vendredi 9 décembre 2022

"Best off" répertoire des Percussions de Strasbourg : 60 ans pour faire le grand écart, une "formation"toujours souple et en alerte !

 

"Le 8 décembre 2022 à l’occasion de notre 60 ème anniversaire, nous mettons à l’honneur des pièces cultes de notre répertoire, dont les interprétations furent nombreuses durant nos 60 ans d’existence, ainsi qu’une nouvelle création."

Dans la salle chaleureuse du Théâtre de Hautepierre, c'est un parterre éblouissant d' instrumentarium percussif qui illumine le plateau et pour fêter les 60 ans de cette formation légendaire dédiée aux percussions, Jean Yves Bainier, son président introduit la soirée avec émotion.

Suivent 8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965):

Dans une ambiance monacale bordée par les xylophones, à petit pas, une marche solennelle, feutrée, discrète se distingue peu à peu, sur la pointe des pieds.Le son prend l'espace, lent, dosé dans ce premier mouvement suivi par des carillons résonants, caisses et vibraphones de mise pour une joyeuse composition métallique pour seconde phase de l'opus.Retour à la méditation profonde avec des sonorités distinctes et subtiles sur fond de grondement: c'est le troisième mouvement qui calme la tempête amorcée.Puis les caisses et xylophones étincellent: parade, défilé, mascarade ou cavalcade carnavalesque où surgit une petite mélodie intrusive, esquissée.Presque une note de western, de lutte, de combat dans ce quatrième volet.L'apogée des percussions et gongs se renforce dans une virulence et une clarté sonore, phonique entre poids et légèreté, appuis et libération de l'interprétation drastique.Les accumulations ascendantes font de ce cinquième chapitre, un zénith sonore remarquable. Des mélanges de timbres inédits, alliages et alliances de sons incongrus, entre bois chaleureux et  gongs plus métalliques façonnent des galops épiques, des frappes régulières et un climat exotique orientaliste de toute beauté au sixième mouvement.Les vibraphones en majesté, vibrations secrètes, infimes pour une lente pénétration dans un univers cosmique caractérisent la septième partie, ambiance souterraine, spéléologie du son répercuté comme dans une grotte.En épilogue annoncé, des fortissimo relèvent volume, espace et amplitude, rythme envahissant, submergeant l'écoute, musiciens à l'unisson d'une cathédrale percutante de sonorités foudroyantes. Une pièce de légende, 60 ans de maturation sans prendre une ride!Les six musiciens au top de la ponctuation, se dirigeant au feeling et à l'auto-orchestration, complices rythmiques, compères soudés en alerte constante.

Suit Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
 Toujours soucieux de la création d’aujourd’hui, nous offrons également l’occasion de découvrir le travail du jeune compositeur Maurilio Cacciatore, qui explore et développe les possibilités sonores de la baguette vibrante, outil unique au monde, dans sa pièce Corale.Trois musiciens, assis, démarrent des mugissements ténus, superposition de sons continu et interrompus.Sur les peaux des timbales cuivrées, les baguettes frôlent et caressent pour créer une ambiance curieuse, assourdie.Glissements rêches, rythmes en cadence, comme dans un laboratoire lumineux, gyrophares et sirènes mugissantes en muezzin, cloches intrusives,sons de sous-marins en scaphandre, compression auditives et sons de murène, déterminant une écoute sévère, exigeante, subtile, aux aguets des sonorités inédites. Ce trio laborantin sur sa paillasse, recherche sonore aléatoire, scrute les sons dans son atelier, plein feu sur les secrets de fabrication. Un opus étonnant, unique qui fera date dans l'élaboration d'un parc sonore pour percussions toujours renouvelé!


