samedi 18 septembre 2021

"Astérism": Alexander Schubert à 360 °celcius ! Alexander Platz pour sylphes dansant l'Apocalypse !

 


Le théâtre devient le lieu d’un rituel. Une performance totale et ininterrompue, à vivre de jour comme de nuit, durant 35 heures et 34 minutes.

Installation immersive, performance interactive, lieu de spiritualité pour le présent et l’avenir. Avec Asterism, Alexander Schubert signe un objet artistique non identifié, à la croisée des pratiques musicales, scéniques et technologiques. Au sein d’un étrange sanctuaire, vacillant constamment entre hyperréalisme et virtualité, se côtoient éléments naturels et artificiels, musicien·ne·s et performeur·euse·s, ainsi qu’une intelligence artificielle maîtresse du rituel. Une nature post-digitale, un entre-deux-mondes halluciné que le public est invité à parcourir à tout moment de la nuit ou du jour durant 35 heures et 34 minutes.

On est au cœur du théâtre du Maillon qui a su déjà bien des fois se métamorphoser en autant d'espaces que les projets artistiques imposaient au lieu, à cet "endroit" même ou sont convoqués à immerger et émerger les projets les plus fous! Parcours immersif, balade, déambulation des corps des spectateurs au gré des envies, des attractions, des pulsions générées par les atmosphères, ambiances de tous ces cabinets secrets de curiosité !Après avoir patienté pour intégrer le dispositif, à l'arrière du théâtre, on est invité à revêtir un imperméable transparent, sorte de houppelande qui vous donne l'apparence d'un oiseau de nuit prêt à plonger dans une grotte ou à pénétrer secrètement dans une centrale nucléaire...Après le passage d'un sas, salle d'attente d'un praticien inconnu, voilà que s'ouvre un gigantesque espace, lisère de forêt ou clairière de fées..Comme une jungle du Douanier Rousseau ou un décor de film de fiction de Clément Cogitore...Des êtres vivants peuplent ce radeau de la Méduse, les images sont d'emblée très picturales et renvoient à des univers connus. Tels des zombies allumés et hallucinés, une dizaine de performeurs hantent cet espace, rampant dans des reptations étranges, saccadées, animées de lenteur, de secousses; des corps intranquilles voués au mouvement incessant, sempiternelles danses de transes ou de recueillement. Dans de la terre battue, brune et prégnante.Maculant les corps pétris de poussières qui se roulent, rampent, s'extirpent du chaos.La chorégraphie signée Patricia Carolin Mai est pertinente et fait de ces gueux de cour des miracle sylvestre, des êtres vivants bousculés, chassés du paradis perdu, errant toujours abattus sur le plateau. Vêtus d'oripeaux en lambeaux de teintes grises. L'obscurité est inondée de lumières intermittentes, alors que le vrombissement des sonorités anime les corps.Soumis, flagellés, au diapason des rythmes, du propos qui semble fatal à leur destiné.  Presque du Maguy Marin du temps de son Beckett "M Bay"...Des casques en trois D accompagnent ce spectacle de ruines végétales, de clairière au sein d'une forêt tropicale. Images 3 D fascinantes de beauté, de vertiges spatiaux incroyables à vivre au sein de cette atmosphère de cataclysme, de fin du monde. Graphisme tectonique d'architectures végétales, de formes aiguës minérales, de paysages sylvestres, de lacs de cratère..Sidération et émotion à l'appui. Les images signées de Marc Jungreithmeier sont invraisemblables, sidérantes, vertigineuses et épousent la musique avec pertinence: de quoi perdre pied!La performance bat son plein, se déroule sans fin alors que la meute s'excite, s'ébroue, jambes et bras attirés comme des aimants à la cime d'un espace aspirant au délire, à la déraison, forêt de membres agités par des spasmes sous les salves de la musique omniprésente. Les spectateurs sur l'échiquier comme des gnomes ou sylphes , témoins de ces tableaux vivants défilant sous leurs yeux. C'est captivant, envoutant, dérangeant comme cette séquence stroboscopique où les corps répulsifs se meuvent , hystérique parade de la danse de Saint Guy, du mal de l'ergot du seigle....La scénographie de Pascal Seibicke impressionne et opère pour créer un univers sombre, obscur, révélé par le rythme d'enfer de la pièce.Mathias Grunewald veille au grain, stoïque parrain de ces visions hallucinées L'arbre cache la forêt et Shakespeare n'aurait rien renier de ses avancées vers nous, lente descente de la nuit qui se déroule avec nous. Complices et comparses de cette fébrile ambiance...Démiurge de cette mise en espace du chaos, de ce film de "morts vivants", Schubert se révèle orchestrateur satanique et virtuose de ce spectacle total.On sort de l'arène estomaqué, impacté physiquement, touché par les frappes et empreintes laissées sur nos corps gavés de rythmes, de soulèvements, de vie !Affaire à suivre jusqu'à l'aube ce dimanche matin...Dans quel état de corps?

