dimanche 26 juin 2022

"Mon amant de Saint Jean" à Froville: du toupet, du panache et du talent à revendre! Spectacle musical et vocal médusant!

 


STEPHANIE D'OUSTRAC LE POEME HARMONIQUE
 
Mon amant de Saint Jean 
 
De Monteverdi aux années folles - 
 

Un magnifique voyage dans le temps vous attend le 25 juin !
Emmené avec passion par la magnétique mezzo-soprano Stéphanie d'Oustrac et Le Poème Harmonique - Vincent Dumestre , "Mon Amant de Saint Jean" est une aventure musicale et théâtrale unique de Monteverdi, Marais, Cavalli aux années folles...Passionnés par le jeu d’échos d’un passé à l’autre, Vincent Dumestre et Stéphanie d’Oustrac se sont trouvé une affinité commune, aussi surprenante que fascinante – et ont voulu faire de leur toute première collaboration une aventure musicale et théâtrale unique, intitulée Mon Amant de Saint Jean.

Un récital où l’atmosphère des chansons des Années folles -Fréhel, Colette Renard- insuffle sa douce folie à la musique ancienne- Monteverdi, Marais, Cavalli- où priment l’émotion de la voix seule et la poésie des textes. Le tout uni par cette tonalité intime si chère au Poème Harmonique , tel un maillage guidé par l’émotion, la mezzo -soprano Stéphanie d’Oustrac, icône baroque et divine tragédienne réclamée sur les plus belles scènes internationales , offre ses talents d’interprète pour insuffler une vie nouvelle à ces airs d’autrefois...

 Dans la magnifique église de Froville, le concert débute par un prologue, entrée en matière où violons, viole de gambe, violoncelle,basson et flûtes: "Prélude et passacaille en mi mineur" de Marin Marais, entonnent une musique élégante, raffinée, dansante, à souhait.Et, oh surprise, l'insert d'une voix au loin et d'un accordéon faussent les pistes, brouillent l'ambiance en tuilant les genres: musique renaissante et musique de cabaret vont ainsi flirter tout au long du concert avec malice et subtilité. Un art du "programme" et du spectacle musical cher aux protagonistes de la soirée! Ainsi, une chanson populaire doublée d'un accordéon, fait irruption grâce à la présence incongrue de la cantatrice, toute en noir, chevelure détachée: une chanson sur la jeunesse, puis une autre sur le jardin, la fille du Roi Louis. La chanteuse, tant attendue du public, Stéphanie d'Oustrac, se fait conteuse, diseuse d'aventures, comédienne savoureuse. Avec son "Canzona en Do Majeur" de Johann Vierdank, la chanteuse conte et se raconte: un destin tout tracé de l'audition à succès à la grande scène de l'Opéra Comique, en compagnie de ses amis musiciens...Trame et chaine pour tisser une dramaturgie, un fil rouge d'Ariane à ce programme musical..La Mezzo -soprano se fait ensuite , tragédienne dans le Lamento d'Arianna,"Lasciate mi morire" de Monteverdi.En métamorphose de costume, robe de lune, dorée, perle baroque, extravagance délurée pour un rôle tragique.Elle est habitée, ancrée dans un parlé-chanté d'opéra très nuancé, passionné, clair, limpide texture vocale, diction exemplaire.La souffrance du personnage égaré, en furie, insoumise, implorante, révoltée, possédée tour à tour...Semblable à l'autoportrait de Courbet, perdue, effarée, hallucinée.

Telle un soleil baroque, pendant du Roi Soleil dans "Le ballet royal de la nuit", elle illumine la scène, estrade presque trop étroite pour accueillir la générosité de son jeu dramatique.Large collerette d'or, panache et pli baroque à la Deleuze, ses éclats de voix, la richesse de ses timbres puissants, éclatants médusent, hypnotisent, émeuvent jusqu'aux larmes....

