samedi 2 octobre 2021

"Devenir imperceptible" : le chant de la terre.

 


Devenir imperceptible est une pièce paysagère où le sonore se joue de notre perception. Seule au plateau, l’interprète-danseuse évolue dans un environnement composé de mille-cinq cents litres d’écorce de pin, d’appeaux et de tuyaux d’orgue, mais aussi d’un étrange instrument inventé pour l’occasion : l’engoulevent, du nom d’un petit oiseau nocturne dont le plumage est un camouflage parmi les écorces ou les feuilles mortes. La scénographie se transforme en paysage sonore – géographie fantasmée. Les récits sont multiples, purement sensibles : essayer de parler oiseau, chercher à se fondre dans l’environnement, y disparaître, hésiter entre la vue et l’ouïe, danser.

Des sifflets dans l'obscurité tenace, des oiseaux comme des appeaux lointains, un cor-tube qui résonne suspendu..Le tableau sonore est éclairé par une lune timide rougeoyante.Dans cette pénombre persistante, inquiétante, se dessine une silhouette gracile qui oscille avec les sons qui s'accumulent en couche sonore, peu à peu.Une forma humaine se distingue au coeur d'un rond noir, flaque, lac opaque sur le plateau.La musique se fait obsessionnelle, répétitive et sourd d'instruments bizarres: tuyaux d'orgues reliés par des câbles emplis d'air.Une danse aérienne fait trace dans l'espace, silhouette noire, découpée sur fonds de craquements sonores: ceux de débris de pommes de pin jonchant le sol; insecte ou araignée, le corps se pose, s'arc-queboute sur des sons de gants de plastique broyés.Le cercle sacré de chamane inquiète et la créature en fait le tour, troublée, hésitante.Le son de ses pas dans les écorces de pins brunes.Crissements, avalanches feutrée, tonnerre , éboulement minéral qui gronde et menace.Lac ou plate bande, ce rond de sorcière intrigue tel du land art à la Richard Long ou Serra. Le corps en déséquilibre, oscillant ou semblant s'effondrer...Des mouvements brefs, anguleux l'animent comme des secousses sismiques, soubresauts, sautillements toujours dans un déferlement sonore diffus. Ça dégringole, se fendille, baille à l'envi offrant failles et brèches comme des claquettes contemporaines sur le sol hérissé.Le tapis d'écorces de récupération comme piste de dance-floor!Un filet délivre cette pêche miraculeuse en un rouleau d'automne; la créature étrange s'y vautre, échoue sur cette surface accueillante, lit de feuilles mortes, mi ensevelie dans la terre; elle trace ses marques, formes reposoir au sol pour sa tête.Scarabée sur le dos, ses pattes s’agitent sur un son d'alerte: pause-statue immobile, l'animal-femme au cou bleuté d'oiseau de nuit Vision onirique d'un paradis, symphonie de sons, polyphonie acoustique irréelle.Recroquevillée au sein de cette terre fertile, ce compost végétal d'arbre caduc, la bestiole avance, progresse, vit et nous regarde!Esthétique, sonorités incongrues pour un spectacle hors du commun, émouvant, attachant.Pauline Simon en hybride dégenré pour révéler les sculptures de Bastien Mignot sur des terres inconnues...

mise en scène et musique Clément Vercelletto
interprète Pauline Simon
scénographie Bastien Mignot

lumière | Florian Leduc
lutherie | Léo Maurel
conseil costume | Valentine Solé
regard extérieur | Madeleine Fournier

création mondiale

Au TJP le 1 OCTOBRE dans le cadre du festival MUSICA

jeudi 30 septembre 2021

"Drift Multiply" de Tristan Perich: accordez vos violons d'Ingres! Beaux parleurs !

 


Après sa pièce pour orgue donnée à l’église Saint-Paul le 23 septembre, Tristan Perich présente une autre page monumentale, dans un format inédit : un orchestre de 50 violonistes, chacun accompagné par un hautparleur – soit 100 voies sonores déployées dans l’espace. Drift Multiply est un gigantesque paysage sonore, un océan où le compositeur sonde « le seuil entre le monde abstrait du numérique et le monde physique qui nous environne ». Un concert exceptionnel, qui voit pour la première fois réunis sur scène les violons de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et de l’Orchestre symphonique de Mulhouse.

C'est une impressionnante assemblée de violons devant nous sur une agora musicale....Un flot de sonorités sourd des cordes qui s'animent, répétitives sous les archets.Musique magistrale de cathédrale gothique flamboyante, animée par tous ces violons en batterie, en rangée impressionnante Le deuxième mouvement sera celui d'une fine pluie battante qui enfle et  émane des hauts parleurs: pluie diluvienne par instant qui semble s'abattre sur la toiture des grandes halles de la citadelle.Musique et sonorités énigmatiques, hypnotiques, envoutantes...Hallebardes en cascades....Un concert où l'écriture de Tristan Perich trouve tout son déploiement, sa démesure dans de strictes mesures, son envergure cosmique et spatiale En spirales tournantes, résurgences de tourbillons, de flux et reflux de marée attirés par l'aspiration céleste des astres.Une soirée riche et splendide d'émotions, de résonances, de vibrations....Les deux orchestres réunis pour une "unisson" spatiale remarquable.Tous "au violon" sous la houlette d'un chef qui ne se laisse pas submerger par ce flot palpitant de sonorités immergeantes, envahissantes, submergeantes.

