dimanche 10 octobre 2021

"Illusions" Hampus Lindwall / Clément Édouard: des voix "organiques" dans un espace sacré.

 


Pour clore sa 39e édition, le festival joue les prolongations à Mulhouse et Guebwiller.
Trois concerts et un spectacle chorégraphique tracent un panorama de la musique répétitive, de son explosion dans l’Amérique des années 1970 à sa réinvention par les jeunes générations aujourd’hui.

Météo et Musica s’associent pour la première fois de leur histoire pour incarner les perspectives de l’expérimentation musicale. Avec l’indiscipline qu’on lui connaît, Hampus Lindwall projette l’orgue vers de nouveaux territoires en interprétant les oeuvres d’artistes inclassables, Cory Arcangel et Hanne Lippard, capables d’oeuvrer dans des domaines aussi divers que la musique, la poésie sonore, les arts plastiques ou numériques. Ellen Arkbro poursuit quant à elle sa recherche d’une nouvelle consonance avec Chordalities, suivie en cela par Clément Édouard et son projet Dix Ailes où les voix et l’électronique fusionnent en des espaces vibratoires inouïs.

Cory Arcangel, Chord Memory AKA Amen (2021) création mondiale

Voix et orgue se mêlent en écho et réverbération dans le vaste espace de l'église en sorte de préambule au morceau suivant: cela touche et immerge dans l'ambiance froide et distante d'un instrument "organique" qui prend des couleurs tintées de pâleurs pastel.

 
Ellen Arkbro, Chordalities (2019) création française

L'orgue reprend le flambeau, répétitif, en résonance tenue, en ornement et couches sonores successives, en reprises du leitmotiv en basse sous-couches immersives.Des piqués et staccatos très aigus comme des moulinets rotatifs en alternance, contrastés, des coucous suisses joyeux en résonance! De longues tenues d'aigus agrémentées d'un rythme de ritournelles, phrase qui revient identique, qui avance ou recule: de belles répétitions en rhétorique, en syntaxe qui s'estompe et disparait comme la muse Echo.


Hampus Lindwall, Brace for Impact (2020) création mondiale

A la guitare électrique de prendre le relais en présence de l'orgue, en traines, en élongations, étirements ascendants, en crescendo: ça s’amplifie, se répand, submerge; des sons et bruits de formule 1, salves ou courses de voitures qui se doublent, se chamaillent se font concurrence!Des vibrations et fréquences, des tirs de roquettes pendant la course poursuite!


Hanne Lippard, Neinternet (2019) création française: une frise, enluminure, fresque sonore de toute beauté qui fait voyager dans un espace sonore riche de contrastes, de hauteurs, de matière et de densité musicale.
orgue Hampus Lindwall

Dix Ailes (2017-2021): Deux voix de femmes à capella pour une ode à la voix aiguë, tenue, dans ses plus beaux atours sonores.Batterie et console pour soutient, support sonore à l'appui.Les cymbales en harmonie, des vrombissements amplifiés pour créer une impression très sensible de raz de marée, d'éclaboussures, de jaillissements. De beaux effets de voix de tête, des sifflements pour couronner le tout, des raclements pour que rien ne soit lisse ou des plaintes lointaines égarées.Des avalanches de sons aussi ou les deux voix persistantes se renforcent comme des appels ou des cris!


composition et électronique Clément Édouard
voix Linda Olah et Isabel Sörling
percussions Julien Chamla

jeudi 7 octobre 2021 — 20h00
Eglise Sainte Marie à Mulhouse

 

mercredi 6 octobre 2021

"Larsen C": une danse fondue à l'outre-noir, scintillante volute de matière lumineuse.

 



Christos Papadopoulos
Grèce7 interprètes création 2021 Larsen C

Si la vie est un songe, qu’en est-il de nos perceptions ? C’est en posant cette question que Christos Papadopoulos s’est engagé dans Larsen C. Une pièce énigmatique rythmée par le mouvement des corps. L’écriture souple et structurée du chorégraphe grec se joue nos habitudes et cultive la déroute des sens.

