samedi 27 novembre 2021

"Vingt Ans": vint le temps d'une valse à vingt-temps, enivrante et exubérante! TAPS bien vivants !

 


Pour fêter ses vingt ans, le TAPS a choisi de vous proposer un spectacle dans la lignée de ce qui compose ses saisons : la mise en scène d’un texte d’auteur vivant. Pour ce faire, il a passé commande à Thierry Simon. La thématique des vingt ans s’est bien évidemment imposée, sans qu’elle soit axée sur l’anniversaire d’un théâtre mais plutôt sur l’inspiration libre de l’auteur à cette évocation. Sur scène, les huit personnages seront joués par des artistes associés, présents ou passés, du TAPS.

Un groupe d’anciens activistes altermondialistes se retrouve vingt ans après sa dernière action, dans la vieille maison de montagne qui lui servait de base arrière. Depuis lors, chacun a suivi son chemin en s’éloignant plus ou moins de ce qui avait fait le ciment de leur union. Certains d’entre eux ont continué à se voir, d’autres ont perdu tout contact. La vie a suivi son cours. Que reste-il de ce passé, de ces liens tissés, de ces idéaux qui donnaient foi et espérance en un monde meilleur ?

La vie  d'avant, la vie d'après....

Un décor de bois, de lambris, l'intérieur d'une chaleureuse cahute avec mezzanine d'un confort rustre mais accueillant: l'antre d'une "clique" qui va s'y retrouver, vingt ans après...On y franchit le seuil avec émotion, curiosité, inquiétude mais aussi désir et impatience: celle d'un rendez-vous inventé pour se rejoindre, se regarder, s'observer, mais aussi se souvenir, se remémorer, se réinventer aussi le temps d'échanges, de retrouvailles...Le "bon temps"? Sans doute mais "pas que" !Celui des scènes que l'on se repasse comme un bon film ou un nanar: était-on sincère, amoureux, attiré, détestable ou hypocrite, soudés ou polémiques...Chacun s'y confie, en solo très réussi alors qu'une mélodie de piano ponctue les états d'âme et de corps, tandis que le groupe se ressoude ou se désaccorde à l'envi, se chamaille ou s'étripe, se contredit, se contrarie jusqu'au rire ou aux larmes. C'est le gâteau de Zélie qui sera le morceau de bravoure, la part d'amour, d'affection, de joie et de partage, la tranche de vie et cerise sur le même gâteau, la réjouissance d'avouer qu'il était bon ou infect avec trop de beurre! Mais comme tout le reste on ne s'est pas tout dit à l'époque du militantisme, du 11 Septembre 2001, du G8 et de tous les combats écologistes avant l'heure. Branle bas de combat où les intrigues vont s'insaller, se disputer la vedette ou le souvenir.Chaque personnage a son caractère, sa couleur, sa texture, ses convictions qu'il défend à corps et à cri ou avec discrétion: mais un vent de tempête souffle toujours même si la lassitude est évoquée, comme fatalité. On oscille de 2001 à 2021 avec aisance, franchissant la ligne d'arrivée tous ensemble autour d'une bonne table où l'on attend le dernier; celui qui ne viendra pas, que le destin a écarté de ses retrouvailles...Ou perdus dans la forêt dans le noir, braquant deux lampes de poche pour mieux se remémorer un amour caché. Entonnant à capella la fin d'une chanson enregistrée sur une vieille K7...C'est tendre et virulent, jamais nostalgique ou lénifiant, brut et joyeux, jovial et cru, toujours très humain et sans fausse note de gout ni de couleurs! Le texte va son chemin, dialogues et monologues vifs et sensibles: chacun y a sa place, sa sensibilité et ce microcosme, tribu d'affinité électives est séduisant et touche. En empathie avec chacun à des instants différents, laissant poindre la finesse d'une écriture efficace, ciblée, musicale et très rythmée, appuyée par une mise en scène judicieuse: le décor aidant à se rapprocher d'eux parmi la modestie et frugalité des ambitions: festoyer en impliquant le public sans s'approprier la paternité du projet TAPS. Toute une famille éclatée, impliquée, partageuse comme leur idéal politique d'agora, de civisme, de soulèvement, d'implication! Entre théâtre et réalité tout se confond et bascule aisément de sorte que l'on fête avec tous ces protagonistes la jubilation de ses retrouvailles que l'on souhaite vivre encore bien des lustres! Longue vie au TAPS et à tous ses inventeurs et fabricants de rêves accessibles et bien vivants.