Au Maillon, les 7/18/19 Septembre dans le cadre du festival MUSICA 2021


vendredi 17 septembre 2021

"Ouvertures" : l'arbre qui cache la fôret en ouverture du Festival Musica !

 


Depuis sa création en 2009, l’ensemble vocal Roomful of Teeth propose une hybridation entre tradition classique, musiques populaires et techniques vocales du monde. Dans ses rangs figure la compositrice Caroline Shaw dont la célèbre Partita for 8 Voices est l’emblème de la soirée. Une grande rhapsodie où se conjuguent tous les registres, de la polyphonie de la Renaissance au chant diphonique de Mongolie. 

Caroline Shaw The Isle (2016)

Une pièce qui va donner le ton à la soirée: huit chanteurs, hommes, femmes à parité pour une osmose vocale à capella qui donne le vertige: celui du souffle trituré, malaxé pour des harmoniques étranges avoisinant des réminiscences de chants populaires, ethniques, bordés de références sonores acoustiques de toute beauté On y pressent autant des intonations dignes de Mérédith Monk que de Steve Reich ou Phil Glass. Ou tout simplement de vocalises et mélodies bulgares populaires. La joie et l'enthousiasme en sus pour une interprétation audacieuse des harmoniques sensibles de mondes lointains, partagés, revisités au gré des rythmes, tensions et de l'unisson désarticulée des voix éparpillées dans l'espace.


Caleb Burhans Beneath (2017)

Suit dans la foulée cette oeuvre "voisine" d'inspiration, mêlée de cosmopolites intonations, d'oscillations vocales, de déséquilibres salvateurs dans la construction rigoureuse de chants patrimoniaux.Rythme, souffle, ventilation expiatoire pour un rituel décalé, partagé par spectateurs et interprètes dans une proximité loin de l'intimidation d'une salle obscure.


Caroline Shaw Partita for 8 Voices (2012)

Et voici au final de ce festin acoustique cette "partita"unique qui traverse le temps depuis sa création; des chants inuits pour fondamentaux s'abreuvant, se frottant à une composition hybride, solide échafaudage de sonorités, de dissonances: pour créer des paysages fabuleux qui évoquent nature, forêt, végétal en proie à un destin sonore étonnant. Les interprètes s'adonnent à ce "sprechgesang" à l'allure d'agora populaire où chacun prend la parole, vocifère ou murmure la diversité du monde."Dans cet "atelier" où chacun est une cheville ouvrière multitâche, la musique de ce collectif très "po" résonne comme un appel à la fraternité!

Roomful of Teeth
Estelí Gomez, Martha Cluver, Caroline Shaw, Virginia Warnken Kelsey, Eric Dudley, Thann Scoggin, Taylor Ward, Cameron Beauchamp

Horse Lords

Seconde manche du concert après un verre de l'amitié, pot de première nécessité,confiée au groupe Horse Lord qui introduit le bal, debout comme le public ramassé autour du plateau. Belle ambiance rythmique très dansante pour une atmosphère de fête, d'échanges et de proximité humaine, tant convoitée en ces temps de pandémie! Saxo, guitare, basse et batterie pour allumer l'atmosphère, faire swinguer les corps et les rythmes très marqués.

 Groupe inclassable, entre post-rock et musique répétitive, Horse Lords s’abreuve à une multitude de sources : minimalisme, polyrythmies africaines, blues touareg, folk américaine, musique électronique et free jazz… sans compter des maîtres à penser tels La Monte Young, Stockhausen ou Xenakis. Toucherait-on du doigt la synthèse rêvée entre la vitalité de la pop et la liberté des musiques expérimentales ?

saxophone, percussions | Andrew Bernstein
guitare | Owen Gardner
basse | Max Eilbacher
batterie | Booker Stardum

 

jeudi 16 septembre 2021 — 20h30
Les Halles Citadelle

 

mercredi 15 septembre 2021

"Le passé": simple ou composé ? Du plus que parfait très "classsique"!

