vendredi 23 septembre 2022

"Eblouissements": Kaija Saariaho en majesté.

 

Éblouissements

L’Orchestre national de Metz Grand Est s’associe à Musica pour clore le portrait consacré à Kaija Saariaho.Deux pages orchestrales qui encadrent la carrière de la compositrice finlandaise sont données sous la direction de David Reiland.Entourées de complices acoustiques inégalées.


Olga Neuwirth, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020)

La pièce d’Olga Neuwirth qui ouvre le concert, CoronAtion V : Spraying sounds of hope (2020), fait partie d’un cycle d’œuvres composées durant la période de confinement.C'est en fanfare martiale dissonante que démarrent ces hostilités musicales bienvenues!Aux accents joviaux, sortes d'hymnes nationaux en référence acoustique.Comme une lente marche avec cependant beaucoup d'énergie, de virulence, de clarté des timbres: un brillant solo de trompette comme gageure d'écriture, surprise et enchantement du tympan!En contrepoint, les percussions s'adonnent à faire vibrer le tout.

Kaija Saariaho, Trans (2015)

Son concerto pour harpe Trans composé en 2015 est interprété par l’un des plus éminents représentants de l’instrument, Xavier de Maistre. La rémanence des sonorités tenues de la harpe, reconduites par les cordes profile une atmosphère légère, délicate, subtile manipulation des cordes de l'instrument si beau à regarder aussi!Tout en délicatesse, l’orchestre ouvre des espaces et s’efface pour mettre en valeur la fragilité de la partie soliste.Doigté, virtuosité du jeu de l'interprète qui se balance au gré des impulses de cet instrument, spectaculaire objet de désir, de tendresse Les sons tourbillonnent dans l'ether, enveloppent la divine harpe, lui répondent comme à une muse inspiratrice de l'oeuvre. Fluide subtil, impondérable, remplissant les espaces situés au-delà de l'atmosphère terrestre.Légèreté des flûtes, sons fluides, hauts en couleurs.La harpe se fait frapper, l'ambiance monte en tension dans une atmosphère inquiétante.Les mouvements ondulatoires de la harpe, le xylophone en contrepoint et le paysage sonore s'amplifie, s'élargit, prend corps sonore et visuel. Tout l'art de Kaija Saariaho triomphe ici comme une petite symphonie lumineuse, irradiante, salvatrice.Volière de timbres multicolores et chamarrés en effervescence, ce monde, cette planère musicale enchante et fait voyager très loin au gré des modulations.

Kaija Saariaho, Verblendungen (1984)

Verblendungen, l’œuvre qui l’a fait connaître au milieu des années 1980 et dont le modèle est une trace de pinceau qui lentement s’effile. De bruits et de fureur; détonations, ample volume du son, espace habité avec rage et entêtement.Pour une puissance grandiose qui s'installe, se déploie et inonde l'atmosphère.Flux et reflux ascendants submergent, les percussions, délicates, perlent la musique, aérienne, vaporeuse.Tout semble tintinnabuler, fragile composition doublée de sons enregistrés diffusés simultanément. Une infime source de sons minimalistes, des bruissements ténus nous projettent dans un univers sensible.À partir d’un climax initial saturant l’espace harmonique se déploient des spectres de plus en plus épurés, jusqu’à la disparition de l’orchestre en un souffle.

Clara Iannotta, Darker Stems (2022) - création mondiale

Commande conjointe de Musica et de la Cité musicale-Metz, Darker Stems de Clara Iannotta est donné en création mondiale. Musique électroacoustique en premier abord, doublée par l'orchestre en live:flux et déversement de sons, décharge, déraillement sonore comme dans un chantier retourné, malmené. Cet opus plein de bruits, de sonorités identifiables-grues, objets telle une crécelle, des cartons frottés-fait l'objet d'une oeuvre très imagée.D’une portée autobiographique rare, la pièce a été imaginée durant une longue période de convalescence. La compositrice italienne dit y avoir transposé son expérience intime de la maladie : « À la manière d’un miroir intérieur révélant des pensées, des comportements ou des peurs cachées au fond de moi, un espace interdit au verbe, mais où le son peut se nourrir avant de s’écrire sur une page. » Douleur ou rédemption, rémission ou éternelle recommencement d'un grand corps malade, ressuscité par la composition, la création musicale, portée par l'enthousiasme d'un orchestre hors pair, voué à l'interprétation d'oeuvres majeures et inédites du futur répertoire contemporain!
 


