mercredi 11 mai 2022

"Trottoir": Volmir Cordeiro: péripatéticiens en vogue sur les trottoirs de Buenos Aires.... !

 


Volmir Cordeiro
Cie Donna Volcan France Brésil 6 INTERPRÈTES CRÉATION 2019

Trottoir

Il voit le corps comme un lieu d’apparitions. A travers lui surgissent des existences, des rébellions, des manifestations, des représentations. Volmir Cordeiro chorégraphie ces phénomènes au fil de créations poétiques et engagées. Trottoir convie la multitude sous ses aspects les plus divers, ouverts, précaires, contradictoires et néanmoins alliés.

L’idée de « corps exposé » tout d’abord explorée au fil de différents solo par Volmir Cordeiro, s’élargit au multiple dans Trottoir. Tout comme dans l’une de ses précédentes pièces Rue (2015), on y retrouve l’un de ses espaces de prédilection, propices aux rencontres fortuites, au regard que l’on porte à l’autre, à son adresse mais aussi aux relations de pouvoir. Tous les corps sont présents dans les pièces de cet artiste d’origine brésilienne installé en France depuis une dizaine d’années. Corps qui contrôle, militaire, policier, sécurité ; corps qui travaille, fabrique, répare ou sème ; corps bourgeois ou SDF, et jusqu’au corps collectif, tel que le décrit le chorégraphe, celui « qui descend dans les rues, investit trottoirs et places pour dire “nous” et protester contre la mort lente imposée par le néolibéralisme ». Mais aussi : « Le corps carnavalesque qui suspend les normes imposées et les espaces-frontières entre les individus, en générant un métissage de la ville, par le travestissement et la fantaisie. » Cette ambiance festive se retrouve dans les musiques de Trottoir. Percussives, énergiques et réjouissantes, elles aiguillonnent les gestes, poussent au mouvement, à l’action. Ce sont ces corps débordants que Volmir Cordeiro convoque au plateau. Six danseurs aguerris dont les constantes métamorphoses évoquent la multitude. De l’ivresse à l’abandon, les interprètes, masqués et anonymes, semblent emportés par l’énergie vibrante, libre et désordonnée qui se dégage de leurs présences réunies.

