jeudi 2 décembre 2021

"Les petites vertus": ça balance au berceau du "grande" du "piccolo bello" !

 


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LES PETITES VERTUS cie MELAMPO

Inspiré des Petites vertus de Natalia Ginzburg (ypsilon éditeur)

Sur scène trois générations dialoguent : le grand-père, la mère et l’enfant. Dans cette création à destination de la petite enfance, Eleonora Ribis se penche sur la construction du lien parent / enfant. Elle passe ici par un travail autour des mains, symbole de transmission par excellence. Dans un dispositif qui serre le public et la scène comme les bras du parent entourant l’enfant, un tout-petit du public est invité à chaque représentation à participer à la pièce dans un dialogue fait de silence et de mots. Ces derniers, tirés d’extraits de textes de la romancière italienne Natalia Ginzburg, sonnent comme une évocation sensible, une caresse touchant nos oreilles. La metteuse en scène convoque tout un vocabulaire personnel qui touche à la gestualité de l’Italie, puisant aussi dans la langue de signes, sa symbolique dans la peinture, les mudras et les danses orientales.

Dans la salle du Palais des Fêtes, une enclave: une arène en spirale, tout en rond, des parois tissées pour mieux encadrer, protéger, inventer un espace d'accueil propice à la petite enfance...Des praticables à bascule accueillent les corps de nos deux protagonistes : ils tournoient, basculent, la roue tourne et le plexiglas floute les silhouettes. Bercements apaisants, déséquilibre permanent: le premier danger face au monde mouvant? En résonance avec les impulsions, le mouvement se déclenche et respire, flotte. Des sons, voyelles "grande", piccolo" parviennent pour colorer l'atmosphère chaleureuse.Tendresse, bien-être, bien-naitre au monde, enveloppe douillette et joyeuse.Des sons organiques aussi rythment les silences, distribuent l'univers sonore et l'enchante.Un langage en onomatopées, une niche pour un corps recroquevillé, habitacle confortable et rassurant.Ici les deux personnages se taquinent, se chamaillent, avec un beau doigté, du mime et de la simulation de gestes nourriciers.La becquée, relais des sens, du gout, des grimaces et rugissements pour être au coeur de l'univers des enfants.Des jeux d'ombre aussi avec les mains de mudras, un trône pour diversifier l'origine d'un petit discours, des dialogues dans le fauteuil tête à tête des deux comédiens-danseurs.Le langage des signes sourd de leur corps, simplicité des sens en éveil.Une inspection de tout l'espace pour mieux l'appréhender, le reconnaitre! A genoux, au sol, ils touchent, frôlent et balayent la surface de l'ère de jeu.De belles accolades, étreintes et petites manipulations de l'un par l'autre pour égayer le propos.Et la forme concave du berceau pour reposoir et inciter les enfants à s'y risquer! Madone en offrande, piéta, de belles images surgissent, oniriques et poétiques On y picore les gestes de ci de là, on partage la nourriture virtuelle: l'amour et la douceur, à foison! C'est juste et beau, bien dosé et les bambins d'envahir l'espace libéré pour pirouettes et bascules!

Au TJP jusqu'au 3 Décembre 

"Forever" Tabéa Martin : panique aux urgences! Du sang, des larmes blanches....Et la camarde

 


La mort fait partie de la vie, nous le savons. Et pourtant la question de l’immortalité occupe les sociétés depuis toujours. Vivre éternellement, qu’est-ce que ça signifie ? Qu’est-ce qui nous pousse à vouloir entrer dans la postérité ?
 


À travers des dialogues, des jeux et des ateliers, ce sont ces questions que la chorégraphe Tabea Martin a voulu aborder avec des enfants : la façon dont ils s’imaginent la mort, la vie qui vient après ; l’éternité et l’invulnérabilité n’est ici freinée par aucun tabou. Avec naturel et spontanéité, ils interrogent notre rapport à la finitude, notre foi dans le progrès ou nos récits collectifs. Par la plasticité de son langage chorégraphique, tantôt avec un humour radical, tantôt avec finesse et légèreté, la chorégraphe suisse porte à la scène leurs visions, pour les jeunes comme pour les plus âgés. Dans FOREVER, cinq danseurs et danseuses se confrontent avec enthousiasme à une question philosophique. Ludique, sensible, parfois un brin déjanté, le travail de Tabea Martin s’inscrit dans des préoccupations à la fois éternelles et actuelles.

