samedi 25 septembre 2021

"Tumik et Katajjaq": une sororité inuite ! et inouie !



Une soirée placée sous le signe des contrées polaires, avec le compositeur et spécialiste de la culture inuit Philippe Le Goff, les chanteuses de jeux de gorge traditionnels Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk.

Philippe Le Goff arpente depuis une trentaine d’années les vastes étendues du Grand Nord canadien. Avec Tumik (« trace » en inuktitut), il propose une performance documentaire réalisée à partir de récits, d’images, de sons et d’objets glanés au gré de ses voyages. Cet essai autobiographique est une fenêtre ouverte sur l’Arctique, la relation particulière qu’entretiennent ses habitants à la nature et au monde animal, les modes de vie et activités quotidiennes. Une expérience intime au sein d’un territoire bouleversé par la colonisation. 

Le plateau de la petite scène de la Halle Citadelle est jonchée d'objets, alors que deux écrans accueillent les images de ses séjours au pays du grand froid sec et vivifiant: images de la vie quotidienne dans un décor de bivouac, de campement au creux de la neige et de la lumière froide.Témoignage sonore et recherche sur les sons, les chants, la pièce est reportage musical vécu, rendu par la force et la douceur des textes lus par le protagoniste, ethnologue, chercheurs de perles rares, orpailleur du son étrange: patrimoine vocal autant qu'invention improvisée dans le quotidien des personnages choisis pour l'authenticité de leur savoir vocal.Tissage savant par des mains agiles, mets tissés par un soin extrême mis au service de la tradition exhumée de rythmes et musique à jamais conservés.

La soirée se poursuit avec Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk, chanteuses de jeux vocaux (katajjaq) venues de la région du Nunavik au nord du Québec, où elles contribuent à la préservation et à la transmission du patrimoine culturel inuit. Traditionnellement pratiqués par les femmes, les jeux vocaux ou chants de gorge prennent la forme de duels en face-à-face, lors desquels les chanteuses confrontent leur endurance, dans un esprit ludique, en entonnant des motifs répétitifs. 

Deux soeurs venues du grand froid sec et clair pour partager de façon très conviviale, la science des comportements humains et leurs prolongements par le médium vocal: c'est drôle et plein de surprises à l'écoute: voix de gorge, aspirées par le souffle haletant, le diaphragme convoqué à l'inverse de sa tonicité pour exprimer par le souffle en saccade, la diversité des humeurs, des circonstances d'émission vocale On y fait le vent, la rivière, une chanson d'amour, on y simule sans fard la compétition: c'est le meilleur rythme tenu qui gagne dans ces joute vocales en canon accélérés qui finissent en entrelacs complexes non maitrisables! Scie, moustiques, petit chien, traineau sur la neige: autant de paysages évoqués de façon très vivante, vécue du fond du souffle, de la gorge, des organes vitaux du chant.On y hallete sans se couper le souffle, on y ventile en euphorie et transports en commun dans une riche et généreuse empathie.Berceuse lente sur un tambour dédié à la femme qui danse devant nous dans des jeux d'endurance, de performance athlétique et physique digne d'un championnat de chant Les motifs repris en canon, en tuilage comme autant de parures musicales tressées avec l'habileté et la dextérité des cordes vocales passées en fond de gorge déployée!

Tumik
conception, sons et images Philippe Le Goff
lumière et collaboration à la scénographie Bernard Poupart
regard extérieur Brigitte Lallier-Maisonneuve

Katajjaq
chanteuses de jeux vocaux Akinisie Sivuarapik et Amaly Sallualuk

"Vox Naturae": les Métaboles : danses chorales

 


Murray Schafer est considéré comme pionnier de l’écologie en musique. Celui auquel on doit la notion de « paysage sonore » n’a cessé de militer en faveur du respect de la nature, en particulier dans sa dimension acoustique. De sa musique vocale, il dit qu’elle cherche à établir une relation spirituelle avec l’environnement, voire, comme il le suggère à propos des Magic Songs, « à restaurer des aspects de la nature qui ont été négligés ou anéantis par l’humanité ». Croire en la magie, faire vibrer le monde et accorder les esprits, c’est l’expérience à laquelle nous convient les Métaboles avec la participation de la Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau sous la direction de Léo Warynski.

Murray Schafer
Snowforms (1981): la jeune chorale est tout de noir et blanc vêtue et murmure, susurre à mi-mot, en ondulations, en autant de modulations précises.De très beaux aigus jaillissent de ce magma sonore, compact, soudé, en canon, en tuilage et résonances harmonieuse. Les jeunes choristes sous la direction de Nicolas Wittner font ici un ensemble soudé, à l'écoute et fort synthétique à écouter.Une interprétation subtile, engagée et généreuse de la part de la maitrise bien rodée à l'exercice de la sccène !


