dimanche 23 janvier 2022

"the Lulu projekt": Lulu la berlue !

 

The Lulu Projekt

The Lulu Projekt

photo:Christophe Raynaud de Lage

– Il vaut mieux brûler franchement que s’éteindre à petit feu, non ?
– Alors je vais t’embrasser et ce sera comme foutre le feu à tout. Lulu aveugle, ça te dirait d’aller voir les étoiles de plus près ?
– Faut voir.
– T’y verras rien, mais tu t’inventeras ton aurore boréale, avec la voie lactée qui dans le vent…
– Attends, d’abord je laisse un mot. Si jamais on me cherche là-haut, qu’on sache où je suis.

De l’autre côté du mur, le monde de Lulu est terne et triste, souvent flou, noyé de pluie ou de larmes. Échec scolaire, déficit d’affection maternelle, bisbille avec la police, il se heurte au conformisme ambiant avant de rencontrer l’amour et l’infinité des possibles. Et voilà Lulu propulsé dans l’univers en expansion, flirtant avec les étoiles et défiant les lois de la gravité sur l’air d’I Wanna Be Me des Sex Pistols…

Dans cette métamorphose initiatique mise en scène par Cécile Arthus, le héros de Magali Mougel échappe aux normes sociales de sa communauté : « Ce qui m’intéresse, ce sont ces parcours qui sortent du cadre, qui visent la destruction du vieux monde. C’est symbolique : la destruction est une étape nécessaire vers la reconstruction. »

En ouverture et prologue, le ton et la forme théâtrale sont donnés: quatre personnages narrateurs se livrent à dévoiler le fond de la pièce, en autant de commentaires, remarques ou évidences: "tu as 18 ans", alors ce Lulu -Anthony Jeanne-aura du fil à retordre avec ces quatre là, figures emblématiques du devoir, de l'éducation et de l'incompréhension.En leitmotiv irrévocable, ces 18 ans seront ceux de la libération de ce joug social qui écrase et ligote notre antihéros: Lulu! Péripéties multiples sur le plateau qui se transforme peu à peu pour se métamorphoser en boucherie: scène phare, très visuelle où quatre officiants mettent en barquette de façon très mécanique des morceaux de barbaque de lapins, bestioles suspendues à une potence, comme guillotine ou trophée de massacres bestiaux ou humains Très belle vision surréaliste de marionnettes en même temps que triviale de l'établi de travail ou Lulu, l'apprenti niaiseux est voué à l'obéissance et au sacrifice Sacrifier sa vie, capituler, se rendre face à cette société formatée, violente et étouffante. Lulu, garçon boucher, en rythme se soumet et la cadence devient danse mécanique et travail à la chaine: ces chaines dont sont faites destin et prédestination d'un jeune homme qui n'aura de cesse que de tenter de se libérer en dansant furieusement sur des musiques formatées.Danser, danser, pour mieux habiter son corps furieux, exprimer sa hargne contre les adultes qui le musellent, sa mère -Blanche Giraud Beauregardt- hystérique mère castratrice-....La pièce décline tout du long, commentaires et dialogues et les comédiens se jouent de cette difficulté narrative avec brio. Etre dehors et dedans, à l'intérieur des personnages et derrière le miroir, n'est pas chose aisée.Le spectateur se questionnant lui-même sur son rapport à la réalité, à l'imaginaire de ces péripéties qui montent en crescendo la tension de la mise en scène et du texte, liés.Corps-texte, corps et graphie visuelle très soulignée et incarnée avec justesse et mesure par les cinq comédiens dans le sujet, à vif !  Magali Mougel a ici trouvé son Pygmalion en Cécile Arthus pour une mise en scène efficace et sobre qui jamais ne gomme ni n'éclipse la véracité des caractères des personnages.Stephanie  Chene pour la chorégraphie pertinente et musclée, Estelle Gautier et Claire Gringore pour une spatialisation renouvelée des espaces mentaux de chacun.

Et si on allait aussi voir du côté de la "Lulu" de Yves Saint Laurent, personnage se soulevant pour mieux exister et respirer?

Avec Anthony Jeanne, Blanche Adilon-Lonardoni, Blanche Giraud-Beauregardt, Philippe Lardaud, Laurent Robert

Scénographie Estelle Gautier
Corps et mouvement Stéphanie Chêne
Lumière Maëlle Payonne
Son Valérie Bajcsa
Costumes Séverine Thiébault


TAPS Scala du 25 au 28 Janvier

 

"An immigrant's story": quand les langues se délient, se mélangent...La danse l'emporte et les corps parlent. Et ça fait "signe" !


 

Wanjiru Kamuyu Cie WKcollective France duo création 2020 An immigrant’s story

Un corps porte-parole des stigmates migratoires, c’est ce que propose Wanjiru Kamuyu. Entre bribes de récit, chant et danse, son solo questionne sans fard la construction des identités et leur représentation mais aussi le statut et la place de chacun dans le fracas du monde.