Ou visage de Méduse du Caravage? Du grand art baroque à coup sur! En prière, penchée, le corps engagé, elle excelle dans l'interprétation effrayante victime de l'amour à mort: elle s'effondre, désespérée pour mieux renaitre, sortie de sa chrysalide pour endosser à nouveau le répertoire populaire: métamorphose de papillon qui se transforme en fille de rues en compagnie du piano à bretelles du pauvre! "Une femme n'oublie pas": dans "D'elle à lui" de Paul Marinier,belle et sobre, subtile, elle incarne le souffle, le chant du corps en mouvement, animé par des sentiments vrais et crédibles. Sur l'amour vache et sordide tableau de l'humanité amoureuse....Quelle interprète hors pair que cette "femme qui chante" d'une voix lyrique qui se taille la part belle dans un répertoire qu'elle ravive, nourrit d'un talent unique et rare.La revanche d'une femme blessée dans "Les petits pavés" de Paul Delmet et Maurice Vaucaire est une ode à la femme révolutionnaire, sur sa barricade, corps offert, plexus ouvert et sacrifié, dangereuse. Un vrai pavé dans la marre, vêtue de rouge et noir."Les nuits d'une demoiselle" enchantent avec ces mots du sexe féminin à se tordre de rire, d'humour et de malice. La voici enjôleuse, séductrice, malicieuse, provocante ou naïve! Un rôle à sa mesure qui transfigure cette chanson mythique à censure!Et l'on vole dans les plumes des "Canards tyroliens" chanté avec verve où la chanteuse devient bergère de ses petits canards musiciens retrouvés après une période de déprime et de solitude: auto biographie? Elle retrouve sa flamme et son amour de la musique en partage avec joie et luminosité contagieuse.Des "coin-coins" tyroliens virtuose, des envolées lyriques qui témoignent d'un potentiel vocal incroyable, volume et hauteur, souffle et audaces vocales à l'appui!Et les musiciens au diapason de son talent hors pair.

Ce récital fait une fois de plus honneur à la richesse et la qualité de la programmation du festival de musique sacrée et baroque de Froville" dirigée par la dynamique et audacieuse Laure Baert Duval

Ce sont "Les amants de Saint Jean" en épilogue, nostalgie de la jeunesse infidèle qui closent cette virée romanesque dans l'univers du "baroque populaire" revisité ! 


PROGRAMME : De Monteverdi aux années folles - Monteverdi,  Marais, Cavalli, Renard

Vincent Dumestre – direction

Stéphanie d'Oustrac – mezzo-soprano


jeudi 23 juin 2022

"L'abri" au Festival de Caves: dans des villes invisibles ou un aven bien gardé! Poste frontière ....

 



Un abri, au milieu d’une lande désertique. D’un côté la ville, de l’autre, une région délaissée et interdite.

L’égal vit dans l’abri.
Le double atterrit là, au hasard d’une longue errance. Il a fui hors de la ville.
La rencontre de ces deux figures. Et la zone interdite ? Pourquoi ne pas essayer d’en franchir le seuil et de s’y trouver ensemble ?
Quitte à s’y perdre et disparaître ?

Descendre dans une cave n'est pas anodin...Ambiance fraiche, noirceur de la lumière qui semble se taire, s'éteindre pour laisser place à un monde de rêves, de peur, de fantasmes. Alors on s'y assoit en cercle, autour d'une curieuse silhouette assise face à une mappemonde en porcelaine transparente, lumineuse...Le monde de l'obscurité est à nous...Il prend la parole ce "vagabond" du monde, éclairé par un néon vertical, qui parle de chaos, de poussières d'étoiles, de cosmos qui se déglingue: comme une petite géographie ou  géologie du désastre.Boue et marais, cloaque, pulpes de matières qui façonnent cet univers que ce magicien de la terre semble conserver, recueillir, garder du haut de cette houppelande de plumes et de ses godillots de soldat de science fiction.Une voix off féminine vient troubler son monologue fataliste mais non moins poétique. De ce second néon apparait son double: une femme archaïque mais bien vivante, surgie de la grande ville!Une sirène de bateau se fait entendre, très cinématographique, dessinant un autre espace. Celui de la liberté ou Lorelei envoutante? Face à ce gardien d'un temple de béton à la Denis Pondruel, ou telle une casemate, bunker échouée sur la plage,(celle de JR et Varda dans "villages visages").