Justaucorps de couleurs bariolés, chapeaux loufoques, casques, canotier,collants très seyants, et gants aux formes étranges: des costumes pour ce quintet masqué de bas moulant le visage anonyme...Sur des musiques de carnaval, entrecoupées de silences et d'arrêts sur image, se roulent et défilent autant de courtes saynètes ludiques, où l'on se frotte, se sent, se renifle comme des bêtes, des animaux en rut ou en parade amoureuse. Cris et mimiques bestiales , singeries, tirs de chasse, sifflets...United colors off délirium chatoyant pour des images léchées et affriolantes, tableaux bigarrés Quand un sixième personnage parait, grand escogriffe dégingandé, le spectacle bat son plein, le patchwork en grappe compacte, compression plastique fluo, se meut, ponctuée de poses: grenouilles palmées ou bestioles issues d'un bestiaire imaginaire qui copule, chante et récite en anglais quelques litanies sur l'humaine condition.C'est festif, enjoué, emballant et déroutant.Une ronde rituelle endiablée, les fesses en l'air, le croupion au dos cambré.On se palpe encore, on se gratte où ça démange, on s'embrasse goulument: "circulez, il n'y a rien à voir" susurre l'un des paons qui danse!Gestes de robots, petite chorale agglomérée, tout y passe en gymnique contrôlée, amusante, plaisante dans le sens du poil...Des chapeaux empilés sur la tête, une belle unisson de bras décousus autour d'un totem de lambeaux de tissus bariolés; ils gaffent, se chamaillent en tribu, horde lavant leur linge métissé en famille Les costumes occupant une sacro-sainte place, guenilles ou atours de voguing, célébration de toutes les identités atypiques, revendication des différences dans la solidarité de classe.Communauté, chenille carnavalesque en poupe, les voilà qui se dispersent, se dévoilent le visage pour exister après un coup de théâtre dans l'obscurité qui va enfin révéler leur personnage.Mimiques et gesticulations collectives s'empilent, s'enchainent, de style plus ethnique, plus "africain": encore un baiser goulu dans un mélange des genres attendu, revendiqué. Le maitre de cérémonie en rouge bat sa coulpe et le discours va bon train, reliant cette petite foule en révolte.Le tout, généreux, protéiforme, touffu à force de redites. Une armée de guignols s'en détache, militaire marche nuptiale ou martiale, fantoches dansant autour d'une idole médaillée comme à un concours de miss beauté déjanté. Détourné de son sens premier. Critique d'une société sauvage, domptée par l'artefact, cette miss "poubelle" oeuvre en égérie caricaturale mais pour autant ne centre pas le propos qui se dilue, stagne dans une danse gymnique où la chorégraphie, absente de direction globale, s'effrite, se dilue."Je te corps-sage" résumerait le tout dans cette énumération de jeux de mots, calembours et virelangues qu'on finit pas apprécier dans son côté inventaire. Le verbe est présent, pas déplaisant comme l'ensemble de la pièce, opus en "mets-tissés", banquet joyeux où l'on se met à table sans discutions au préalable: on accepte la proposition où on la rejette en bloc: ce méli-mélo de corps et de propos n'avance pas, même si le défilé carnavalesque propose joie et simplicité.Mascarade ou mêlée de rugby, tenues multiples pour allécher, aguicher le regard: ces oripeaux chatoyants gardent un parfum de déjà vu , protéiforme caléidoscope multi facettes, pour des couturiers de la gestuelle, canevas ou brouillon, ourlet inachevé de prêt à danser sur mesure en cacophonie musicale. Les bêtes se calment, se relient dans des fils noués de désarroi.Où sommes nous, perdus dans la jungle du trop plein de bonne volonté!Sur un volcan en éruption ou en endormissement explosif?....La lave bouillonne dans le cratère sans exploser véritablement. On attend l'éruption salvatrice de cet géopolitique en devenir. Et que fuse enfin de la danse et non pas des scories en chaos désordonné.


lundi 9 mai 2022

"20 danseurs pour le XX ème siécle et plus encore": un musée de la danse....au Musée! Les muses s'amusent!

 

20 DANSEURS POUR LE XXE SIÈCLE ET PLUS ENCORE

BORIS CHARMATZ [terrain] [FRANCE]

20 danseurs pour le XXe siècle et plus encore présente une archive vivante. Vingt interprètes s’approprient, rejouent et transmettent de célèbres solos du siècle dernier à nos jours, connus ou interprétés par les danseurs, chorégraphes et artistes modernes ou postmodernes les plus significatifs.

Chaque interprète présente son propre musée. Il n’y a ni scène, ni démarcation d’un espace de représentation : le corps est l’espace ultime pour que se crée, en direct, un musée de la danse. Ce projet, plus que d’héritage, traite d’une sorte d’archéologie : il cherche à extraire des gestes du passé plus ou moins lointain, réinterprétés par un corps au présent. Les interprètes sont libres de choisir, de reproduire ou de réinterpréter les solos qu’ils souhaitent. Ils peuvent prendre la forme d’un hommage respectueux ou d’une réappropriation sauvage.

Au Centre Pompidou-Metz

Samedi 07 + dim 08 mai 2022 — 15:00 à 18:00

Lors de ce week-end inaugural de l’exposition Le musée sentimental d’Eva Aeppli, le chorégraphe Boris Charmatz, figure de la danse contemporaine, explore les questions de transmission et de répertoire au Centre Pompidou-Metz.

Au gré de leur déambulation, les visiteurs sont invités à découvrir des interprètes d’exception et de différentes générations qui s’approprient des solos célèbres ou oubliés des XXe et XXIe siècles. Ces deux jours exceptionnels furent l’occasion de découvrir le Centre Pompidou-Metz avec un nouveau regard et de parcourir l’histoire de la danse. Un voyage à ne pas manquer.