"Thierry Simon nous fait remonter le temps en leur compagnie et de leurs histoires mêlées naît la peinture forte et drôle d’une humanité en quête de sens."

 

Mise en scène Olivier Chapelet

Avec Cécile Gheerbrant, Pascale Jaeggy, Catherine Javaloyès, Aude Koegler, Pascale Lequesne, Pauline Leurent, Raphaël Scheer, Yann Siptrott

Scénographie Emmanuelle Bischoff

 

"L'étang" sont durs ! Que vienne Gisèle , vilain petit canard des temps, signe-cygne- de beauté étouffée par le joug familial....

 


C’est l’histoire d’un jeune garçon qui se sent mal aimé par sa mère et, au comble du désespoir, simule un suicide pour vérifier l’amour qu’elle lui porte.

S’ensuit un dialogue avec celle-ci, si intime que les limites entre réel et fiction semblent s’estomper. Famille et voisins paraissent bien présents autour d’eux, mais ils pourraient tout autant être le fruit d’un imaginaire agité.

La metteuse en scène Gisèle Vienne déploie subtilement un jeu de perceptions incertaines. Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez interprètent les deux personnages tout en prêtant leurs voix à une galerie d’autres figures qui surgissent du récit onirique. Acclamée par la critique, cette adaptation d’un court texte de l’auteur suisse Robert Walser interroge les strates de la narration. Que faut-il lire et entendre entre les lignes ? Quand notre lecture est-elle de l’ordre de l’intuition, quand relève-t-elle de notre interprétation ? Mouvement et immobilisme, voix incarnées et silences sont ici les éléments d’une composition scénique sensible où se superposent différentes réalités.

Les emblématiques mannequins de Gisèle Vienne sont déjà sur le plateau: figures de jeunes adolescents oisifs en tenue de sport, allongés sur un lit de fer ou à terre parmi un fouillis d'objets non identifiables...Un par un, un manipulateur vient nous les dérober du regard: en restera-t-il un, vivant ? Non, la scène se dénude pour laisser place à deux personnages, pénétrant les lieux à pas de loup, au ralenti dans une énergie douce,pondérée, aux appuis teintés de prudence, d'hésitation. Dans quel univers allons-nous intervenir, nous, public agressé par une musique d'enfer aux décibels augmentés signée Stephen O Malley? Deux femmes sans doute au premier abord, puis s'avère au gré du texte, femme, mères de deux adolescents et un jeune androgyne dégenré, garçon manqué incarné par Adèle Haenel en personne.La démarche lente et pesante laissant libre cours à une gestuelle très alanguie, sensuelle, libertaire exposition d'un corps de blanc vêtu, virginal, éthéré..Il-elle-avoue être délaissé, incompris par sa famille, ses proches, frustré et mal aimé, abandonné, non reconnu.Des souffles et lentes respirations off accompagnent la diction vivante, urgente de cet être paumé, rehaussé par les répliques de l'autre: femme en jean moulant et longue chevelure, gracieuse créature qui fait face ou ombrage à ce pantin mal dans sa peau.Dans ce white cube scénique, vidé de tout décor, les lumière se font froides: bleu, vert ou parfois rose, couleurs fondantes et fluorescente enrobant, enveloppant cet univers étrange et peu "familier" Car il s'agit ici des membres présents et absents d'une famille peuplée d'idiots à la Dostoïevski, entourage non choisi par notre anti héros qui souffre et blasphème poliment. Incarnant plus d'une dizaine de personnages, membre ou proche de cette famille toxique, notre jeune révolté ne mâche pas ses mots et joue avec virtuosité sur plusieurs registres vocaux impressionnants. En écho et réverbération sonore puisant dans des timbres, tonalités, durées variant selon les caractères incarnés.Adèle Haenel se révèle dans un langage corporel engagé, sensuel, maitrisé dans une énergie ponctuée de surprises et modulations très travaillées.Univers bleu, univers jaune, les lumières changent et enrobent le plateau.Elle se vautre languissante sur sa couche métallique sur fondu suave d'éclairages chaleureux.Des bruits et sons de cataclysme opérant pour une ambiance d'inconfort, de vertige, de déséquilibre. Et le texte de sourde de leurs lèvres ou d'une bande son off, étranges personnages virtuels peuplant cette jungle familiale si peu accueillante!Adolescent, garçon manqué à la gestuelle très maitrisée, Haenel fait mouche et surprend, sa voix nous est familière et son talent d'actrice pour le théâtre s'y pose différemment qu'au cinéma.Des pleurs, des chants de sirènes comme ambiance démoniaque, intranquille. L'étang sera ce personnage absent qui semble vouloir engloutir, absorber le malaise et l'incompréhension du monde vis à vis de ce "vilain petit canard" cygne des temps, signe d'étang qui passe et engloutit rêves et cauchemars au profit d'une réalité sombre et implacable: famille, je vous hais, mères je vous déteste, vampires et dresseuses d'animaux obéissants et dociles...

