mardi 1 novembre 2022

"S" et "Corpos de Baila" Ballet national du Portugal / Tânia Carvalho / Marco da Silva Ferreira : un festin aux reliefs extravagants!

 


En une même soirée, le prestigieux Ballet national du Portugal présente un double plateau avec des chorégraphes de premier plan : Tânia Carvalho et Marco da Silva Ferreira.

Tânia Carvalho - S comme Sylphides ressuscitées!La "nature morte" dansée, réactivée!

S'il fallait parler de "nature morte" en danse, voici un genre ici développé très contemporain, à la manière de la peinture: utiliser un vocabulaire, une grammaire et un répertoire classique pour créer aujourd'hui du neuf, de l'inédit, du jamais vu! La Sylphide sort du bois, un immense rideau de scène de Riu Vasconcelos, forêt non romantique, dessinée, magnifique ambiance grisonnante de végétal.Magie du lieu où apparaissent trois elfes évanescentes, virginales et diaphanes Sur pointes, virevoltant mais pas cassés, chassés , danse tronquée et métamorphosée par un savant détricotage à la Forsythe, Jan Fabre ou Karole Armitage...Les compagnons de ces sylphes , hommes-princes aux collants moulants, sans coque et chemises romantiques bouffantes, gonflées, enflées par les couronnes et ouvertures du corps, académiques mais déréglées et déconcertantes...  C'est d'un effet très réussi, calculé, maitrisé et notre maitre à danser y inclut rapidement des effigies de noir vêtues, collant moulant, justaucorps tendus, fendus aux épaules dénudées, quasi Cunninghamiens.Croisements savants et géométriques  d'un corps de ballet déstructuré à l'envi, iconoclaste représentation inspirée d'un classique ballet romantique démantibulé. La danse y perd ses repères, son caractère pour des lignes droites, cassées, angulaires, des pieds flexs et tout un remue ménage de grammaire lexicale à la syntaxe désarticulée. On suit les péripéties du ballet à la narration qui courre à toute jambe au delà des conventions et ravit par son charme, son audace et sa créativité. La Sylphide revue et corrigée, exhumée, réenchantée, pas "morte" du tout, le drame désactivé et les rouages du ballet romantique désamorcés! Totale réussite envoutante..."S" comme sylvestre et animale, hors du temps, bousculant l'Histoire de Terpsichore pour mieux reconnaitre son actualité! Tutus longs et pointes acerbes, piétinements et tremblements sur place  des jambes,saccadés à reculons comme un opus commémoratif bien vivant!

 Porteuse d’un imaginaire baroque, Tânia Carvalho développe depuis vingt-cinq ans un langage scénique très expressif dans lequel la danse enlace d’autres disciplines artistiques, notamment le théâtre, les arts visuels et la musique. Tout en subtiles sinuosités, sa pièce S agrège plusieurs styles et symboles en un ensemble aussi contrasté qu’harmonieux.

Marco da Silva Ferreira - Corpos de Baile: un maelstrom de l'urgence!

Du tonus, encore du punch et surtout de l'énergie sur le plateau pour les danseurs infatigables athlètes performants du ballet du Portugal! C'est impressionnant et contagieux, cette marée de mouvements, à l'unisson ou isolés, en groupe compacte ou en duos...Une composition stricte et ordonnée pour un grand déballage joyeux de gestes, de tours, de déplacements ou jamais ne se heurtent les tourbillonnants électrons libres lâchés dans l'espace...La percussionniste Valentina Magaletti aux instruments percussifs, accompagnant d'arrache-pied ces zombies du rythme effréné, percussif , ébranlant l'espace et le temps avec virtuosité, acharnement ininterrompu et opiniâtreté! L'effet est hypnotique, exhalant, essouflant pour celui qui regarde tant de dépense et de "perte" d'énergie sur scène. Regarder l'autre "travailler"et jouir de son enthousiasme est un régal avoué et revendiqué par les spectateurs hallucinés par tant de générosité et une si belle technique au service d'un art unique: la danse de rue, autant que le chaos de la cité urbaine évoquée dans ce maelstrom de performance .Breakers en jambe et battles au menu de cette ode à la fougue et à l'enthousiasme, transporteur d'empathie!

Découvert au début des années 2010, Marco da Silva Ferreira explore un univers chorégraphique hybride, à forte tonicité, traversé en particulier par les cultures urbaines. Avec Corpos de Baile, il donne forme à une intense constellation chaotique au sein de laquelle s’affirme, sous les pulsations hypnotiques de la remarquable percussionniste Valentina Magaletti, toute la force de soulèvement du corps humain - et du corps collectif.

Au 104 en partenariat avec le Théâtre de la Ville hors les murs jusqu'au 30 0ctobre.

 

 

S / Corpos de Baile

27 > 30.10.2022

avec le Théâtre de la Ville
dans le cadre de la saison France-Portugal

 

"Le temps des mains": Laurent Goldring ne s'en lave pas les mains.....

 


Pour sa troisième exposition personnelle à la Galerie Maubert, Laurent Goldring continue son travail sur les représentations du corps (ici des mains).


« Le Temps des mains ». Ce titre, celui de la nouvelle collection de photos et de vidéos réalisées par le plasticien Laurent Goldring autour des gestes que l’on effectue pour se laver les mains, trotte dans la tête. A chaque fois désormais que l’on exécute ce nettoyage devenu répétitif, Covid-19 oblige, on observe d’encore plus près la façon dont on les frotte et entremêle. Dessus, dessous, bien profondément entre les doigts comme on nous a réappris à le faire, cet automassage, dégoulinant de gel hydroalcoolique que l’on sniffe au passage, histoire de se réanimer sous le masque, prend des allures de chorégraphie compulsive.

