vendredi 30 septembre 2022

"Until the Lions": Thierry Pécou en mudras musicaux....

 


Création mondiale. Nouvelle production de l’OnR. Dans le cadre des 50 ans de l’OnR.


Opéra en un prologue et trois actes.
Livret de Karthika Naïr.
Adaptation partielle de son livre Until the Lions: Echoes from the Mahabharata.

En préambule"....Au jeu des trônes, les gagnants d'hier sont souvent les perdants de demain. Alors que le roi de Kasi s'apprête à célébrer la cérémonie du svayamvara au cours de laquelle ses trois filles devront choisir un mari à l'issue d'un tournoi, il néglige d'inviter la famille royale de Hastinapura. L'affront déclenche la colère de la reine-mère Satyavati qui cherche à marier son fils Vichitravirya. Elle envoie en représailles son beau-fils, le chaste guerrier Bhishma, vaincre tous les prétendants et enlever les trois princesses. Seule Amba, réputée pour son esprit de liberté et d'indépendance, refuse de se soumettre. Humiliée par Bhishma, elle jure de provoquer sa perte, dans cette vie ou dans une autre, quitte à devenir un homme et prendre les armes à son tour.
Le Mahabharata est une immense épopée sanscrite consacrée aux aventures guerrières de deux branches d'une même famille royale descendante de l'empereur Bharata, fondateur légendaire de la nation indienne. La poétesse Karthika Naïr en propose une vision inédite et renouvelée, en donnant la parole à ses personnages féminins dont les voix sont habituellement passées sous silence. Le compositeur français Thierry Pécou signe la partition de cette fresque mythique et spirituelle donnée en création mondiale dans une mise en scène de la chorégraphe indienne Shobana Jeyasingh."

La danse s'y taille la part belle d'emblée.: guerriers aux gestes tranchés, écarts du bassin à la Béjart, attitudes bien campées, solidement sur leurs jambes. Sauts et virevoltes pour les hommes à l'unisson, gestes plus "maniérés" pour les six femmes. Les costumes donnent le ton; un soupçon d'exotisme à l'indienne, mais pas d'outrance populaire bigarrée!Très puissante musique au diapason de cette démonstration de forces et de puissance chorégraphique. Le décor comme support à la présence des chanteuses et de la narratrice, vue du haut de sa fenêtre. Décor lisse et métallique, froid et vertigineux.Deux carcasses de chevaux collées à la paroi: Berlinde de Bruyckere ou Morizio Cattelan en référence évidente..

morizio cattelan

berlinde de bruyckere

Des combats de corps en duo, duels de prises quasi de qi qong ou karate, des roulés au sol, de la capoeira en référence d'énergie, de poses, d'attitudes dansées.Un chef au centre d'un cercle chamanique ou chacun se déplace, menaçant, englobant l'espace qui se ferme, se rétrécit à l'envi.De belles ombres portées magnifient la danse, la transcende en images virtuelles inaccessibles iconographie mouvante. Les chanteuses, la musique portent la dramaturgie. Les costumes des femmes,rouges vermeil, incarnat, aux plissés comme des éventails, soulignent l'amplitude des mouvements s'identifiant à la statuaire indienne ou aux arts martiaux.Grâce et fluidité mais également inspiration des mouvements tranchés et saccadés des mudras. Un style parfois "Béjart", extatique et inspiré, spirituel et très habité par les interprètes du Ballet du Rhin.Coiffes et couleurs des costumes entre mordoré, métallique et or, très structurés dans leurs contours, plissés à la Fortuny.Des attitudes à la Ida Rubinstein, coudes croisés sur la poitrine, attitudes langoureuses, rêveuses au sol...

Profils et déplacements vifs et chorégraphiés de main de maitre par Shobana Jeyasingh à l’égyptienne parfois comme pour des frises romaines aussi.Un beau panel de références qui touche par la beauté des alliages et alliances qui se fondent, se confondent.
Au final un roulé au sol à l'unisson, alors que cendres et flèches rappellent que la lutte, le combat, le corps à corps font aussi rythme et musique, narration chorégraphique et soutien de l'action de cet opéra très contemporain de Thierry Pécou.