Magic Songs (1988):l'Ensemble des interprètes chanteurs prend place pour un démarrage vocal parlé-chanté à la russe, vif, haletant, répétitif. La foule y est présente avec cris, murmures, silences en suspension, dissonances....Très ponctué, le phrasé de la pièce s'égrène en pépiements puis évoque une sorte d'hymne ou une pastorale bucolique.Aérienne, enjouée, alerte.Avec enthousiasme et allant dans une mêlée où les vibrations magnétiques irradient l'espace de la grande salle de la Halle Citadelle.Comme une forêt de chants qui se déplace, les chanteurs circulent, se dispersent.Chute brusque des aigus en cascade, soutenues par les voix de basse: comme des trains qui s'ébranlent, en marche, on y frappe des pieds en cadence arythmique.


Vox Naturae (1997):quasi liturgique, ce morceau invite à la méditation; deux groupes de chanteurs se répartissent l'espace, enveloppant les spectateurs, les bordant de sons qui se répondent.Le son traverse et dialogue en couches superposées: il tourne comme les chanteurs, de dos, et comme une envolée forment canons et échos, ricochets et caramboles.Telle une foule en émoi, une volière joyeuse: messe ou requiem pour un environnement sonore de toute beauté saisissante!Éclats de voix percutants, rythmes variés à l’appui, on songe aux Carmina Burana avec tambours dans une sorte de farandole ou redoute finale.


Veljo Tormis Raua Needmine (1972):Le chef s'empare du tambour pour mener le bal:des borborygmes, des voix parlé-chanté qui vocifèrent comme des oracles, une menace en pulsations régulières.Agora ou forum des sons où s'exprime la foule sans négliger aucune altérité de chacun.Des solistes s'exposent dans ce joyeux brouhaha de slogans féroces de manifestation publique.Dans une langue cosmopolite qui rend la musicalité, diverse, étonnante et modulée à souhait.


Murray Schafer Miniwanka (1971): tous réunis, voici les "choristes" au zénith pour une joute de chants d'oiseaux au loin et sur le plateau.Cacophonie enjouée, vivante où les frappes pieds et mains sur les corps s'intègrent à la musique et font de la pièce une chorégraphie de percussions corporelles, inédites.Comme une avalanche qui réverbère le son, tel le tonnerre qui gronde en ricochet de pupitre en pupitre.Une sorte d'allocution au final, prise de parole pour teinter cet édifice du son, de couleurs fortes et vibrantes.Le son y est solide en fondement architectural très tectonique: les bâtisseurs de chant vocal, de musique issue aussi des temps médiévaux font office de conteurs, serveurs de l'harmonie autant que du chaos!Quand amateurs et professionnels s'allient l'union fait la force !Et crée de beaux rapprochements complices, de générations

Les Métaboles
direction | Léo Warynski

Maîtrise Sainte Philomène de Haguenau
direction | Nicolas Wittner

Halles Citadelle dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 24 septembre 2021

"Infinity Gradient": hypnose organique

 


Nourri par la culture de l’innovation et du prototypage au sein des makerspaces new-yorkais, direct héritier de Steve Reich et Philip Glass, Tristan Perich est une figure incontournable de la jeune scène new-yorkaise. Sa musique est caractérisée par la relation entre les instruments traditionnels et une électronique « lo-fi » (low fidelity) qu’il conçoit lui-même dans ses moindres détails. Avec Infinity Gradient, interprété par James McVinnie, il propose une vaste fresque musicale et une immersion totale dans le son en transformant l’orgue de l’église Saint-Paul en méta-instrument grâce à un dispositif de 100 haut-parleurs.

Tristan Perich Infinity Gradient (2021) création mondiale : des motifs récurrents, répétitifs pour fresque inaugurale de cette pièce majestueuse en diable!Des enluminures aussi, complexes, en arabesques acrobatiques et virtuoses.Le phrasé est lancinant, en strates et accumulations tectoniques, en routine sempiternelle, hypnotique, en mélopée tournante...De longues tenues en sirènes de bateau, ou pétaradantes respirations de cet instrument magistral de tous les vents et tubes. Une musique sidérante, cosmique, astrale, envoutante, sédative et soporifique à l'envi.L'espace se fige, médusant, s'agrandit et des vagues de nuées de transes font de cette œuvre un grimoire contemporain des peurs ancestrales.

orgue | James McVinnie

A l'Eglise Saint Paul dans le cadre du festival MUSICA