Elvedon (2015), Opus (2016), Ion (2018). En trois pièces Christos Papadopoulos s’est fait une réputation. Interrogeant le rapport de l’individu au groupe, le chorégraphe grec développe une esthétique fondée sur des séries ininterrompues d’ondulations du corps et de micros-mouvements opérant par glissements successifs. Une écriture rigoureuse et hypnotique qui combine géométrie et minimalisme aux phénomènes optiques. Sa nouvelle création interroge la façon dont on voit les choses : ce que le regard nous cache, comment la vitesse ou d’autres éléments peuvent affecter nos perceptions. Ces questions mènent la danse vers d’autres aventures sensibles. Christos Papadopoulos orchestre avec maestria cette déroute des sens à la fois ludique et structurée. Trajectoires déviées, mouvements décalés, répétitifs ou saccadés, ralentis ou accélérés, tout concourt à troubler les repères. Démarche où l’on retrouve l’un des objectifs du chorégraphe : « Je veux que mon travail reflète le mouvement intérieur de la condition humaine, que ce soit dans un élan abstrait ou un simple geste. Un mouvement qui part de l’humain et y revient. »  

La danse y sera fluide, onctueuse, délimitant des contours lumineux aux corps se fondant dans des sculptures façonnées,mouvantes, obsédantes, hypnotiques. C'est d'un fondu au noir que semble naitre ce geste récurent de lenteur et d'onctuosité, habité par des créatures vêtues de noir luisant, satin de soie ou cuir souple scintillant. Glissant sur le sol en saccades légères impalpables, discrètes, faisant naitre des formes étranges et monstrueuses de corps tronqués, fauchés par la lumière. Danse solo ou danse chorale fascinante, ondulations sismiques , petites déambulations de dos ou regards de face sidérants d'étrangeté figée. Chaque segment du corps voyage dans la lumière, entrelacs incessants de directions infimes, en décalages tectonique.Bestiaire fantastique ou sacré ondoyant en torsion, volutes ou vrilles, aspiré, attiré par des forces aimantées. Mains et doigts, poignets volubiles ciselés dans la lumière noire, suspendus, en apesanteur.Vagues, ressacs de mouvements ondulatoires générant une dynamique fluide et apaisante.Des unissons nivelées ponctuent cette architecture mouvante, opaque qui prend de plus en plus d'amplitude au cour du déroulement sempiternel de la pièce. Pieuvre à bras tentaculaires qui se meut comme une meute docile d’extra-terrestres dans un monde plongé de mystères hiératiques.Sur fond et dans un bain d'univers sonore, tissu de bruitages discrets, puissance ascendante de tension musicale . La persistance des regard fixes défiant les rayons d'un phare lumineux dans des nuées de brumes sur fond d'orgue puissant.Tels des derviches possédés, les danseurs se fondent dans une atmosphère aquatique où au final, un corps , tel une huitre qui baille, entrevoit une issue dans l'obscurité retrouvée. 


A Pole Sud les 5 et 6 Octobre avec le Maillon

mardi 5 octobre 2021

"Nous entrerons dans la carrière" et dans la postérité! Bleu, blanc, noir! Une évocation bien "constituée" de la révolution-désastre!

 

NOUS ENTRERONS DANS LA CARRIERE

du Vendredi 1 Octobre 2021 au Samedi 9 Octobre 2021
Durée 04:00
SALLE GIGNOUX au TNS STRASBOURG
 

Avec Saïd Ghanem, Pauline Haudepin, ,Neil-Adam Mohammedi, Mélody Pini,
Souleymane Sylla, Claire Toubin.....
 
La nouvelle création de Blandine Savetier interroge le désir de révolution dans un monde en crise. Comment vivons-nous des transitions historiques qui nous dépassent, la tension entre le temps de l’histoire et celui de l’individu? En s’appuyant sur de jeunes acteurs et actrices de toutes origines, le roman Le Siècle des Lumières d’Alejo Carpentier, et la vie de Jean-Baptiste Belley, premier député noir à la Convention, elle confronte les aspirations à la liberté et l’égalité héritées de la Révolution française, avec les désillusions sur le monde d’aujourd’hui. Pour elle,
le théâtre est le lieu où une communauté institue sa confrontation avec l’Histoire. Face au risque d’effondrement, que faisons-nous de notre désir d’un monde différent ?
 