Et c'est dans le grand Hall du Musée que commence le marathon: c'est à Laura Bachman d'ouvrir le bal pour ceux qui sont encore à l'entrée: solide danseuse en baskets et body sportif, elle s'empare du mythe de Giselle, nous conte l'histoire rocambolesque de l’héroïne du ballet romantique, avec force détails sur les péripéties de cette jeune bergère au destin tragique: de la scène joyeuse des vendanges à celle de la folie, la voilà animée de sentiments dans des prouesses techniques classiques. Le contraste est tranchant sur le sol en béton, ses pas s'égrènent gracieux et les envolées en déboulés font figures de lexique du vocabulaire classique, bien vivant, engagé dans un corps, un visage ouvert, souriant ou aux mimiques dramatiques. La proximité avec l'interprète trouble et décale, déplace nos impressions sensibles, notre empathie avec cette femme qui danse, conte et fait chair une narration dramaturgique à présent évidente. La danse est enfant de joie, de drame, d'histoire et le glossaire du petit Robert de Terpsichore est friand d'audaces retrouvées!Il faut bien la quitter, lui faire faux bon à cette Liza Minnelli chère à Bob Fosse, de ce cadeau de Benjamin Millepied, solo taillé sur mesure pour la grâce de la danseuse! Pour se diriger au gré de notre humeur et de notre état de corps à l'étage au dessus dans la galerie pour aborder Soa Ratsifandrihana pour un solo à la James Thierrée, des improvisations fertiles... Au tour de Marlène Saldana de nous étonner avec "La fille du collectionneur" signé Théo Mercier. Notons que beaucoup de performances "recyclées" sont celles d'interventions dans des lieux inédits et "inconvenables" mis en espaces par des chorégraphes-plasticiens ou trublions du plateau comme Jérôme Bel, Tino Séhgal, Mike Kelley, eux-mêmes iconoclaste acteurs de l'art contemporain in situ! La filiation est belle et évidente entre ces corps dansants, pensants performeurs et les initiateurs d'un musée mouvant, mobile, vivant, participatif. Notre interprète toute en rondeurs, en peignoir, s'adonne à incarner les objets d'une collection, sur fond de la grande vitre du centre Pompidou au paysage profond et lointain Elle est atypique, charnelle, sexuelle et enchante un univers singulier. L'art contemporain s'anime, prend corps pour une délectation sans mesure, sans modération.Ils sont "chez eux" ces danseurs issus du XXème siècle et du berceau de la danse moderne!Katia Petrowick, danse des extraits de pièces de  Gisèle Vienne; incarnée elle se fait mémoire, soliste de ses pièces emblématiques, Alex Mugler en "vogue fem" travestie de cuir noir, habite le grand hall de façon singulière et, au gré de l'exposition des sculptures de Eva Aeppli, proche de Annette Messager, Kantor ou Valérie Favre, on rencontre Valeska Gert, incarnée par Boglarka Borcsok: en connaisseuse du personnage-on se souvient de son duo avec Eszler Salomon-"the Valeska Gert Monument"-là voilà en emprise totale avec le personnage. Très proche, parmi nous, la voici "Canaille" irrésistible démon vociférant, grimaçant, grotesque et aguicheuse...Une incarnation hors pair de cette égérie du burlesque de la danse-mime-caricature hurlante et terrifiante personnalité aux multiples facettes Un moment intense, très approprié a l'environnement muséal, au coeur des sculptures suspendues de Aeppli...Belle symbiose intelligente, spirituelle et plasticienne. Car "inter-ligerer", relier les disciplines pour une convergence -concordance mise à l'évidence, est chose rare! Le "Musée de la Danse" de Boris Charmatz prend toute sa dimension onirique, sensible. "La danse archive vivante" de toutes les écritures prend tout son sens avec les performances de Magalie Caillet Gajan qui nous offre à corps ouvert les vérités triviales du métier de danseur-cette déchirure du genou- comme ses plus beaux rêves et souvenirs: des solos de Bagouet si baroques, précieux, malins et espiègles, à des performance signées Charmatz où elle dévoile déboires et difficultés de fabrication chorégraphique! C'est croustillant, décapant, sérieux aussi, grave ou enchanteur. Mèche grisonnante au vent, doyenne du show généralisé, elle fait figure muséale détonante, objet de curiosité, d'empathie totale avec le "métier" de danseur issu de cette école utopique à la Charmatz! On croise Olga Dukhovnaya en soliste de "la mort du cygne" ballerine effrayée en basket pour une des plus sobre et belle interprétation de la musique fatale de Saint Saens: pas besoin de plumes ni de tutu plateau pour avoir les bras les plus expressifs de la scène, l’effondrement au sol, le plus bref...Terpsichore en basket arpente le musée comme un fantôme de l'opéra, un spectre bien vivant qui bouscule la lecture traditionnelle: de celle de Trisha Brown entre autre avec le performeur hurleur Frank Willens, habité en diable par le verve, en verve et avec tous comme trublion...-entre autre de la performance de Julie Shanahan, en interprète fidèle du célèbre "Kontakhof" de Pina Bausch où elle invite le public à se joindre à elle pour le célèbre défilé-parade aux gestes réitérés si emblématiques de la signature de la chorégraphe. Et Joa Fiadeiro en soliste, scotché comme au bon vieux temps de la danse contact de Tompkins, Mantero, et autres performeurs-dérangeurs..

