samedi 25 septembre 2021

"Vox Naturae": les Métaboles : danses chorales

 


Murray Schafer est considéré comme pionnier de l’écologie en musique. Celui auquel on doit la notion de « paysage sonore » n’a cessé de militer en faveur du respect de la nature, en particulier dans sa dimension acoustique. De sa musique vocale, il dit qu’elle cherche à établir une relation spirituelle avec l’environnement, voire, comme il le suggère à propos des Magic Songs, « à restaurer des aspects de la nature qui ont été négligés ou anéantis par l’humanité ». Croire en la magie, faire vibrer le monde et accorder les esprits, c’est l’expérience à laquelle nous convient les Métaboles avec la participation de la Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau sous la direction de Léo Warynski.

Murray Schafer
Snowforms (1981): la jeune chorale est tout de noir et blanc vêtue et murmure, susurre à mi-mot, en ondulations, en autant de modulations précises.De très beaux aigus jaillissent de ce magma sonore, compact, soudé, en canon, en tuilage et résonances harmonieuse. Les jeunes choristes sous la direction de Nicolas Wittner font ici un ensemble soudé, à l'écoute et fort synthétique à écouter.Une interprétation subtile, engagée et généreuse de la part de la maitrise bien rodée à l'exercice de la sccène !


Magic Songs (1988):l'Ensemble des interprètes chanteurs prend place pour un démarrage vocal parlé-chanté à la russe, vif, haletant, répétitif. La foule y est présente avec cris, murmures, silences en suspension, dissonances....Très ponctué, le phrasé de la pièce s'égrène en pépiements puis évoque une sorte d'hymne ou une pastorale bucolique.Aérienne, enjouée, alerte.Avec enthousiasme et allant dans une mêlée où les vibrations magnétiques irradient l'espace de la grande salle de la Halle Citadelle.Comme une forêt de chants qui se déplace, les chanteurs circulent, se dispersent.Chute brusque des aigus en cascade, soutenues par les voix de basse: comme des trains qui s'ébranlent, en marche, on y frappe des pieds en cadence arythmique.


Vox Naturae (1997):quasi liturgique, ce morceau invite à la méditation; deux groupes de chanteurs se répartissent l'espace, enveloppant les spectateurs, les bordant de sons qui se répondent.Le son traverse et dialogue en couches superposées: il tourne comme les chanteurs, de dos, et comme une envolée forment canons et échos, ricochets et caramboles.Telle une foule en émoi, une volière joyeuse: messe ou requiem pour un environnement sonore de toute beauté saisissante!Éclats de voix percutants, rythmes variés à l’appui, on songe aux Carmina Burana avec tambours dans une sorte de farandole ou redoute finale.


Veljo Tormis Raua Needmine (1972):Le chef s'empare du tambour pour mener le bal:des borborygmes, des voix parlé-chanté qui vocifèrent comme des oracles, une menace en pulsations régulières.Agora ou forum des sons où s'exprime la foule sans négliger aucune altérité de chacun.Des solistes s'exposent dans ce joyeux brouhaha de slogans féroces de manifestation publique.Dans une langue cosmopolite qui rend la musicalité, diverse, étonnante et modulée à souhait.


Murray Schafer Miniwanka (1971): tous réunis, voici les "choristes" au zénith pour une joute de chants d'oiseaux au loin et sur le plateau.Cacophonie enjouée, vivante où les frappes pieds et mains sur les corps s'intègrent à la musique et font de la pièce une chorégraphie de percussions corporelles, inédites.Comme une avalanche qui réverbère le son, tel le tonnerre qui gronde en ricochet de pupitre en pupitre.Une sorte d'allocution au final, prise de parole pour teinter cet édifice du son, de couleurs fortes et vibrantes.Le son y est solide en fondement architectural très tectonique: les bâtisseurs de chant vocal, de musique issue aussi des temps médiévaux font office de conteurs, serveurs de l'harmonie autant que du chaos!Quand amateurs et professionnels s'allient l'union fait la force !Et crée de beaux rapprochements complices, de générations

Les Métaboles
direction | Léo Warynski

Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau
direction | Nicolas Wittner

Halles Citadelle dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 24 septembre 2021

"Infinity Gradient": hypnose organique

 


Nourri par la culture de l’innovation et du prototypage au sein des makerspaces new-yorkais, direct héritier de Steve Reich et Philip Glass, Tristan Perich est une figure incontournable de la jeune scène new-yorkaise. Sa musique est caractérisée par la relation entre les instruments traditionnels et une électronique « lo-fi » (low fidelity) qu’il conçoit lui-même dans ses moindres détails. Avec Infinity Gradient, interprété par James McVinnie, il propose une vaste fresque musicale et une immersion totale dans le son en transformant l’orgue de l’église Saint-Paul en méta-instrument grâce à un dispositif de 100 haut-parleurs.

Tristan Perich Infinity Gradient (2021) création mondiale : des motifs récurrents, répétitifs pour fresque inaugurale de cette pièce majestueuse en diable!Des enluminures aussi, complexes, en arabesques acrobatiques et virtuoses.Le phrasé est lancinant, en strates et accumulations tectoniques, en routine sempiternelle, hypnotique, en mélopée tournante...De longues tenues en sirènes de bateau, ou pétaradantes respirations de cet instrument magistral de tous les vents et tubes. Une musique sidérante, cosmique, astrale, envoutante, sédative et soporifique à l'envi.L'espace se fige, médusant, s'agrandit et des vagues de nuées de transes font de cette œuvre un grimoire contemporain des peurs ancestrales.

orgue | James McVinnie

A l'Eglise Saint Paul dans le cadre du festival MUSICA

"Shaw only" /Il Giardini : on women show !

