lundi 25 juillet 2022

LA BELLE SCENE SAINT DENIS à La Parenthèse-espace jardin dans le festival Avignon le OFF 2022: danse, dense.....

 On se lance comme chaque année avec curiosité et enthousiasme pour découvrir à potron minet les joyaux de l'émergence chorégraphique pour mettre au jour cette "visibilité professionnelle et cette attention personnalisée aux parcours des jeunes compagnies": l'oeuvre majeure de l'équipe du Théâtre Louis Aragon depuis belle lurette !

PROGRAMME DANSE N° 2

"VIGNETTE(s)-Soleil du nom" de Bernardo Montet par Guillaume Drouadaine (compagnie Catalyse): Un seul geste peut faire signature....


Un cadeau pour Guillaume Drouadaine que ce solo qu'il démarre, couché seul sur un banc:il se meut, délicatement, lentement, semble remonter le temps, s'y inscrire en corps palimpseste, strate archéologique de l'histoire du mouvement. Si sa condition de danseur "handicapé mental" l'accompagne au quotidien, ici, c'est un geste dansé, pensé, vécu qu'il médite, tranquillement, ne semblant influencé par personne, guidé par instinct, sensibilité et subtilité d'une gestuelle naturelle. Sa douceur, sa quiétude légitime le conduisent à nous offrir des instants magnétiques où le regard lointain et perdu absorbe la temporalité et porte à la dérive les iceberg de l'inconnu. Vulnérable aux yeux de certain, plutôt intuitif et porté par des ondes vibrantes contagieuse, le danseur de toute sa peau offre ici sous la sculpture des indications de Bernardo Montet, un solo nostalgique, mélancolique et profond, fruit d'une passation, d'une transmission délicate, humaine, bienveillante et respectueuse d'un rythme unique et singulier qui se fond dans le temps. 

"ATTITUDES HABILLEES"-Le quatuor de Balkis Moutashar: costumes à danser...


La qualité de cet étrange quatuor est celle du petit bougé déterminé par le port de costumes émergents d'une imagination débridée: du jamais vu dans l'histoire des "couturiers de la danse", ces designeurs des corps qui racontent dans les plis des matériaux, l'histoire du vêtement, des tissus, des matières. Loin d'un défilé de mode ou d'une prestation ouvrière de falbala de scène, ces quatre hommes et femmes arborent avec sérénité, audace, plénitude et humour, des enveloppes corporelles singulières, blanches, faites de tissus qui semblent rares. Ce sont les poses, attitudes, regards qui vont dévoiler toutes les diversités de chaque parure de corps dont s'approprient chacun au fur et à mesure de leurs apparitions sur scène. De véritables tableaux mouvants sous le poids où la légèreté des matières  s'animent et se font remarquer dans cette galerie de portraits singuliers de toute beauté!Coiffes géantes, corsets, faux-culs, chaussures à plateau sur un "podium" imaginaire, une toile sur cimaise où gestes, silhouette et postures ne font qu'un.Carapaces, chytine et gaine d'insectes pour un bestiaire fantastique garanti!

"HIP-HOP NAKUPENDA"d'Anne Guyen et Yves Mwamba: tranché dans le vif!


Yves Mwamba, danseur de toute son histoire, conte et se raconte, corps et verbe au poing dans ce solo à deux voix, façonné par la chorégraphe qui a su accompagner cette volonté de nous parler du Congo, de sa danse, de sa mémoire des corps meurtris par les conflits de guerre.Il exulte, se débat, se déchaine, se confie en hip-hopeur jovial, partageux, déterminé et optimiste. Sa danse est fertile en balades sur le plateau, en adresses au public, complice de son destin, témoin de son sort et de celui du monde en dégringolade politicienne C'est émouvant, sincère et brut de coffrage, sans concession, ni apparat et ça touche au bon endroit.

PROGRAMME DANSE N°3

"WELCOME" de Joachim Maudet: des voix internes....


