vendredi 17 septembre 2021

"Ouvertures" : l'arbre qui cache la fôret en ouverture du Festival Musica !

 


Depuis sa création en 2009, l’ensemble vocal Roomful of Teeth propose une hybridation entre tradition classique, musiques populaires et techniques vocales du monde. Dans ses rangs figure la compositrice Caroline Shaw dont la célèbre Partita for 8 Voices est l’emblème de la soirée. Une grande rhapsodie où se conjuguent tous les registres, de la polyphonie de la Renaissance au chant diphonique de Mongolie. 

Caroline Shaw The Isle (2016)

Une pièce qui va donner le ton à la soirée: huit chanteurs, hommes, femmes à parité pour une osmose vocale à capella qui donne le vertige: celui du souffle trituré, malaxé pour des harmoniques étranges avoisinant des réminiscences de chants populaires, ethniques, bordés de références sonores acoustiques de toute beauté On y pressent autant des intonations dignes de Mérédith Monk que de Steve Reich ou Phil Glass. Ou tout simplement de vocalises et mélodies bulgares populaires. La joie et l'enthousiasme en sus pour une interprétation audacieuse des harmoniques sensibles de mondes lointains, partagés, revisités au gré des rythmes, tensions et de l'unisson désarticulée des voix éparpillées dans l'espace.


Caleb Burhans Beneath (2017)

Suit dans la foulée cette oeuvre "voisine" d'inspiration, mêlée de cosmopolites intonations, d'oscillations vocales, de déséquilibres salvateurs dans la construction rigoureuse de chants patrimoniaux.Rythme, souffle, ventilation expiatoire pour un rituel décalé, partagé par spectateurs et interprètes dans une proximité loin de l'intimidation d'une salle obscure.


Caroline Shaw Partita for 8 Voices (2012)

Et voici au final de ce festin acoustique cette "partita"unique qui traverse le temps depuis sa création; des chants inuits pour fondamentaux s'abreuvant, se frottant à une composition hybride, solide échafaudage de sonorités, de dissonances: pour créer des paysages fabuleux qui évoquent nature, forêt, végétal en proie à un destin sonore étonnant. Les interprètes s'adonnent à ce "sprechgesang" à l'allure d'agora populaire où chacun prend la parole, vocifère ou murmure la diversité du monde."Dans cet "atelier" où chacun est une cheville ouvrière multitâche, la musique de ce collectif très "po" résonne comme un appel à la fraternité!

Roomful of Teeth
Estelí Gomez, Martha Cluver, Caroline Shaw, Virginia Warnken Kelsey, Eric Dudley, Thann Scoggin, Taylor Ward, Cameron Beauchamp

Horse Lords

Seconde manche du concert après un verre de l'amitié, pot de première nécessité,confiée au groupe Horse Lord qui introduit le bal, debout comme le public ramassé autour du plateau. Belle ambiance rythmique très dansante pour une atmosphère de fête, d'échanges et de proximité humaine, tant convoitée en ces temps de pandémie! Saxo, guitare, basse et batterie pour allumer l'atmosphère, faire swinguer les corps et les rythmes très marqués.

 Groupe inclassable, entre post-rock et musique répétitive, Horse Lords s’abreuve à une multitude de sources : minimalisme, polyrythmies africaines, blues touareg, folk américaine, musique électronique et free jazz… sans compter des maîtres à penser tels La Monte Young, Stockhausen ou Xenakis. Toucherait-on du doigt la synthèse rêvée entre la vitalité de la pop et la liberté des musiques expérimentales ?

saxophone, percussions | Andrew Bernstein
guitare | Owen Gardner
basse | Max Eilbacher
batterie | Booker Stardum

 

jeudi 16 septembre 2021 — 20h30
Les Halles Citadelle

 

mercredi 15 septembre 2021

"Le passé": simple ou composé ? Du plus que parfait très "classsique"!

 


Le metteur en scène Julien Gosselin, après avoir exploré la littérature contemporaine avec des auteurs comme Michel Houellebecq, Roberto Bolaño ou Don DeLillo - emblématiques des questionnements qui ont traversé le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui −, plonge ici dans le passé, au travers des œuvres de Léonid Andréïev (1871-1919). Ce qui l’intéresse chez cet écrivain russe, outre la beauté de l’écriture, c’est la radicalité avec laquelle il regarde son époque et dépeint ses contemporain·e·s. Julien Gosselin joue ici avec les codes du théâtre académique, lui alliant les outils qui lui sont chers : utilisation de la caméra, musique de scène, jeu performatif. Quel bouleversement peut déclencher en nous la réapparition d’un monde disparu ?

