samedi 5 mars 2022

"Je vous écoute": les confessions d'un lac d'indifférence.Ou d'empathie.....

 


Ce spectacle est basé sur la transcription de paroles d’anonymes qui racontent leurs inquiétudes, leurs solitudes, leurs espoirs et leurs colères sur une ligne d’écoute bénévole. Que peut-on dire ici à une personne inconnue, qu’on ne peut dire nulle part ailleurs ? Partant de ces myriades de voix solitaires, la metteure en scène Mathilde Delahaye a composé un oratorio, une partition musicale. Récits de vie croisés, silences, tremblements… Elle veut faire résonner ensemble ces singularités qui, au travers de ce qui leur manque, dénoncent un vide et appellent à une transformation du monde social. Je vous écoute met en avant la vitalité et le potentiel explosif que véhiculent celles et ceux qui sont au bord.

Fond de scène comme une fresque sur des corps qui chutent dans l'abime, surface au sol, lisse, huilée, aux reflets miroitants: des haltères immergée...Étrange vision, très calme....Avant la tempête? Une gymnaste vient s'emparer de cet engin de torture pour mieux le lâcher, éclaboussant de toute part: c'est une surface d'eau qui fait reflet!Un violoncelle entame une belle litanie, triste et nostalgique, mélancolique.Des fumigènes envahissent le plateau, un son de décollage d'avion du tarmac et tout démarre. Fin du préambule , de l'introduction, d'un prologue qui en dit déjà long sur la solitude...Des voix off s'agitent comme sur les ondes, en confessions timides, intimes...On arrive au vif du sujet quand dans un cadre carré lumineux, trois personnages entament ces discussions-dialogues, monologues ou confessions-, témoignages de solitude, de désarroi, de panique..Pour l'atmosphère glauque, il se met à pleuvoir sur ce décor, immense flaque où gisent des objets abandonnés, eux aussi cabossés, délaissés par la vie courante, active...Les trois silhouettes, tour à tour prennent la parole: écoutant, répondant, ou simulant toutes les voix du désespoir: une performance vocale et musicale inouïe à laquelle se collent brillamment les trois comédiens, statiques, immobiles, sans affect ou réaction épidermique.Claire Ingrid Cottanceau, sobre, lisse, hiératique, Thomas Gonzalez et Romain Pageard, animé de conviction, de finesse dans la perception et le rendu de toutes ces confidences vocales invisibles: donnant corps à des voix, des sentiments, des injonctions multiples et variées. Modulations, surprises, qui nous tiennent en haleine. Les solitudes s'enchainent depuis la chambre d'un "écoutant", depuis le choeur d'âmes esseulées, monocorde litanie de récits improbables sur la survie, la solidarité, les aveux déchirants de certaines victimes de l'isolement. Pièce touchante qui questionne les rapports humains de très près, de très loin sur les ondes glissantes des technologies au service de la communication à distance.Mathilde Delahaye signant ici une oeuvre empathique au décor puissant et métaphorique.Une vache égarée pour animal de compagnie, entrave ou simple portrait d'un immobilisme significatif!Qui laisserait passer la vie, statique et passive, image déconfite de lassitude et résignation.

Au TNS jusqu'au 10 MARS

 

Mathilde Delahaye a été élève du Groupe 42 de l’École du TNS en section Mise en scène. Dans ce cadre, le public du TNS a pu voir L’Homme de Quark d’après Christophe Tarkos, Tête d’Or de Claudel, à la COOP de Strasbourg, Trust Opus, d’après Falk Richter et Babil au bord des villes d’après Charles Pennequin. Elle a ensuite créé Pantagruel d’après Rabelais et L’Espace furieux de Valère Novarina (2017) Maladies ou femmes modernes de Elfriede Jelinek (2018) et, en 2019, Nickel, co-écrit avec Pauline Haudepin. Elle intervient à l’École du TNS régulièrement.

vendredi 4 mars 2022

"Hasard" de Pierre Rigal: un chantier bal't hasard imprévisible bascule du vrai, du faux ! Troublant !

