samedi 18 septembre 2021

"Rothko untitled 2": s'immerger dans l'espace théâtral du peintre

 


"Comment peut-on partager l’émotion que l’on ressent face à une œuvre d’art ? Claire ingrid Cottanceau, artiste plasticienne et performeuse, et Olivier Mellano, compositeur et guitariste, proposent une expérience sensorielle, rêvée à partir de la peinture de Mark Rothko (1903-1970). Il n’est pas ici question de biographie ni de commentaire des œuvres. Elle a créé un espace fait de lumières surgies du noir, aux couleurs changeantes, comme des tableaux mouvants, et elle donne voix au Poème de la chapelle Rothko de John Taggart. Lui joue en direct de la guitare électrique, sa composition guide et accompagne la rythmique du poème et le trio vocal des Voix Imaginaires. La chorégraphe Akiko Hasegawa les rejoint ici le temps d’une performance dansée. Une invitation à perdre les repères d’espace et de temps, à se laisser porter par la vibration du présent."

Une nuée de brumes opaques déferle sur le plateau, diffuse comme une marée de vagues, fluide, évanescente. On entre peu à peu dans le flou de la peinture roue, noire de Rothko, ici immense toile moirée de lumières. S'introduire ainsi dans l'espace éperdu du peintre, dans son univers dont on rêve de défier l'apesanteur autant que la suspension mobile des teintes qui flottent, est rendu possible par une scénographie habile à traverser les frontières. Entre textes lus à demie teinte, voix de chanteurs inspirés par les accents médiévaux et danse, se distille l'esprit de la peinture du plasticien des profondeurs. S'y révèle par instants comme une photographie mouvante, les contours d'un corps qui danse. Telle une évocation de la danse des profondeurs, le buto, la danseuse se fond dans l'atmosphère et vogue dans l'espace comme une icône qui se révèle, se répand sur et dans la toile. Faire vivre et vibrer les gestes du peintre, déborder du cadre, respirer la profondeur de champs.La scène comme une dimension supplémentaire de la peinture, honorée aussi par la musique live d'un guitariste en proie aux tressaillements de la luminosité. Ça vibre à l'envi et l'on pénètre alors dans la densité de la matière picturale, évoquée autant par la musicalité des mots que par les notes de musique forte et massive. Le rouge et le noir comme densité affirmée de la présence vibrante d'une œuvre augmentée, adaptée à un autre territoire: le plateau et ses chanteurs et lecteurs. Et quand survient le mouvement dansé, c'est une marque idéalisée de la présence révélée de la vibration dans l'oeuvre de Rothko. Une dimension spirituelle qui sied à merveille à celui qui interrogea avec tant de perspicacité la véracité de la profondeur de champs et de la tentation de traverser en passe muraille l'opacité du miroir.

Au TNS jusqu'au 20 Septembre, présenté dans le cadre du festival MUSICA 

Claire ingrid Cottanceau est artiste plasticienne, actrice et collaboratrice artistique de nombreux metteur·e·s en scène. Le public du TNS a pu la voir dans Incendies de Wajdi Mouawad, mis en scène par Stanislas Nordey (2016). Olivier Mellano est compositeur, improvisateur et a participé à de nombreuses créations théâtrales, composant la musique et jouant parfois en direct sur le plateau. En 2018, ils ont présenté au TNS leur première création commune, NOVA - Oratorio, d’après des extraits de Par les villages de Peter Handke.

"Schnee" par l'ensemble Recherche : tombe la neige.....

 


Hans Abrahamsen
Schnee (2008)

Affilié au courant de la « nouvelle simplicité » dans les années 1970, le compositeur danois Hans Abrahamsen a assumé dès ses débuts un retour à la mélodie et à l’harmonie tout en suivant les enseignements de György Ligeti. Sa pièce phare Schnee, d’une économie de moyens radicale, est une réflexion sur le motif du canon, sur les jeux de perspective et l’absorption de l’écoute. Il neige en musique. Toujours identiques et pourtant toujours différents lorsqu’on les observe à la loupe, les flocons sonores sont égrenés dans l’espace. Doucement, ils passent d’un instrument à l’autre, fondent ou se figent dans une atmosphère hypnotique. 
 
Et sous les archets des cordes s'égrènent les sonorités comme autant de touches impressionnistes d'un tableau de Pissarro...Tintinnabules quasi insonores, discrètes pour former un léger tapis blanc de cristaux étincelants. Alors que le piano ponctue en touches fugaces ces infimes notes qui glissent comme un voile sur la vitre d'une fenêtre. Ici tout invite à la poésie, au calme et à la sérénité; Interviennent les vents pour souffler à la surface de l'espace, la musique toujours belle et retenue, suspendue aux légers caprices du souffle d'Eole. Et si la blancheur soutenait la douceur et le recueillement, ce serait bien celle de cette oeuvre, liée au conte, à l'histoire qui relaie la narration des instruments Et si chacun d'entre eux était fée et elfes pour conter l'éphémère, la chute légère et diaphane des flocons de neige. Les percussions comme autant de caresse sur le bois d'un établi devant le cercle joyeux du gong.Schneewittchen en héroïne tout de blanc vêtue, virginale, offerte en rêverie et autre voyage à travers le temps et l'espace sonore.

flûte | Mario Caroli
hautbois | Eduardo Olloqui
clarinette | Shizuyo Oka
violon | Melise Mellinger
alto | Paul Beckett
violoncelle | Åsa Åkerberg
percussions | Christian Dierstein
piano | Klaus Steffes-Holländer

Dans le cadre du festival MUSICA présenté avec l'Opéra National du Rhin

samedi 18 septembre 2021 — 11h00
Les Halles Citadelle

 

"Astérism": Alexander Schubert à 360 °celcius ! Alexander Platz pour sylphes dansant l'Apocalypse !

