mardi 11 janvier 2022

"Y aller voir de plus près": Maguy Marin, cartographe, guerrière et témoin de notre temps .

 


"Y aller voir de plus près" de Maguy Marin: radioscopie du politique.

Elle franchit les frontières, dépasse les bornes et nous tend des pièges salutaires.A sa manière, toujours, en mixant les disciplines, les faisant se rencontrer, se bousculer gaiement au coeur de l'histoire, de la mythologie Étonnante  prise de plateau pour cette "conférence" révérencieuse sur un pan de l'histoire ancienne: celle des Grecs qui occupe et préoccupe son propos à travers différents médias.Du lecteur-conter, au musicien, des images enregistrées aux panneaux indicateurs Pour se frayer son chemin dans ce chaos visuel.La guerre du Péloponnèse est au cœur du sujet.Vue par Thucydide et corrigée par Maguy Marin qui transpose allègrement Sparte à Sarajevo ou Madrid Les guerres sont véhicules de réflexion sur l'être ensemble, les prises de pouvoir, la question de l'effacement, de l'oubli, du déni Pour y faire face et prendre "position" au bon "endroit", la voilà qui ausculte les textes et nous les livre en intégralité, le temps d'une écoute attentive de la part du public.Réconcilier, réparer aussi pour bâtir et avancer.De ce souffle épique, nait une forme réduite, efficace, opérationnelle.Le souffle des vaincus, l'allégresse du ton de la pièce combative, rehausse l’intérêt d'un spectacle inédit, militant pour de bon dans les sphères du politique, ce qui se passe dans les mailles des filets des conquérants autant qu'entre les mains des opposants.De l'ouvrage qui se regarde aussi sous de multiples points de vue aiguisés par une mise en espace respectant chacun dans son altérité.

A Pole Sud les 11 et 12 Janvier

"L'urgence d'agir" de David Mambouch : façonné par l'argile et le corps ! Cousu d'entrelacs !

 


Elle est de ces artistes qui creusent des sillons durables et profonds, qui bouleversent les existences. Depuis plus de 35 ans, Maguy Marin s'est imposée comme une chorégraphe majeure et incontournable de la scène mondiale. Fille d'immigrés espagnols, son œuvre est un coup de poing joyeux et rageur dans le visage de la barbarie. Son parcours et ses prises de positions politiques engagent à l'audace, au courage, au combat. En 1981, son spectacle phare, May B, bouleverse tout ce qu'on croyait de la danse. Une déflagration dont l'écho n'a pas fini de résonner.  Le parcours de la chorégraphe Maguy Marin, un vaste mouvement des corps et des cœurs, une aventure de notre époque, immortalisée et transmise à son tour par l'image de cinéma.

Le film est entre documentaire de création et reportage sur cette chorégraphe "ouvrière" de la danse, façonnée par le tissage et la couture sur mesure de cette vague des années 1980 où la danse contemporaine, nouvelle danse, pointe le bout de son nez. On n'oublie pas les fondements de la formation de Maguy Marin, la danse classique que sa compagnie pratique,fréquente toujours, l'école pluridisciplinaire "Mudra-Béjart" à Bruxelles. Toutes ces composantes exigeantes et bienveillantes au regard du corps unique de chacun, loin des critères canoniques de la danseuse longiligne et performante. C'est "May B", la cheville ouvrière du film, pièce emblématique et mythique, 37 ans d'existence à travers les corps des interprètes-de l'origine à ceux des danseurs de l'école brésilienne de Lia Rodrigues.."May B" ce sont ces visages filmés en gros plans qui reviennent comme un leitmotiv, une enluminure du film: visages grimés d'argile lors d'un long rituel de préparation pour enduire, recouvrir les traits, modifier les faciès et donner des expressions hallucinantes à chaque personnage Une bande d'illuminés plus qu'humains, méconnaissables mais si touchants dans leur aspect de vieux, de cabossés , de sidérés ou médusés par la force de leur danse. Visages craquelés comme une petite géographie, géologie des strates et palimpseste de la vie. Danse tribale, danse inventée, façonnée de métissages, empruntés à chaque corps qui tisse une chorégraphie tracée au cordeau, précise, musicale et hypnotisante. L'argile dans les mains, dans les doigts, pétrissant cette pâte à modeler corps et mouvement, Maguy Marin a toujours la main à la pâte, remettant l'ouvrage sur le métier à tisser, à danser la vie. Souvenirs et références, films et images d'archives, extraits d'interviews, tout est dans ce film à fleur de peau et l'intelligence, signé  David Mambouch: danseur, réalisateur  sur la sellette, toujours débordant de respect et d'interprétation, fidèle à la posture politique, poétique et sociale de la femme chorégraphe:blessée par la vie et ses embûches mais rebondissant toujours dans le collectif et le vivre ensemble.En rythme toujours comme cette séquence croustillante sur l'usage et le bien fondé de la "répétition", phase essentielle du travail, de la mémorisation, de l'appropriation de la gestuelle, des sensations et émotions.Une œuvre cinématographique généreuse, emplie de l'univers de Maguy Marin, de ses sourires ou inquiétudes, émerveillements ou agacements Se soulever toujours à la Didi Huberman....