La scène est architecture de cartons cubiques empilés savamment, étagères, praticables et autres structures amovibles comme un terrain de jeu architectonique en devenir.C'est un cortège chantant qui fait irruption, descendant des gradins, hallebardes et trophées révolutionnaires au poing: une tête décapitée, une cocarde tricolore: on est déjà dans "le bain de sang" de ce qui sera révolution, terreur."Je décrète" la mort du père,  la soumission et autres entraves à la liberté d'expression sera un joli leitmotiv pour introduire ce cahier de doléances aux flux et reflux incessants de revendications, de certitudes, d'engagement. Époque troublée et troublante restituée ici avec jovialité, entrain, allant, sans cesse réactivés par l'enthousiasme et la verve des neuf comédiens, galvanisés par leur jeunesse, leur sincérité.Les trois coups inauguraux pour fonder aussi l’existence du théâtre, l'endroit déjà désigné pour attester des situations sociales et économiques.La Convention et tous les régimes éphémères qui se relayeront font office de cible et "la constitution", fer de lance de la politique menée de bras de fer par un-une émule de Robespierre, Victor, le futur commissaire de la République!"Aux armes citoyens" sera le lieu de chants métissés rap, slam ou canon et unisson remixés pour l'occasion en chants toniques, encourageants ce petit cénacle pour vaincre et combattre l'esclavage! Bleu, blanc, rouge et noir pour cette fresque signée Blandine Savetier dont les contours avancent à grands pas dans un soulèvement, un "élevez-vous" à la Didi Huberman..Très convaincant: danse du vin fraternelle et enjouée, costumes chamarrés ou à l'occasion campant des personnages typés, historiques pour habiller et vêtir discours et prises de paroles.Danton, St Just, Robespierre, les Pieds Nickelés de l'Histoire sérieuse, frondeuse, peuplée de scélérats, de tricheurs, conspirateurs zélés.Saint Domingue comme plaque tournante du récit, des rebondissements, de l'action qui ne cesse d'avancer dans des décors qui se déstructurent à l'envi: tribune, bateau et figures de proues emballées dans le tissus des drapeaux français, de la nation, du slogan "liberté, égalité, fraternité qui prend ici tout son sens. L'enthousiasme et la jeunesse des comédiens pour engagement suprême, innocent, naïf parfois, hormis ce Victor -excellente Claire Toubin- autoritaire et ambitieux...Des duos filmés aussi pour prendre un peu de recul dans cette actualité brulante de révolution des astres qui fait trois petits tours et puis revient, éternel retour!Des pics épiques comme salves ou hallebardes, un rythme soutenu quatre heurs durant pour aligner des performances d'acteurs déjà bien rodés au plateau.Fraternelle icône de la camaraderie ou de la trahison; le duo entre Esteban le cubain et son complice "espagnol" franc maçon est touchant, les monologues très convaincants de tyrans, de patriotes....Belle rhétorique, pour ce "united colors of révolution" qui donne à réfléchir sans infléchir ni fléchir, tête haute, coupée certes par l'invention de la guillotine!Un chant de l'abolition de l'esclavage comme apogée, au zénith de cette confession sans concession sur la révolution "française" hors les murs....Scandée, balancée, swinguant comme une mélodie de gospel song!  Le décor signé du scénographe Simon Restino gronde sous les salves des batailles alors qu'une sirène ampoulée de vert luisant s'agite et séduit la mer des Caraïbes...La danse de réjouissance ponctue judicieusement le spectacle, chorégraphies sautillantes, rebondissantes où chacun va de son inspiration. Les comédiens, tous arborant enthousiasme, spontanéité et profondeur, touchant à une thématique trop souvent occultée: la révolte, le soulèvement dans la dureté implacable du politique, incorruptible bible des mouvements sociaux: un bel hommage à des "inconnus" JB Balley et autres acteurs virulents et philosophes de cette époque troublée...Albert Soboul ne renierait pas cette fresque , ni Mathiez !