mercredi 7 décembre 2022

"Man's Madness": folie des hommes...Marino Vanna divague et navigue à flot...sans perdre pieds!


Marino Vanna France 4 danseurs création 2022

Man’s Madness

"De la folie des hommes, Man’s Madness, et du désordre des corps, Marino Vanna fait écriture. Un quatuor à la fois délicat et puissant où géométrie des formes et musicalité, alternent entre tension et abandon. Avec pour ligne d’horizon, une physicalité ouverte au mixage des styles tant musicaux que dansés.

 

Dans No-Mad(e), sa première création présentée à POLE-SUD en 2019, Marino Vanna invitait le public à suivre le récit abstrait et sensible de son propre parcours artistique. Un solo initiatique à la découverte de son propre langage irrigué par une passion pour la danse cultivée depuis son plus jeune âge.
Second volet de cette recherche, Man’s Madness. Dans cette récente pièce, le jeune chorégraphe se retrouve au plateau en compagnie de trois autres danseurs : Sandy den Hartog, Lory Laurac et Joël Brown. Élargissant son champ de recherche sur le mouvement, il chorégraphie un quatuor qui fait la part belle à chaque interprète. Ainsi la danse fourmille de motifs qui se déploient dans l’espace ou bien se joue du déséquilibre, oscillant parfois entre scansion et répétition ou encore entre unissons et orages gestuels. Complice de ce mouvement, la création sonore d’Alexandre Dai Castaing dont le parcours artistique, tout comme celui du chorégraphe, est porté par de multiples influences et styles. Une autre façon pour Marino Vanna d’explorer différents états de présence et qualités de corps, créant sans cesse de nouveaux paysages, de nouveaux territoires à défricher sur le chemin de cette singulière quête chorégraphique."

Quatre danseurs en prologue évoluent dans le silence, lentement, assurément.La bande son diffuse des sons de chocs de pierre, un brouhaha minéral qui génère des mouvements hachés, tranchés de Joel Brown, soliste de profil .Trois autres personnages en rebonds sur les temps binaires se glissent dans un rouage infernal de répétition, mécanique réglée à l'identique, usine où tous pareils ils sont soumis au règlement, à l'unisson consentie.A la chaine tayloriste de robots formatés dans des lumières rasantes, crues, sculptant les corps pour un ralliement à l'ordre.De lentes vrilles en spirales après une pause "photo" immobile et c'est le flux et reflux qui fait surface.Un beau ralenti, spacieux, voluptueux inonde l'espace, le détend, le prolonge


.Quand survient la musique de Steve Reich, tours, suspension, enroulement et frôlements du sol apparaissent dans l'écriture chorégraphique qui se multiplie, se diversifie au fur et à mesure. Ondulations, balancements, moulinets, balayages et tours de bras pour créer des vagues, des avancées du buste arrondi, happé par un aimant aspirant.On caresse, on embrasse l'air avec voracité, détermination et engagement, la musique galvanisant les corps amoureux d'un rythme sempiternel ascendant. Le tempo est roi, directif, autoritaire en osmose avec le style répétitif captivant, entêtant et communicatif! L'un se détache du groupe, s'enroule, joli mouvement fin et raffiné au corps. En contraste avec les musiques toniques, saccadées, très rythmées, de beaux et puissants ralentis modulent l'énergie; un solo d'envergure, bras et buste, épaules offerts en petites secousses sismiques qui ébranlent la vision d'un corps dansant...Un couple rescapé ré-anime deux corps au sol vers la rectitude, l'érection savante. Un enchevêtrement s'ensuit, maillage tendre et sensuel pour sculpter l'espace, à la Shiva, Dieu aux mille bras. Corps en arc, courbé, renversé, arcbouté pour un très beau solo de Sandy den Hartog, impromptu spatial magnifique. 


Retour au prologue pour une marche frontale commune, agitée, possédée puis qui s'éparpille, se disjoint toujours en rythme scandé binaire, obsessionnel: la machine va se dérégler, se coincer, se gripper, enrayée, emballée pour ces prisonniers ravis, téléguidés par une force extérieure innommable.Guidés par la musique, traqués par la lumière possessive, le renoncement, l'abdication  font surface et l'on capitule sous le joug de la folie ambiante qui règne, maitresse et invasive... Une belle et nette composition chorégraphique, servie par de beaux interprètes inspirés, discrets objets manipulables d'une ligne directrice aboutie et lumineuse...

 

A Pole Sud les 6 et 7 Décembre

jeudi 1 décembre 2022

"New Creation": Bruno Beltrao, figure du déplacement, du décallage explosif d'un microcosme, piège de lumière, cour des miracles....

