dimanche 10 octobre 2021

"Pink noise" Suzanne Ciani : une fresque sonore digitale, connectée! Des entrelacs synthétiques pour un tissu musical inoui!

 


Dès le début des années 1970, Suzanne Ciani préfigure l’avenir des musiques électroniques. En tant que compositrice et performeuse, l’Américaine explore les ressources des premiers synthétiseurs, en particulier les synthétiseurs modulaires Buchla dont elle deviendra une spécialiste. Mais c’est tout d’abord comme designer sonore qu’elle se fera connaître, produisant des sons iconiques du xxe siècle, tel l’emblème sonore de Coca Cola et sa cannette décapsulée. À l’instar de Pauline Oliveiros, Wendy Carlos et Éliane Radigue, elle fait partie d’une génération d’héroïnes de l’électro que l’on redécouvre peu à peu aujourd’hui, alors que l’histoire de la musique se décline au féminin. 

C'est dans une atmosphère aquatique de remous colorés, de marée, de flux et reflux que l'on baigne en préambule du concert dans la nef des Dominicains. Sur un écran frontal seront projetées durant toute la performance, les images capturées en direct de cette pilote hors pair aux commandes des consoles, circuits connectés, synthétiseur, Suzanne Ciani en personne! Les câbles, fils, connections, prises comme autant de personnages à adopter, faire vivre et se brancher en inter-connection: un vivre ensemble digne d'un plat de spaghettis animés sur le "piano" de la cheffe cuisinière très inspirée, concentrée, vigilante et précise: des recettes pour faire surgir des univers sonores insoupçonnés: sons de marée haute se fracassant sur la falaise en pulsations éparses pendant qu'elle danse devant son établi "artisanal", créant des leitmotiv en boucles, agrémentés de sonorités synthétiques inouïes! Des sons qui tournoient dans l'espace en nappes et couches superposées: fusées, oiseaux pour créer un univers étrange et magnétique, cavernicole plein de zébrures tranchantes sur fond massif persistant. Couleurs, matières et densité à l'appui. Elle pianote, digitaline, en frange, lisière, bordures ou frises, en percussions, frappes, feux d’artifice ou salves dévastatrices!Du souffle aussi, des battements pour créer vie et mouvements, déplacements, frottements des sons volubiles de gamelons...Des éraflures aussi à l'oreille, du toucher.Sac et ressac, déferlement de vagues, mouettes rasant les falaises: autant de paysages sonores qui prennent corps et graphie dans l'espace grandiose des dominicains! Tumultes et turbulences au menu de ce concert unique en son genre où la rencontre avec l'artiste sur le plateau est rendue possible par la curiosité du public expert et la générosité en partage de l'artiste!

performance Suzanne Ciani

Le rendez-vous agrémentés par les installations "fait maison" par le centre de recherches audiovisuel des Dominicains: bain de jouvence en immersion ou recherche spatiale sous la coupole, de toute beauté et inventivité!

Ce rendez-vous s’inscrit dans le cadre des Nuits de la pleine lune au Couvent des Dominicains de Haute-Alsace. 

vendredi 8 octobre 2021 — 20h30
Les Dominicains de Haute-Alsace

 

"Illusions" Hampus Lindwall / Clément Édouard: des voix "organiques" dans un espace sacré.

 


Pour clore sa 39e édition, le festival joue les prolongations à Mulhouse et Guebwiller.
Trois concerts et un spectacle chorégraphique tracent un panorama de la musique répétitive, de son explosion dans l’Amérique des années 1970 à sa réinvention par les jeunes générations aujourd’hui.

Météo et Musica s’associent pour la première fois de leur histoire pour incarner les perspectives de l’expérimentation musicale. Avec l’indiscipline qu’on lui connaît, Hampus Lindwall projette l’orgue vers de nouveaux territoires en interprétant les oeuvres d’artistes inclassables, Cory Arcangel et Hanne Lippard, capables d’oeuvrer dans des domaines aussi divers que la musique, la poésie sonore, les arts plastiques ou numériques. Ellen Arkbro poursuit quant à elle sa recherche d’une nouvelle consonance avec Chordalities, suivie en cela par Clément Édouard et son projet Dix Ailes où les voix et l’électronique fusionnent en des espaces vibratoires inouïs.

Cory Arcangel, Chord Memory AKA Amen (2021) création mondiale

Voix et orgue se mêlent en écho et réverbération dans le vaste espace de l'église en sorte de préambule au morceau suivant: cela touche et immerge dans l'ambiance froide et distante d'un instrument "organique" qui prend des couleurs tintées de pâleurs pastel.

 
Ellen Arkbro, Chordalities (2019) création française

L'orgue reprend le flambeau, répétitif, en résonance tenue, en ornement et couches sonores successives, en reprises du leitmotiv en basse sous-couches immersives.Des piqués et staccatos très aigus comme des moulinets rotatifs en alternance, contrastés, des coucous suisses joyeux en résonance! De longues tenues d'aigus agrémentées d'un rythme de ritournelles, phrase qui revient identique, qui avance ou recule: de belles répétitions en rhétorique, en syntaxe qui s'estompe et disparait comme la muse Echo.