 


Le metteur en scène Julien Gosselin, après avoir exploré la littérature contemporaine avec des auteurs comme Michel Houellebecq, Roberto Bolaño ou Don DeLillo - emblématiques des questionnements qui ont traversé le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui −, plonge ici dans le passé, au travers des œuvres de Léonid Andréïev (1871-1919). Ce qui l’intéresse chez cet écrivain russe, outre la beauté de l’écriture, c’est la radicalité avec laquelle il regarde son époque et dépeint ses contemporain·e·s. Julien Gosselin joue ici avec les codes du théâtre académique, lui alliant les outils qui lui sont chers : utilisation de la caméra, musique de scène, jeu performatif. Quel bouleversement peut déclencher en nous la réapparition d’un monde disparu ?

C'est sous les traditionnels "feux de la rampe" dans un décor planté, cosy, feu de cheminée réel que la traversée du "passé" opère son ouverture. C'est de la scène, à un écran large déployé au dessus du plateau que performent les acteurs. En chair et en os devant nous, ou filmés en direct dans "les coulisses" de ce même dispositif scénique. On ira donc quatre heures durant, du factuel au virtuel, gymnastique perpétuelle pour notre appréhension de l'espace. Et de la dimension: un long plan séquence affolé pour démarrer ce marathon qui dévoile les personnages de cinq pièces de référence,au gré de leurs déplacements incessants, au gré de leurs vociférations, altercations à propos de l'amour, des êtres chéris, malmenés par la passion, les empoignes, les étreintes... En "costumes" comme dans un bon film "classique" à panache, les comédiens jouent le jeu d'une débandade audacieuse, sans limite de tons, de retournements, de volte-face.On y pressent le drame, la violence des relations de ce microcosme bigarré. Tout ici concoure à l'urgence, à la déraison, à la destruction Au charme aussi, érotique, sensuel et nonchalant des couples qui se font et défont au fil du temps. La mise en espace fonctionne comme un leurre, entre gros plans cinématographiques de toute beauté sur le visage des comédiens sur la sellette et proximité du plateau. Filmés en direct par deux caméramans virtuose des plans, cadres et poursuites. Leur jeu exacerbé par la proximité, leur sur-dimension à l'écran est fascinant. Mieux qu'au "cinéma" puis que doublé de leurs clones pourchassés par la caméra. Résultat haletant, suspendu aux péripéties amoureuses.Coup de chapeau particulier pour Victoria Quesnel, sensuelle Ekaterina,  ou égérie du peintre, folle créature éprise de sensualité, exécutant une danse des sept voiles, Salomé très inspirée de danse buto aux accents surimpressionnés, déments,hallucinés Un jeu poussé à l'extrême , sidérant, gros plans traquant toutes ses mimiques, grimaces, expressions outrancières. Une séquence grotesque en sus à mi parcours de la pièce: film quasi burlesque, inspiré du cinéma muet en noir et blanc, cartons de lecture en sus: comme un jeu de marionnettes masquées où les personnages confondus par leur statu familial sont en proie à la honte, la masturbation de sexe de papier mâché, l'élocution hachée, modulée par des accents et voix transformés. C'est drôle et décapant, comme une sorte de sas jubilatoire à travers ses univers perturbés, dérangeants Le "passé" n'est pas objet de "tabula rasa" mais évocation de démarches, d'attitudes, de postures de jeu de pantins d'une société qui bascule, oscille avec les corps de chacun des comédiens Qu'ils soient face à nous, ou dans les interstices du décor, révélés par la caméra, livrés à nous comme des trophées de chasse.Les textes entremêlés de Léonid Andréiev se succédant comme un révélateur passionné par l'enveloppe charnelle des mots. Et quelques scènes emblématiques, le peintre et son modèle, tradition bourgeoise du "portrait"classique où la pose est prétexte à un dialogue subtil entre les deux protagonistes.Toute l'équipe technique sur le front pour cette performance d'acteurs et de caméramans à vous couper le souffle !Julien Gosselin Pygmalion décapant de la théâtralité "classique" revisItée.

Au TNS jusqu'au 18 Septembre

Julien Gosselin a présenté au TNS 2666 de Roberto Bolaño (2017), 1993 d’Aurélien Bellanger – avec les artistes du Groupe 43 –, Joueurs, Mao II, Les Noms de Don DeLillo et Le Père de Stéphanie Chaillou (2020). Le spectacle Le Passé traverse plusieurs œuvres de l’écrivain Léonid Andréïev (révélé de son vivant par Stanislavski et Meyerhold) : les pièces Requiem et Ékatérina Ivanovna et les nouvelles Dans le brouillard et L’Abîme