 


Le théâtre devient le lieu d’un rituel. Une performance totale et ininterrompue, à vivre de jour comme de nuit, durant 35 heures et 34 minutes.

Installation immersive, performance interactive, lieu de spiritualité pour le présent et l’avenir. Avec Asterism, Alexander Schubert signe un objet artistique non identifié, à la croisée des pratiques musicales, scéniques et technologiques. Au sein d’un étrange sanctuaire, vacillant constamment entre hyperréalisme et virtualité, se côtoient éléments naturels et artificiels, musicien·ne·s et performeur·euse·s, ainsi qu’une intelligence artificielle maîtresse du rituel. Une nature post-digitale, un entre-deux-mondes halluciné que le public est invité à parcourir à tout moment de la nuit ou du jour durant 35 heures et 34 minutes.

On est au cœur du théâtre du Maillon qui a su déjà bien des fois se métamorphoser en autant d'espaces que les projets artistiques imposaient au lieu, à cet "endroit" même ou sont convoqués à immerger et émerger les projets les plus fous! Parcours immersif, balade, déambulation des corps des spectateurs au gré des envies, des attractions, des pulsions générées par les atmosphères, ambiances de tous ces cabinets secrets de curiosité !Après avoir patienté pour intégrer le dispositif, à l'arrière du théâtre, on est invité à revêtir un imperméable transparent, sorte de houppelande qui vous donne l'apparence d'un oiseau de nuit prêt à plonger dans une grotte ou à pénétrer secrètement dans une centrale nucléaire...Après le passage d'un sas, salle d'attente d'un praticien inconnu, voilà que s'ouvre un gigantesque espace, lisère de forêt ou clairière de fées..Comme une jungle du Douanier Rousseau ou un décor de film de fiction de Clément Cogitore...Des êtres vivants peuplent ce radeau de la Méduse, les images sont d'emblée très picturales et renvoient à des univers connus. Tels des zombies allumés et hallucinés, une dizaine de performeurs hantent cet espace, rampant dans des reptations étranges, saccadées, animées de lenteur, de secousses; des corps intranquilles voués au mouvement incessant, sempiternelles danses de transes ou de recueillement. Dans de la terre battue, brune et prégnante.Maculant les corps pétris de poussières qui se roulent, rampent, s'extirpent du chaos.La chorégraphie signée Patricia Carolin Mai est pertinente et fait de ces gueux de cour des miracle sylvestre, des êtres vivants bousculés, chassés du paradis perdu, errant toujours abattus sur le plateau. Vêtus d'oripeaux en lambeaux de teintes grises. L'obscurité est inondée de lumières intermittentes, alors que le vrombissement des sonorités anime les corps.Soumis, flagellés, au diapason des rythmes, du propos qui semble fatal à leur destiné.  Presque du Maguy Marin du temps de son Beckett "M Bay"...Des casques en trois D accompagnent ce spectacle de ruines végétales, de clairière au sein d'une forêt tropicale. Images 3 D fascinantes de beauté, de vertiges spatiaux incroyables à vivre au sein de cette atmosphère de cataclysme, de fin du monde. Graphisme tectonique d'architectures végétales, de formes aiguës minérales, de paysages sylvestres, de lacs de cratère..Sidération et émotion à l'appui. Les images signées de Marc Jungreithmeier sont invraisemblables, sidérantes, vertigineuses et épousent la musique avec pertinence: de quoi perdre pied!La performance bat son plein, se déroule sans fin alors que la meute s'excite, s'ébroue, jambes et bras attirés comme des aimants à la cime d'un espace aspirant au délire, à la déraison, forêt de membres agités par des spasmes sous les salves de la musique omniprésente. Les spectateurs sur l'échiquier comme des gnomes ou sylphes , témoins de ces tableaux vivants défilant sous leurs yeux. C'est captivant, envoutant, dérangeant comme cette séquence stroboscopique où les corps répulsifs se meuvent , hystérique parade de la danse de Saint Guy, du mal de l'ergot du seigle....La scénographie de Pascal Seibicke impressionne et opère pour créer un univers sombre, obscur, révélé par le rythme d'enfer de la pièce.Mathias Grunewald veille au grain, stoïque parrain de ces visions hallucinées L'arbre cache la forêt et Shakespeare n'aurait rien renier de ses avancées vers nous, lente descente de la nuit qui se déroule avec nous. Complices et comparses de cette fébrile ambiance...Démiurge de cette mise en espace du chaos, de ce film de "morts vivants", Schubert se révèle orchestrateur satanique et virtuose de ce spectacle total.On sort de l'arène estomaqué, impacté physiquement, touché par les frappes et empreintes laissées sur nos corps gavés de rythmes, de soulèvements, de vie !Affaire à suivre jusqu'à l'aube ce dimanche matin...Dans quel état de corps?

Au Maillon, les 7/18/19 Septembre dans le cadre du festival MUSICA 2021