 

Direction musicale Marie Jacquot Mise en scène, chorégraphie Shobana Jeyasingh Décors et costumes Merle Hensel Lumières Floriaan Ganzevoort CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin, Chœur de l'Opéra national du Rhin, Shobana Jeyasingh Dance, Orchestre symphonique de Mulhouse

Satyavati Fiona Tong Bhishma Cody Quattlebaum Amba Noa Frenkel Femmes témoins de la guerre, Suivantes royales Mirella Hagen, Anaïs Yvoz

 


jeudi 29 septembre 2022

"Music in the belly": ventriloque, tripal et démiurge Simon Steen-Andersen! Les contes d'Andersen sont fabuleux...


Simon Steen-Andersen rend hommage à Karlheinz Stockhausen en mettant en scène son rêve d’une musique dans le ventre...

En 1975, Karlheinz Stockhausen composait une œuvre énigmatique à l’attention des Percussions de Strasbourg. Sa partition contenait davantage d’indications scéniques et de didascalies que de musique à proprement parler — et cette musique consistait en douze mélodies liées aux signes du zodiaque, le cycle Tierkreis, et matérialisées par des boîtes à musique que le compositeur fit lui-même fabriquer. L’idée de la pièce comme son titre lui étaient venus de la surprise de sa fille Julika découvrant à l’âge de deux ans de petits bruits à l’intérieur d’elle-même, des gargouillements d’estomac : « tu as de la musique dans le ventre », lui avait-il répondu. Quelques années plus tard, il se réveilla subitement un matin après avoir rêvé la pièce et la coucha sur le papier.

Des voix et cris d'enfants sur font de silhouettes , ombres chinoises qui ondulent sous des lumières rougeoyantes, et courent à toute vitesse dans ce vermeil lumineux...Bruits de vagues...Six personnages féminins en quête d'auteur arrivent sur planches à roulettes fluorescentes dans la semi-obscurité: le ton est donné dans cet univers rouge, interne, organique.Très bel instrumentarium, de plaques de fer suspendues, de trapèze musical, animé par les manipulatrices; sur trois établis, en fond de scène, trois interprètes s'adonnent à faire résonner des calices renversés grâce à des micro qui scannent le son. Un univers médical, chirurgical s'invente peu à peu et l'on voit et regarde la musique avec attention. Théâtre visuel de fantasmes, de rêves ou de cauchemars quand un mannequin descend des cintres, tel un oiseau pris au piège dans des filets malins.Des reflets magnifiques au sol trempé d'eau, liquide salvateur de cette opération à coeur, à ventre ouvert.Un téléphone rouge comme commanditaire de ces actions médicales, en direct, opération curieuse qui révèle trois boites à musique, sorties du ventre du pantin muselé, corbeau maléfique qui accouche de musique enfantine, simpliste.Des xylophones de couleur pour enfants soulignant cet aspect sobre, enchanteur de devin, de magicien du plateau...Les micros sondent les sons des calices comme autant d'instrument d’échographie sonore.Le laboratoire s'anime, se fait antre magique, fantastique ambiance de science fiction délirante.Deux toupies pour perdre les repères, de belles envolées fluorescentes comme les ailes d'éoliennes tranchant l'éther, manipulées en rythme. Un tableau pictural éphémère de toute beauté. Des balanciers dans des carrés de lumière pour recueillir les organes des boites à musique extraites par ces chirurgiennes diaboliques et le ventre de Stockhausen se vide de ses tripes virtuelles avec dextérité. Les roues des planches toujours fluorescentes comme des signaux navigant sur les ondes circulaires de l'eau qu'elles déplacent au sol.Six femme en noir et blanc, cravates comme officiantes de cette messe solennelle. Les percussions de Strasbourg toujours à la pointe de la création et de l'audace!


première représentation de la nouvelle version

musique Karlheinz Stockhausen
concept, mise en scène, électronique Simon Steen Andersen

Les Percussions de Strasbourg
Lou Renaud-Bailly, Olivia Martin, Vanessa Porter, Léa Koster, Hsin-Hsuan Wu, Yi-Ping Yang

construction des décors | Albane Aubin
régie générale | Claude Mathia, Étienne Démoulin, Raffaele Renne

mercredi 28 septembre 2022

"La femme au marteau".... sans maitre au Mobilier National...Literie, lutherie fantastique...Musique de chambre à coucher...


Silvia Costa met en scène un récital théâtral autour de la figure de Galina Ustvolskaya (1919-2006).