C'est sous les traditionnels "feux de la rampe" dans un décor planté, cosy, feu de cheminée réel que la traversée du "passé" opère son ouverture. C'est de la scène, à un écran large déployé au dessus du plateau que performent les acteurs. En chair et en os devant nous, ou filmés en direct dans "les coulisses" de ce même dispositif scénique. On ira donc quatre heures durant, du factuel au virtuel, gymnastique perpétuelle pour notre appréhension de l'espace. Et de la dimension: un long plan séquence affolé pour démarrer ce marathon qui dévoile les personnages de cinq pièces de référence,au gré de leurs déplacements incessants, au gré de leurs vociférations, altercations à propos de l'amour, des êtres chéris, malmenés par la passion, les empoignes, les étreintes... En "costumes" comme dans un bon film "classique" à panache, les comédiens jouent le jeu d'une débandade audacieuse, sans limite de tons, de retournements, de volte-face.On y pressent le drame, la violence des relations de ce microcosme bigarré. Tout ici concoure à l'urgence, à la déraison, à la destruction Au charme aussi, érotique, sensuel et nonchalant des couples qui se font et défont au fil du temps. La mise en espace fonctionne comme un leurre, entre gros plans cinématographiques de toute beauté sur le visage des comédiens sur la sellette et proximité du plateau. Filmés en direct par deux caméramans virtuose des plans, cadres et poursuites. Leur jeu exacerbé par la proximité, leur sur-dimension à l'écran est fascinant. Mieux qu'au "cinéma" puis que doublé de leurs clones pourchassés par la caméra. Résultat haletant, suspendu aux péripéties amoureuses.Coup de chapeau particulier pour Victoria Quesnel, sensuelle Ekaterina,  ou égérie du peintre, folle créature éprise de sensualité, exécutant une danse des sept voiles, Salomé très inspirée de danse buto aux accents surimpressionnés, déments,hallucinés Un jeu poussé à l'extrême , sidérant, gros plans traquant toutes ses mimiques, grimaces, expressions outrancières. Une séquence grotesque en sus à mi parcours de la pièce: film quasi burlesque, inspiré du cinéma muet en noir et blanc, cartons de lecture en sus: comme un jeu de marionnettes masquées où les personnages confondus par leur statu familial sont en proie à la honte, la masturbation de sexe de papier mâché, l'élocution hachée, modulée par des accents et voix transformés. C'est drôle et décapant, comme une sorte de sas jubilatoire à travers ses univers perturbés, dérangeants Le "passé" n'est pas objet de "tabula rasa" mais évocation de démarches, d'attitudes, de postures de jeu de pantins d'une société qui bascule, oscille avec les corps de chacun des comédiens Qu'ils soient face à nous, ou dans les interstices du décor, révélés par la caméra, livrés à nous comme des trophées de chasse.Les textes entremêlés de Léonid Andréiev se succédant comme un révélateur passionné par l'enveloppe charnelle des mots. Et quelques scènes emblématiques, le peintre et son modèle, tradition bourgeoise du "portrait"classique où la pose est prétexte à un dialogue subtil entre les deux protagonistes.Toute l'équipe technique sur le front pour cette performance d'acteurs et de caméramans à vous couper le souffle !Julien Gosselin Pygmalion décapant de la théâtralité "classique" revisItée.

Au TNS jusqu'au 18 Septembre

Julien Gosselin a présenté au TNS 2666 de Roberto Bolaño (2017), 1993 d’Aurélien Bellanger – avec les artistes du Groupe 43 –, Joueurs, Mao II, Les Noms de Don DeLillo et Le Père de Stéphanie Chaillou (2020). Le spectacle Le Passé traverse plusieurs œuvres de l’écrivain Léonid Andréïev (révélé de son vivant par Stanislavski et Meyerhold) : les pièces Requiem et Ékatérina Ivanovna et les nouvelles Dans le brouillard et L’Abîme


dimanche 12 septembre 2021

"Voix et route romane" : Canticum Novum" : Samâ-ï" : territoires musicaux en partage.

