dimanche 24 juillet 2022

Les coups de coeur DANSE dans AVIGNON LE OFF 2022 (SUITE N ° 2)

 AU THEATRE GOLOVINE

"ON NE PARLE PAS AVEC DES MOUFLES" de Anthony Guyon et Denis Plassard (compagnie Propos) : surface de réparation pour des gants de velours.


Un duo atypique en diable pour un dialogue de "sourd"? Pas vraiment car l'un et l'autre "signent" ici un remarquable embarquement pour une expérience visuelle et auditive inégalée. L'un signe, l'autre pas.L'un navigue dans des gestes repérables, inventifs, incertains qui ne sont pas à vraisemblablement parler de la langue des "cygnes". L’autre accompagne, soutient son partenaire de jeu de rôle avec humour, détachement, distanciation respectable et très audacieuse collaboration à ce tandem en danseuse!Situé dans un ascenseur en panne (pas d'imagination) nos deux loustics réussissent à vivre ensemble une expérience déroutante , profonde et sérieuse sur ce qui nous lie et relie en cas de "panne" de code et de déchiffrement de signes inconnus. Comment s'entendre et se rejoindre dans 4 mètres carrés de surface sous les projecteurs, sans jamais faillir à la loi de la surprise et du partage! A vous de jouer à cette idylle formidable, ce pacs drôle et éphémère qui vaut largement le détournement d'obstacle: il n'y a pas de handicap, il y a une ligne à franchir avec eux pour mieux sauter les frontières...

"ECCENTRIC" de Régis Truchy: un concentré extraverti!


Il est seul et avec tant d'autres sur son parcours incroyable de danseur hip-hip atypique.Comédie chorégraphique aux mimiques et gestes de références revisités, ce show est burlesque, drôlatique, parfois catastrophique et pathétique tant il sonde les avens de la tectonique du mime, du clown et va chercher très loin l'élixir de jouvence de la comédie dramatique. Extra-ordinaire en coup de triques et matraque divers, il parcourt un long chemin volubile sans parole, le "muet" lui va si bien qu'il incarne sans fausse note, la mélodie du bonheur. On partage la simplicité d'un monologue plein de charme, de personnages emblématiques et on salue l'audace de se produire en frac devant une salle comblée de bonheur.

"LA COMMEDIA DIVINA like4like"de Antonino Ceresia et Fabio Dolce (compagnie Essevesse): quand se pointe l'indice.


Un trio pour mieux cerner ce qui se trame aujourd'hui sur la scène chorégraphique: le genre, l'esthétique d'un imaginaire indexé sur la mémoire et le patrimoine littéraire, la fantaisie autant que les rôles socio-économiques dictés par les codes...Ici on détricote le tout et le plus beau cadeau est cette résurgence des pointes qui sourd des abysses du territoire de Terpsichore: une magnifique apparition de deux des interprètes dont Sakiko Oishi campés sur leurs pieds "pointés", alignant des formes, attitudes et autres postures non référées de la soit-disante "danse classique". Comme Forsythe se joue de ses attributs "exotiques" pour réinventer un vocabulaire codé. Ici les pointes ont droit de séjour comme outil autant qu'objets magiques, magnétiques, transformant les corps en être hybrides, beaux et émouvants.La musique live de Romain Aweduti en osmose avec sa vielle de gambe ajoutant à ce petit miracle, une touche supplémentaire de divin que Dante n'aurait pas renier dans les limbes de sa "divine comédie". De l'audace, toujours pour interpréter une si belle ode à la grâce restituée comme possible dans l'esthétique de la danse d'aujourd'hui.

 

A LA CONDITION DES SOIES : "Twaiwan in Avignon 2022" 

"DUO" de SUN Cheng-Hsueh (compagnie 0471 Acro Physical Theatre): un des leurres...