Artiste cosmopolite, Wanjiru Kamuyu a vécu en Afrique, en Amérique du Nord et en Europe. Coté danse, elle est passée du classique, qu’elle a pratiqué au Kenya dans son enfance, au contemporain découvert aux USA mais également au butô. Ce nomadisme, ces déplacements avec les transformations qu’ils induisent, la mixité des cultures traversées ont forgé son parcours et l’ont portée à questionner fortement certains sujets d’actualité. La notion d’immigration en particulier, avec ses catégories opposées, celle des privilégiés et celle des défavorisés, mais aussi les flux migratoires et leurs causes probables. Quitter, perdre et se réinventer, ailleurs… Comment s’y retrouver ? De quoi sommes-nous faits ? Quels regards, quelles images définissent l’étranger, en particulier le migrant ? Qui est-il pour lui-même comme pour l’autre ? Vibrant et dérangeant, son solo se fait le récit acéré d’une histoire de l’humanité nourrie par son expérience et des témoignages de migrants. Faisant corps avec son propos, Wanjiru Kamuyu s’échappe du cadre, manie parole et gestes, humour et tragédie, et questionne notre rapport à l’autre avec autant de conviction que de sincérité.

Sur le plateau entouré de chaises renversées, alignées qui donnent l'impression de frontières, de délimitation ou de herses -pièges à oiseaux- une femme apparait dans un éclairage flamboyant.Soliste évoquant de sa voix et de ses gestes comme dans une incantation, un paysage corporel fait de jeux de mains, de doigts très véloces. Sa large envergure déployée; plexus solaire offert, chaleur et bonté rivées au corps. Elle ondoie dans son costume orange vif, sur place, puis sillonnant l'espace dans d'étranges tremblements fébriles.Secousses, balancements en offrande...Elle échange sa "première peau" pour une seconde longue robe découpée de lambeaux et s'adonne à franchir l'espace en sauts et manèges évocant le vocabulaire classique jadis acquis. L'épuisement semble la gagner, la désolation, la pesanteur de quelque chose: l'exil, l'altérité perdue lors de la migration qu'elle a "subi" loin de ses origines, arrachée à sa langue, à son terroir africain.Hésitations, mouvement de recul, abandon. Alors qu'auprès d'elle une autre femme traduit en langue des signes ses paroles et double sans la trahir, de sa danse gestuelle, les propos sur le déracinement. 

Des signatures qui converegent

Danseuse, assurément, cette "interprète" , Nelly Celerine traduit à sa manière et devient sa partenaire officielle. La complicité se raffermit, s'impose quand Wanjiru Kamuyu traversa une rangée de spectateurs dans la salle, lui cédant le plateau à part entière.La passation est belle et généreuse, complice, en osmose: langage des signes se métamorphosant en danse évidence qui transmet du sens et de l'image.Jamais la chorégraphie n'a rejoint à ce point la langue des signes et c'est un petit miracle que de voir s'incarner une telle alchimie!Duo de femmes soutenue par la musique qui elle aussi de plus neutre revêt la rythmique africaine ou celle des cordes d'un violon. Tragédie de l'exil, du sacrifice du déracinement. Une voix off raconte l'histoire de la "femme de fer" à la voix chaude et rassurante, évoque la fanfaronnade qui se tisse à propos des "africaines" et des clichés liés à son image en Occident Mais, rebelles, nos deux interprètes se jouent des on-dits et dansent de plus belle, à l'africaine! Dans un duo jovial et joyeux, laissant exprimer leur identité profonde sans se museler pour plaire ou paraitre aux yeux de notre société. Les corps se libèrent, racontent leur histoire d'origine dans des gestes rythmés, sautillants, empreints de sourires et de solidarité. Dans de beaux relâchés, dans une dérision et un humour non dissimulé.Combattre, se soulever à l'envi face à l'exil qui fait souffrir et reculer.Une vision très personnelle et politique de la condition de la femme africaine sur nos territoires européens, victime des flux migratoires qui catapultent "ailleurs" les corps et âmes sans se soucier du "déplacement" cultuel et culturel des êtres de chair et de danse.Un hommage au migrant de toute origine sur le chemin du transfert, du déséquilibre, du renoncement.  

A Pole Sud les 25 et 26 Janvier

"Les oiseaux": un congrès à plumes, une assemblée, perchoir cosmopolite de l'utopie politique!

 



Fatigués par la morosité du quotidien et la médiocrité de leurs semblables, Fidèlami et Bonespoir partent en quête du royaume des oiseaux où ils espèrent vivre d’art et d’amour. Ils rencontrent le roi Huppe qui règne avec nonchalance sur le monde bigarré des volatiles. Apprenant que le ciel n’appartient pas aux oiseaux, Fidèlami les exhorte à prendre le pouvoir. Leur faisant miroiter un nouvel âge d’or, il les convainc de bâtir une cité-forteresse dans les nuages, afin d’intercepter les fumées des sacrifices grâce auxquels les hommes nourrissent les dieux. Contraints par la famine, ceux-ci devront s’incliner devant les oiseaux ! Mais gare aux promesses de lendemains qui chantent : le réveil pourrait être brutal.



