vendredi 21 octobre 2022

"In C" Sasha Waltz & Guests, Terry Riley : une milli-maitre à danser d'un plan séquence kiné-matographique!

 

yanina isla photo

"Après la reprise de "Allee der Kosmonauten" en 2020, la compagnie Sasha Waltz & Guests revient au Maillon avec un nouveau projet, créé pendant la pandémie.
À partir de l’œuvre "In C" de Terry Riley (1964), étape essentielle dans l’histoire de la musique minimaliste, la chorégraphe compose une œuvre fluide et colorée. Inspirée par les 53 phrases musicales qui constituent la partition originale, elle a conçu 53 enchaînements de mouvements, dont s’emparent les danseurs et les danseuses pour une composition variable. Habillé·e·s de teintes variées soulignées par le jeu d’un éclairage changeant, les interprètes se livrent à un envoûtant tissage de mouvements. "
 
Silence...Moteur, ça tourne! Et c'est parti pour un long plan séquence de cinquante minutes...En prologue, sur un fond de scène à la Rothko, rouge sang dégradé, les danseurs animent le plateau immense encore vide , longues silhouettes noires se découpant dans l'espace vierge.Marches, courses dans le silence, échappées belles, traversées: tout un vocabulaire, un phrasé , une syntaxe légère au souffle aérien.En reprises, portés, les segments de corps épaulés, têtes désarticulées.Dans des vêtements légers, shorts, bermudas, couleurs pastel, hommes et femmes gravitent, en décalé ou à l'unisson, onze en permanence sur le plateau.En phrases en canon, en arrêt sur image: l'art d'isoler l'un ou l'autre dans une pose atypique signé Sasha Waltz: celui que l'on attrape au vol, zoom incroyable alors que les autres continuent à se déplacer en lignes, diagonales ou se regrouper.En tuilage aussi. Assemblages, alliages de gestes jamais identiques, construits comme des architectures singulières.Les bouts des doigts s'animent, port de tête en l'air pour des ralliements de groupe, ou par couches successives de corps, façonnant des sculptures changeantes à loisir...Et la musique de déferler, répétitive sans être obsédante, mouvante, faite quasi sur mesure pour les redites et répétitions de construction-déconstruction de la chorégraphie.Telle une palette graphique qui se métamorphose sur fond d'éclairage, virant vers la blancheur jusqu'à celle du sol qui découpe les corps en ombres portées .Des saccades en angles droits se multiplient, le sol attire peu à peu les corps, de petits groupes se forment, les repoussés en ligne de mire. Comme un maitre à danser la chorégraphe a le compas dans l'oeil ou le fil à plomb d'aplomb en objet de fabrication: instruments de mesure, de comptage pour cette performance qui rappelle le "Dance" de Lucinda Childs et Philipp Glass....Une prise intégrale de la scène se dessine, les corps se posent en amas, en architectures horizontales, arabesques à l'appui, figures quasi classiques pour cette valse sempiternelle des interprètes lancés comme des salves sur le plateau.Libres électrons dirigés de main de maitre par la Dame de Fer! Enchevêtrements des corps, bras en envolées, amplitude, lenteur, lignes et ombres: l'abécédaire se retrouve, fidèle signature insensée de Sahsa Waltz....Un peu de mouvance Trisha Brown dans la fluidité, entre les saccades virulentes des gestes automatisés....Le crescendo de la musique de Terry Riley,envahissante, hypnotique, enivrante bat son plein...Mécanique infernale lâchée, millimétrée comme toutes ses apparitions structurées pour un plan séquence sans faille où tout bascule vers l'un ou l'autre en focale, alors que suit la danse collective déferlante simultanément.Sauts, avancées, reculés comme leitmotiv d'écriture, de calligraphie où les respirations sont courtes, les levées rarissimes, les soupirs et point d'orgue, absents au répertoire! Une musicalité de chaque instant ou l'épilogue rejoint le prologue dans le silence: seules les frappes des pas martelés au sol résonnent pour ce petit groupe compact, soudain pétrifié dans l'immobilité...
 
Au Maillon jusqu'au 21 Octobre
un maitre mètre à danser


Le maître à danser est un compas à longues branches croisées, attachées ensemble par le milieu, qui sert à reporter une épaisseur ou un diamètre intérieur, principalement en horlogerie. Son aspect fait penser aux bras et aux jambes d'un danseur.

jeudi 20 octobre 2022

"Dernier Tango" à Strasbourg....avec le couple Monniot Ducret! Aux origines de la musique cinéphilique masculine....et de caractère!

 


"Voilà bien une vingtaine d’années que Marc Ducret et Christophe Monniot s’invitent régulièrement dans leurs orchestres et projets respectifs (Ozone et Moniomania pour l’un ; Qui parle ? et Métatonal pour l’autre), tissant ainsi la trame d’un « territoire commun » en éternelle recomposition. C’est aujourd’hui en duo qu’ils poursuivent et développent leur dialogue, choisissant dans cette formule à haut risque de jouer la carte d’une sorte de mise à nu expressive et émotionnelle. Travaillant sur la tension entre écriture et improvisation à travers une série de compositions audacieuses et sophistiquées, ces deux électrons libres inventent une musique à nulle autre pareille, à la fois très tenue et follement expressionniste — toute en déflagrations d’énergies contrôlées." 

