dimanche 18 septembre 2022

"Innocence" de Kaija Saariaho : un opéra filmé à la perfection.

 


ARTE et Musica présentaient la projection d’Innocence, l’opéra de Kaija Saariaho créé au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2021.

En prologue et pour mieux saisir l'intrigue un petit livret didactique:

"Innocence est le dernier opéra de Kaija Saariaho, salué par la critique comme un chef-d’œuvre de l’histoire de l’opéra. Composé sur un livret de la romancière Sofi Oksanen, l’œuvre relate une tuerie de masse perpétrée dans un lycée international. L’action se situe dix ans plus tard, lors du mariage de Tuomas et Stela où officie une serveuse dont la fille fut une des dix victimes. Entre remémoration, culpabilité et innocence perdue, le drame devenu invisible est représenté par celles et ceux qui subsistent. Un opéra cosmopolite fondé sur un fait divers fictionnel mais ô combien actuel, dans une fabuleuse mise en scène de Simon Stone. "

Dans la salle du Palais des Fêtes, deux heures durant, c'est à la magie du tournage, du montage et de l'adaptation de Philippe Beziat que nous devons cette restitution singulière de l'Opéra de Kaija Saariaho. L'intrigue se dévoile peu à peu dans un décor déjà très cinématographique: tranches de vies sur deux niveaux révélant les situations spatiales phares de chacun des protagonistes: une salle de mariage, une cuisine, une salle de classe.... Et à l'intérieur on y distingue et écoute le sort de chacun et de chaque groupe qui s'y déploie.Les gros plans serrés, les travelings et autres astuces de tournage soulignent le jeu théâtral très fouillé des acteurs-chanteurs au plus près des corps animés par la lente révélation d'un drame annoncé.Les pistes se dessinent à travers l'intensité de la musique qui transporte littéralement déplacements, chorégraphie et intonation des voix. Rarement une telle symbiose opère pour sidérer le spectateur et le conduire sans encombre vers un dénouement dramatique qui interpelle, concerne et touche comme rarement dans une narration d'opéra.Les portraits de chacun soulignés par des prises de vues choisies qui semblent reconstituer le temps et le déroulement de l'histoire pour faciliter l'approche des caractères de chacun. Les yeux écarquillés de la servante, la moue de la mère, la candeur de la fille sacrifiée....Il faut avouer que tous les gestes savamment travaillés avec le soutien du chorégraphe se révèlent saisissants de naturel,d'intensité, fluidité ou rigidité de ces corps "sociaux"animés par leur condition et rôle dans cet univers démultiplié d'influences historiques. Un attentat et ses traces sur ceux dont la culpabilité de la survie revient sempiternellement les hanter, les habiter.Le rythme du montage et les choix des plans découpés au plus près du rythme de la narration: un exercice musical périlleux pour adapter un opéra si riche et intense. Le cinéma déjà encré dans l'écriture musicale et scénographique pour passer au delà des frontières de médium et porter cet opéra au zénith du genre!Un régal émotionnel rare et troublant: comme l'on y était et mieux encore.....Secret de fabrique magistrale démonstration de savoir faire et écouter du réalisateur!

Au Palais des Fêtes le samedi 17 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

"Do-ré-mi-ka-do" de Stilte : ka-deau ! En cadence et surprises multiples, une pièce à l'image de l'enfance : enfant-phare....

 