Tout est miracle et fantaisie, magie et prestidigitation dans ce duo merveilleux, inspiré par deux très beaux interprètes. Les perspectives se gomment, les leurres se font jeu et réussite de point de vue pour brouiller les pistes de l'entendement visuel. Un couple se conte et se raconte à travers une narration gestuelle sensible, poétique, touchante, émouvante et troublante Il va de soi -de soie- que l'énergie amoureuse habite cette réunion sensible de corps qui se côtoient, s'interrogent ou se déchirent à l'envie, avec fougue ou discrétion extrême. On frôle l'irréel, le virtuel infime d'une sensibilité chorégraphique assumée. Un moment de grâce, d'humour et de distanciation sans pareil. 

"SEE YOU" de Lai Hung-Chung (compagnie Hung Dance): .... et surtout à bientôt! la fulgurance incarnée.


 

Fusion des genres pour un tsunami de danse incroyable une heure durant: on est projeté dans l'univers tectonique et dynamique d'une horde de huit danseurs, costumés de blanc vierge cousu main magnifique, épousant les corps canoniques de ces acrobates-performeurs- hors pairs. On savoure leur prestation athlétique et virtuose sans modération tant leur engagement joue sur la dépense, la perte, le don de soi. Huit danseurs éperdus dans l'espace cosmique tout arrondi du théâtre pour y donner le meilleur d'un tonus, d'un partage fabuleux de musicalité corporelle et visuelle.Un talent de chorégraphe du ricochet, du rebond, du sursaut comme on en fait peu.Street Dance, Popping, Tai chi ou autres belles armes pour défendre un territoire faste en imaginaire, choc et salves dévastatrices de fougue et d'endurance! 

 

AVIGNON LE OFF 2022 : les coups de coeur "danse" dans la cité festivalière.....

 LA MANUFACTURE

Un parcours singulier dans les entrelacs des propositions de programmation des différentes structures d'accueil du festival off d'Avignon: La Manufacture entre autre, fidèle à ses engagements : du risque dans les partenariats et accompagnements au regard de la danse et de ses belles dérives...

"ET MON COEUR DANS TOUT CELA?" Soraya Thomas (compagnie Morphose) : à fleur de peau..


Elle est nue et crue sous les lumières ténues du plateau vide: son corps allongé, alanguie, elle déploie avec lenteur et sensualité, les méandres d'un micro parcours corporel, intime, infime, discret. Motus vivendi pour cette performance glissée dans les eaux accueillies par le tapis de danse qui l'abritent, la baignent mesure modestement dans sa plus simple nudité, son plus sobre appareil. Corps confronté à l'espace réduit de son pourtour, dans des lumières savamment conçues pour explorer les petits riens des surfaces charnelles. Soraya Thomas conte la frugalité sans mesure, avec pondération: femme noire métisse, engagée, conteuse d'une histoire tribale, bordée de références cachées à ses guerrières de la beauté: Nina Simone, Joséphine Baker...Et un coté plastique au final, dans un nid de carcasse noire, enroulée dans le tapis de danse: image à explorer encore pour mieux cerner les enjeux d'une renaissance annoncée...Beau travail d'Outre mer de l'Ile de la Réunion, en "outre-noir"....Avec le regard extérieur de David Drouard..

"MIRACLES" Bouba Landrille Tchouda (compagnie Malka) :matière à grimper....




Une structure rappelant  Eduardo Chillida ou Richard Serra , bien campée sur scène est prétexte à de belles évolutions acrobatiques virtuoses sur fond de musique électro-accoustique tonitruante. Le trio de danseurs, surfeurs de lignes de crêtes, sur la touche de l'équilibre-déséquilibre, se livre à corps perdu à un envol salutaire, entre hip-hop savamment réinventé et danse tracée, en osmose avec cet être singulier qui peuple le plateau: une sculpture amovible, sécable qui porte leur démarche comme un geste créateur plastique.Masse, autant que stabile, ce personnage cuivré oscille, bascule, accompagne leur parcours spatial et en fait un tableau changeant constant, déroutant les lois du poids et de la pondération: les corps s'y incrustent ou s'en détachent à loisir pour une très belle plasticité.

