jeudi 20 octobre 2022

"Dernier Tango" à Strasbourg....avec le couple Monniot Ducret! Aux origines de la musique cinéphilique masculine....et de caractère!

 


"Voilà bien une vingtaine d’années que Marc Ducret et Christophe Monniot s’invitent régulièrement dans leurs orchestres et projets respectifs (Ozone et Moniomania pour l’un ; Qui parle ? et Métatonal pour l’autre), tissant ainsi la trame d’un « territoire commun » en éternelle recomposition. C’est aujourd’hui en duo qu’ils poursuivent et développent leur dialogue, choisissant dans cette formule à haut risque de jouer la carte d’une sorte de mise à nu expressive et émotionnelle. Travaillant sur la tension entre écriture et improvisation à travers une série de compositions audacieuses et sophistiquées, ces deux électrons libres inventent une musique à nulle autre pareille, à la fois très tenue et follement expressionniste — toute en déflagrations d’énergies contrôlées." 

Il faut les voir de si près, ces deux compères débonnaires, modestes et talentueux interprètes, nous livrer leurs fantaisies sonores au gré de leurs inventions, improvisations et autres trouvailles musicales de haute volée. L'interprétation sur le fil de la virtuosité "masquée", sincère marque de fabrique et de facture instrumentale. L'un aux "saxophones" et ses trois membres de la famille des vents, l'autre à l'unique guitare en en faisant sourdre et éclore des sons tantôt irritants, tantôt quasi lyriques...Démarrage avec "Yes, Igor", un titre énigmatique non revendiqué dans ses origines où se construit peu à peu leur relation de dialogue, questions-réponses virulentes ou édulcorée par des harmoniques insoupçonnées.Le son du saxo quelque peu à la Barbieri, chaleureux, sensuel ou Garbarek, lointain, évaporé.. Curieuse coïncidence sonore:"Un dernier tango" en référence à la musique de Gato Barbieri pour le film au titre éponyme et le tour est joué: ils nous emmènent sur des chemins de traverses très inspirés, entre plagia caricaturé très subtil où la "mélodie "basique et répétitive, se transforme, se déplace, subit des métamorphoses rythmiques et sonores acoustiques, humoristiques et décalées. Salvatrice déambulation des sons et des mesures au profit d'une nouvelle  pièce où le tango est bien comme à ses origines, une danse d'hommes aux abois, traqués et magnifiée dans leurs déplacements angulaires, sensuels et directionnels...Encore quelques bons "morceaux" de bravoure décoiffant dont une pièce au titre évoquant la Thailande ou Birmanie, "Bishapour" et le concert s'achève par une courte composition, vive, brève qui semble tout dire ou tout condenser des talents respectifs de chacun autant que de la réussite de leur conjugaison. en osmose avec leur inventivité fertile et chaotique!

Ce concert marque la sortie de l’album Dernier Tango sur le label Jazzdor Series.


En partenariat avec la BNU le 19 Octobre auditorium de la BNU JAZZDOR



vendredi 14 octobre 2022

"Iphigénie": torride et magistrale! Eole, dieu du vent, en poupe et fracas guerriers.Aurores boréales au poing.

 


"Agamemnon doit partir pour Troie afin de ramener Hélène, épouse de son frère Ménélas. Il n’y a pas de vent, la flotte ne part pas. Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, doit être sacrifiée. Elle décide de mourir. Cette mort lui appartient, insiste-t-elle. Parole libre et solitaire d’une intimité irréductible. Dans une langue limpide et chorale, Tiago Rodrigues réécrit Iphigénie d’Euripide avec l’enjeu de questionner l’insoutenable tragédie du sacrifice et de la déjouer en plaçant Iphigénie dans la réappropriation de son destin. Anne Théron expose l’ambiance angoissante de cette tension entre une histoire dictée par les dieux et une jeune fille surprenante dans son inaliénable libre-arbitre."