"Silte": Dans son sens actuellement le plus courant, c'est l'absence de bruit, c'est-à-dire de sons indésirables. Le silence absolu serait l'absence, impossible, de tout son audible. 
C'est aussi le nom de cette compagnie de danse convoquée dans le cadre de "Mini Musica" pour initier les tous jeunes "spectateurs" à une écoute et une appréhension des musiques d'aujourd'hui: on passe donc d'abord par le son et le visuel, le mouvement et la perception de l'espace Celui du danseur et le sien! Dans une des salles du Centre Chorégraphique de Strasbourg, haut-lieu de la formation professionnelle et amateure concernant surtout le jeune public, gradins et parterre accueillant parsemé de poufs douillets....Deux personnages nous attendent, lovés au sol: c'est le démarrage qui intrigue et conquiert: l'une est prise de petits spasmes réguliers du thorax comme une respiration naturelle, haussant le buste au rythme du métronome électronique manipulé par la seconde. La musicienne impulse à distance et manipule les soubresauts de l'autre Ce qui provoquent chocs et ondes au son de cette percussion singulière. Le corps de la danseuse, ainsi animé, contrôlé, effectue les directives sonores avec grâce et consentement. Jolie démonstration du pouvoir de la résonance sur un corps accueillant, à l'écoute: comme autant de sources d'inspiration et d'e-motion pour les sens en éveil.Suivent moultes péripéties sonores et corporelles, visuelles pour établir du lien avec les enfants et faire sourdre curiosité, surprise et enchantement.Objets-corps-images et sons à l'appui. Comme une grande boutique d'accessoires sonores incongrus à manipuler sans modération pour faire jaillir toutes les sources de sonorités perceptibles. Puis au milieu de la scène, une grosse boite s'anime. Mais que trouve-t-on à l’intérieur ? Un cadeau ? Dans un espace délimité par des néons de couleur fluos affublés de petites clochettes chamarrées, la musicienne et la danseuse entrent en dialogue. Elles jouent avec nos yeux et nos oreilles, tout en poésie, en son et en mouvement. Une aventure rythmique au cours de laquelle les couleurs deviennent musique — et la musique devient danse. Do-ré-mi-ka-do, c’est comme un paquet surprise qu’on ouvrirait tout doucement et qui transformerait notre perception.C'est aussi une participation des enfants à l'invitation des deux artistes qui au final offrent la scène comme terrain de jeu collectif. Parents et enfants, artistes y partagent des temps de manipulation des objets hétéroclites pour satisfaire leurs sens de la découverte. Mouvements sonores et sonorités animées pour laisser libre cour à l'imaginaire et à l'existence de "bruits" capables de séduire et d'induire une autre sémantique sensorielle. Un des buts du "Mini Musica", terrain sonore adapté aux "petits", terreau idéal pour mieux saisir l'occasion de bouger, guidé, impulsé par les sons et percussions du quasi quotidien!


danse | Donna Scholten
musique | Helene Jank
mise en scène et costumes | Jenia Kasatkina
décors | Ellen Knops, Jenia Kasatkina

Au centre chorégraphique le 17 Septembre dans le cadre de mini musica

samedi 17 septembre 2022

"A mi-mots" et sans fausses notes de gôut! L'Accroche Note dans le viseur! Et sans"apriori"!

 


Couple à la scène et dans la vie, Françoise Kubler et Armand Angster ont marqué la création musicale par leur générosité, leur engagement et leur soutien indéfectible envers les jeunes générations d’artistes.

À l’occasion du quarantième anniversaire d’Accroche Note, ils explorent la fusion des êtres musicaux à travers des duos pour voix et clarinettes et des créations pour ensemble. Au programme, un malicieux diptyque de Zad Moultaka et des créations des compositrices Zeynep Gedizlioglu et Daphné Hejebri. Le concert prend le titre d’une miniature de Georges Aperghis, À mi-mots, dédiée à Françoise et Armand avec lesquels il n’a cessé de collaborer depuis les années 1980.


Zad Moultaka
Armoise pour vidéo et clarinette (2011)

 C'est un démarrage en trombe que ce clin d'oeil malicieux de Françoise à Armand: elle, en image vidéo, femme virtuelle qui commente et parodie quelque peu son compagnon de route, son partenaire de vie et de carrière musicale. Une belle idée que voici que de brosser un portrait franc, direct, charmant et sans concession!Il est "juste et tempéré", exigeant et tutti quanti et ces remarques et constats touchent et font mouche.Même sans les connaitre, on adhère à cette figure de légende qu'est devenu le clarinettiste, qui bien sûr pendant que Madame cause, travaille et joue de son instrument, docile et apparemment sans tenir compte des qualificatifs qu'elle lui attribue en toute fausse confidentialité....Nous sommes donc les témoins de cette "déclaration" d'amour publique, si pudique et pleine d'humour, de distanciation!Boutade hors norme pour un duo, couple, une "paire" hors pair d'orpailleurs de la création musicale contemporaine.


