préparé, dojo recouvert de paillettes de polystyrène blanc. Des figures dynamiques virevoltantes auréolées de lumières éparpillée. Autant de voltige sur trampoline pour les renvoyer dans les airs, absorbant les corps pour mieux les catapulter, les projeter dans l'espace. Les sauts sont capoeira, spirales ou pivots entre poids, légèreté, appuis et départ pour s l'espace-lumières.Un voyage cosmique signé Abderzak Houmi à la FABRIK'THEATRE.


"Slide" compagnie Chute Libre: calligraphie hip-hop !

Quatre danseurs en noir et blanc sur "carré noir sur fond blanc" et voici traces et signes sur un sol quadrillé de lino-carrelage figures récurrentes où les corps glissent, se rodent sur un support improbable, dangereux.C'est impressionnant, rigoureux et plein d'énergie; les chorégraphes Annabelle Loiseau et Pierre Bol s'en donnent à cœur joie pour libérer les flux sur une musique originale détonante.On lâche prise en leur compagnie se jouant des espaces aériens, de la pesanteur: le temps se dérobe, on patine comme des oiseaux agiles sur la banquise et l'expérience sensorielle est contagieuse et salutaire!

Au Nouveau Grenier


"Rage the flower thrower" et "Versus" compagnie S'Poart danse

Le chorégraphe Michael Le Mer en compagnie de Lise Dusuel met en scène dans "Rage" l'icône de Banksy, florilège d'un art graphique street-art de légende.Un homme, un bouquet de fleurs et la révolte du corps gronde, puissante, comme un projectile lancé à la figure du monde.Poésie et geste politique, engagé, ce solo, masqué par un foulard, désigne l'anonymat, refoule les pulsions pour mieux faire jaillir force et résistance, soulèvement et et indiscipline.Pour "Versus" c'est l'exercice d'un duo plus sage sur la dualité, la différence des styles, des démarches pour tenter d'allier force et grâce qui séduit d’amblé.La dramaturgie pour fer de lance d'une narration des corps, histoires d'hommes, de territoire.

Au Nouveau Grenier Pays de Loire


"Chto interdit aux moins de quinze ans" de Sonia Chambretto mise en scène Fanny Avram

Une comédienne danseuse fort originale très bien valorisée par une chorégraphie signée  Thierry Escarmant se joue de son sort: émigrée tchétchène à Marseille, son corps, sa voix racontent son sort d'exilée physique, de déplacée; bordée par un comédien-musicien phoniant admirablement cette situa    tion chaotique, Fanny Avram, longue dame en noir, désarticulée, forge un personnage étrange, manipulé, comme le micro qui la double en verticalité brisée par des articulations rigides et implacables.La pertinence de l'incarnation des sons, du texte et les bruitages font de cette performance un objet insolite et radical.

Au Théâtre du Train Bleu


"Acte I et Acte II de la Compagnie Robert et Roberte

Sandrine Frétault et Lorenzo Dallai entreprennent une longue course marathon, presque sur place, en legging colorés pour satisfaire à l'esprit de performance physique, d'endurance: vont-ils quitter ces corps canoniques pour aller vers le simple geste qui impacte plus l'émotion que l'admiration? Que nenni!Les portés du duo simulé sont autant acrobatiques que désuets: vont-ils vers la satire, l'aveu qu'un corps éduqué, dressé, ne se libère pas si vite de son éducation corporelle gymnique? Du "pousser" et de l"abandon" autant de trucs qui collent à la peau sans l'habiter et les deux compères de se perdre dans une démonstration vaine mais peut-être un semblant comique ou burlesque, frôlé seulement.Désopilant parfois !En habit de cosmonautes les deux athlètes baudruches tentent de faire de chenilles des papillons mais le cocon déroule plus que du fil à retordre!

A la Scierie


mercredi 30 juin 2021

"Rencontres d'Eté de musique de chambre" ; premier concert inaugural, fertile en surprises: il ne reste qu'à se laisser conduire et séduire!