Orchestre national de Metz Grand Est
direction David Reiland
harpe Xavier de Maistre

Salle du conservatoire Cité de la musique et de la danse le 22 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

jeudi 22 septembre 2022

"Hyper concert": L'Imaginaire et Hyper Duo en couple charnel et virtuel...

 


"Les ensembles L’Imaginaire et HYPER DUO, respectivement basés à Strasbourg et Bienne, s’associent le temps d’une soirée. Au programme, un florilège d’oeuvres d’une nouvelle génération de compositeurs et compositrices qui partagent un même sens de l’hybridation et du franchissement des frontières esthétiques : de l’incarnation pop aux écritures contemporaines, du geste instrumental mis en scène au corps virtuel à l’écran, de la pulsation régulière à la déconstruction rythmique… Le concert est aussi l’occasion de découvrir La Pokop, la nouvelle salle de spectacle de l’Université de Strasbourg et du Crous investie pour la première fois par Musica.—"

L’Imaginaire
Malin Bång Hyperoxic (2011):l'air de rien, un duo plein d'oxygène, flûte et micro-mégaphone, pompe à vélo...De quoi évoquer ce qui traverse les poumons des artistes: respirations, souffle à l'envi pour une pièce courte, pleine de vie: premiers cris et derniers soupirs de la vie musicale. L'air comme passeur de sons et d'énergie, d' oxygénation et d'euphorie de la ventilation.Un ballon bleu comme partenaire à lisser du bout des doigts, racler, frôler à l'envi.Joli métaphore du vent, des courants d'air et d'art qui animent ce morceau de choix d'aérobie musicale....


Daniel Zea Toxic Box (2020, nouvelle version 2022)

Deux avatars à l'écran, lisses, confondant de réalisme outrancier, made in pixel et autres truchements de l'image en 3 D...Pas vraiment "esthétiques" ces faciès de poupée Bela, reconnaissables, ceux  des interprètes, modélisés par la technique sophistiquée de nos machines iconiques.En tenue miroitante de circassien, les interprètes prennent la scène et délivrent en live de la musique acoustique! Laqué, or et argent, pailleté, le show se glisse sous les images, transformistes: femme et homme pudiquement torse-nu, créatures troncs, tronquées au profit de jeu de bouche étirée qui dévoilent des dentitions monstrueuses. Avatar bâtard, vernaculaire icône des corps dénudés, insipide image nette et aseptisée d'une musique pourtant riche et florissante. A quoi bon tant de chichis pour épauler de façon lisse, ces corps ternis par la fadeur des contours immaculés. Trio à l'image qui peu à peu va prendre sens dans de belles juxtapositions de tons et d'images de masques, d'objets hétéroclites..A toute vitesse défilent ces tableaux, dignes d'un musée ethnographique, quai Branly de l'électroacoustique: bricolage et science au poing! Le rythme mécanique s'emballe, s'accélère, les images se catapultent dans cette modélisation désuète et démodée-volontairement ou pas- kitsch à mourir!Quand son et image ne se rencontrent pas, l'absence fait irruption dans ce jeu de massacre aux bouches déformées par les impacts percutants de l'électronique. La beauté canonique des "modèles" agace, ces masques de tonneau de vin s'affolent dans la pixilation du montage : hommes et femme tronçonnés par l'acoustique, déplacés, défigurés.Gueules cassées sur champ de bataille des années passées...Grimaces et rictus à l'appui....
L' Imaginaire sur la voie mutante des musiques nouvelles, ne convainc pas vraiment. Ni par ses costumes pailletés et scintillant...
On songe avec nostalgie au travail de N+N Corsino avec le compositeur Jacques Diennet pour des vidéo-danse modelées par le 3D avec poésie et "e-motion capture" , pixels de  haute voltige ! (Seule avec Loup)......