Lancé au tout début de la crise sanitaire, ce chapitre ouvre une dimension mythologique dans l’ère perturbée que nous traversons depuis un an. Il intègre ces mouvements routiniers pétris de méticulosité dans un rituel collectif à distance. 


Résultat très poétique que cet acte de scruter le monde des mouvements quotidiens, métamorphosés en images fixes devenues objet de contemplation directe.Gestes figés dans des poses de prière, de stupeur, de masques collés aux mains dans des attitudes horrifiées...Métamorphose, parties de corps centrées sur le visage perdu, disparu derrière ces mains qui occultent toute vision d'une expression. Et pourtant qui révèlent sensation, réveillent des sentiments occultes et enfouis...Laurent Goldring pétrit la matière, étire les peaux, crispe les tensions, défait les noeuds des expressions, masque les visages et garde l'essentiel du geste de "se laver les mains", clinique rituel galvaudé en ces temps de crise sanitaire... En même temps en fait une statuaire sacrée digne d'un autel commémoratif d'une cérémonie-célébration païenne! Les couleurs sont celles d'une chair de cire, lisse, sang et veines diffuses sous la peau du monde. La lumière opaque, pastel fige et pétrifie cette vision de surface de peau...Les mains comme voile et voilage qui surgissent de nulle part, fantômes, spectres vivants de visions bibliques. Mains qui parlent de l'éternité comme de la mort. Laurent Goldring en photographe-chorégraphe livre ici un travail remarquable sur la matière vivante et mouvante, sur fond d'analyse comportementale contemporaine et d'actualité. Rituel infiniment revisité comme ces gestes calculés pour exorciser le virus d'un maléfique ennemi du corps vivant.


L'exposition convoque aussi les photographies-séquences sur le travail de Xavier Leroy, chronophotographies à la Marey ou Muybridge, comme autant de découpes décalées de mouvements anguleux. sur un parcours non aligné.

Dates : du 29 octobre 2022 au 7 janvier 2023

Lieu : Galerie Maubert – 20 rue Saint-Gilles –  75003 Paris

www.galeriemaubert.com

galeriemaubert@galeriemaubert.com


"Untitled 2012": la chambre claire-obscure de Xavier Leroy....

 


Ancien scientifique, Xavier Le Roy explose depuis 1991 les formes traditionnelles de la danse et explore la création chorégraphique comme une expérience pour travailler sur la perte de repères et l’imagination du spectateur. Invité dans le monde entier pour présenter son travail (MOMA à New York, Biennale de Venise, Taikwun Contemporary Art Center à Hong Kong, etc.), il propose pour la première fois Untitled (2012) en France

Untitled (2012) met en scène deux figures masquées aux physiques similaires dans l'obscurité. La situation interroge la reconnaissance de qui, ou de quoi, ils font et sont. Mobiles ou immobiles, entre morts et vivants, comme des jumeaux empêtrés dans un doux combat ou un accouplement intense, à la limite du visible, le duo de figures humaines et l'obscurité produisent d’inquiétantes étrangetés. Les visiteurs sont invités à entrer dans l'espace à tout moment et à rester aussi longtemps qu'ils le souhaitent pour expérimenter la lente transformation de l'œuvre et de leur perception. Untitled (2012) a d'abord été développé pour l'exposition 12 rooms et 13 rooms. Elle fait partie d'une série de travaux, commencés en 2005, qui utilisent la conjonction de l'obscurité, de mannequins, de marionnettes et de performances humaines pour rechercher des zones d'indécision. Ces œuvres recherchent ces moments où nous devons revisiter nos certitudes et suivre le flux de la transformation pour imaginer ou reconfigurer nos mondes.

Dans l'espace performatif du "Maif Social Club",créé en 2017, lieu de vie et d’expériences à Paris Marais qui propose tout au long de l’année une programmation engagée en faveur des valeurs d’inclusion, de solidarité, de vivre ensemble et de développement durable.La performance de Xavier Leroy prend toute sa dimension de lieu de passage, mais aussi d'espace de contemplation, réflexion sur le corps en mouvement: le temps d'une immersion dans la quasi obscurité, deux silhouettes grises se détachent peu à peu de l'environnement obscur, s'enchevêtrant comme deux gémellités siamoises inséparables, bestiole hybride, monstre docile de notre imaginaire. Ici convoqué pour évoquer lenteur, immobilité feinte et progression furtive vers la clarté, la préhension de l'espace visible par nos pupilles et iris qui s'écarquillent progressivement. Pour mieux desceller les formes, détecter les respirations, les souffles de ces deux bêtes à deux dos, étranges et mystérieuses figures de rêve.Espace de méditation sur le déroulement du temps, la présence de la lumière et la matière charnelle de cette sculpture évolutive de toute beauté ; perte de repères et navigation dans l'inconnu grâce à cette danse infime et précieuse volupté de l'étreinte, de l'union scellée de deux corps amoureux...Doux combat de corps à corps en accord mineur ou majeur sur une partition de silence à peine froissé par les textures tendres et duveteuses des enveloppes, costumes à danser le corps ar excellence! Une expérience sensorielle inédite...dans la suite logique du travail sur l'étrangeté de Xavier Leroy.

Au Maif Social Club le 29 Octobre.