Ils nous attendent sur le plateau, nous contemplent: qu'est-ce qu'ils mijotent ces beaux parleurs vêtus de plastique blanc, seyants,très styliste à la Hussein Chalayan ...Musique répétitive de boite à musique pour nous faire patienter.Torses nus, pieds nus dans un univers de boules blanches suspendues, de bidon de sang et de larmes. Suspens...."Nous restons pour toujours" sera leur leitmotiv, celui d'une tribu soudée, comique en diable, malgré le sérieux affiché en prétexte.La métamorphose comme soucis de réincarnation alors que se détache de ses interventions parlées, la très belle danse solo d'un trublion désobéissant qui n'attend que de se faire remarquer.Chacun simule sa mort rêvée sur fond de musique baroque, déclenchée par la queue d'un renard suspendu comme les sonnettes des femmes de chambre d'autrefois.Implorante en sang, c'est Tamara qui démarre la démonstration de poses de la mort idéale, les autres en feront de même, jaloux du succès qu'elle remporte.Ils ingurgitent des flots de sang, s'en gargarisent, crachent ce venin de la mort, se rient de ce liquide indispensable à la vie , ici sous forme de perfusion joyeuse!Techniciens de surface, ils se cessent d'en effacer les traces pour mieux y revenir...De belles reprises gestuelles en canon à partir d'une proposition d'écriture initiale pour rejoindre l'unisson: la construction chorégraphique se dessine dans ce fatras créatif et ludique. Chacun y va de son caractère et ça fuse à l'envi.Grand bazar participatif et festif, marché de l'horreur ou de la vanité face à la camarde, spectre blanc errant dans les pensées de chacun.Comique d'un ballon qui se dégonfle et sonorise les lieux, sonnettes qui déclenchent l'action et les guide dans leurs évolutions rocambolesques. C'est drôle et pathétique, relevé, insurgé, et pas commode à visualiser tant les propositions sont multiples sur le plateau (méthode Pina Bausch). Le "meurtre" semble les hanter et l'on s'attrape, s'étripe, s'attaque à souhait dans un joyeux désordre. Comme des animaux en guerre, en rut; que la mort est belle quand on est affalé dans son fat-boy à plaisanter sur l'au-delà! Plaisir jouissif et contagieux, alors que d'autres agonisent au sol, épileptique, tétanisé, sidéré. En toutes langues étrangère ou inventées, nos héros de pacotille tissent du bon coton blanc, se sculptent des figures mobiles, des poses très plastiques comme des statues de monument aux mort, à la mort joyeuse !"Regarde, Maman, je meurs" semble suggérer l'une des leurs, alors que l'on s'arrose des larmes de crocodile d'un bidon suspendu comme dans une chambre d’hôpital. Très "clinique" ce white cube,cette blancheur omniprésente qui pardonne tous les péchés au confessionnal de ce passage frontière entre paradis et enfer. Une hétérotopie que ce topic fantasmé des lieux de la faucheuse.(L'hétérotopie est un concept forgé par Michel Foucault dans une conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Il y définit les hétérotopies comme une localisation physique de l'utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l'imaginaire, comme une cabane d'enfant ou un théâtre.) Puis, tels des zombies sortis d'un film gore, les voici qui nous menacent, nous questionnent: mais ils sont trop "gentils" ces Pieds Nikelés de la danse, trop faussement sûrs d'eux pour nous affoler: attendrissants et fragiles sous une carapace démoniaque ou vampirique....On s'arrose de larmes, on s'alarme en morts vivants, tétanisés.Une fontaine à sang pour s'abreuver régulièrement et toujours pour rythmer les saynètes, ces ballons lanceurs d'alerte qui scandent l'action.On se défoule au final dans une danse vrillée, ondulante, fuyante comme une fugue de Bach, celle qui rythme aussi les fantaisies gestuelles du groupe: petite meute affolée des temps présents qui rebondit toujours de malice et de subterfuge pour conjurer la mort.La retarder ou l'ignorer dans un déni dansant très convaincant.Un homme ballon de baudruche pour mieux en rire et s'éclater, surpris encore et émerveillés par toutes ces trouvailles de mise en scène. Un épilogue burlesque pour clore ce pied de nez, cette gifle salutaire à ce qui nous préoccupe: un rituel d'enterrement pour stigmatiser le monde ou se libérer des traditions expiatoires.Transport en commun qui se déverse plus tard en glissades jouissives dans le sang répandu en épandage fertile en petites folies contagieuses. Peut-on rire de la mort, la maquiller de blanc, la fuir ou la chérir: à vous de choisir selon votre proche convenance. A méditer en tout cas comme Jacques Brel "j'veux qu'on rie, j'veux qu'on danse comme des fous quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou"!Tirer sur la queue du renard et la bobinette cherra!Et blanc sur rouge, rien ne bouge, rouge sur blanc, tout fout le camp!

Au Maillon jusqu'au 4 Décembre

mardi 30 novembre 2021

"Yellel": Hamid Ben Mahi-Hors-série- Les couleurs chavirent , la palette est tableau-piège et ce qui re-lie, relit l'Histoire.

