Cette œuvre restitue un voyage sans issue : Murs
(2015), de Mehdi Meddaci, est une installation filmique qui s’étale sur
cinq écrans géants. Le récit, sans pathos, met en scène un aller-retour
du père de l’artiste entre Marseille et Alger. Une simple histoire
familiale ? Pas seulement : une manière aussi de croiser souvenirs et
histoire. Sans prétendre que l’eau conserve la mémoire, écoutons Borges :
« Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau / Et penser
que le temps à son tour est un fleuve / Puisque nous nous perdons comme
se perd le fleuve / Et que passe un visage autant que passe l’eau. »

Sur les cinq écrans, les corps chutent lentement, se dirigent vers le sol comme autant de corps mourants qui se laissent choir sans espoir de rebond.Le fondu de la matière charnelle se dilue, se décompose , fluide comme un liquide qui se transforme: le corps est eau, liquide, revendiquait Jan Fabre dans son œuvre scénique et chorégraphique. Les corps voyagent sans se déplacer, sur des sols qui se meuvent, bougent: le bateau est prétextes à une traversée et géographique, et spatiale dans les espaces séquencés par les cinq écrans.Tantôt les images sont distinctes, tantôt elles se répètent et rythment la narration pour une clarté, une limpidité aqueuse. Sur les bancs de l'embarcation, sur le pont, vide, déserté, un seul corps chute, se ploie,et se répand au sol. Comme déroulant ses membres, décontracté, laxe, désinvolte mouvement récurent tout le long du film de 45 mn qui sait tenir en haleine sans fléchir.On y reconnait la voix puis les attitudes de Reda Kateb et les autres "acteurs" danseurs, figurants ont la part belle lors de séquences de chutes individuelles, aériennes de toute beauté: une immersion dans l'éther, proche de l'eau aussi, fluide: comme dans "Tombe avec les chaises" de Robert Cahen...Ou une immersion à l'inverse chez Garry Hill.
Pour la partie citadine, proche du 104 lieu de résidence de l'artiste, la chorégraphie de groupe est signée Rachid Ouramdane: "Dans cette production Rachid Oumradane vous a aidé ?On n’a pas travaillé ensemble, il m’a aidé pour des
plans qui soient libres comme des performances éphémères. Le geste
chorégraphié des gens qui tombent sur le pont bleu pour 30, 40 personnes
ce n’est pas si simple à réaliser, on a fait des plans spécifiques avec
les conseils de Rachid pour que personne ne se blesse et que les
mouvements soient harmonieux."
«
Murs
» est une installation vidéo à dimensions variables, la vidéo représente la
trajectoire inversée de l’immigration, de l’Europe à l’Afrique. A
rebours, les migrants traversent la méditerranée, de Paris à Alger, en
passant par Marseille. Le ralenti sur les gestes évoque la
contemplation, la mémoire et le questionnement du migrant permettant au
spectateur de s’immerger dans les pensées des personnages face à l’exil
et à la solitude. Dans l’installation, une forêt de lampadaires recrée
la verticalité de l’espace urbain qui s’oppose à l’horizontalité de la
mer, dernier bastion avant le retour au pays.
Sur les cinq écrans,
les scènes sont juxtaposées, induisant un montage dans lequel les
séquences se détachent, se complètent et s’accentuent les unes par
rapport aux autres, créant ainsi un rapport à l’espace et au temps bien
spécifique. La vidéo, traversée par différentes temporalités et
différents espaces permet d’accélérer ou de ralentir le rythme de la
narration. Cette trajectoire inversée nous questionne ainsi sur le
principe de l’immigration, ses attentes, des désillusions et ses échecs.
"Mon travail plastique demeure distancié, de l’ordre du poétique,
témoignant d’un attachement profond à l’espace méditerranéen. Il se
construit par strates sous forme de dispositifs ou de modules autonomes
comme
Corps traversés (2007),
Lancer une pierre, (2008) ou
Sans-titre, Alger la blanche (2009)
qui mettent en résonance photographie, vidéo et cinéma. À l’image d’une
« mer au milieu des terres », tout réside dans le déplacement, entre
son et image, document et artifice, vacillement des corps et prégnance
des paysages. Le montage entretient chez le spectateur un certain désir
de déconstruire pour reconstruire, donnant de l’importance à la présence
de mondes possibles. Le visible est porté par l’étrange sensation d’un
manque, celui d’une Histoire, peut-être. En altérant les signes
d’apparitions de cette Histoire, je tente de réaffirmer une continuité
menacée, aux limites de la disparition. Mes images montrent de manière
littérale ou métaphorique un motif, un corps immergé entre deux rivages.
Des personnes cadrées frontalement mais absentes, ancrées dans un décor
et un contexte socio-politique fort, mais en errance profonde.
Paradoxalement, c’est dans l’attente, contre le mur, que le besoin de
traversée, de retour, est le plus perceptible.
Murs apparaît
comme un paysage, un territoire. Les situations et les gestes, saisis
dans ce qu’ils ont de plus ordinaire, à la limite du document, forment
le contexte nécessaire à une histoire : à un défilement du temps. Il
s’agit d’une installation vidéo sonore de cinq écrans pensée en
simultané avec le film
Tenir les murs, destiné à la salle de cinéma.
Murs comprend l’intégralité des prises de vues du tournage.
Tentant de montrer obsessionnellement l’écroulement de la fiction,
l’installation élargit la vision et propose des ellipses de certaines
séquences : un possible suicide, l’intervalle d’un pont bleu et le
retour par la mer. Toutes ces situations forment le contexte nécessaire à
la création d’un « mur de signes ». L’éclatement de la durée se propose
alors comme un flux, érigeant la fragilité d’un événement réel : la
trajectoire inversée d’un exil sur l’image d’Alger."
Il
est diplômé de l’ENSP et du Fresnoy. Il vit à Paris, explorant la
vidéo, l’installation et la photographie. Ses oeuvres sont entrées dans
les collections du CNAP et de Neuflize. Prenant racine dans la vie des
populations issues de l’immigration dont il partage l’histoire, Mehdi
Meddaci ancre son travail dans l’espace méditerranéen.
Le travail
plastique de Mehdi Meddaci se construit par strates successives sous
forme de dispositifs ou de modules autonomes qui mettent en résonance
photographie, vidéo et cinéma. Tout dans ses œuvres réside dans le
déplacement, l’intervalle, l’espace « entre », entre le son et l’image,
entre le document et l’artifice, entre une rive et l’autre, entre
mémoire et utopie, entre le vacillement des corps et la prégnance des
paysages.
À l’image de Murs, qui montre un corps
regardant défiler le Temps. Mais surtout un geste d’une violence sourde
et muette qui garde en lui les tensions inhérentes du seuil pour ne pas
oublier l’exil. Paradoxalement, c’est dans l’attente, contre le mur, que
le besoin de traversée, de route et de retour est le plus perceptible. Murs
apparaît alors à travers un paysage, une terre, un territoire, mais les
situations, les dialogues et les gestes, saisis dans leur vérité, à la
limite d’un document, forment le contexte nécessaire à une histoire : à
un défilement du temps.
Les territoires de l’eau.
jusqu’au 26 septembre, Fondation François Schneider, 27, rue de la Première-Armée, 68700 Wattwiller.