 

🎶 Lors du premier concert l'Ensemble Accroche Note accueillera les musiciens de Plage Musicale en Bangor - Académie et festival, en présence du compositeur Andrew Waggoner pour la création de son oeuvre "ll ne reste que vous… six chansons sur textes de Patrick Modiano". Ce programme mettra par ailleurs en valeur des instruments solo (toy piano, cymbalum, alto, clarinette basse), avec notamment comme invités Wilhem Latchoumia - Pianist et Aleksandra Dzenisenia.
📅 Rendez-vous le mardi 29 juin à 20h30 à l'église du Bouclier (Strasbourg) !
 
Un concert attendu, inaugural d'une petite série concoctée par l'Ensemble Accroche Note, prêt à tous les défis de propositions de découvertes de compositeurs reconnus ou à découvrir: ceux qui écrivent la musique d'aujourd'hui, autant que les "pointures" de ces écritures singulières. 
John Cage en l'occurrence, avec "Suite for Toy piano" daté de 1948 est un clin d'oeil fort à l'imagination et la diversité du compositeur. C'est Wilhem Latchoumia qui exécute cette pièce humoristique et décapante sur un piano miniature, "jouet" tel un géant face à un instrument de petite taille, pour mieux épouser de son grand corps, l'objet sonore résonant à nos oreilles comme un souvenir d'enfance, une pièce de Pascal Comelade...Tel un écolier devant sa table,tournant les pages de son cahier de devoirs, il se joue de cette gamme très limitée de tonalités, pour enchanter et faire surgir une douce nostalgie déconcertante
Suit l'oeuvre de Jean Cras "La flûte de Pan" qui réunit flûte, violon, alto,violoncelle et voix
Oeuvre somptueuse aux accents de mélodie française langoureuse, délicieux quintet alternant mouvements ensoleillés, vifs et délicieux: trois cordes, deux souffles pour un charme envoutant, une harmonie entre texte, narration et chant, bordant une musique sans heurt.La voix de Françoise Kubler, discrète interprète de ce chant bordé par la flûte véloce de Christel Rayneau.
"Inside" de Pascal Dusapin enchaine pour alto solo sous l'archet virtuose de Laurent Camatte
Archet volubile, impatient, plaintif, presque "parlé", sous la pression de "sourdines" installées sur les cordes. Effets contrastés, piqués ou étirés pour une interprétation audacieuse et envoutante.
C'est le cymbalum qui succède avec "Chop suey" de Mauro Lanza: aux baguettes fines et magiques, Aleksandra Dzenisenia: un bel instrument résonant, perlé, fin, vif et véloce sous le doigté d'une artiste singulière, touché léger déferlant sur le clavier, par "corps" habité, sans partition.Mélange savant de gouts, de saveurs, de cultures, brassées en recette alléchante de gestes de "petite cuisine" miraculeuse, cheffe au "piano"pour restaurer le public friand et gourmand de sons savoureux!
"Drei Holderlin-Gedichte" de Wolfgang Rihm pour soprano et piano : une complicité pleine de grâce entre voix tenue aux accents aigus remarquables et piano tactile sous le doigté félin de l'interprète. Beau parlé-chanté en allemand qui sied comme un gant à Françoise Kubler Des mouvements plus virulents, plus graves dans des forte prégnants pour consolider une pièce tourmentée et mystique inspirée, recueillie.
"Beyond" de Nina Senk poursuit le concert, pour clarinette basse en solo: Armand Angster fait corps avec l'instrument, tout deux debout, quasi enlacés: les sons graves, pulpeux, denses et plein de masse sonore sourde et graves s'égrènent à l'envi Costume noir enveloppant l'instrument complice, charnel, sensuel et fort séduisant à l'oreille!Envolées, ascensions vibratiles,fréquences étranges: une colonne qui vibre dans des basses multiples, chaleureuses sonorités un pilier à deux têtes.
C'est au tour de Andrew Waggoner d'enchanter la soirée avec une création sur mesure, haute couture musicale dédiée pour cet ensemble de sept musiciens à l'unisson de la découverte..."Il ne reste que nous" six chansons sur textes de Modiano.
Une oeuvre bigarrée, subtile qui borde et amplifie la musicalité des textes choisis pour leur intrigue poétique, autant que pour leur cordes sensibles.Univers nocturne et touchant de Modiano, découvert par le compositeur: une littérature très musicale en vagues puissantes, bordées d'une voix éloquente: la fluidité de l'ensemble respectant l'identité de chaque instrument repérable.La chanteuse, récitante, comme un régal de luminosité et de prolongement du récit, de la narration apportée par chacun Comme une marche puissante dans l'espace sonore, on avance, enveloppé par texte et musique, rythme martial, solennel, puis plus virulent Une création faite de multiples rencontres sonores, de parties distinctes, de pauses laissant résonner sons, vibrations à l'envi. Le compositeur, présent pour cette occasion unique ne dissimule pas son enthousiasme en dirigeant avec attention un ensemble soudé et plein de charme.



