mardi 22 février 2022

"De Françoise à Alice": le noir et le jaune leur vont si bien...

 


De Françoise à Alice
de Mickaël Phelippeau

 

Mickaël Phelippeau rencontre Françoise et Alice Davazoglou presque par hasard. En duo sur le plateau, elles se prêtent avec générosité au jeu du « portrait chorégraphique » cher à Mickaël Phelippeau. Avec délicatesse, il interroge les liens qui unissent les deux femmes et leur offre la possibilité de montrer à tous qui elles sont: deux femmes interprètes, l'une dite valide et l'autre porteuse de trisomie 21. Ce duo aborde ainsi la complexité et la constellation des liens qu'elles entretiennent, des divergences qui créent leur complémentarité, tant humainement que dans leur relation à la danse.

Sur le grand plateau de plain-pied du Carreau du Temple deux femmes s'affairent, alors qu'en voix off ou audio description, se raconte leurs faits et gestes quotidiens: elles s'installent à vue et l'on suit sereinement leurs actes, identiques à ceux de femmes concentrées sur leurs taches. Mais voilà que tout s'anime sans mot pour expliquer une tendre et respectueuse relation: mère-fille qui se rencontrent au coeur de la danse, de leurs danses. Loin de toute virtuosité ou performance physique, leurs deux corps se trouvent, s'enlacent complices et filiaux.Elles se comprennent et entament respectueusement un adage charmant et troublant La mère plus aérienne, la fille plus terrestre, au corps de Vénus callipyge de toutes rondeurs, dévoilant des formes généreuses loin des canons fatidiques de la beauté formaté Ce qui est beau ici est insondable, mystérieux, loin des visions chorégraphiques où tout semble appris et reproduit. La relation, liens et liaisons mère-fille se décline à l'envi, forte et sincère dans l'intimité autant que dans le show Alice se sent belle, se questionne, sa mère nous confie son désarroi, de la naissance de cette enfant "différente" aux regards des autres compatissants....Beaucoup est dit ici sur le "handicap" , celui dont "souffrent" ceux qui ne connaissent pas lze bonheur de vivre aux côtés d'une personne extra-ordinaire qui enseigne tant de valeurs à celui qui la fréquente.La danse est simple et étoffée de gestes légers ou graves où s'impose la compréhension, le partage, la considération. Alice se maquille, revêt de beaux atours pour parader aussi, libre de se conformer aussi à une normalité extravagante de paillettes et strass Le droit d'être, de jouir et d'aimer, sa mère, sa compagne en bonne "compagnie", cum-panis empathique et sympathique. Une heure durant on embarque dans la poésie, l'inconfort ou le réconfort de savoir que montrer la vie tout court est aussi l'apanage de la danse. Parcourir l'espace, se poser, se lover au sein du corps de l'autre est bonheur, chaleur et capacité à s"adapter au monde sans soucis des apparences. Ce travail chorégraphique hors norme est le fruit d'une lente approche, d'une adhésion totale à un projet autant audacieux que naturel.Pas de jugement ni de condescendance pour cette ode au noir et jaune, les couleurs de la générosité et de l'intellect, de l'obscurité ou de l'outre-noir. Y voir clair aussi dans nos visions du "beau", du divers comme beaucoup dans le domaine de la danse qui affiche dès lors fragilité, normalité, diversité, aujourd'hui sujet de débat, de considération justement revendiquée dans la justesse et la sérénité Dans la vérité surtout de l'intégrité des interprètes et de Michael Phelippeau, accompagnateur, guide, éclaireur et iconoclaste joyeux de la scène chorégraphique actuelle.L'altérité de chacun, engagée et mise à nue: every body is beautiful !

A u Carreau du Teple dans le cadre du festival "Every body" les 18 et 19 Février

lundi 21 février 2022

"Le jour se rêve": Jean Claude Gallotta et Rodolphe Burger: un duo de choc ! Des salves chorégraphiques, des prises de corps musiciens !

 



« De l'humour et de la pensée, de la fantaisie et de l'invention ! »

En trois tableaux, les danseurs magnifient les troubles solaires de la nature, les phosphorescences des grandes villes, puis livrent une vision folle de l’avenir dans une comédie musicale effrénée. Grâce d’une gestuelle énergique, combats d’anges et humanités fiévreuses… Dans des échappées mouvantes et ludiques, dix interprètes rendent hommage à Merce Cunningham, génie d’une poésie abstraite du mouvement, qui aurait cent ans aujourd’hui. Entre chaque séquence, Jean-Claude Gallotta lui-même danse sur les chansons de Rodolphe Burger. Artiste associé au Rond-Point, le chorégraphe et danseur y a présenté sa trilogie autour des mythologies du rock, L’Homme à tête de chou, My Rock et My Ladies Rock. Avec quatre-vingts créations à son actif, il travaille à ouvrir la danse à toutes les disciplines, cinéma et poésie, musique et arts plastiques.

