mardi 22 février 2022

"Jezebel" : l'or noir !

 


JEZEBEL
de Cherish Menzo

Danseuse et chorégraphe néerlandaise, Cherish Menzo dénonce l’hypersexualisation des femmes dans les clips de rap et hip-hop des années 90 à travers une réappropriation du mythe biblique de Jézabel, femme séductrice, tyrannique et malfaisante. Captivante, l’artiste dynamite les stéréotypes et les fantasmes et déconstruit les codes de l’imagerie associée aux « Vidéos Vixens ».

C'est une bicyclette dorée qui s'approprie l'espace, lentement mue par un corps à couvert, méconnaissable être hybride, dissimulé sous une peau de bête étrange..Longs ongles, griffes démoniaques au poing!Vision originale et prenante que cette fourrure masquée, inquiétante.Corps transformé, idéalisé sur la scène du show biznes ou du clip vidéo, la femme apparait mythique objet de séduction, de désir fantasmé: de surcroit noire et belle comme ces canons infligés par la société mercantile. Danse de luette et de langue profonde en vidéo caméra direct font effet de choc, érotique à souhait...Ce solo emblématique d'une recherche visuelle sur la condition féminine est danse et mouvement très sensible, à fleur de peau, dénudant les tabous et les réflexes conditionnés de nos regards formatés par les médias.Belle prestation vécue, engagée à son corps défendant par la soliste, danseuse et chorégraphe, le temps d'un show rutilant de strass et paillettes, d'or et d'orpailleuse à la recherche de pépites sexualisées, et de poudre de perlimpinpin hypnotique!

Au Carreau du Temple à l'occasion du festival Everybody le 17 Février

"I'm a bruja": sorcières, je vous aime !

 


I'm a bruja
d'Annabel Guérédrat

Chorégraphe martiniquaise, Annabel Guérédrat signe des performances toujours empreintes d’une profonde réflexion sur le monde et sur la condition féminine en particulier. Seule en scène et nue, l’artiste revêt une à une cinq peaux de brujas, sorcières afro-caribéennes, correspondant à cinq tableaux successifs qui s’entremêlent à mesure de la performance.

Et ça opère dès la première seconde : femme et offerte au regard, nue et crue, décemment habitée de lumière et de justesse, ce solo est vêtu de radicalité, de pudeur et d'engagement. Sorcières multiples et variées aux caractères changeants se lovent et se meuvent à l'envi, se déplacent, bougent et concentrent un univers étrange, magnétique et unique.Femme et esprit malin en sorcière, évoquant Mary Wigman et sa danse tapageuse et cruelle, la voici plongée dans son antre et sa caverne intime pour mieux rayonner à nos yeux rivés sur son corps.Torsion du buste, des cheveux qui se livrent, se délivrent d'une touffe massive pour mieux se nouer, se contenir.Décors changeants selon les situations: cercle magique ou néons virulents pour cerner son arène, son champ d'action.Elle s'affiche ostensiblement dans sa vérité et puise aux tréfonds de sa chair exposée pour notre réflexion, plaisir et dégustation de l'interdit, du profane, de l'étrange...Une belle performance dosée et mitonnée, mijotée comme un élixir de vie, de mort et de résurrection salvatrice. On ne brûle pas cette sorcière bien aimée aux multiples facette kaléidoscopiques !La danse comme potion magique et onguent liquide et huileux en dernière séquence très érotique Badigeon canaille et tentateur de multiples fantasmes enfouis et résurgents à l'occasion de cette performance très "osée" et pudique à la fois!

Au Carreau du Temple dans le cadre du festival Everybody !18 et 19  Février

"De Françoise à Alice": le noir et le jaune leur vont si bien...

 


De Françoise à Alice
de Mickaël Phelippeau

 

Mickaël Phelippeau rencontre Françoise et Alice Davazoglou presque par hasard. En duo sur le plateau, elles se prêtent avec générosité au jeu du « portrait chorégraphique » cher à Mickaël Phelippeau. Avec délicatesse, il interroge les liens qui unissent les deux femmes et leur offre la possibilité de montrer à tous qui elles sont: deux femmes interprètes, l'une dite valide et l'autre porteuse de trisomie 21. Ce duo aborde ainsi la complexité et la constellation des liens qu'elles entretiennent, des divergences qui créent leur complémentarité, tant humainement que dans leur relation à la danse.

Sur le grand plateau de plain-pied du Carreau du Temple deux femmes s'affairent, alors qu'en voix off ou audio description, se raconte leurs faits et gestes quotidiens: elles s'installent à vue et l'on suit sereinement leurs actes, identiques à ceux de femmes concentrées sur leurs taches. Mais voilà que tout s'anime sans mot pour expliquer une tendre et respectueuse relation: mère-fille qui se rencontrent au coeur de la danse, de leurs danses. Loin de toute virtuosité ou performance physique, leurs deux corps se trouvent, s'enlacent complices et filiaux.Elles se comprennent et entament respectueusement un adage charmant et troublant La mère plus aérienne, la fille plus terrestre, au corps de Vénus callipyge de toutes rondeurs, dévoilant des formes généreuses loin des canons fatidiques de la beauté formaté Ce qui est beau ici est insondable, mystérieux, loin des visions chorégraphiques où tout semble appris et reproduit. La relation, liens et liaisons mère-fille se décline à l'envi, forte et sincère dans l'intimité autant que dans le show Alice se sent belle, se questionne, sa mère nous confie son désarroi, de la naissance de cette enfant "différente" aux regards des autres compatissants....Beaucoup est dit ici sur le "handicap" , celui dont "souffrent" ceux qui ne connaissent pas lze bonheur de vivre aux côtés d'une personne extra-ordinaire qui enseigne tant de valeurs à celui qui la fréquente.La danse est simple et étoffée de gestes légers ou graves où s'impose la compréhension, le partage, la considération. Alice se maquille, revêt de beaux atours pour parader aussi, libre de se conformer aussi à une normalité extravagante de paillettes et strass Le droit d'être, de jouir et d'aimer, sa mère, sa compagne en bonne "compagnie", cum-panis empathique et sympathique. Une heure durant on embarque dans la poésie, l'inconfort ou le réconfort de savoir que montrer la vie tout court est aussi l'apanage de la danse. Parcourir l'espace, se poser, se lover au sein du corps de l'autre est bonheur, chaleur et capacité à s"adapter au monde sans soucis des apparences. Ce travail chorégraphique hors norme est le fruit d'une lente approche, d'une adhésion totale à un projet autant audacieux que naturel.Pas de jugement ni de condescendance pour cette ode au noir et jaune, les couleurs de la générosité et de l'intellect, de l'obscurité ou de l'outre-noir. Y voir clair aussi dans nos visions du "beau", du divers comme beaucoup dans le domaine de la danse qui affiche dès lors fragilité, normalité, diversité, aujourd'hui sujet de débat, de considération justement revendiquée dans la justesse et la sérénité Dans la vérité surtout de l'intégrité des interprètes et de Michael Phelippeau, accompagnateur, guide, éclaireur et iconoclaste joyeux de la scène chorégraphique actuelle.L'altérité de chacun, engagée et mise à nue: every body is beautiful !

A u Carreau du Teple dans le cadre du festival "Every body" les 18 et 19 Février