 


Samâ-ï Les routes d’Al-Andalous de Cordoue à Alep
La musique arabo-andalouse est le fruit d’un métissage entre la musique arabe venue de l’Orient, la musique afro-berbère du Maghreb et la musique pratiquée dans la péninsule ibérique avant l’arrivée des musulmans en 711. Ce brassage de civilisations a donné lieu à un art musical qui se développa durant plus de huit siècles en Andalousie, au Maghreb, et bien plus loin : sur la route de la soie. À la croisée des répertoires traditionnels syriens et de l’identité cosmopolite de Canticum Novum, Samâ-ï évoque ce carrefour culturel que fut l’ancienne Alep et l’imprégnation musicale des cultures en présence.

L'église Saint Pierre le Jeune, est pleine à craquer pour ce dernier concert de l'édition Ibérica, dernière programmation signée par Denis Lecoq! C'est dans ce terreau musical cosmopolite que l'Ensemble partage la culture de ces sillons, chants et champs nouveaux d'investigation musicale.Emmanuel Bardon aux commandes de ce carrefour polyphonique si excitant! La musique comme espace sans frontière dans le brassage des cultures qui se côtoient.

Le bel instrumentarium est déjà un régal pour les yeux, magnifiquement éclairé par un as de la scénographie des églises et autres lieux sacrés de cette fameuse route romane d'Alsace, ici enchantée par les formations musicales invitées. Les percussions telles des nénuphars, flore rehaussée dans leur transparence par la lumière...Le concert introduit par une liturgie byzantine navigue dans des accents orthodoxes, balançant, lentement rythmés par une pondération et une ponctuation sonore, timbrée, vibrante, quasi marche solennelle qui tangue, ondule à souhait. Les voix s'y fondent, telle des instruments au souffle enivrant, hypnotique.Les solos vocaux interprétés par Gulay Hacer Toruk tintent de multiples variations, modulations virtuoses aux accents orientaux sidérants.Danse tournoyante hypnotisante. Bien d'autres morceaux de ces répertoires, malicieusement conjugués viennent enrichir sonorités, rythmes mais aussi paysages et évocations de la Syrie, de la Grèce, de l'Arménie... Solos, duo, trio vocaux introduits par harpe, vièle ou percussions pour un périple dans le temps et l'espace, vertigineux! Le tout oscillant entre calme et verve, sagesse ou exubérance tonique, modulation des voix, chant, les yeux fermés tant est grande la concentration. Enthousiasme aussi pour les morceaux vifs, relevés, entrainant aux accélérations fulgurantes. Une mélodie qui affleure parfois, soutenue dans une verve, un duo endiablé, tectonique.On ressent une réelle empathie partagée entre l'Ensemble et le public qui a vécu des instants uniques et précieux de complicité entre tradition grecque, arménienne, espagnole.Un dernier adieu participatif avec une ritournelle et le tour du bassin méditerranéen s'achève, convivial, de haute voltige, ravissant plus d'un auditeur charmé par tant de diversité conjuguée et transmisse dans le partage de territoires musicaux

festival voix et route romane sama-i le dimanche 12 Septembre

 

La cité d’Alep, une des plus anciennes cités du monde, antique capitale d’un royaume Amorrite, fut également un point commercial névralgique au débouché d’une des routes de la soie, et bâtit sur le long terme sa prospérité sur les échanges commerciaux et sur sa place dans les enjeux stratégiques au Proche-Orient ancien et médiéval. Au fil des conquêtes et des dominations, la ville a développé une forte tradition multiculturelle nourrie de ses communautés byzantines, arabes, turques, kurdes, séfarades, et incluant la variété méconnue et pourtant étonnante de la chrétienté d’Orient faite de chrétiens maronites, de grecs-orthodoxes, d’Arméniens, de chrétiens syriaques, nestoriens et coptes.

Avec Samâ-ï, Canticum Novum rend compte de la richesse et de la complexité des registres poétiques, littéraires, linguistiques qui ont mûri dans ce creuset fertile des religions et cultures dont on voit qu’elles ne furent jamais des blocs imperméables, fixes et identitaires mais des passerelles entre les hommes, leurs besoins de créativité et leurs aspirations spirituelles.

Ce programme est enrichi des créations inédites de l’oudiste syrien Bayan Rida, qui a intégré en 2019 le collectif de Canticum Novum

10 musiciens
Direction musicale : Emmanuel Bardon

Gulay Hacer Toruk, Emmanuel Bardon, Chant / Valérie Dulac, Vièles / Aliocha Regnard, Nyckelharpa & Fidula / Marie-Domitille Murez, Harpe / Bayan Rida, Oud & Chant / Spyros Halaris, Kanun, Luth, Chant / Isabelle Courroy, Flûtes Kaval / Henri-Charles Caget, Ismaïl Mesbahi, Percussions