Elle est libre et ses propos, son soliloque plein de désir de fuite, d'évasion ne résonne pas encore aux oreilles du veilleur de phare. Rivé à son poste, figé, inamovible travailleur de la nuit dévolu à son destin, sa détermination.Refuge, forteresse contre cette vagabonde échappée de la cité féroce, au seuil de l'inconnu. Elle sème le trouble, le désarroi et se glisse dans les failles, les interstices de cet homme défait. Un face à face débute, confrontation violente, virulente acharnée, vindicative ou simple discours chuchoté à son oreille... Va-t-elle le convaincre de se convertir, de changer de peau, de la troquer contre des atours libertaires? Fracas, fatras du destin pour cet homme dans sa planque, son poste avancé dont il s'est fait responsable . Un roman de chevalerie ou une fraction d'album de BD de science fiction? La pièce, duo, dialogue se construit sur cette écoute singulière, cet échange, ce va et vient de propos sur le vaste monde à découvrir. Sortir de la ville, s'échapper de son poste en l'abandonnant: mais pour quoi, pour qui. Un beau duo quasi amoureux et sensuel comme un acte charnel s'ensuit.Susurré, murmuré.Elle lui parle d'acidité de la pluie, de ce manteau de gouttes pour vêtir sa marche folle d'évasion, de libération.Sans alarme, comme une bête traquée qui fuit.Étonnée, curieuse devant ce cube de béton, antre de cet homme fragile, naïf et serein.Zizanie féminine semée face à l'immobilisme de pensées inamovibles.Ce veilleur sans relève, garde du dérèglement est touchant devant ce doute semé d'évasion.Une autre ville proche, désertée à la Laurent Grasso fait irruption dans leurs évocations de l'étrange, de l'inconnu. 

laurent grasso

Comme Pompéi, médusé par la catastrophe qui détient le souvenir, la mémoire pétrifiée des hommes.Ville close, interdite, abandonnée à saisir. Dans sa gabardine de plumes il songe à la liberté, elle, la vit et veut la partager, en sorcière bienveillante ou maléfique, entrainant dans son sillage et sous son capuchon qui la protège et la dissimule, son désir de passage à autre chose.

Ce beau duo de proximité interdite mais franchie par l'envie de s'apprivoiser, est sobre, mis en scène par Paul Schirck et le texte de Vincent Simon déroule ses hésitations, rêves, fantasmes de quitter le bloc opératoire urbain et mental dont nous sommes victimes consentantes et tributaires. C'est bien une "chambre de danse mentale" avec ses escaliers de béton de Denis Pondruel...

Au delà des clôtures, se dessine leur territoire: encerclé par un néon vert fluo, qui apparait au diapason d'un triangle qui tintinnabule: c'est leur rêve qui se réalise que cet îlot, insulaire dans un estuaire onirique. Frontière dans cet péninsule, cet archipel,cette constellation flottante qui songe à l'évasion, la fuite, la fugue. Très belle image plasticienne que cet enclot éphémère dans l'obscurité de la cave. Deux magiciens, cartomanciens autour d'une boule lumineuse riche de propos invraisemblables oracles de Pythie.  Paysage factice, artefact, lumineux qui invite à l'évasion...Voyage, partage pour s'évader, s'aider en premier de cordée, en rappel, liés, solidaires. La métaphore est bien choisie: guide et conducteur, Saint Christophe se conduit bien! "Donne ton poids, lâche toi, navigue, embrasse, pour mieux se soutenir, s'accompagner dans le risque de vivre". Se supporter aussi. Les consignes sont bonnes mais c'est la mort et la disparition qui l'emporte. Est-on toujours prêt à assumer risques ou remords, compréhension ou complexité de la vie? Le texte de Vincent Simon est limpide autant qu'obscur pour semer le doute et l'envie d'avancer, seul ou ensemble....Les deux comédiens, Bérénice Hagmeyer et René Turquois fort convaincants dans des rôles pas toujours discernables mais bien campés.

L'Abri au festival de Caves à Strasbourg le 22 JUIN

 

 

 

Texte de Simon Vincent – Mise en scène de Paul Schirck – Avec Bérénice Hagmeyer et René Turquois – Musique originale de Simon Pineau – Costumes de Louise Yribarren –

En coproduction avec la Cie l’Armoise Commune

 

mardi 21 juin 2022

"Kamuyot": comme une ère de jeu...Une meute, horde-rock inclassable et "grand public"!

 


Le public a pris place dans les gradins installés en vis-à-vis pour délimiter l’espace d’une scène improvisée au centre d’un gymnase. Il n’y a ni décor, ni rideau, rien du décorum habituel des salles de théâtre. Un coup de sifflet strident retentit et le show commence. Quatorze danseurs survoltés, un peu rebelles, déboulent de tous les côtés, kilts sur collants déchirés pour les filles, pantalons en tartan pour les garçons. L’instant d’avant, certains d’entre eux étaient encore assis incognito au milieu des spectateurs. Figures et styles s’enchaînent avec la même énergie débordante sur des musiques toutes aussi éclectiques – pop japonaise psychédélique, bandes originales de séries, reggae et sonate de Beethoven. Une ode à la jeunesse et une joie partagée entre les artistes et le public.
Ohad Naharin s’est imposé comme l’une des figures incontournables de la danse contemporaine en Israël grâce à son langage chorégraphique et sa méthode d’entraînement intuitive qu’il a baptisés « gaga » en référence aux balbutiements des bébés. Créé en 2003 pour les jeunes danseurs de l’ensemble Batsheva, Kamuyot abolit les barrières entre danseurs et spectateurs pour les intégrer dans une expérience artistique commune.