Hampus Lindwall, Brace for Impact (2020) création mondiale

A la guitare électrique de prendre le relais en présence de l'orgue, en traines, en élongations, étirements ascendants, en crescendo: ça s’amplifie, se répand, submerge; des sons et bruits de formule 1, salves ou courses de voitures qui se doublent, se chamaillent se font concurrence!Des vibrations et fréquences, des tirs de roquettes pendant la course poursuite!


Hanne Lippard, Neinternet (2019) création française: une frise, enluminure, fresque sonore de toute beauté qui fait voyager dans un espace sonore riche de contrastes, de hauteurs, de matière et de densité musicale.
orgue Hampus Lindwall

Dix Ailes (2017-2021): Deux voix de femmes à capella pour une ode à la voix aiguë, tenue, dans ses plus beaux atours sonores.Batterie et console pour soutient, support sonore à l'appui.Les cymbales en harmonie, des vrombissements amplifiés pour créer une impression très sensible de raz de marée, d'éclaboussures, de jaillissements. De beaux effets de voix de tête, des sifflements pour couronner le tout, des raclements pour que rien ne soit lisse ou des plaintes lointaines égarées.Des avalanches de sons aussi ou les deux voix persistantes se renforcent comme des appels ou des cris!


composition et électronique Clément Édouard
voix Linda Olah et Isabel Sörling
percussions Julien Chamla

jeudi 7 octobre 2021 — 20h00
Eglise Sainte Marie à Mulhouse

 

mercredi 6 octobre 2021

"Larsen C": une danse fondue à l'outre-noir, scintillante volute de matière lumineuse.

 



Christos Papadopoulos
Grèce7 interprètes création 2021 Larsen C

Si la vie est un songe, qu’en est-il de nos perceptions ? C’est en posant cette question que Christos Papadopoulos s’est engagé dans Larsen C. Une pièce énigmatique rythmée par le mouvement des corps. L’écriture souple et structurée du chorégraphe grec se joue nos habitudes et cultive la déroute des sens.

Elvedon (2015), Opus (2016), Ion (2018). En trois pièces Christos Papadopoulos s’est fait une réputation. Interrogeant le rapport de l’individu au groupe, le chorégraphe grec développe une esthétique fondée sur des séries ininterrompues d’ondulations du corps et de micros-mouvements opérant par glissements successifs. Une écriture rigoureuse et hypnotique qui combine géométrie et minimalisme aux phénomènes optiques. Sa nouvelle création interroge la façon dont on voit les choses : ce que le regard nous cache, comment la vitesse ou d’autres éléments peuvent affecter nos perceptions. Ces questions mènent la danse vers d’autres aventures sensibles. Christos Papadopoulos orchestre avec maestria cette déroute des sens à la fois ludique et structurée. Trajectoires déviées, mouvements décalés, répétitifs ou saccadés, ralentis ou accélérés, tout concourt à troubler les repères. Démarche où l’on retrouve l’un des objectifs du chorégraphe : « Je veux que mon travail reflète le mouvement intérieur de la condition humaine, que ce soit dans un élan abstrait ou un simple geste. Un mouvement qui part de l’humain et y revient. »  

La danse y sera fluide, onctueuse, délimitant des contours lumineux aux corps se fondant dans des sculptures façonnées,mouvantes, obsédantes, hypnotiques. C'est d'un fondu au noir que semble naitre ce geste récurent de lenteur et d'onctuosité, habité par des créatures vêtues de noir luisant, satin de soie ou cuir souple scintillant. Glissant sur le sol en saccades légères impalpables, discrètes, faisant naitre des formes étranges et monstrueuses de corps tronqués, fauchés par la lumière. Danse solo ou danse chorale fascinante, ondulations sismiques , petites déambulations de dos ou regards de face sidérants d'étrangeté figée. Chaque segment du corps voyage dans la lumière, entrelacs incessants de directions infimes, en décalages tectonique.Bestiaire fantastique ou sacré ondoyant en torsion, volutes ou vrilles, aspiré, attiré par des forces aimantées. Mains et doigts, poignets volubiles ciselés dans la lumière noire, suspendus, en apesanteur.Vagues, ressacs de mouvements ondulatoires générant une dynamique fluide et apaisante.Des unissons nivelées ponctuent cette architecture mouvante, opaque qui prend de plus en plus d'amplitude au cour du déroulement sempiternel de la pièce. Pieuvre à bras tentaculaires qui se meut comme une meute docile d’extra-terrestres dans un monde plongé de mystères hiératiques.Sur fond et dans un bain d'univers sonore, tissu de bruitages discrets, puissance ascendante de tension musicale . La persistance des regard fixes défiant les rayons d'un phare lumineux dans des nuées de brumes sur fond d'orgue puissant.Tels des derviches possédés, les danseurs se fondent dans une atmosphère aquatique où au final, un corps , tel une huitre qui baille, entrevoit une issue dans l'obscurité retrouvée. 


A Pole Sud les 5 et 6 Octobre avec le Maillon