Un trio plus que singulier émet du son phonié mais c'est un véritable leurre: les sons semblent lointains: des énumérations de prénom semblent venus d'une bande-son enregistrée. Nénni! Ce sont bien des trois corps vêtus de cols roulés jaunes que sourdent ces interjections, mélopées, mélodies de l'inventaire et c'est une nouvelle "ventriloquie" qui s'invente...Rien ne bouge et tout chavire, tout semble calme alors que s'agitent les vibrations des cordes vocales, "dressées" à émettre de l’inouï, de l'inconnu, de l'inclassable bruissement.Des cages thoraciques, des côtes flottantes, du thorax et de l'abdomen parlent les corps, causent les visages, sans ombres ni replis des faciès! Un "numéro" de nouvelle magie, de prestidigitation physique à ne pas rater sur son chemin....Venue des entrailles, des tripes et du gosier, cette danse "du ventre" est bien celle de la découverte, de la recherche et du bon sens commun populaire et fabuleux, simple, accessible et merveilleux: de la poésie de corps....

"BLACK BIRD" de Mathilde Rance: plumes et apparat...


Solo à multiples entrées, magnétisme de la transformation à vue, sorcière des temps modernes, voici une pièce courte étrange faite de chamanisme, de mutation en direct qui ne laisse pas indifférent par son étrangeté.Elle est forte, massive , venue des temps anciens comme figure du bizarre carnavalesque, de l'incongru et du désastre de l'adaptation d'un corps à des temps nouveaux Accessoires et costumes pour mieux rendre cette métamorphose en direct qui étonne, intrigue comme une figure surgie des temps anciens qui se réincarnerait devant nous. Vénus ou fée maléfique, farfadet ou Mistinguett désuète, ce portrait de femme dragonne ou déesse intrigue, questionne au bon endroit.

"SWAN LACKE SOLO" d' Olga Dukhovnaya: l'échappée belle...



Elle fait traces et cygne, se plonge dans les eaux agitées du Lac des Cygnes avec moulte références et c'est très réussi; seule elle signe un solo fort et engagé où la réflexion sur un personnage, oiseau, femme, spectre légendaire de l'histoire de la chorégraphie de ce fameux "lac" qu'il faudrait assécher aux dires de Jean Cocteau! Ici, ambassadrice d'une danse révoltée autant que sage, notre héroïne se fait oiseau qui se pointe, démontre et démonte les mécanismes d'une légende corporelle gravée dans les mémoires collectives. Un partenaire porteur de danseuse la fait vriller et tournoyer à l'envi..Qui sont ces signes cachés que l'on ne saurait plus voir sur les scènes de la danse contemporaine? La danseuse se jette à l'eau et nous offre un bain de jouvence salvateur sur la question du patrimoine, de l'archive et du fantastique simplifié, mis à jour avec intelligence de corps survolté par le sujet....Du côté de chez "Swan" n'a pas fini d'être un manifeste du genre!

dimanche 24 juillet 2022

La DANSE en Avignon le off n° 4: en corps et encore....

 "GRAND ECART" de Kiyan Khoshoie au Théâtre du Train Bleu: qui est là?


Il est manifestement animé de doutes, de questionnement, cause, parle, se déplace sans cesse sans trouver son "endroit", son lieu: il est touchant et ses mimiques comportementales opèrent, agacent, dérange. Beau gosse, bien bâti, athlète-danseur le voilà soudain qui s'anime de son art: le bouger subtil ou efficace pour un show malin, mutin, égocentrique drôlatique à point nommé. Il faut ne pas le contredire dans cette confession désopilante, long plan séquence où il semble endosser tous les rôles pour mieux nous immerger dans son "sur-moi- freudien délectable. Loin des confessions actuelles des danseurs contemporains et de leur parole, le voilà pitre pour un chapitre tonitruant sur la danse d'aujourd'hui. C'est intelligent et jamais caricatural, sur le fil des aveux d'un homme au travail: un point, c'est pas tout cependant!

"GESTES" de Hélène Tisserand avec Pierre Marie Paturel regard chorégraphique Marie Cambois (compagnie le plateau ivre) au Théâtre Artéphile: juste ce qu'il faut pour nous "emballer"...