Au Star le 10 JANVIER en collaboration avec Pôle Sud lors de la diffusion du spectacle "Y aller voir de plus près" les 11 et 12 février à Pole Sud


lundi 20 décembre 2021

"Un vivant qui passe": l'oeuvre au clair.

 

Avec Nicolas Bouchaud et Frédéric Noaille

théâtrede la Bastille Spectacle présenté en coréalisation avec le Festival d’Automne à Paris.


Nicolas Bouchaud revient au Théâtre de la Bastille avec Un vivant qui passe, adapté du film du même nom de Claude Lanzmann. Une pièce sur la banalité du mal, la haine de l'autre, l'acte de montrer et celui de voir.

Depuis 2010, Nicolas Bouchaud crée régulièrement des spectacles à partir de textes non théâtraux (une interview de Serge Daney à propos du cinéma, un livre de John Berger sur un médecin de campagne, une conférence du poète Paul Celan, un roman de Thomas Bernhard sur notre rapport à l’art et au deuil).
Il s’empare cette fois d’Un vivant qui passe, documentaire de Claude Lanzmann réalisé à partir de rushes non utilisés dans Shoah. Dans celui-ci, les déportés et les soldats nazis restent hors-champ et ce qui est donné à voir est le face-à-face entre le réalisateur et Maurice Rossel, délégué de la Croix-Rouge internationale pendant la Seconde Guerre mondiale, qui, en « visite » à Auschwitz et à Theresienstadt, s’est retrouvé par deux fois au cœur du système d’extermination nazie et affirme n’en avoir rien vu.


C’est en partant à leur tour des rushes d’Un vivant qui passe que Nicolas Bouchaud et ses complices habituels, Éric Didry et Véronique Timsit, se plongent dans cette adaptation. Avec la volonté de réactiver l’Histoire à travers le témoignage de cet homme, ni bourreau, ni victime, qui « est d’une certaine façon celui que nous pourrions tous être ou que nous avons peut-être déjà été » comme le souligne Nicolas Bouchaud. Dans les réponses de Maurice Rossel se dessinent en effet des zones complexes et troubles, celles où l’antisémitisme et la haine de l’autre guettent en embuscade, mais aussi celles des présupposés qui fondent l’acte de voir.

Et la pièce est bien de cet acabit : elle dénonce les mécanismes du déni, de l'histoire qui se tisse et se trame des paroles, faits et gestes de quelques meneurs drastiques ; ils sont deux à investir le plateau sur fond de décor de bibliothèque surannée, décor cousu de toute pièce, leurre et mensonge où vont se nicher les contradictions des deux personnages. Nicolas Bouchaud perspicace auditionné par un meneur d'enquête, Frédéric Noaille, jeune et fringant traqueur et détective pour la circonstance On les suit avec intérêt et ils nous mettent en haleine, le suspens de ce duo-duel aidant à cette démarche de défrichage d'une période sombre, opaque, ici révélée avec parcimonie, tac et respect.Pudeur et opacité.Montrer ce qui s'est passé dans cette antre de la peur où finalement personne ne savait rien de rien et où tout était "vivable". C'est ailleurs que ce tramaient le drame et l'horreur....Sauvez le moment du mensonge ou de la vérité, tel est le propos qui hante cette mise en scène de Eric Didry, sobre et efficace, faite de déplacements permanents, d'une petite danse croustillante de désarroi mais aussi d'espoir que les choses bougent, se déplacent et parcourent le monde pour dire plus et autrement les failles humaines et leur terrains d'investigations: raconter aussi la passation , entre mensonge et propagande, déni et authenticité.Ce vivant qui passe et ne passe plus inaperçu !