Il faut les voir de si près, ces deux compères débonnaires, modestes et talentueux interprètes, nous livrer leurs fantaisies sonores au gré de leurs inventions, improvisations et autres trouvailles musicales de haute volée. L'interprétation sur le fil de la virtuosité "masquée", sincère marque de fabrique et de facture instrumentale. L'un aux "saxophones" et ses trois membres de la famille des vents, l'autre à l'unique guitare en en faisant sourdre et éclore des sons tantôt irritants, tantôt quasi lyriques...Démarrage avec "Yes, Igor", un titre énigmatique non revendiqué dans ses origines où se construit peu à peu leur relation de dialogue, questions-réponses virulentes ou édulcorée par des harmoniques insoupçonnées.Le son du saxo quelque peu à la Barbieri, chaleureux, sensuel ou Garbarek, lointain, évaporé.. Curieuse coïncidence sonore:"Un dernier tango" en référence à la musique de Gato Barbieri pour le film au titre éponyme et le tour est joué: ils nous emmènent sur des chemins de traverses très inspirés, entre plagia caricaturé très subtil où la "mélodie "basique et répétitive, se transforme, se déplace, subit des métamorphoses rythmiques et sonores acoustiques, humoristiques et décalées. Salvatrice déambulation des sons et des mesures au profit d'une nouvelle  pièce où le tango est bien comme à ses origines, une danse d'hommes aux abois, traqués et magnifiée dans leurs déplacements angulaires, sensuels et directionnels...Encore quelques bons "morceaux" de bravoure décoiffant dont une pièce au titre évoquant la Thailande ou Birmanie, "Bishapour" et le concert s'achève par une courte composition, vive, brève qui semble tout dire ou tout condenser des talents respectifs de chacun autant que de la réussite de leur conjugaison. en osmose avec leur inventivité fertile et chaotique!

Ce concert marque la sortie de l’album Dernier Tango sur le label Jazzdor Series.


En partenariat avec la BNU le 19 Octobre auditorium de la BNU JAZZDOR



vendredi 14 octobre 2022

"Iphigénie": torride et magistrale! Eole, dieu du vent, en poupe et fracas guerriers.Aurores boréales au poing.

 


"Agamemnon doit partir pour Troie afin de ramener Hélène, épouse de son frère Ménélas. Il n’y a pas de vent, la flotte ne part pas. Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, doit être sacrifiée. Elle décide de mourir. Cette mort lui appartient, insiste-t-elle. Parole libre et solitaire d’une intimité irréductible. Dans une langue limpide et chorale, Tiago Rodrigues réécrit Iphigénie d’Euripide avec l’enjeu de questionner l’insoutenable tragédie du sacrifice et de la déjouer en plaçant Iphigénie dans la réappropriation de son destin. Anne Théron expose l’ambiance angoissante de cette tension entre une histoire dictée par les dieux et une jeune fille surprenante dans son inaliénable libre-arbitre."

Dans des vrombissements, des grondements sourds de vols aériens d’hélicoptères, la semi pénombre révèle peu à peu la présence de personnages évanescents, spectres dans le noir.Les déplacements orchestrent l'espace, sorte d'archipel de petites îles, creusées, laissant des passages en rigoles pour les corps des personnages.Tous vêtus de noir, strictes, dignes et solides dans leurs attitudes, postures et allures. Deux femmes se mettent à l'écart en commentaires sur le destin d'Iphigénie, sur le contexte, nous racontant comme les deux éléments d'un choeur grec féminin, la colère des femmes d'ici...L'une se met à danser, bras levé, en pose singulière et très classique beauté sculpturale. Le tempo est tranquille comme une partition mesurée, dosée, au rythme laissant percevoir les petits détails, la gestuelle et la diction posée de chacun. Exceptée la colère qui éclate et trouble ces placements savamment organisés.Le climat de combat aérien reprend, alors qu'en fond de scène des images de paysage maritime, bruits de marée houlante,mouvant, changeant, métamorphosent l'atmosphère: en noir et blanc scintillant, lune, nuages se succèdent pour obscurcir l'espace ou en faire un beau découpage de silhouettes noires...Les deux femmes se mettent à danser, l'une fluide, tournoyante, sorte d'imploration, de prière, d'écho au drame ambiant. Sa danse, celle de Fanny Avram, telle une Martha Graham empreinte de contractions et libérations utérines.On la connait par "Chto interdit au moins de quinze ans" comme danseuse comédienne. Chorale des deux corps dansant, lamentation salvatrice du corps en colère! Thierry Thieu Niang, collaborateur chorégraphique, compagnon des gens de théâtre pour les faire "bouger" comme nul autre metteur en corps des mouvements, de l'e-motion de Nikolais...Dans le texte de Tiago Rodrigues soutenu par la mise en scène de Anne Théron, tout s'anime, se joue au mot, au geste près, millimétrage fluide et passionné du petit bougé lyrique, ténu.Un spectacle où la mythologie séduit, concerne, touche et anime l'empathie de ceux qui attendent "le vent", celui qui emportera la flotte, les maux pour un sacrifice sur l'autel des alizées, du blizzard là où Éole se déchaine et se rend , prend le pouvoir martial de pousser les humains dans leurs retranchements.

Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais, a dirigé le Théâtre National Dona Maria II à Lisbonne (2014-2021) et dirigera le Festival d’Avignon après l’édition de 2022. Publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, il s’inscrit dans un dialogue avec le patrimoine littéraire (Bovary, Antoine et Cléopâtre). On lui doit notamment les spectacles Souffle, By Heart. Anne Théron, associée au TNS depuis 2015, développe une démarche qui vise les écritures contemporaines (Christophe Pellet, Alexandra Badea, Frédéric Vossier) comme une recherche théâtrale convoquant les outils du cinéma

Au TNS 13 oct au 22 oct 2022