Un magicien d'aujourd'hui, tours de passe-passe discrets et sobres pour dégager l'univers d'écoute, de tension et d'interrogation de cet art "populaire" qui l'air de rien inspire respect et pudeur.Le regard rivé sur "les petits riens, les petits bougés" qui sont si dense et porteur de rêves.On s'y attache le temps trop court d'une prestation en trio, musique live et assistance efficace pour accompagner un personnage puissant, présent, généreux: une "petite" forme en grande forme!

"LES POUPEES" de Marine Mane (compagnie In Vitro) à la Caserne des Pompiers : dans l'atelier de Nedjar...


Il s'en passent de belles choses dans ce chantier créatif, inspiré de l'oeuvre de l'artiste Art Brut Michel Nedjar...On y fabrique, bricole, entasse, récollecte des trésors à reconvertir, façonner, fabriquer au delà de toutes conventions ou règles de l'art. Brut de coffrage, inventif, pagailleux, ce spectacle décolle et déplace les codes pour investir des univers déployés par la fantaisie, la recherche. Deux compères s'ingénient à créer du beau, du bon, du juste sur mesure et pas du préfabriqué. On songe aux grands de l'art contemporain, comme aux "modestes" du musée éponyme et l'on se régale doucement des bévues culinaires de chacun sur le piano du cuisinier du choc!

"LES JOUES ROSES" de Capucine Lucas (compagnie Kokeski) à Présence Pasteur: matriochka, mes amours... 


Deux danseuses éprises de rêves de maternité, de fécondité, de reproduction, s'ingénient à nous transmettre leur passion du troujours plus et moins que rien.Les costumes bigarrés, orientalistes à la Bakst ou Benoit, les gestes simples, les regards tournés vers le public, complice de cette invasion déferlantes de matriochka...Laissez vous tenter par cette aventure joyeuse, pleine de charme et de verve. Pour mieux jouir des choses simples qui s'égrènent sur le flux des gestes fluides et fuyants, flot de mouvement ou de pause résurgente des temps de création de matrice porteuse d'enfance et de merveilleux!

"OUVRE TA CAGE" de Sarah Pasquier (compagnie Petitgrain) à la Cour du Spectateur: ouvrez votre imaginaire...


Et la danseuse se fera oiseau libre ou captif dans cette jolie cour en plein air: sur des cailloux gris, elle sursaute et va d'un dispositif à l'autre pour découvrir et investir une cage à oiseau immense, structure tentatrice où elle se prend au jeu de l'attirance, de l'envie, de la tentation. Jamais malheur n'arrivera et l'on se rassure sur son sort où elle ne se fera "plumer" par personne. Jolie prestation ludique, farfelue et légère au petit matin estival pour tout un chacun!Liberté, je danse ton nom, oiseau de chair et de sensibilité toute féminine ne vous en déplaise....

  

La danse en AVIGNON LE OFF (suite n° 3): au gré des rencontres....

 "ICE"- GUEST GARDEN PARTY- aux Doms  de Bahar Temiz: du lien qui nous relie...



Le KVS , Théâtre de Ville Flamand a choisi pour cette Garden Party aux Doms, la chorégraphe performeuse Bahar Temiz, pour présenter un extrait de la performance solo de l'artiste, ceci sur les planches de la scène du Jardin, à 11H en plein air...Un moment étrange et curieux où la danseuse suit son chemin, seule aux prises avec une étrange "corde"...Corde, ce mot tabou des gens du spectacle, celle qui étrangle les matelots, celle qui donne la poisse et la malédiction, superstition indéfectible du langage théâtral.Elle puise dans ses entrelacs, la force et la singularité de la matière, tendue, courbe, alangui . Ligne à terre, méandres comme un lit majeur de rivière qui se meut et se répand au sol. La performeuse la manipule, la déroule, entre deux arbres, les bras impliqués par la tension ou l'enroulement progressif de la corde autour de sa tête. Comme un nid aussi, vide, mais accueillant pour une survie possible, une niche où se lover, se construire, nidifier où s'envoler. La vision est belle nimbée de soleil, de chaleur, d'odeur de pinède. Élaborée pour la "boite noire" cependant, ce work in progress est prometteur et captivant. Des instants uniques lors d'un festival....