Dans des vrombissements, des grondements sourds de vols aériens d’hélicoptères, la semi pénombre révèle peu à peu la présence de personnages évanescents, spectres dans le noir.Les déplacements orchestrent l'espace, sorte d'archipel de petites îles, creusées, laissant des passages en rigoles pour les corps des personnages.Tous vêtus de noir, strictes, dignes et solides dans leurs attitudes, postures et allures. Deux femmes se mettent à l'écart en commentaires sur le destin d'Iphigénie, sur le contexte, nous racontant comme les deux éléments d'un choeur grec féminin, la colère des femmes d'ici...L'une se met à danser, bras levé, en pose singulière et très classique beauté sculpturale. Le tempo est tranquille comme une partition mesurée, dosée, au rythme laissant percevoir les petits détails, la gestuelle et la diction posée de chacun. Exceptée la colère qui éclate et trouble ces placements savamment organisés.Le climat de combat aérien reprend, alors qu'en fond de scène des images de paysage maritime, bruits de marée houlante,mouvant, changeant, métamorphosent l'atmosphère: en noir et blanc scintillant, lune, nuages se succèdent pour obscurcir l'espace ou en faire un beau découpage de silhouettes noires...Les deux femmes se mettent à danser, l'une fluide, tournoyante, sorte d'imploration, de prière, d'écho au drame ambiant. Sa danse, celle de Fanny Avram, telle une Martha Graham empreinte de contractions et libérations utérines.On la connait par "Chto interdit au moins de quinze ans" comme danseuse comédienne. Chorale des deux corps dansant, lamentation salvatrice du corps en colère! Thierry Thieu Niang, collaborateur chorégraphique, compagnon des gens de théâtre pour les faire "bouger" comme nul autre metteur en corps des mouvements, de l'e-motion de Nikolais...Dans le texte de Tiago Rodrigues soutenu par la mise en scène de Anne Théron, tout s'anime, se joue au mot, au geste près, millimétrage fluide et passionné du petit bougé lyrique, ténu.Un spectacle où la mythologie séduit, concerne, touche et anime l'empathie de ceux qui attendent "le vent", celui qui emportera la flotte, les maux pour un sacrifice sur l'autel des alizées, du blizzard là où Éole se déchaine et se rend , prend le pouvoir martial de pousser les humains dans leurs retranchements.

Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais, a dirigé le Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne (2014-2021) et dirigera le Festival d’Avignon après l’édition de 2022. Publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, il s’inscrit dans un dialogue avec le patrimoine littéraire (Bovary, Antoine et Cléopâtre). On lui doit notamment les spectacles Souffle, By Heart. Anne Théron, associée au TNS depuis 2015, développe une démarche qui vise les écritures contemporaines (Christophe Pellet, Alexandra Badea, Frédéric Vossier) comme une recherche théâtrale convoquant les outils du cinéma

Au TNS 13 oct au 22 oct 2022

mardi 11 octobre 2022

"L' Avis de Marguerite": la vie devant soi, rue et absinthe, onguents de sorcières...La palette d'un lavis d'outre-noir très pictural.

 



"Sa jeunesse sembla belle, son amour sembla joyeux…"

« Je grandis et me transformai en belle jeune fille. Tout était parfait. Ou presque. Il se trouva qu’en grandissant, je sentis une tristesse naître en moi, se former dans mon ventre comme une boule noire et dure qui ne me quittait plus, une sensation lourde et pesante, venant de très loin, d’en deçà de mes tripes. J’en fus fortement troublée, mais ne dis rien à personne. »

Surnommée « la boudeuse » par les habitants de Bergheim, Marguerite Möwel est sujette à de sombres présages : une grossesse hors mariage, un enfant mort à la naissance, des villageois qui l’évitent puis la guerre et la famine… Mais en 1582, il ne fait pas bon être mise à l’écart. Brûlée vive comme sorcière, son âme tourmentée hante toujours le village, en quête de justice ou de vengeance…

Depuis I Kiss You ou l’hétéroglossie du bilinguisme, Catriona Morrison fait parler les femmes dans toutes les langues, celles du cœur, de la vie et même de l’au-delà. Sur scène, deux comédiennes donnent voix à la mystérieuse dame blanche : une voix à capella psalmodiant une entêtante mélopée et une voix brisée par des souffrances trop longtemps tues.