 


La musique de chambre de Caroline Shaw est faite de souvenirs, de résurgences du passé. Chacune de ses pièces laisse entrevoir sans ambiguïté une référence à un style historique ou à une oeuvre en particulier : un geste issu d’une suite baroque, quatre accords volés à Brahms, une mazurka de Chopin dont la matière est filtrée, répétée, ralentie, approfondie… Pour la compositrice, projeter ainsi l’ancien monde dans le nouveau monde n’est en rien un geste rétrograde. Elle cherche davantage à jouer avec la nostalgie que provoque en nous les ritournelles qui nous sont chères, pour finalement confronter l’histoire à l’évolution de notre écoute, au présent.

Caroline Shaw
  Limestone and felt (2012) : un duo violon alto-violoncelle pour inaugurer cette soirée "monotype"dédiée à Caroline Shaw! Et de toute beauté!Des piqués staccato, petits touchés sur les cordes tendues pour aller vers l'archet qui glisse dans de très beaux gestes des interprètes féminines.Une mélodie semble sourdre, comme un leitmotiv qui se prolonge en reprises ou retenues délicates.

Boris Kerner (2012): un solo de violoncelle très lent, exécuté par petits touchés comme une spirale ascendante: un chant s'en détache comme écho et résonance...Quasi fugue ou suite de Bach, baroque dans ses tonalités timbrées dans la jouissance non simulée de Pauline Buet, sensuelle, abandonnée dans un corps-accord avec son instrument.Dans une scénographie lumineuse de l'église Saint Paul, une acoustique réverbérante pour souligner les contrastes autant architecturaux que musicaux La préciosité des silences, des harmoniques font de la pièce une partition légère, aérienne, évanescente: des espaces pour voyager mentalement en suspension Seul l'archet coupe court à la rêverie faite de tant de contrastes!

  Thousandth Orange (2018) :le viloncelle poursuit sa course folle, en révérences et pas de danse glissés, en arabesques dans l'espace, en pliés, relevés très baroques.L'intrusion de petits pots de terre, de fleurs sous les baguettes agiles de Eriko Minami font le reste: petites percussions claires et brèves, sèches, en tintinnabules fragiles.Dans une accélération commune, la musique fonde ce duo pertinent à son zénith d'intensité sonore.Des frappes sur les pots comme autant de clochettes d'un carillon ou glockenspiel.Des accalmies aussi, rythmées, intimes, délicates, des gammes de sons, de hauteurs, de couleurs pour une vision live très animée et dynamique!Les cordes enveloppent ces percussions primaires et si simples.


Gustave Le Gray (2012): un solo de piano, très mélodique surprend et enchante:dans des ascensions romantiques bordées de graves renforcés, des ondes délicates, en eau de pluie, se répandent.Des paysages changeants se révèlent dans des tensions, des retombées sonores, des respirations très spatiales.Une narration en émane, nostalgique à la Michel Legrand ou William Sheller...Valse mélancolique et langoureux vertige!Des inflexions dansantes, des reprises, un pianiste très inspiré,David Violi, qui frôle les touches délicieusement...Une gradation extrême dans crescendo et diminuando, un imperceptible jeu aérien: tout concourt ici au décollage cosmique sentimental!

In manus tuas (2009) : duo violoncelle et piano en petites touches précises, pincés du violoncelle dans un relai rythmique virtuose.Fantaisie ornementale, fluide, claire, vivace; l'un enveloppe l'autre qui fléchit, se penche mais ne rompt pas!Tours en rond de bosse des instruments qui s'observent, se rencontrent et s'allient...La musique est chorégraphique, mouvementée, cinématographique, sensuelle, en voltes et volutes dansantes.L'atmosphère de montée en puissance émotionnelle donne naissance au filet de voix qui sourd du corps du violoncelle.

The Wheel (2021) création mondiale: le clou du spectacle, introduit avec émotion par le pianiste.Comme les élégies de Satie, ce petit orchestre de chambre s'adonne à la créativité de la compositrice: cordes en tuilage, piqués, glissés à foison, à l'envi.Très audacieuse écriture dans des tonalités et harmoniques singulières frôlant la dissonances incongrue.Un caractère bien trempé pour cette œuvre qui se crée devant nous, bien chambrée, pleine et retentissante de résonances particulières.Marche, démarche solennelle, toujours perturbée, agacée par l'intrus, mais affirmée: les notes s"évadent du canevas traditionnel académique pour s'éparpiller, divines et magnanimes, en leitmotivs récurrents.Des reprises comme des ritournelles qui vont et viennent ou s'enroule dans un mouvement circulaire.Épilogue et fin du film étiré comme une partition de l'image animée.

I Giardini
violoncelle | Pauline Buet 
piano | David Violi
alto | Léa Hennino
violon | Thomas Gautier
percussions | Eriko Minami

A l'église Saint Paul le 23 Septembre dans le cadre du festival MUSICA