 

©Jose Caldeira / ©Karla Kalife  ©Wonge Bergmann

"Croiser le hip-hop avec un énième dialecte de mouvement n'a jamais été l'intérêt de Bruno Beltrão. Pour cela, il est trop critique à l'égard d’un hip-hop absorbé par l’industrie culturelle, et s’oppose à l’idée qu’une seule langue puisse permettre de développer des idées complexes. "

 ©Jose Caldeira / ©Karla Kalife / ©Wonge Bergmann......

"Dans ses chorégraphies, Beltrão aborde les contradictions sociales violentes d’une société sous l’emprise de l’extrême-droite. Comment rester en mouvement, alors que la situation politique et sociale dans un pays comme le Brésil semble tout paralyser ? Le fait que nous, les humains, soyons trop enclins à poursuivre nos habitudes et schémas de pensée est l'une des préoccupations du chorégraphe dans sa déconstruction ludique des danses hip-hop, de leur machisme et du culte de la virtuosité. Sans perdre le lien avec l’expérience de la rue qui a marqué ses débuts, il transpose la danse urbaine sur la scène, entrelaçant les styles et les figures du hip-hop avec les principes de la danse contemporaine. Dans cette nouvelle création, tant contemplative que chargée d’une impressionnante énergie des corps sur scène, la compagnie Grupo de Rua interroge les tensions explosives du quotidien, mais aussi les solidarités."

Bruits de rue, bande son à la Cage pour observations des sons d'un quotidien intempestif et des petits personnages qui surgissent, pantins manipulés par leur propre désir et énergie..Doigts, mains agiles, véloces ornent les corps vêtus de longues tuniques quasi religieuses, en noir, blanc ou rouge...Trois couleurs déclinées en nombre de suite de Fibonacci: 1 ...2...3...5... etc...Un lent déplacement d'un petit groupe d'individus, loquaces à souhait dans leur gestuelle chaotique, désordonnée en apparence . C'est tout simplement visuellement magnétique, tectonique, au millimètre près, comme dans une facture de maitre à danser, compas dans l'oeil du chorégraphe minimaliste. Un élément s'échappe de cette petite grappe compacte, ricoche, va et vient, revient, sempiternel aimant absorbé par une attirance démoniaque . Des "tritons" musicaux, diaboliques éléments interdits, prohibés par la gente monastique. Il y a du sacré et du païen dans ces danses  captivantes, irrésistibles tentations de corps voués à des directives et consignes d'écriture chorégraphique drastiques. Pas d'abandon ni de laisser aller, excepté un court instant de triolet à la Childs, danse contact éphémère, clin d’œil à une autre discipline: la danse libre, improvisée qui n'est pas de ce monde sur le plateau.Sur des fondus enchainés de lumière, dans des découpes précises des halos sur les corps mouvants, l’inouï, l'imprévisible  apparait, disparait. Les trajectoires des danseurs comme des lignes tracées frontales où la vélocité des gestes, des parcours fulgurants, médusent, tétanisent les regards. 

C'est hallucinant , jamais vu ni ressenti et très chaotique. Tels des pions sur un échiquier, tous gravitent, se mesurent, se toisent à l'envi dans un joyeux délire digne d'un centre psychiatrique: gestes désordonnés, déséquilibres rapides, reculades vertigineuses dans cette cour des miracles.Corps rétrécis, empêchés, réduits à leur plus simple anatomie, genoux fléchis, niveau de gravitation limité...Ca fourmille intensément sur le plateau nu où l'on courbe l'échine pour être mieux aérodynamique.Ponctuation, courtes pauses et un petit miracle opéré par les projecteurs rasants: comme des figures de petits cygnes repliés qui font office de jouets perdus sur scène. Sur des percussions quelques combats singuliers fulgurants, toujours genoux pliés recroquevillés, encore un "triolet" , des piétinements hyper rapides comme des figurines de jeu vidéo commandées par un esprit étranger à ces corps manipulés.Glissés savants et fugaces, petits nains aux micro-mouvements calculés. C'est de la  haute couture, de la haute voltige au ras du sol pour créer un "microcosmos" fabriqué d'insectes pris au piège de la lumière. Petit monde sorcier, énigmatique, diabolique, sonore à l'envi. Bruno Beltrao comme magicien , Merlin l'enchanteur d'un monde en mutation, métamorphose kafkaïenne de l'univers.

musique de Lucas Marcier/ARPX .........

 présenté par le Maillon avec POLE-SUD, CDCN au Maillon Wacken jusqu'au 2 Décembre 

A la Filature Mulhouse le 14 Décembre

dimanche 27 novembre 2022

"Monjour" :" just for you! Take your time, please"! et tout ira mieux...Silvia Gribaudi dénonce par la bande à part, le dessein de la société consumériste.

 


Monjour

"Dans Monjour, Silvia Gribaudi imagine une nouvelle forme de « dessin animé contemporain ». Pour la chorégraphe et performeuse, il s’agit de personnages bien en chair et en os. Aiguillonnés par l’ironie et la fantaisie de l’artiste italienne, ils sont cinq à se partager la scène, multipliant les situations les plus inattendues.