 


Pierre Rigal
Hasard (titre provisoire)

Pour sa prochaine pièce, Pierre Rigal s’efface derrière le geste en lui attribuant un rôle particulier : dessiner l’intrigue d’une fiction. Le hasard, cet imprévisible déclencheur d’événements, devient ici le maître d’un nouveau jeu. Cette création pour six danseurs prévoit la collaboration d’un magicien. Danger, fou rire, vertige et paradoxes, structurent ce travail sur l’aléatoire et la façon dont le hasard interroge et bouscule nos repères.

Chantier, work in progress pour le public friand de découvertes, de questionnement sur le "processus" chorégraphique Au tour de Pierre Rigal de s'y coller avec bonhommie et accueil chaleureux... Six danseurs pour tisser la trame et la chaine d'un spectacle à construire: dans le désordre, six extraits nous sont présentés dans "leur jus" et c'est à l'écoute de travaux déjà très avancés qu'on se prête avec intérêt et curiosité. Six danseurs pour filer en diagonales "du fou" des fresques incroyables, sur le fil du risque: celui de faire des rencontres "choc" ou catastrophes, bien sûr leurre et faux incidents: maillages en diagonales, incidents "fortuits", anticipation des troubles directionnels, simulations de heurts, de bousculades, croisements de foule...Comme un leitmotiv à géométrie variable, mathématiques des traversées et déplacements Une connexion géophysique remarquable, sur le fil du hasard convoqué, "aidé", provoqué tout au long de ses parcours savants ourlés de mimiques ou de visages neutralisés.De l'improvisation aussi pour des associations visuelles plus libres, plus "rondes".De beaux effets optiques de rémanences , de troubles dans les unissons "à capella"où les corps se répondent, se rattrapent, se confondent.La mémoire de la matière dansée fonctionne à plein, dans des "engrenages" savants: quatre danseuses assises au sol y dessinent le flux des vagues, les entrelacs et figures de points de chainette, maillage acrobatiques de postures et attitudes mouvantes, bluffantes! Mécanique des temps modernes, canevas d'un métier à tisser le hasard, alors qu'un duo acrobatique de danse contact uni un couple de danseurs. Segments du corps, bras en coupe géométrique, angulaire comme des rouages bien huilés.En dérive une bestiole étrange aux pattes entremêlées de toute beauté: pieuvre ou mille pattes de foire en majesté!Puis c'est allongés au sol que la mécanique se déchaine sur une musique binaire envoutante. Le rythme est infernal...Autre extrait avec diagonales, corps ouverts-fermés, croisements, rencontres inopinées, sourires malins ou visages neutres.Contorsion et tricotage à l'envi, solo d'équilibriste détiré...Un superbe travail des bras à l'angle, en alternance, en florilège de capacité d'écho, de ricochet, figures du hasard ou de la construction extrême.Comme un alphabet, des hiéroglyphes, une écriture très graphique à la Villéglé, police de caractère et pictogramme en résonance.


Abécédaire de la danse de Pierre Rigal qui se distingue par son étude sur les mouvements de bras, les envergures et le rythme de métronome qui convient à cette dynamique futuriste du mouvement, de la machinerie, de la balance corporelle.Jambes et bras impliqués pour une rémanence optique en autant de rouages savants et "hasardeux"!La "murmuration" en ligne de mire pour les interprètes rivés à l'instant, les accidents de parcours, les formes inédites de bancs de poissons ou de vol d'oiseau...Dernier extrait: des bras comme des cous de cygnes, des pinces de crabes qui bougent et ondulent , férie, magie et prestidigitation garantie! Un travail déjà très mur à découvrir en septembre sous un titre encore non défini!

 

POLE-SUD, lieu de vie, d’accueil, de fabrique et d’éducation artistique, déploie ses activités dans de multiples dimensions. Parmi celles-ci, les Accueils studio.
Ces résidences artistiques se renouvellent chaque saison. Elles contribuent au développement de la création et de la culture chorégraphique tout en stimulant la vie du lieu. Une dizaine d’équipes de la scène chorégraphique locale et internationale en bénéficie chaque saison durant une à deux semaines. Les artistes peuvent ainsi se consacrer à la recherche et à la création dans l’espace du studio qui est mis à leur disposition.

Ces étapes de travail sont ponctuées par des rendez-vous, les Travaux Publics, favorisant la rencontre entre le spectacle et les publics sous des formes variées et conviviales. Ils sont aussi l’occasion de soirées « deux en un », offrant à tous, la possibilité de découvrir deux démarches artistiques différentes, à 19:00 en studio, un processus de travail en cours et des échanges avec les artistes, à 20:30 le spectacle en salle d’une autre compagnie.