Hibiki Mukai L'Adieu aux sirènes (2022): flûte, piano,saxophone pour une belle osmose entre images vidéo et musique. On se prend au jeu du "visuel", le regard attrapé, saisi par la beauté de couleurs en mutation, de volutes multiples qui ondoient, divaguent, se lovent sur l'écran: de plus bel effet esthétique. Tel un kaléidoscope chamarré, les images se diluent, gracieuses et savoureuses partition d'imagerie "pop"de bon aloi.Tout dégouline, pleure et fond dans l'oeil pour mieux souligner en contraste les effets musicaux plus radicaux.Des visages aussi qui se métamorphosent, en morphing épatant, des masques et toujours de la dissolution qui se répand sur l'écran.Ondes et méandres en mutation.Quelques trolls, mangas ou autres personnages emblématiques de la pop culture: musique panique autant que zen...Des tracés aussi, verticaux en noir et blanc, des mires de couleur, éphémères et un solo de flûte orné de tracés graphiques adaptés à la vertical-horizontal du jeu de Keiko Murakami...Une pièce du plus bel effet visuel pour créer un univers spatial et cosmique remarquable!Danse finale pour se libérer des technologies en ombres chinoises pour la beauté du geste, libéré, débridé!

flûte | Keiko Murakami
saxophone | Philippe Koerper
claviers | Gilles Grimaitre
électronique, régie vidéo | Daniel Zea
ingénieur du son | Jean Keraudren

HYPER DUO
Gilles Grimaitre & Julien Mégroz Cadavre exquis (nouvelle version avec vidéo,
2022) - création mondiale

Petit changement de programme pour Hyper Duo qui nous laisse découvrir le fruit d'une expérience singulière: des cadavres exquis musicaux mis en image par leur complice Emmanuel Vion Dury. Un film fabriqué de douze séquences désopilantes: le jeu des musiciens au service d'une mise en scène aléatoire, faite de situations extrêmes, loufoques, incongrues. Des images phrases pour une interrogation entre rythme musical et rythme de montage. Pour le meilleur d'une fantaisie filmique, iconographie joyeuse d'images en vrac.Le clou de ce "vidéo-clip" hors norme: l'examen de fin d'année de conservatoire musical des deux protagonistes Julien Megroz et Gilles Grimaitre: une saynète burlesque haute en couleurs,costumes, accessoires, décor à l'image de leur imaginaire: cocasse, drôle, décapant autant que savant. Là réside leur art de déplacer les éléments, d'en faire une architecture méritante qui tient la rampe et qui, solide, se livre à nous en toute modestie!Un "objet" nouveau donc rare qui leur appartient et nous laisse augurer de bien des perspectives singulières encore à venir.

HYPER DUO 

claviers | Gilles Grimaitre
batterie | Julien Mégroz
régie vidéo | Daniel Zea et Emmanuel Vion-Dury
ingénieur du son | Jean Keraudren

A la POKOP LE 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

 

mercredi 21 septembre 2022

"Journal de bord": Alessandro Bosetti: et la nave va!

 


« Il s’agit du journal de bord de ma mère — le début d’un voyage en voilier de Gibraltar aux îles Canaries qui a marqué sa rupture familiale, laissant derrière elle famille et enfants en bas âge, et qui allait durer plusieurs années. En 1978, au moment de son départ, je n’avais que trois ans. » Quelques décennies plus tard, Alessandro Bosetti découvre ce carnet et décide d’en faire la matière d’une autobiographie musicale. Il enregistre sa mère lisant le texte, lui superpose sa propre voix et en retire une pièce au croisement du théâtre musical et du drame radiophonique. Une œuvre très personnelle dans laquelle le compositeur retrace un segment perdu de son enfance.

Un genre bien singulier que cet opus qui nous entraine dans la cartographie sonore et visuelle d'un voyage au long cours, cabotage au gré des péripéties d'un navire, goélette ou autre embarcation de rêve ou de fortune!Conte épistolaire ou journal de bord, voici une aventure haletante ou toutes les péripéties sont contées de vive voix en italien, au flux rapide et efficace: sorte de comptine sonore qui percute dans un rythme affolant, prenant, du début à la fin: on vogue, on chavire , on ne coule jamais dans cette tempête verbale nourrie de véracité, d'authenticité incroyable. L'empathie gagne le spectateur à l'envi et cette ode à la navigation, jamais à la dérive est comme une jolie débâcle de sons, de paroles et de virtuosité d'interprétation. Textes et images défilent comme des calligrammes poétiques et l'on suit cette odyssée avec joie, plaisir et sympathie. Un bon moment inventif et passionnant de navigation légère sur goélette improbable...Un genre nouveau d'écriture, de partition, corps-texte d'une imagerie musicale inédite..Et la nave va bon train!

Au TJP le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

 

 


conception, composition, voix et électronique | Alessandro Bosetti
guitare électrique et shamisen | Kenta Nagai
clarinettes, voix | Carol Robinson
percussions, voix | Alexandre Babel

Au TJP le 20 Septembre dans le cadre du festival MUSICA