Ils dansent et ne cessent de dévorer l'espace, les danseurs-performeurs sur le plateau, vêtus de couleurs, masqués corps et visages par collants et tissus désignés par Dominique Gonzalez Foerster avec force traits et formes colorées figeant les expressions en interrogations étranges.La meute, le groupe se met en branle, évolue sur scène en unisson fébrile, en duo, trio comme des esquisses de passages fugitifs évaporés, e, fusées volubiles... C'est la rémanences des signes, traces et points dans l'espace grand ouvert, offert aux corps et à la danse . Entre les séquences, deux solos du maitre à danser, petits gestes composés, furtifs, fébriles, tétaniques comme au bon vieux temps du groupe Emile Dubois", cette arlésienne si mystérieuse...Un solo sur la poésie de Kurt Schwitters qui lui va si bien avec ses onomatopées, ses petits bruits et sons imperceptibles de la voix. Langage inventé de toute pièce.L'homme, le danseur sur la pointe des pieds fait mouche et touche après ce tsunami de voltiges vertigineuses des danseurs en troupe organisée. Quelques échappées belles dans les deux autres saynètes du programme et le tour est joué: on est séduit par la rencontre Gallotta /Burger mais pas si surpris que cela car les compères sont devenus complices sur le plateau et la musique galvanise la horde pour sauts, diagonales et manèges infernaux! Merce veille au grain de ces comètes lancées à pleine allure dans une chorégraphie cosmogonique de haute volée! Tendresse et ralentis en augurent des tonalités variées, des ambiances certes abstraites mais s'y retrouvent soquettes et petits shorts qui baillent contre collant, seconde peau sans trou, à la Cunningham. Un rêve éveillé que de retrouver l'inventivité d'une signature singulière de l'histoire de la danse d'aujourd'hui, de celle des années 1980, fraiches et limpides comme à la source de leur genèse: Gallotta passeur de rêves et de fébrilité composée!

chorégraphie : Jean-Claude Gallotta, musique : Rodolphe Burger, avec : Axelle André, Naïs Arlaud, Ximena Figueroa, Ibrahim Guétissi, Georgia Ives, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger, Jean-Claude Gallotta  


jusqu'au 20 Février au Théâtre du Rond Point

"Humano" et "Intimo": cinquième biennale d'art flamenco: des hommes aux postures libres......


 Après le succès de ¡ Fandango !, duo avec le chanteur David Lagos présenté lors de la dernière Biennale d'art flamenco, et Imperfecto, nouvelle création pour laquelle ses pas de flamenco s'entremêlent au hip hop de Jann Gallois, David Coria vous offre sa performance, Humano, en accès libre dans le Foyer de la danse.

Un solo intense dans l'arène du foyer où il s'offre en proie aux regards circulaires, le danseur s'installe, attribue à chaque objet sa destinée et façonne un épouvantail curieux,et menaçant à son effigie peut-être...Avatar ou partenaire...? Puis s'empare du plateau, au sol, frappant les rythmes de tout son corps en désobéissance totale aux lois du genre flamenco, surtout pour les hommes si glorieux à la verticale! La danse est puissante et profonde, altière ou terrestre, toujours sobre et mesurée, mise en espace judicieusement sous tous les angles.Il est présent et se joue des rythmes complexes et savants avec jubilation contenue, vécue, tremblante de passion à fleur de peau. On le suit dans son parcours quasi à l'aveugle, masqué par un sac de papier kraft qui lui confère un côté surréalisme et cubiste très étrange. La danse est reine, le jeu d'acteur, convaincant et en 20 minutes à peine preuve est faite que l'on attend la suite et le développement de cette esquisse avec impatience et curiosité! .

 


Le danseur Farruquito et ses six musiciens racontent, dans une atmosphère intimiste, les origines et l’histoire du flamenco. La danse dans son état le plus pur.

Si le bailaor Juan Manuel Montoya est surnommé Farruquito, c’est en l’honneur de son grand-père, l’illustre Farruco, dont il a à l’évidence hérité des dons exceptionnels. Son autre surnom, El Capitan, dit la place majeure qu’occupe désormais cet artiste émérite, révélé au grand public en 1995 par le film Flamenco de Carlos Saura. Depuis plus de vingt ans, au fil de spectacles souvent créés « en famille », il a conquis une renommée internationale et séduit par sa danse à la fois authentique et raffinée même les plus rétifs au charme du duende. Íntimo, qu’il interprète en solo accompagné de ses musiciens fétiches, plonge en six séquences, de la seguiriya à l’exaltante fin de fiesta, au cœur de l’histoire et des traditions flamenca. Un voyage éblouissant au cours duquel le Maestro revisite sa propre identité.

Et la musique, le chant s'invitent sur la scène immense pour convoquer l'apparition très attendue du "démiurge" du genre flamenco contemporain, plein de respect, d'audaces et de petites révolutions ténues dans la gestuelle et la mise en espace: celle du danseur autant que les musiciens Chanteuse de choc, c'est Mari Vizarraga, féroce matrone tapageuse et virulente, madre tentaculaire, autoritaire à la voix tonique et puissante. Un personnage incontournable du spectacle de la star qui se laisse prendre  la vedette tant leur duo est puissant, féroce et hurleur!Bel exemple de bascule des rôles que l'on retrouve aussi chez les musiciens tenant tête à ces farouches personnages tirés de la légende. Les pas de Farruquito sont précis, mesurés, francs et percutants, toujours. Profils au corps, traversées ou parcours frontal en poupe, le voici roi du plateau tenant en haleine un public rivé sur lui...Une performance nuancée, très surprenante de modulations et d'outrages au bon sens flamenco. Sol et verticalité convoquées pour exprimer rage, amour; impatience, passion et ....douceur!De l'art de haut vol, de voltiges performantes en spirales et tours fulgurants, les yeux rivés au sol ou brandissant victorieusement sa passion, les bras ouverts en direction du public. Une star qui échappe aux canons classiques du genre pour s'effacer et laisser place aux musiciens...Deux costumes pour les deux parties distinctes, dignes d'une panoplie de toréador, très seyants pour son corps longiligne de toute rigueur et beauté: beauté du geste, liberté du mouvement en poupe. Des instants fulgurants et poétiques qui ne s'oublient pas et laissent des impacts forts, des empreintes vivaces dans les sens et sensations physiques qu'ils génèrent. Du grand art à coup sûr !

Au Théâtre national de la danse à Paris jusqu'au 18 Février.