Musique foisonnante et lyrique, livret charmeur et poétique... Sous ses airs de fable animalière, Les Oiseaux est une adaptation post-romantique d’une comédie antique d’Aristophane. Composé par Walter Braunfels durant la Première Guerre mondiale et créé à Munich en 1920, ce somptueux opéra raconte avec tendresse et mélancolie les aspirations humaines puis l’échec des utopies. Il était grand temps que ce chef-d’oeuvre du XXᵉ siècle soit présenté en France

Le plateau semble un vaste open-space où des fonctionnaires seraient livrés à l'ennui, la routine: gradins et tables de travail gris, architecture qui  fonctionne comme un amphithéâtre, nid et niche des chanteurs, du chœur: tectonique qui va bientôt réveiller les acteurs de cette pathétique assemblée de l'ennui et du désarroi. Chacun endosse ici un rôle qui va le métamorphoser en "acteur", protagoniste d'un récit, d'une narration dont on découvre pas à pas qu'elle sera le scénario d'une fable, d'un conte contre l'idiotie, la bêtise et l'ignorance.C'est le rossignol-Marie Eve Munger- qui s'attelle après s'être confectionné avec application méticuleuse d'une travailleuse docile, une couronne de papier découpé, à mettre le feu aux poudres. Panique au poulailler dans cette cage grisâtre et sans barreau, dans cette agora de l'inutile , de l'activisme. Chaque personnage s'identifie à un oiseau, un animal à plumes, bestiaire raisonné des volatiles communs ou échassiers.  Le roitelet porte bien son nom de petit monarque ambitieux  dans ces villes invisibles dont il voudrait créer une hétérotopie à la Michel Foucault- L'hétérotopie est un concept forgé par Michel Foucault dans une conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres ». Il y définit les hétérotopies comme une localisation physique de l'utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l'imaginaire, comme une cabane d'enfant ou un théâtre.On y est! Ce royaume des oiseaux est bien là, centre et enjeu de péripéties multiples, de jeux de rôles, de fantaisie aussi, déclinée par l'imaginaire des costumes de Doey Luthi, du décor de Andrew Lieberman qui tente de se métamorphoser; de lieu de travail à une nichée de papiers recyclés et débités en autant de belles franges aux arabesques rassurantes. La mise en scène de Ted Huffman éclaire le récit, le déplace dans un temps et espace quasi contemporain qui évoque ces gradins d'assemblée politiques où se jouent démocratie et discussion, rapport et tentative d'inventer un autre monde aux facettes plus vivantes et aventureuses. Les chanteurs sont franchement excellents et campent avec solidité des rôles fantasques et convaincants, livrés aux aléas d'un contexte truffé de rebondissements.Le choeur en émoi et action occupe les espaces à l'envi: bataille de boulettes de papier ramassés par un technicien de service de haute voltige: Prométhée en personne !La musique de Walter Braunfels à découvrir par son foisonnement lyrique et son déferlement de timbres et variations multiples. Les dieux y sont convoqués, menaçants, intrigants, et Zeus autant que Prométhée- font figure de gardiens et veilleurs dans cette "cage aux oiseaux" où chacun n'a cesse d'exprimer sa position . Lieu d'une danse aussi qui intervient et fait partie intégrante du récit: danse chorégraphiée par Pim Veulings, et servie entre autre par un excellent performeur:Toon Lobach, débordant de mobilité hallucinante: phrasé fluide, rage et désespoir au plus près du corps charnel et ondoyant, sidérant de souplesse et agilité qui focalise le regard sur ses prestations en solo. Il n'est pas le seul auprès de Vladimir Hugot, Jocelyn Tardieu, Gautier Trischler et Caroline Roques à nous faire passer "ces entremets dansés" comme une pause salutaire, le geste prenant le relais des performances vocales  de Tuomas Katajala, Cody Quattlebaum, Joseph Wagner et tous les autres oiseaux, Huppe, aigle, corbeau, flamand rose, grives, hirondelles....Un opéra que l'on emporte aussi sous son bras: un petit livre pour notre collection venant enrichir notre bibliothèque idéale: une idée de communication autant que d'information sur chaque oeuvre proposée par le directeur très érudit de l'Opéra du Rhin, Alain Perroux,écrivain et musicologue émérite, pédagogue éclairé et efficace qui considère le spectateur comme ayant soif de découvrir et d'aller plus loin!Opéra très "huppé", volage et où l'on ne se fait pas "plumer" !

 

 

Direction musicale Aziz Shokhakimov Direction Musicale : 19 et 22 janv. , 20 fév. Sora Elisabeth Lee Mise en scène Ted Huffman Décors Andrew Lieberman Costumes Doey Lüthi Lumières Bernd Purkrabek Chorégraphie Pim Veulings Chef de chœur Alessandro Zuppardo Chœur de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg

A l'Opéra du RHIN jusqu'au 22 Février