 


Yellel

Il a fait des questions d’identité l’un des thèmes majeurs de ses spectacles. Dans Yellel, le nom du village de son père en Algérie, Hamid Ben Mahi chorégraphie un voyage poétique. Une façon de témoigner, à travers la danse, des horizons multiples que les cultures métissées ouvrent à notre temps.   
«  C’est bizarre d’être issu à la fois de deux endroits et de se sentir étranger dans les deux. Comme beaucoup, malgré les années, c’est toujours quelque chose qui me tiraille.  » Figure singulière du hip-hop français, Hamid Ben Mahi a fêté en 2020 les vingt ans de sa compagnie Hors Série. Nombre de ses spectacles sont portés par cette quête identitaire. Tourné vers la beauté du monde arabe, sa musique, sa culture, Yellel s’en fait une nouvelle fois l’écho. C’est en s’appuyant sur un livre d’Amin Maalouf, Les identités meurtrières, que l’artiste bordelais a chorégraphié cette pièce qu’il interprète avec cinq danseurs d’origines et de pratiques du mouvement différentes. Son intention  : réunir une communauté pour faire ensemble le chemin de Yellel. Une traversée en deux temps où les corps résistent avant le lâcher prise, l’ivresse de la danse, la transe, la fête. Pour le chorégraphe, il s’agit de mettre en valeur cette richesse multiculturelle d’aujourd’hui. Une histoire commune portée par les corps, leurs gestes, les musiques et les mots. Une histoire qui se détache des conflits en mêlant danses orientales et urbaines, musiques traditionnelles et contemporaines aux rythmes percussifs, aux tonalités sensibles. 

Ce qui les "relie" ce sont les maillons de leur chaine fraternelle, les liens qui tissent leur danse collective, cette main qui frôle et caresse la blancheur d'un mur en projection, prologue à cette cérémonie rituelle de la passation de l'encens en relais, fumées sorties d'un petit pot de terre du pays...Relais, flambeau, solidarité surement! Mais collectif ne renie pas l'altérité de chacun et les six danseurs signent délibérément leur danse, en solo singulier et unique.Le cromalin est passé par là pour confirmer que les couleurs portées par chacun sont bonnes à être imprimées sut un "bon à titré" chorégraphique !La composition est simple et très organisée; chacun s'en détache, seul, à deux, à trois, en bande de mailles qui se tricotent comme des pas de danse traditionnels, quasi "folkloriques". Les sons des souffles, de l'air que chacun expire en cadence et halètements donnent de l'ampleur, de l'espace qui respire.Frappes des mains, rythmes au diapason d'une unisson qui va et vient, se perd en individualités. C'est toute une histoire qui se raconte, un récit autant parlé, qu'écrit sur le mur ou dans le corps de chacun. Maillages de mots, de gestes imbriqués en architecture mouvante avec interstices pour s'y glisser...ICI tout s'en-chaîne, se relie, élastique et souple tricotage, trame et chaine de mouvements simples, inspirés du hip-hop très "revisité" à l’orientale sur fond de dentelles de moucharabiés. Un magnifique solo à la Polichinelle ou Pétrouchka s'en détache, virtuose interprétation d'une quête d'identité; une autre, femme au bord de la crise de nerf se fait singulière et se détache de la tribu.Sur fond d’icône de patriarche!Essoufflée, mais comblée par ce jeu libératoire et salvateur.Un dernier voyage à Yellel peut-être pour ceux qui se cherchent entre deux continents d'origine? La roue tourne pour eux, au coeur d'une empreinte digitale, un recueillement oblige en grappe serrée, soudée, en ronde pour mieux se concentrer. Danse-contact, appuis, surface, poids sont les fondamentaux de leurs relations corporelles , échappée belle de l'abandon, du don de soi à l'autre.Comme un phare, un flambeau le chorégraphe se laisse aller aux regard des autres, repère, balise : on s'encourage, on s'entraide, on se respecte: la danse profonde surgit qui tangue et s'enroule dans les corps..Encore un très beau solo d'une femme cheveux défaits qui tournoient sur l'axe de son corps mouvant, stimulée par ses pairs.Danse des voiles sur fond d'images pulsatiles en dentelle noire qui oscille en bonne "compagnie" en osmose avec cette communauté qui se questionne joyeusement sur ses origines. Danser l'arc en ciel des couleurs, de la fratrie culturelle, en cercle chromatique sans compas dans l'oeil, avec un fil d'aplomb et un niveau équilibré, stable autant que mouvant. Contempler la mer, de dos, dans le flux et reflux silencieux des vagues qui se dessinent sur l'écran sera leur épilogue, leur final. Encore un rebond en match de poufs, jetés comme des balles, relais de leur union indéfectible à l'unisson de leur pas déterminés.Hymne, ode à l'oubli ou à l'abandon -s'oublier aussi-dans des transports joyeux et collectifs, entre unité et singularité.Électrons libres qui se déchainent, galvanisés par la musique, les applaudissements des spectateurs face aux derniers battles qui soudent cet ensemble chorégraphique, très humain, chaleureux, authentique fresque, trace et signe d'altérité! 


A Pole Sud du 30  Novembre au 2 Décembre