 

samedi 26 juin 2021

"Inflammation du verbe vivre": Wajdi Mouawad et son double plissé.



 Wahid, metteur en scène, double théâtral de Wajdi Mouawad, doit monter Philoctète, une des sept tragédies de Sophocle parvenues jusqu’à nous. Le décès de Robert Davreu, qui devait traduire le texte, le rend profondément triste et lui fait perdre le goût et le sens de la vie. Il décide alors de partir seul en Grèce, sur les traces du grand guerrier Philoctète, puis de rejoindre les morts dans l’Hadès, le monde obscur et intercalaire des morts-vivants. Inflammation du verbe vivre est l’histoire d’un homme qui, dans une traversée cauchemardesque au pays des ombres, retrouve contre toute attente la force d’exister.


 On vient tout juste de le quitter dans son rôle naïf et bienveillant dans" Sous le ciel d'Alice ", un film réalisé par Chloé Mazlo avec Alba Rohrwacher, et le voici à nouveau, sur scène, seul,Wajdi Mouawad, l'acteur, comédien, metteur en scène de tous les combats, politiques, poétiques, artistiques....

Seul, certes en chair et en os, projeté au pays des morts, nous les spectateurs, sans âge ni origine...Une façon bien à lui d'interroger le monde des vivants en allant fouiller la mythologie et ses héros légendaires.Mais toujours relié aux autres territoires de la Grèce, paysages cinématographiques dans lesquels il se fond, le temps d'un épisode de cette quête en solitaire sur le sens du mot "vivre". En bonne compagnie de protagonistes virtuels, comédiens et penseurs d'un vaste projet de fresque théâtrale, contesté dans sa forme par ses collaborateurs réunis à l'écran, alors que lui, circule dans ce monde virtuel avec aisance, en dialogue perpétuel avec les images. Autant de spectres et fantômes désincarnés pour entamer le dialogue. Une véritable performance d'acteur, traversant le miroir comme un passe-murailles, se glissant dans les failles, sur la brèche de l'écran tendu. C'est beau, séduisant, attirant comme autant de passages initiatiques dans d'autres mondes, étape, bivouac pour accéder à son Graal comme des marches à suivre.A la caméra, il a filmé, "film de chevet" inspiré de Robert Davreu, filmé la Grèce comme autant de paysage maritime où se fond son corps jeté dans la bataille avec les éléments: l'eau en particulier comme bain de jouvence ou gouffre sans fond.Interroger les morts, guidé par son chauffeur de taxi, pour restituer parfums, sons et impressions du pays d'Hadès, pays des ombres privées de lumière.Se jeter dans la mer pour échapper à la dette, se confronter aux sensations pour expérimenter avec courage, audace ce que vivent les autres....Un "enfer" à la grec que de se propulser dans l'obscurité.Des images projetées sur un écran de 700 fils, cordes qu'il traverse à l'envi comme rideau, brise-bise,au delà du réel. Passer de l'autre côté pour mieux nous perdre dans un labyrinthe d'épisodes, un récit morcelé qui va et vient sans cesse pour tisser une narration fantaisiste, haletante dans les plis de la vie, à la Deleuze ou Michaux."Com-pli-quer" les choses pour mieux sim-pli-quer et faire plisser les événements comme de la haute couture à fourreau plissé à la Mariano Fortuny et sa fameuse robe "delphos". Miyaké en pensée, comme un corps éventail qui s'ouvre et se ferme au gré des instants de la vie. Un être fabuleux aux prises avec les dieux pas toujours disposés à accueillir sa détresse.

Au TNS jusqu'au 2 JUILLET