 

A travers le noir, la semi-obscurité apparait un corps tronqué, un visage réjoui, souriant. Une fillette sans doute, charmante, grassouillette en chemisette légère, nuisette ou sorte de lingerie légère. Elle conte, raconte sa jeunesse heureuse, bercée puis entachée de nuisance, de rencontres pas toujours recommandables. La diction est franche, enfantine, claire et limpide.Là change son destin, ses couleurs s'effacent, sa joie de vivre s'envole et son fasciés s'éteint. Elle devient la proie des ouï-dire malfaisants et sa grand-mère qui lui enseigne et transmet son savoir magique et maléfique à propos des vertus des plantes, la nourrit de fantasmes et de sorcellerie...Les vertus de l'absinthe, de la rue et autres tiges et herbes magiques sont de très beaux prétextes à diction et gestuelle, rare et précieuse: vitesse, vélocité et langage des mains, des bras se font chorégraphie précise, millimétrée. Ivan Favier y est sans doute pour beaucoup dans cette mise en mouvement judicieuse et magnétique. Aux accents nets, aux contours subtils.C'est beau et éclairé subtilement pour mieux donner du relief à ces recettes et potions de magie opératoire, divinatoire.Une doublure dans la pénombre, spectre suspendu à ses dires, chante et ponctue cette prestation de comédienne qui séduit, accroche et tient en haleine Quelques belles dissonances à deux et se confondent narratrice, personnage et ectoplasme...Toujours dans le noir énigmatique des légendes d'autrefois. Soudain la lumière l'emporte sur le rêve et les deux protagonistes apparaissent en plein jour, contemporaines pour dévoiler et replacer le mystère dans des temps anciens, mais pas révolus puisque les filiations perdurent, la transmission opère et tout s'enchaine secrètement en famille Le récit va bon train, retourne au bercail pour évoquer à nouveau le passé et osciller entre temps présent et moyen âge où la chasse aux sorcières était de mise pour écarter les "mauvaises herbes", leur couper le pied et la langue, brûler les corps et évacuer les croyances païennes! Le jeu de Sophie Nehama, sobre, convaincante, charmante et enjouée, charnel, incarné Son double, Marie Schoenbock,avatar en herbe, vocalise à ses côtés, suspendue dans l'apesanteur d'un éclairage à point nommé: distillant la lumière parcimonieusement pour enchanter l'atmosphère et créer un univers étrange, inaccessible et lointain. Un spectacle envoutant pour ravir et posséder nos âmes dans une fantaisie douce, autant que cruelle sur notre monde désenchanté! A vos marmites, l’élixir est gouteux et la potion magique opérante!Un univers très pictural, lavis, encre noire pour oeuvre au noir, à l'outre noir,la vie derrière et devant soi. 

Le spectacle a été présenté en juillet dernier au festival OFF d’Avignon 2022.

Distribution

Avec Sophie Nehama, Marie Schoenbock (chant)Assistanat à la mise en scène Gaëlle Hubert Création lumière Bathilde Couturier Composition musicale Sébastien Troester, Marie Schoenbock Direction musicale Sébastien Troester Création sonore Christophe Lefebvre Création costumes Carole Birling Accessoires Gaëlle Hubert Construction décors Christophe Lefebvre Regard chorégraphique Ivan Favier Production Stéphanie Lépicier – Azad production

TAPS – Théâtre Actuel et Public de Strasbourg
du 11 octobre au 14 octobre