Au Maillon jusqu'au 28 Novembre

vendredi 26 novembre 2021

"Chère chambre": le festin de l'araignée...A la table de parents toxiques.

 


Chimène Chimère est une jeune femme de vingt ans dont on pourrait dire qu’elle a tout pour être heureuse : elle est née dans une famille aimante, a une compagne dont elle est amoureuse et aimée. Pourquoi décide-t-elle un soir de quitter sa chambre et d’offrir son corps à un inconnu sans abri, atteint d’un mal contagieux et incurable ? Comment ses proches vont-ils réagir en apprenant ce geste gratuit, incompréhensible, et sa mort inévitable ? 


Écrite et mise en scène par Pauline Haudepin, la pièce s’ouvre sur un drame familial pour atteindre des dimensions oniriques. La maladie vient secouer les hypocrisies sociales, réveiller les énergies vitales et la soif d’absolu. La douceur peut-elle être plus subversive que la violence ?

Faire chambre à part...

Virginia Wollf écrivait "Une chambre à soi" refuge pour elle en quête d'émancipation..Pauline Haudepin nous livre sa "chère chambre" celle d'une jeune femme condamnée, sacrifiée à ses propres lois inexplicables pour ces deux parents envahis d'un sentiment de dénis insupportable à nos yeux."Hors de question" d'assumer selon eux cette faille béante, cet incident farouche qui ravage leur réputation plus que leur coeur... Nous plongeons dans ce mystère dès la première image sur le plateau: celle d'une araignée rampante, noire, indistincte: le mal, le destin, l'homme infecté qui se répand et rôde...Dans un décor de tapisserie à fleurs roses, la mère , Rose" clame "rose c'est la vie" et l'absurdité de la situation nous renverrait à ce "Rrose Sélavy" de Marcel Duchamp: surréalisme des actes, personnage oeuvre en soi qui produit d'autres oeuvres: sa fille dont elle est fière..Chimère Chimère, double prénom qu'elle porte comme un fardeau prédestiné.Sa compagne Domino renie cette famille vampiriste, dévorante et avoue avec verve et rudesse sa haine de ces liens artificiels et convenus qu'elle refuse.Un personnage étrange fait irruption dans ce contexte, silhouette androgyne, v^tue d'un costume violet, torse nu sous sa veste, rehaussée de talons hauts: exercice d'équilibriste savant, danse étrange, déplacements hésitants La créature fait irruption et intrigue, personnage maléfique, diabolique..Très belle interprétation gestuelle de Jean Gabriel Manolis, danseur, performeur buto en diable!Rose, à fleur de pot, tient la scène, Sabine Haudepin excellente figure caricaturale de la mère abusive, étrangère aux maux de sa  fille, le père, Jean Louis Coulloc'h, lui aussi indifférent ou coupable, se repentit et cherche le pourquoi de ce lent suicide inexplicable.Et encore une apparition de Théraphosa Blondi, pantin affublé d'un robe verte à la Ménines, pantin ou marionnette désarticulée à la gestuelle saccadée. Fantôme errant dans ce décor glamour qui d'une chambre cosy se transforme peu à peu en arène du mal, du déni, du désaveux...Des cadres peints, des tentures