"DRESS CODE" Julien Carlier (compagnie Abis): faire un bon break....dance!


Briser le "break", casser la glace et présenter un quintet hors pair, fabriqué de prouesses techniques, certes, mais ourlé de dramaturgie, de jeu, de force et de conviction au delà des clichés du genre: pari tenu pour cette formation où l'empathie fonctionne au quart de tour pour savourer énergie, dynamique, narration des corps engagés dans une aventure scénique qyui tient le spectateur en haleine jusqu'à la fin de cette course contre la montre très bien orchestrée.Soudé, compacté, le groupe avance , s'entraide, se relaie, se lâche dans des phrasés voluptueux enivrants.... La quête de la performance, la dépense, l'entrainement en jogging, ce "dress code" incontournable de l'athlète en est la quintessence et le développement. Être du "milieu", savoir y évoluer, y grandir, dans l'"être ensemble" et la communauté!Dans les abysses de la société du spectacle, aussi...

"DONNE MOI LA MAIN"David Rolland : et prends la mienne!


"Spectacle à jouer et à danser en famille": une bonne entrée en matière pour aborder de plain-pied dans la cour de la récré de l'école  Sixte Isnard. On y prend casque et bonne humeur, on se mêle aux autres spectateurs comme à l’accoutumé chez David Rolland, friand de participation et d'interactivité!On suit Camille et son compère à la lettre pour jouer, perdre et gagner à définir, découvrir la "différence", toutes les facettes de l'apprentissage de la vie en société: des codes de la cour de récré, marelle ou carambole éducative, structurante, architecturantes des jolies et joyeuses mœurs qui unissent la jante humaine: dans la cour des grands, la roue tourne et le monde avance à grands pas: on les suit, ces deux as de l'animation, avec bonheur, empathie, on accueille leurs propositions démocratiques et humaines avec enthousiasme, sourires et émotions.

"SALTI" de Brigitte Seth et Roser Montllo Guberna (compagnie Toujours après Minuit): un remède à la mélancolie...


Salvateur, réparateur, salutaire...Ce trio fait du bien et soigne tous les maux liés à la "maladie" de la danse obsédante, par les gestes et les mots.La parole est reine et belle, inventive et sereine et berce de sa rythmique endiablée les faits et gestes de trois acrobates virtuoses du genre: mixer et remixer la pensée en mouvement: celle dont le pré-texte est la tarentelle, l'épidémie tectonique qui embrase le corps piqué par le venin de l'araignée...italienne! A régner à l'intérieur des muscles profonds et des têtes folles de ces trois danseurs, imprégnés de l'imaginaire de nos deux compagnes de la compagnie "Toujours après minuit"..Utopie des relations humaines, transe en danse d'une contagion qui fédère et pousse à aller toujours plus loin dans les abimes, failles et rebonds du geste créateur: les mots chuchotent, les gestes ondulent, les visages s'animent, les corps discutent, se répondent, se rebellent.Ça respire le bon air de la "tarantolata" à plein poumons.Sur la toile de l'araignée, les insectes dansent sans se faire piéger et tissent les voies du métissage et des entrelacs savants de la théâtralité des corps mouvants. Une belle réussite bien dosée!Et si Damoiseau et Damoiselles d'Avignon dansaient les passerelles inachevées d'une toile à tisser, geôlière magnétique d'un conte d'effets...

dimanche 26 juin 2022

"Méditations" à Froville: Les bonnes Surprises de Louis-Noel Bestion de Camboulas. Charpentier en majesté!

 


Méditations
 
Madrigaux à 3 voix d'hommes - Charpentier, Marais, Brossard: un chemin de croix 
lumineux....