 

Bien loin de la DAO (dessin assisté par ordinateur), de la palette graphique, voire même des antiques papiers et crayons, Silvia Gribaudi a choisi d’inviter le public dans un nouvel espace : partager en direct la création live d’un dessin animé qui se déroule sur scène. Complices de cette aventure, deux danseurs, deux acrobates et un clown-acteur. Mais dessiner, tout comme expérimenter entre dessins et corps n’est pas si simple qu’il pourrait y paraître. Aussi la mise en scène de Silvia Gribaudi est-elle soutenue par les dessins pop et les personnages surréels d’une autre artiste italienne, Francesca Ghermandi dont les albums, illustrations et projets d’animation ont fait la réputation. En résonance avec un certain courant du théâtre social, cette façon de partager avec les spectateurs les aspects habituellement invisibles à leurs yeux de la création – ses questionnements, ses difficultés, ses situations incertaines et autres inconnues – fait de Monjour une pièce de dérives comiques qui met en avant la fragilité des êtres et l’intérêt de l’inconnu pour inventer ensemble. Les questions de l’émancipation au cœur du geste créatif ou artistique s’y expriment dans toute leur acuité."

Elle est nichée au premier rang du théâtre, coach, dirigeant les danseurs, micro en main. Au préalable, elle a fait  s'exercer le public à un training du spectateur, étirements à l'appui pour un confort d'écoute et de disponibilité corporelle meilleurs! C'est Silvia Grimaldi qui mène la danse et les cinq interprètes: ils se présentent quasi nus, le sexe masqué par leurs mains ou un châle-serviette de bain...En socquettes et baskets, le costume est sobre et d'emblée, comique, voir bientôt burlesque.De courtes performances dansées ouvrent le bal, quasi folkloriques ou inspirées de la capoeira. Le fond de scène tel un halo de lumière révélant la silhouette découpée des corps. One, two, three et ça démarre au quart de tour comme un show divertissant show-biz jazzy, sexy "just for you": un tantinet flatteur et provocateur.Parce que vous le valez bien...Illusion, arnaque ou désenchantement, on verra par la suite où est le leurre que cette société du spectacle nous "offre" en illusions perdues...La danse macabre pour un numéro burlesque à cinq où l'on joue à cache cache sexe pour ne pas perdre ni sa main ni sa serviette qui cache ce que l'on ne saurait voir. Exercice pas simple pour ne jamais rien dévoiler des "parties" de son corps.O surprise-partie de la danse sans parti pris sur le sujet!Ils volent, les danseurs dans un beau manège, tourniquet comme ces figures classiques virtuoses exécutées par l'un des danseurs expert. Puis c'est un solo magnétique, danse fluide et acrobatique qui prend le relais, pause très poétique loin du virevoltant, ou du pastiche de danse classique. Alors que sur un écran défilent des images surdimensionnées de bandes dessinées, style Crumb ou Blutsh, proche des BD qui ont inspirées Roy Lichtenstein. Une "figuration nouvelle" pour la danse, voisine de ces croquis très stylés monstres, acrobates, espaces théâtraux aux sièges vides, etc...Images fort belles, colorées qui se confondent avec un corps dressé sur demi-pointes, les pieds frétillant comme chaussés de pointes acérées.Une foret de champignons atomiques dans une cheminée ascendante...Un doigt géant pointé dans notre direction pour mieux nous cibler, nous impliquer dans cette société consumériste.

Le public est convoqué pour faire un petit orchestre sonore accompagnant les artistes sur le plateau en short longs, noirs, torse-nus toujours en baskets.S'agit-il de danse, de cirque, de moderne dance ou de métaphore de la communauté humaine? La question est posée, au micro et la réponse apportée par ce à quoi nous assistons: un spectacle qui aurait pu être grandiose si les moyens rêvés de le construire avaient été trouvés! Demain peut-être...Encore une démo de mime esquissée, de gymnastique rythmique et nos cinq Daltons dans le vent de faire la claque aux cygnes alors que le public ne cesse de les ovationner en applaudissant à chaque entremets. Beethoven en finale héroïque pour ce quintette à corps perdus, fort bien accordés dans des canons esthétiques singuliers: grand dadais ou grassouillet en paillettes... Des pieds de nez de clown en parterre fleuri rouge inondent le plateau...Numéros de cirque, saynètes ou morceaux de choix dérisoires dans cette boutique fantasque, symphonie en nu majeur décrivant la noirceur et la gravité de la condition d'artiste dans une distanciation  humoristique à l'anglaise ou a l'italienne, comme il vous plaira. Autodérision gribaudienne au poing!

 A Pole Sud jusqu'au 27 Novembre