Rue du Jeu des Enfants....

En kilts et collants de couleurs, filets troués, les filles. En pantalons écossais, polos pour les garçons. Chaussons noirs aux pieds.Une cour de récréation, re-création pour ces danseurs de haute voltige, sacrés virtuoses d'une technique, un style "gaga" très engagé, très assimilé!Un solo dégingandé pour commencer le bal et petits cris pour annoncer la couleur et la saveur animal déchainé Et c'est une petite unisson qui prend le relais. La gamme est résumée: seul et ensemble, par deux, trois, quatre, puis toute la bande s'y colle à ce style entre classique et contorsion contemporaine.Ouverts, en cinquième position, ou rampant. Des robots figés, mécaniques, ou en pause au sol, allongés.Une magnifique reptation, sensuelle, jouissive pour tracer une diagonale sereine parmi trois autres femmes déchainées...Survoltées, sautant en grand jeté, écart,se dandinant aussi à l'envi.Un duo masculin où doigts et langues se croisent, en pause médusée.Sourires et bras en moulin à vent pour une autre interprète...Les spectateurs, placés en gradins, enveloppant l'arène où se déroulent les élucubrations des dix danseurs avides d'espace, de liberté.Départ en pause sportive dans les starting blocks pour mieux s'élancer pour un solo au ralenti ou une escapade, échappée belle du groupe, soudé.Garde à vous pour bataillon bien rangé, dressé sur une musique reggae révolutionnaire.Boxe, contorsions, le vocabulaire dense, fuse, s'épanouit, se décline à foison.Le groupe, la meute semble envelopper les solos qui s'en détachent régulièrement.Les corps se balancent, les regards parcourent l'assemblée, les directions s'affirment.Le public est sollicité pour reproduire une attitude puis repart s'assoir, à côté d'un danseur peut-être lui aussi assis dans le public.Une ronde de gamins se forme pour mieux s'éparpiller et jaillir.Ils piétinent, jacassent des pieds, frappent le sol.Parfois une accalmie fait surface et rompt le rythme effréné de la chorégraphie de cette tribu, tributaire de la solidarité!Un, parmi les hommes se frappe et se manipule dans un jeu de percussions corporelles virtuose. C'est drôle et touchant, Il s’attrape, se claque en autogestion savante comme un "chasse-mouche" bien réglé.Puis c'est au tour de quatre garçons dans le vent de reprendre le plateau, mi acrobates, mi danseurs classiques.Un très bel instant où les danseurs tournent sur le bord de scène, regardant les convives de ce banquet de la joie gestuelle. Une main tendue, un regard aimant, sincère.En marche périphérique distancée.Don de soi, échange de regards.Des tourniquets à l'unisson où les jupettes virevoltent, une "grande asperge" qui cherche son "Marcel" dans cette foule chatoyante et désordonnée, désobéissante!Ils "pompent" en rythme, assis, répétitifs athlètes bien huilés.Pas de compétition pour autant mais une endurance, une dépense physique incroyable pour ces dix "jeunes" danseurs pétris d'énergie et galvanisés par un propos qui leur ressemble: l'urgence de danser!Encore quelques aboiements, hurlements de loups pour cette meute en ébullition qui nous prend dans une empathie délirante!Horde-rock, écoliers buissonniers, lâchés mais bien "dressés", disciplinés joyeux dans leur rigueur non dissimulée.Soudés comme cette pyramide, architecture finale en épilogue de cette narration sur la jeunesse.Bandes de virtuoses insensés, si attachants, si convaincants! Non, il ne faut pas que jeunesse se passe! Alors tout le monde est invité à danser sur l'ère de jeu, l'air de rien, simplement pour le plaisir du bouger!

Kamuyot de Ohad Naharin


En coproduction avec La Filature, Scène nationale de Mulhouse.

En partenariat avec la Salle Europe, Colmar et POLE-SUD, CDCN Strasbourg/CSC de la Meinau.

jusqu'au 22 JUIN


Pièce créée pour Batsheva – The Young Ensemble (2003).
Inspirée par Mamootot et Moshe d’Ohad Naharin.
Entrée au répertoire du Ballet de l’OnR.