jeudi 14 octobre 2021

"Lamenta" : balkaniques bacchanales !


 "Lamenta" de Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen: perte et retrouvailles

Une fois de plus l'être ensemble dans une communauté fait office de pré-texte, de pré-mouvement issu de la culture populaire grecque. A partir de l'étude approfondie du "miroloi" de l'Epire, danse ancestrale qui évoquent le départ, la perte et l'absence.La terre, les racines, la nostalgie y sont convoquées sur une musique lancinante, chants de lamentation. Une danse incarnée, faite de rituels pour se reconstruire dans le groupe!Résonances qui se retrouvent sur le plateau, ici et maintenant pour une transposition contemporaine de toute beauté, les costumes y ajoutant des touches de couleurs virevoltantes.Un marathon de danse fusionnelle entre les corps sur le plateau nu, danse "étrangère" à la culture des deux chorégraphes, auscultée avec respect, pertinence.S'emparer d'un matériau existant pour le modeler, le transmettre et interroger la notion d'héritage, voilà le propos très convaincant de cette démarche artistique . La danse y est fulgurante, hypnotique, performante, fougueuse Folie, sorcellerie à l'appui pour se perdre dans l'épuisement, le don de soi, la perte.Être ensemble pour se tenir debout, faire la ronde ou dévoiler sa virtuosité en solo, tout concourt ici à la vision d'une certaine utopie de la communauté retrouvée Du moins, celle des danseurs arpentant le plateau à l'envi.

présenté avec POLE-SUD, CDCN au Maillon jusqu'au 15 OCTOBRE



La séparation est une expérience quotidienne : parfois on s’éloigne de quelqu’un pour écrire un nouveau chapitre, parce qu’une famille est fondée, parce que miroite, au loin, la possibilité d’une autre vie. La mort aussi vient nous séparer.

Mais les rites sociaux qui nous permettent de donner un langage commun à nos émotions sont de plus en plus rares. Le Miroloi, en Grèce, réunit la musique et la danse en une plainte qui donne forme à la douleur tout en tentant de l’apaiser. Le son doux des clarinettes et un rythme ralenti constituent un héritage des Balkans dont les chorégraphes Koen Augustijnen et Rosalba Torres Guerrero s’emparent avec les codes de la danse contemporaine. Comment le corps traduit-il en mouvements une émotion intérieure ? Neuf danseuses et danseurs venus de différentes régions de Grèce accompagnent les deux artistes, à la recherche d’une dynamique interculturelle qui conjuguerait la tradition et le présent, l’intuition et l’intellect, le rite et le quotidien.

Dans le cadre du FOCUS "Grèce : un certain regard" du 5 au 15 octobre 2021.

 

mercredi 13 octobre 2021

"Condor": "un lance flamme dans un lac gelé"!

 


Le titre de la pièce de Frédéric Vossier fait référence à l’opération Condor : en 1975, les dictatures d’Amérique latine scellent une alliance secrète visant à l’anéantissement de toute subversion ou révolte potentielle, incarnées principalement par les mouvements ouvriers. Tortures, assassinats, seront la réponse au désir d’émancipation. Quarante ans plus tard, une femme appelle un homme au téléphone. Dès les premiers mots, on sait qu’ils se sont connus intimement. Que peut-on se dire après si longtemps ? Anne Théron met en scène une nuit de confrontation où ces deux personnages appartenant à des univers antagonistes vont se retrouver. Elle était du côté des opposant·e·s, lui a probablement été un bourreau…

Il fait sombre et l'atmosphère est froide et glaciale au cœur de ce bunker de béton armé, symbole d'enfermement, de claustration, de violence faite à la liberté de mouvement. Prison de l'esprit torturé des deux protagonistes. Le téléphone les fait se rejoindre, se retrouver: elle est au dessus de lui sur le ponton près d'un arbre. Il est dans son "garage" gris et froid, vide sans objet, ni meuble. Les questions se posent, les constatations pleines de suspicion, de doute, d'esprit de rancune et revanche. Elle souffre, traumatisée, prisonnière de troubles qui se manifestent par des salves d'images violentes, lumineuses comme une torture physique et morale, sortie de ce sac qu'elle tient serré sur son corps meurtri, recroquevillé. Avec elle, cet homme, partenaire ce soir là, cette nuit là, pour partager des moments cruels, menaçants où fusil, couteau sont fantasmes ou rêves cauchemardesques...Le trauma, "colonne vertébrale" de ce qu'écrit Frédéric Vossier est inscrit dans les corps des deux comédiens: Mireille Herbstmeyer et Frédéric Leidgens, tous deux marqués par ces personnages "monstrueux" Gestes précis, millimétrés, micro-chorégraphie des poses et déplacements dont la justesse et le dosage sont l’œuvre de Thierry Thieu Niang, observateur de génie, traceur d'espaces habités, marqueur de territoire dans cette scénographie de l'enfermement. Anne Théron rend ici limpide et visible l'évolution des relations entre victime et bourreau, audacieuse mise en tension entre haut et bas, dégringolade de deux escaliers aux marches inégales, éclairages assombris, oppressant. Tout est juste et glaçant, suffoquant et médusant. La bande son y évoque par passages furtifs, des bruits de porte blindée qui grincent, des univers carcéraux implacables et frémissants d'horreur....Pour une tension tétanisante où jusqu'au bout les personnages se dévoilent, se questionnent, se regardent vieillir avec une touche d'humour noir salace.Des saynètes fondues au noir se succèdent pour mieux se trahir ou travestir une réalité enfouie, ressurgie.