"Intro et Rehgma": Mellina Boubetra, pianissimo....

 


Boubetra Cie Etra France trio + duo créations 2018 et 2021

Intro + Rēhgma

«Discussion chorégraphique» d’un trio de femmes au son d’une partition électro en constante évolution, Intro est la première pièce de Mellina Boubetra. Dans Rēhgma l’artiste engage un autre dialogue. Un duo autour des mains en mouvement et de la notion de toucher commune aux pratiques de break et du piano.

Pourquoi un trio hip-hop 100% féminin ? Mellina Boubetra s’en explique ainsi : «  Pour ma première pièce, Intro, j’ai d’abord choisi des interprètes pouvant s’exprimer à travers plusieurs styles de danse et qualités de mouvement. Puis les échanges entre nous, tant au niveau discursif que corporel ont fait évoluer la dramaturgie de ce projet vers une forme de discussion chorégraphique. » Intro est ainsi devenu un voyage introspectif dans l’univers des sensations.
Toujours sur le mode du dialogue, la seconde pièce de la jeune artiste, privilégie le sens du toucher. Passionnée par les mains et leur langage, elle imagine Rēhgma, un duo physique et musical avec le danseur et pianiste Noé Chapsal. De la résonance des touches aux qualités de toucher, cette pièce oscille entre murmures et vibrations. Une façon d’explorer la relation corps/instrument, entre autre autour d’une question : « À quelle note ou mouvement accorde-t-on le plus de lumière et qu’est-ce qu’il en reste une fois émis ? »

"Rehgma"

Un duo, de dos, en short et chaussettes, sobre vestimentaire homme-femme en légers soubresauts, déséquilibres rétablis, oscillations minimales,petits mouvements compulsifs contagieux de l'un à l'autre...Entrechocs et déstabilisation, toujours de dos avec précision infime...Saccades, tremblements, sursauts à l'appui.La danse s'inscrit dans un petit espace réduit, assiette du bassin sous un rayon de lumière constant dirigé en douche sur les deux corps frémissants. Osmose et gémellité à vif.C'est au piano, "désossé" pour l'occasion que la danseuse et chorégraphe se prête à une litanie sonore envoutante et répétitive: danseuse et instrumentiste, ce n'est pas si courant, surtout pour faire corps avec son instrument, tandis que son partenaire se love contre la paroi du mobilier-décor sonore! Puis c'est à quatre mains, face au pupitre éclairé dévoilant les petits marteaux "piqueurs" que le duo poursuit sa course en figures d’équilibristes, allongés sur le tabouret ou étirés en arrière: belles images à la renverse alors qu'ils continuent à pianoter...Les deux corps s'enchevêtrent, se relient, puis éclatent l'espace, libérant leur énergie en prouesses de gestes mécaniques, vitesse et dextérité au poing.  Un très beau moment de poésie musicale et humaine, à quatre mains,bordée de finesse et précision à l'impact émotionnel garanti.Qui va piano, va sano pour mieux cerner la complicité, les touches et notes qui s'accordent à laisser entrevoir la qualité du toucher, de la musique des gestes, de la corporéité de l'interprétation sonore des musiciens en osmose avec leur médium instrumental.

"Intro",

C'est un quatuor atypique, mêlant énergie débordante, et petits gestes minimaux, petits bougés, syncopes et cadence d'enfer, unissons en alternance avec altérité personnelle et gestuelle. Beaucoup de résonances entre les quatre protagonistes, tous différents et pourtant naviguant dans une belle fusion plastique et esthétique. Révélés par un éclairage fort sur fond noir, les corps se sculptent, s'affirment dans leurs formes et prennent le plateau en rond de bosse. Sur fond de percussions de caisses claires, puis rythmes plus engagés, la danse est conversation gestuelle, bribes de mots et sons, mimiques , altérité du vocabulaire qui puise aux sources diverses du hip-hop, des arts martiaux...Épuisés, haletants dans la perte et la dépense, ils nous quittent dans des murmures tenus, disparaissant de nos regards captivés.

A Pole Sud jusqu'au 3 Mars