rappellent que Chimène peint et se révèle dans cette pratique exutoire face à ses parents toxiques.Libératoire, la danse s'empare de Chimène et de son bourreau, complice dans la mort future inéluctable, mêlée de corps en duo, portés triomphants ou simplement humains, danse-contact de toucher, poids et appuis. Une force entre eux au delà des conventions des attitudes socialement correctes des parents et de l'amante.Danse de chevelure déployées, tournantes, transes pour expurger ce poison parental qui mine et détruit plus que la maladie... Chambre noire ou claire comme il vous plaira, le lieu transpire le rose glamour alors qu'un drame s'y déploie, cynique destin d'un corps qui se brise et s'abime.Le papier peint, tableau , toile des péripéties enrobe, enveloppe l'action, emprisonne ces héros de rien.Une biche empaillée, un poupon sur petit chaise rehausseur, une poubelle comme objet signifiants du sort de Chimène.Le Cid de Corneille en clin d'oeil où le soufflet, est une gifle pour nous, adressée aux bien pensants...Le "sacrifice" fait l'objet d'un très beau monologue que distille Domino, Dea Liane, être et devenir sacrée, victime ou adulée pour ses actes héroïques...Musique douce de piano pour apaiser l'atmosphère tendue et vorace, comme pause, respiration, détente corporelle pour le spectateur transi, sidéré, outré par tant d'inhumanité...Claire Toubin au final, en robe de lumière dans ce vaste parcours terrifiant, belle et radieuse Chimène, au sommet d'un art: celui de comédienne, sobre et magistrale fragilité face à sa mère dévorante, férue de principe, habile manipulatrice.Tout se recouvre de draps blancs, masquants le mobilier témoin de ces actes barbares, linceul recouvrant le silence et la perte proche, la disparition de Chimène. La danse buto de Manolis, divines apparitions démentes, expressionnistes et fabuleuse gestuelle habitée Dominique Dupuy, son "maitre à danser" le silence, ne renierait pas ce Kazuo Ono, plein de mystère, de grâce, spectre dégageant anxiété et douceur, morbidité et résurrection salvatrice. Il semble survivre à ce désastre comme ectoplasme errant dans l'éther, gardien d'une étrange beauté qui séduit la mère: celle qui ose louer "la chambre" à ce jeune homme si attirant...Un acte réparateur égotiste, affront et maladresse de fausse rémission. Une pièce spirituelle et pleine de fondamentaux existentiels!  Ça remue et trouble, monde d'onirisme et de rêves cauchemardesques....

Diplômée de l’École du TNS en 2017, en section Jeu, Pauline Haudepin écrit et met en scène ses textes : Bobby Unborn en 2014, Les Terrains vagues, spectacle présenté au TNS en 2018 et Roman-Photo, créé en 2019. Elle a co-écrit avec la metteure en scène Mathilde Delahaye Nickel. En tant qu’interprète, les spectateur·rice·s du TNS ont pu la voir dans des spectacles de Maëlle Dequiedt et Julien Gosselin. Elle joue cette saison dans Nous entrerons dans la carrière, mis en scène par Blandine Savetier.

 

Au TNS du 25 nov au 5 déc 2021