Frédéric Vossier est docteur en philosophie politique et a écrit, depuis 2005, une vingtaine de pièces, dont Ludwig, un roi sur la lune, créée au Festival d’Avignon 2016 par Madeleine Louarn. Il est aussi conseiller artistique au TNS et dirige la revue Parages. La metteure en scène Anne Théron a présenté au TNS en 2015 Ne me touchez pas dont elle est l’autrice et, en 2018, À la trace d’Alexandra Badea. En 2019, dans le cadre du programme Éducation & Proximité, elle a créé À la carabine de Pauline Peyrade.

Au TNS du 13 au 23 Octobre

"i-Glu": côté cour, côté jardin. Graines et jeunes pousses à cultiver! A s 'emouvoir de plaisir.....



Carole Vergne et Hugo Dayot
Collectif A.A.O France 2 danseurs + 1 musicien

i-Glu est un spectacle de danse pas comme les autres, un écrin de fantaisie qui se visite en famille. Ce récit poétique entre dôme et jardin, corps, nature et mondes visuels invite au voyage à travers une expérience des sens ludique et foisonnante d’images.


 

Dans un jardin assoupi se promènent un épouvantail vacillant, un hérisson-buisson et un danseur-cueilleur. Mais que font-ils ? Entre projection d’images, intégrant paysages naturels et changeants, film d’animation et ambiances sonores et musicales, se déploie un drôle de récit qui conjugue les aventures des protagonistes et les expériences du vivant. C’est tout un monde fascinant qui apparaît au croisement de la danse contemporaine et des arts visuels.
i-Glu, avec son jardin et son dôme qui ressemble à une planète que l’on pourrait contempler de tout près – la nôtre peut-être ? – est un spectacle imaginé par Carole Vergne et Hugo Dayot. Les deux chorégraphes de la compagnie A.A.O installée à Bordeaux, se sont fait une spécialité de ces alliages surprenants qui mêlent la danse, la performance et les installations plastiques. Ainsi les deux artistes créent des objets spectaculaires à découvrir et expérimenter entre perception et illusion. Une façon d’interroger notre compréhension du monde et du mouvement

Beaucoup de jeunes pousses en herbe par ce bel après midi automnal à Pole Sud!Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivraie!Après un accueil chaleureux et bienveillant, de petits groupes d'enfants sont invités à pénétrer un "jardin extraordinaire" où ils pourront planter et semer de "petites graines" symboliques, petits cubes magiques sous le dôme central, sorte de iourte toilée réfléchissant de belles couleurs lumineuses et vagabondes..Prenez-en de la graine!.Un "épou-éventail" se dresse, immobile sur le plateau du studio: un homme casqué, botté, immobile les pieds scellés au sol dans un carré de terre battue.Telle une boule de neige énorme, se dresse un habitat étrange: des images de fleurs en éclosion, en mutation et métamorphose donnent le ton poétique, féerique et fabuleux à cet "endroit" singulier.Sur fond de musique cosmique...Orchidées ou fleurs de pommiers qui dansent, un œillet même en tutu de pétales!Un être étrange entre mannequin et épouvantail se dresse, ondule, vacille, oscille sous l'effet du vent.Sons de grillons et gamelons à l'appui.Il vole, entravé malgré tout par des semelles de plomb..Suspendu, aimanté, se déployant avec des jeux de doigts habiles, volubiles.Mime dansé, très onctueux, ondulant, happé, attiré par l'espace, malgré sa fixation au sol.A l'inverse des bottes de sept lieues, ses chaussures lourdes et encombrantes entravent ses déambulations, mais pas sa gestuelle fluide et délicieuse.Une fois ces pieds libérés, l'homme tout blanc entame une danse en duo résonnant, alors que les images changent, projetées sur la peau lisse et tendue, ronde et douce,du dôme. Souplesse, agilité de cette mouvance partagée, contagieuse, en écho et résonance avec celle de l'autre homme en blanc, déraciné de son sol appesanti.Assoupi dans ses rêves.Ambiance calme et reposée, fort délectable.Au ralenti, les gestes sont hypnotiques, en ondes contagieuses qui se répercutent dans les corps.Dialogue en glissages, frôlement, esquives et esquisses de formes vivantes.Pour une unisson complice de ses explorateurs d'espace communs, intimes.Partagés.Des appuis fugaces, des portés volages, des arrêts sur image magnétiques.Mimétisme des couleurs sur le corps-écran total du danseur qui s'identifie à son milieu!Une danse circassienne qui se fond et se répand dans des ondes lumineuses plasticiennes, dignes d'un Nikolais! Les enfants , réjouis et très calmes comme public captif idéal: enchanté et émerveillés!On se quitte sur des images de pluie de papillons dans une nuit étoilée!

Sur le plateau, un dôme géodésique — l’i.glu Lieu d’habitat dans le lieu habité — le Jardin.Le tout recouvert d’une toile de ciel.Le Jardin comme «espace de prolifération euphorique de la nature», comme prétexte de surgissement de formes et de matières colorées, dessinées…Le dôme comme surface de projection et d’apparition de paysages.i.glu, projet chorégraphique et sensoriel où évoluent quatre protagonistes : un épouvantail, un danseur-cueilleur, un dôme et un musicien sous le regard bienveillant d'un hérisson-buis.i.glu comme un lieu existentiel qui ouvre et engendre d’autres formes d’apprentissage par le déploiement et le foisonnement du motif végétal comme expérience visuelle.

 

A Pole Sud le 13 OCTOBRE