La compositrice russe, élève de Dmitri Chostakovitch, mena une recherche esthétique radicale et personnelle, en rupture tant avec le style de son maître qu’avec les attendus soviétiques. Elle fut alors surnommée, en raison de son écriture brute et percussive, « la femme au marteau ». Ses Six Sonates pour piano composées entre 1947 et 1988, ici interprétées par Marino Formenti, en sont l’expression emblématique.

Dans un brouhaha obscur, se dessine sur le plateau occupé par un immense piano, une silhouette de vampire, sorte de Loi Fuller affublée d'un tissu noir...Le monstre surgit, danse, écarte les ailes, se fait oiseau de malheur et augure d'une ambiance et atmosphère bien singulières...Alors que le piano impose sa présence, forte ou ténue pour inventer des images sonores saisissante Une iconographie qui va soutenir la pièce tout du long comme ces gravures de Kollwitz, Boeklin, Klinger ou Topor ,mouvantes, chancelantes.


Un lit pour couche et espace à se mouvoir pour une créature dévêtue, osseuse, décharnée,maigre corpulence fragile et inquiétante, à demi-nue...Lit d'un mort qui claudique, éructe, un talon haut chevillé à la jambe.Étrange image mouvante...Le surréalisme est proche et envoutant à l'écoute des sonates qui martèlent un univers inouï..Les oreilles n'ont pas de paupières pour dissimuler ces sons outrageux, virulents, envoutants."Je danse"murmure la bestiole diabolique qui rampe sous le piano et y opère sa métamorphose sous nos yeux.Sonate dégingandée, désarticulée, en miettes époustouflantes intonations parfois insupportables...Tombeau ou stèle funéraire, le couchage de cette créature intrigue, interroge l'imaginaire.Les chambres se succèdent, magasin de lits chacun à la mesure de son occupant: le second sera la couche d'une femme insolite, à la valise, en robe de chambre, souliers escarpins à la Goya, qui vient engrosser une houppelande de ses vêtements, puis les châtient en coups et blessures virulents. Frappes, coups et blessures de chacun des êtres qui viendront peupler ce décor énigmatique. Fantaisie ou fantastique appréhension du monde sonore de la pianiste en référence.Un lit à baldaquin fait suite, plus cosy pour un récit sonore apaisé.Les marteaux du piano travaillent, percutent pour ce corps scénique anatomique, cette leçon d'autopsie musicale, chirurgicale impressionnante...Un jeu de scrabble comme alphabet, virelangue original pour tromper le sens des mots, gravés sur le lit ou assemblés en direct par la quatrième protagoniste de cette cérémonie insensée

Magie et pharmacopée, fantastique univers, iconographie scénique et plastique pour un voyage onirique sans pareil, une navigation dans le temps, martelé par les accents virulents du piano malmené par Marino Formenti de main et coudes de maitre...Une grande oreille, objet de curiosité pour amplifier le son de cette mer ravageuse, envahissante, au flux et reflux entêtant, obsédant...

 « Dans la musique de Galina Ustvolskaya, nous dit Silvia Costa, il y a un noyau essentiel, une simplicité militante, une pureté venue d’un autre monde. C’est le son d’un voyage sans halte, dans le cœur d’une vision intime, pulsante, construite avec obstination à chaque coup que les doigts et leurs articulations infligent au clavier, forgée et sculptée avec l’insistance d’un forgeron qui bat le fer pendant qu’il est chaud. La musique de Galina ne ressemble à aucune autre. Dans cet univers sonore, aux motifs inattendus, embrasé de fffff, j’ai entrevu des images de chambres à coucher, de grabats aperçus à travers des portes laissées entrouvertes. Dans ces atmosphères raréfiées et privées de mélodies, j’ai vu des fragments de récits, des tableaux vivants où trouvent place des désirs, des peurs, des visions, des figures saisies dans l’instant intime où elles se confrontent avec la noirceur et le nerf de l’âme. »

Galina Ustvolskaja Sonate no 1 à 6
interprétées par Marino Formenti

mise en scène et scénographie | Silvia Costa
avec Hélène Alexandridis, Marief Guittier, Anne-Lise Heimburger, Rosabel Huguet Dueñas, Pauline Moulène ainsi qu'une petite fille et un figurant choisis sur place

costumes | Laura Dondoli
création sonore | Nicola Ratti
lumière | Marco Giusti
textes | Umberto Sebastiano
assistanat | Rosabel Huguet Dueñas