Daphné Hejebrielle 
Nouvelle pièce pour soprano, clarinette basse et électronique (2022) - création mondiale 

Cris simulés de la chanteuse, emplis des sons réverbérés et cavernicoles de la clarinette basse.Sons de gorge, raclures, éraflures de la voix qui hachure les sons: c'est un vocabulaire singulier qui s'expose ici en autant de souffles et zozotements à fleurs de lèvres.L'émission de la voix se fait complice des sons de la clarinette basse qui, amplifiée, résonne et envahit l'espace.Avions,vrombissements à l'appui.Alors qu'elle susurre des chiffres à toute vitesse, ou file sa voix en longues tenues cosmiques, les hachures, brisures de tempi se succèdent à l'envi.On est projeté dans un univers étrange, entre départ de fusée ou navigation céleste de satellite dans une atmosphères de râles, de chuintements...Une pièce unique pour deux électrons libres!


Georges Aperghis
À mi-mots pour voix et clarinette (2022) - création mondiale

Et pas à demi-mots surtout!Voici un cadeau d'Aperghis à deux interprètes pétris de la malice et de l'audace de l'auteur.Dans une sorte de langue étrangère comme de langage de frappe de mains, se jouent toutes les variations du vaste répertoire d'Aperghis.Un récitatif, un inventaire, de courtes séquences sonores pour égayer le tout et le tour est joué.Et le talent de Françoise Kubler et Armand Angster pour servir un imaginaire sonore, une syntaxe débridée et pourtant si domestiquée.


Zad Moultaka
Moisare pour vidéo et clarinette (2022) - création mondiale 

Case départ pour cette seconde version du portrait: cette fois c'est à Armand, vautré dans un canapé, clarinette au poing, de passer au crible l'esquisse verbale de sa compagne.Débonnaire, décontracté, à lui à présent de s'emparer de cette tache jubilatoire: décrire, qualifier sa partenaire, rebelle ou consentante, timide ou insurgée, toujours "coquelicot", "coucou"ou à fleur de voix pour doubler ses propos, les renchérir, les chérir tant ils sont doux, tendres, sans concession.Une parodie de ses mots en chant et voix pour souligner ses dires et constats.Un duo hilarant, question-réponse-fantaisie légère, évocatrice, respectueuse et culottée en diable!Oser dévoiler l'autre, lui rendre ses lettres de noblesse: oser sans apriori toutes les expériences, d'artiste, de pédagogue aussi.Toujours beaucoup de bienveillance sans concession de la part des uns et des autres et toujours cet humour cinglant et bien placé pour couronner le tout.


Zeynep Gedizlioglu
N.N. 3:4 / Speak! pour soprano, clarinette et quatuor à cordes (2022) - création mondiale 

Beau "final" du concert que cet opus où chanteuse et clarinettiste adoptent ce mode fusion avec l'ensemble, se fondent entre les cordes pour encore mieux accueillir des sons et révéler leur talent de musicien, partageux, ouverts, accueillant. Rien ne semble leur échapper de cette composition complexe où les cordes posent leur acuité sonore dans un alliage surprenant de notes, de tensions et variations calculées à l'interstice près!

Très belle matinée musicale que ces mots tissés sur bien des métiers différents dans l'atelier de la création musicale d'aujourd'hui.

 Samedi 17 Septembre au TJP dans le cadre du festival Musica

Accroche Note
voix | Françoise Kubler
clarinette | Armand Angster

Quatuor Adastra
violons | Julien Moquet, Ernst Spyckerelle
alto | Marion Abeilhou
violoncelle | Antoine Martynciow