La musique sacrée française, thème de ce concert, vous transportera dans un temps où théâtralité, suavité et sacré se mêlent et se confondent. Interprété par l'excellent ensemble Les Surprises dirigé du clavecin par son chef et fondateur Louis Noël Bestion de Camboulas, Méditations offre de véritables « petits chefs-d’oeuvre » musicaux de Charpentier, Marais et de Brossard.Ce programme pour 3 voix d’hommes permet de révéler une dramaturgie proche de l'opéra dans sa dimension théâtrale, les différentes tessitures des trois interprètes masculins offrant à la fois Lumière et Ténèbres.Un programme splendide à découvrir dans l'écrin idéal de l’église de Froville, tant pour sa spiritualité que pour son acoustique servant à merveille ce répertoire.lors du Festival pour les 25 ans de la manifestation exemplaire de musique sacrée et baroque.

  Tout débute par l’œuvre de Marc-Antoine Charpentier : "Méditations pour le Carême": un langoureux trio nonchalant ouvre le bal, les musiciens se répondent, se juxtaposent, , se relaient avec brio et virtuosité, qualité et talent qui soutiennent ce récital des "Surprises", ensemble riche d'une expérience de renom!Les chanteurs entuilent leurs interventions, le velouté des voix qui enveloppent les mélodies fait mouche et l'on "tombe en empathie" avec cette petite formation virtuose; une "pièce perdue" et retrouvée dans les trésors des partitions de Charpentier: musique intime et grandiose en autant de saynètes narratives pour un chemin de croix unique en son genre musical!

Marin Marais : "Prélude en ré du Ier livre pour viole de gambe et basse continue". Dansante évocation de l'univers baroque, pliés légers, distingués comme des figures savantes de mesures et tonalités.Les sons s'étirent, suspendus sur demies pointes, allongés, enrobés, sensuels...Les trois instruments glissés, entuilés, mouvants.

Sébastien de Brossard : Motet pour basse "O Plenus Irarum Dies": que voici un quasi opéra baroque, solo de chant et trois musiciens: la vélocité des vocalises, le ton et l'interprétation fière et sacrée donnent de la matière sonore très rythmée, contrastée, recueillie.Parfois c'est un petit filet de voix ténu qui enchante et suspend le temps.De belles basses altières, une homogénéité des tenues vocales séduisent et font voyager l'auditeur.

Marc-Antoine Charpentier : Prélude!: à nouveau Charpentier pour perler ce récital des "Méditations" où semblent se dessiner des personnages incarnés par les tonalités des instruments et la fusion-osmose des voix.Plaintes, douceur respectueuses des timbres, hauteurs et mesures...Des solos en alternance dévoilent qualité et capacité de chacun à entrer dans un style, une émotion évidente.De belles unissons aussi pour mieux se fonder dans une ambiance, un univers dramaturgique sonore exhaussé.

"Le tombeau pour Monsieur de Blanrocher", solo de clavecin intimiste et perlé fait suite en contraste avoué: il s'égoutte, clepsydre en suspension ou appuis et en rebond de notes vives.Des notes qui s’égrènent en goutte à goutte, élixir qui se distille à souhait dans nos oreilles alambiquées. L'autre "tombeau" pour les demoiselles de Visée de Robert de Visée pour viole se fait discret, lent, rêveur, alangui...

Sébastien de Brossard : "Motet pour deux ténors Salve Rex Christe": un duo de voix épatant, alerte, vif où le récit s'enflamme et vibre sur le timbre magnétique des voix très présentes.

Au final les trois dernières "Méditations" de Charpentier où l'ensemble vibre et excelle dans le tragique ou la rédemption.

Ce récital exemplaire et fort original de part la rareté des partitions ainsi révélées au public fut un enchantement, du autant à l'acoustique de l'église de Froville, qu'à la remarquable et inégalée passion de l'ensemble convié à partager ces instants rares et précieux de découverte d'un répertoire toujours en devenir!

Paco Garcia, haute-contre

Clément Debieuvre, taille

Étienne Bazola, basse-taille

Juliette Guignard, viole de gambe

Etienne Galletier, théorbe

Louis-Noël Bestion de Camboulas, orgue, clavecin et direction