Tristan Perich Drift Multiply (2019) création française

Orchestre philharmonique de Strasbourg
Orchestre symphonique de Mulhouse

direction musicale | Douglas Perkins

Aux Halles Ciadelle dans le cadre du festival MUSICA

mercredi 29 septembre 2021

"Célébration" de l'usure ! Ne s'use que s'y l'on s'en sert ! On se tate ..... et l'on constate!

 


Mark Tompkins
Cie I.D.A. France 1 danseur + 2 musiciens création 2021

Celebration

Bienvenue dans Celebration, une invitation au spectacle tendre et crue imaginée par un artiste aux multiples facettes, Mark Tompkins. Ici, jeunes et vieux, musiciens et performer dansent avec les ombres entre gestes et chansons.

Autour d’une simple question : que signifie vieillir ?  Mark Tompkins a imaginé une tragi-comédie au propos singulièrement décalé. Entrelaçant mémoire et vulnérabilité, il nous parle aussi d’oubli et d’abandon. Immense silhouette comme lovée dans un bac à sable, un « jeune vieux » ou plutôt un « vieux jeune », joue et chante, créant de mini-mondes à notre image en manipulant de petits jouets. A ses côtés, le violoncelliste Maxime Dupuis et le vibraphoniste Tom Gareil. Ils orchestrent le trouble, dévoilant sa magie nocturne et musicale.


 La vie dans les plis!
Il nous attend sur le plateau du studio de Pôle Sud, intimement entouré de ses jouets favoris, usés par le temps, joliment éparpillés au bord d'un cercle de sable blanc et doux..Mark Tompkins, quasi nu , en petit slip discute avec ses objets de désirs lointains: "raconte moi une histoire" semble lui murmurer à l'oreille un vieil ours couché sur les ruines d'un château de sable miniature:et c'est chose faite avec l'histoire des trois petits cochons non expurgée.Percussion et violoncelle vont se mettre de la partie, encerclant de sons et de capharnaüm ce petit monde modeste et délicieux de tendresse.Couché, il songe, rêve, lové en fœtus puis se redresse aux sons des réverbérations du vibraphone et du violoncelle. déstructuré.Quelques traces laissées par ses doigts dessinant dans le sable. Gamin, enfance retrouvée et chérie par le biais de tous ces petits habitants, fétiches et marottes comme ce robot dansant clignotant, ourson comique et désopilant!Retour aux sources de ses amours: le chant, la voix rauque ou sensuelle pour ce "show must go on" éternelle envie et besoin de se produire face à nous, pour nous...Il se tâte, s'ausculte et constate que sa peau du ventre plissée dessine de jolies bouches souriantes.Distanciation et auto-dérision, "ridicule" et "grotesque" parodie des années passées à parader glorieusement!L'envergure des bras, immense Christ déployé à l'envi.Les deux musiciens au sol s'adonnent à, des fantaisies sonores tonitruantes, rageuses.Boxeur, sportif, Mark songe au temps passé, aux "performances" désormais terminées.Monsieur Loyal un peu usé et perdu dans le souvenir d'un corps inépuisable.Se faire "enguirlander" dans le cercle, couché au sol comme un Michel Ange, bordé de petits soins électriques par ses deux compères bienveillants.  Joli tableau à la Martin Parr que ces jouets manipulés, disséminés sur la plage désuète.Un bon duo de slam des musiciens gantés de couleurs arc en ciel encagoulé pour raconter en bref qu'il fait bon ou pas bon vieillir! Corps pantin en liesse ou au repos, la "retraite" n'est pas aux flambeaux et les sautillés  enfantins et rebonds attestent d'une autre "forme"passée qui laisse sa place à des états de corps nouveaux.Tompkins, modeste passeur de ce sentiment et sensation d'usure irréversible mais pas irrévocable.Des retrouvailles touchantes et émouvantes avec celui qui fut et est toujours trublion et féroce passeur de vérité et d'évidences incontournables: le corps ne ment pas !Et son image de Mark perdure avec cette "griffe", signature chorégraphique inédite qu'on lui connait!

A Pole Sud jusqu'au 30 Septembre !

Chorégraphe, danseur, comédien ou chanteur, Mark Tompkins a développé un étonnant parcours jalonné de projets ouverts qui vont des chantiers d’improvisation aux spectacles et traversent les genres. Parfois, l’artiste revient au solo comme dans ses Hommages consacrés aux grandes figures de la danse (Vaslav Nijinski, Joséphine Baker). Montages musicaux, théâtre et chansons, ses pièces marient la nostalgie et l’extravagance à l’autodérision. Le performer aime pousser jusqu’au bout ses personnages, et faire de ce travail intérieur, imaginaire, le lieu magique d’une révélation de soi. Ce que l’on retrouve dans Celebration, une pièce aiguisée sur le fil d’un tabou majeur de nos sociétés, le vieillissement.