.Quel bouquet, quelle audace que cette représentation multi-faces, où il nous sera impossible de rencontrer toutes les propositions originales de ce moment inédit de danse performante On se régale, in fine, des reptations au sol de bébés lâchés au sol par leurs parents visiteurs, de ces deux petites filles tourbillonnant à la Robert Doisneau en fond de hall.... Chacun s'appropriant sa danse, avec jouissance et pertinence, dans l'instant, in situ pour la plus jubilatoire des représentation de ce "bocal" fêlé qui résonne si juste à nos sens à l'affut du jamais vu, de l’inouï pourtant déjà inscrit au "répertoire-conservatoire" des archives du corps: en 3D, en direct, en live comme la vie!

 

dimanche 8 mai 2022

"Le chant du père", le sourire de la fille, le charme de l'héritage !

 

LE CHANT DU PÈRE

HATICE ÖZER / YAVUZ ÖZER [FRANCE / TÜRKIYE]

Pour sa première création scénique, Hatice Özer construit une histoire sensible de transmission qui retrace le chemin d’une famille d’Anatolie jusqu’en Dordogne.

Sur scène, un père et une fille. Lui, venu en France pour donner à sa famille une vie meilleure, homme discret et un musicien hors pair, et elle, jeune femme volubile montée à Paris pour devenir comédienne professionnelle. Ensemble, en turc ou en français, parlé ou chanté, lui et elle racontent comment l’héritage se transforme. Que reste-il des histoires, de la convivialité, du grand départ, de la poésie ? Comment comprendre le sacrifice du père et la douleur du déracinement, si ce n’est par le théâtre et la musique? Le Chant du père vient rapprocher délicatement deux êtres, deux générations, dans un cabaret oriental intime.

D’emblée son sourire complice charme et Hatice Özer séduit, enjôle, enrobe son texte malin pour enchanter une évocation toute familiale de sa culture , de son enfance. Robe noire de velours, cheveux mi longs, collants et chaussures de fillette-femme, elle verse le thé dans de beaux gestes chorégraphiques: longues coulées de liquides qui se mêlent en cascades pour les offrir au public. Mot d'ordre: le partage de souvenirs, d'épopées singulières, personnelles dans un texte à sa mesure: sobre, simple, évocateur de bons moments ou de doutes, de douleurs aussi. On joue avec le sens des mots, le recul du vécu pour mieux raconter l'histoire mêlée d'un père et d'une fille d'Anatolie, soudés par l'exil. Mais c'est la joie de conter, de chanter, de dévoiler des secrets de fabrication de contes et légendes, qui prend le dessus!Pas de nostalgie, mais des chants, de la malice, le gout du bon thé partagé et versé selon les coutumes du pays. L'ambiance "cabaret" du Magic Miroir" renforçant cette atmosphère festive, le père présent et solidaire, Yavuz Özer comme partenaire enjoué et compère de toujours Un ravissement pour une soirée conviviale pleine de charme..Les voix chaleureuses dans un phrasé et une musicalité hors du commun pour bercer les prémisses de la nuit!

Au festival "passages transfestival" le 7 MAI à Metz