"ALMATAHA" de Brahim Bouchelaghem (compagnie Zahrbat) au Théâtre de l'Oulle: la mythologie faite mouvements...


Marionnette et danse pour explorer les traces de la mythologie avec humour, délicatesse, tendresse et talent étonnant. L'histoire est simple, toute en objet décrite, incarnée, explorée pour rendre tangible un univers fondateur. Voyage initiatique fort bien conduit et organiser pour faire décoller dans l'imaginaire, autant cette marionnette manipulée par trois danseurs hip-hop, où bercée par un french cancan de vaches suisses, délicieuse touche d'humour sanglant dans cette atmosphère tendre et romanesque à souhait.

"KILL TIRESIAS"de Paola Stella Minni et Konstantinos Rizos (compagnie Futurimmoral à la Scierie: les yeux écarquillés....


Homme et femme, humain et serpent, Tiresias apparait et se confond avec ses divinations: entre ironie d'une catastrophe imminente et la tristesse d'un redémarrage, le sort ce cet anti héros est ici l'endroit d'une pure réussite chorégraphique, visuelle et sonore. Un bijou dans un écrin, perle rare de ce festival Off en matière de création en danse contemporaine."Avant la fin du monde, j'aimerai quiconque entende que je crie que je t'aime" et c'est peu dire que cette relation étrange qui s'installe entre deux êtres, comme dans les ruines d'un Pompéi englouti, d'une ville disparue.On se relève pour y puiser poésie du geste, regard doublé sur les paupières peintes pour aller au delà du réel et images vidéographiées de toute beauté signées Cyril Cabirol, Geoffrey Badel.Une oeuvre intense, mystérieuse, fertile en créativité: à suivre absolument!

"PEOPLE WHAT PEOPLE de Bruno Pradet (compagnie Vilcanota) à la Scierie: voir et revoir...


Un challenge pour cette pièce où "l 'on n'achève pas les chevaux" malgré fougue, énergie et passion débordante tout le long de ce parcours échevelé de danse de tension, courses et poursuites inimaginables...Souffle et ventilation, résonance dans les corps investis par le démon du mouvement, l'épidémie de fièvre de danse et la folie à corps pas perdus de sept danseurs ...qui ont ainsi fait le tour du monde en chevauchée fantastique! Des as de l'endurance, de l'épuisement, de la perte...Du don de soi...

"DE VENUS A MIRIAM, AU PAS DE MON CHANT" de Chantal Loial (compagnie Dife Kako) au TOMA: les voix de leurs maitres....


Un duo qui l'air de rien dit beaucoup sur cette Vénus Hottentote qui nous avait déjà fait vibrer en 2015. Ici les voix chantée et enregistrée se joignent au mouvement pour un duo lyrique, dansé, fort militant et engagé. La femme y est reine et puissante, sa voix se fait entendre et écho du sort des femmes d'Outre mer...
On y puise énergie et empathie avec conviction: Vénus n'est pas un mythe mais bien une nouvelle Terpsichore en baskets!

"BALAYER, FERMER, PARTIR" de Adèle Duportal (compagnie Plumea) au Théâtre Au bout là-bas: virevoltes.....


Elle est seule dans sa boite noire, petit théâtre intimiste du fin fond d'une ruelle d'Avignon...Seule? Pas sûr puisqu'un texte l'accompagne en voix off celui de Lise Beninca, au titre éponyme. Alors se joue le destin d'une femme accrochée à ses rêves, ses hésitations, ses revers, ses déceptions. La danse coule et se répand dans son corps comme un flux incessant, fluide, galvanisée par le texte qui défile à nos oreilles comme une musique continuelle.Quelques instants de pause ou de silence pour ponctuer cette quête de vie, de changement, de revirement.