4 études chorégraphiques
, Maurice Ohana, (1962)

Dans les années 1960, Maurice Ohana ouvre la voie à la composition de pièces pour percussions seules. Initialement, elles étaient pensées pour accompagner des performances dansées. Aujourd’hui affranchies de la danse, elles possèdent une identité et une narration propre, et sont les témoins des premières recherches dans le domaine de la percussion.Dans une grande régularité, comme un rythme de train avec reprises et addition de timbres, la musique s'emballe peu à peu.Percutante, galopante au rythme échevelé dans des scansions abruptes.Franches et martelées.Des silences loquaces, éloquents pour contraster.Du suspens, du mystère en suspension pour des apnées salvatrices.Puis de légers affleurements d'instruments, en écho, tout en finesse, décalent, déplacent les ondes et endroits de sources sonores.Des vibrations persistantes, des rémanences en ricochet illuminent l'espace, ouvrent des perspectives de paysages sonores grandioses. L’émergence de chacun des instrument au bon endroit pour valoriser respiration, espace et marche en contrepoint. L'irruption de timbres métalliques, vifs, cinglants, colorés pour une conversation animée. On s'y coupe la parole dans une discussion enflammée, virulente narration de sons ou chacun ne parvient pourtant pas à prendre le dernier mot, la dernière note. Dans un équilibre concerté où les places de chacun semblent chorégraphiées comme par un maitre de ballet, au compas et à l’œil, à l’ouïe acérée!


Métal
, Philippe Manoury (1995)

De nombreux compositeurs talentueux s’engagent alors sur la voie de la narration  avec la complicité et l’expertise des Percussions de Strasbourg. Trente ans plus tard, naît Métal de Philippe Manoury, qui pense un sextet pour sixxens, ces instruments inventés expressément par Iannis Xenakis pour l’ensemble. Un dispositif en demi cercle accueille les instruments extraordinaires, comme une longue passerelle, des "planches"à fréquenter pour un parcours accidenté, protégé par cette directivité d'espace.Des carillons du Nord en folie s’agitent dans une très belle chorégraphie de gestes précis, amples: cette joyeuse polyphonie polychrome dégage des sons métallique à foison, à l'envi.Des matière sonores riches, compactes provoquent un charivari, chaos tectonique éprouvant.Comme des salves, des hallebardes de sons en pluie, en averse dans un village montagnard Sécheresse abrupte du matériau, envahissant sans répit la forge où les "ouvriers" s'affairent, au travail entre eau et feu, prêts à bondir et rebondir.Les corps des interprètes, engagés, aux aguets, intranquilles.Dans l'arène des sons, ce tintamarre jovial, joyeux, lumineux, ruisselle, contagieux comme une passation sempiternelle, jeu virtuose de réception et renvoi de la balle au bond! Des arrêts sur image dignes d'une cène à six, partage en cum-panis de la cérémonie musicale.Des images comme des icônes vibrantes, ode au geste musical, à la corporéité des sons émis d'un médium à l'autre: la chair et le métal...Les baguettes aimantées au corps dans des envolées de sonneries en échappée belle: pour les tympans agressés à vif, une musique incisive et vif argent sur l'établi de la recherche sonore. Un opus de toute beauté cinglante à souhait.
 

Les Percussions de Strasbourg nous accueillaient au Théâtre de Hautepierre dans le quartier où le groupe est implanté depuis plus de 40 ans. Avec 60 ans de répertoire taillé sur mesure, offert par les plus audacieux compositeurs de chaque époque....Toujours "jeunes" et entreprenants Musiciens-danseurs sur les sentiers non balisés de la découverte sismique, visuelle des sons-émotion-frisson...

Programme :
8 inventions, op.45, Miloslav Kabeláč, (1965)
4 études chorégraphiques, Maurice Ohana, (1962)
Corale, Maurilio Cacciatore (création mondiale)
Métal, Philippe Manoury (1995) 

Les musicien•nes sur scène : Matthieu Benigno, Hyoungkwon Gil, Théo His-Mahier, Léa Koster, Emil Kuyumcuyan Olivia Martin 

08.12.2022 — 105' — Théâtre de Hautepierre, Strasbourg

"Chère Geneviève, 

"Une fois encore votre analyse explore avec justesse et une sensible  pertinence la musique de compositeurs qui ont marqué l'aventure" des Percussions tout en soulignant la qualité  et l 'engagement des interprètes qui aujourd'hui ont su prendre le relais sur un chemin dont le tracé fut amorcé il y a soixante ans par des percussionnistes talentueux et visionnaires.
Merci  de partager ainsi votre  fervente écriture." J Y Bainier le 9 Décembre 2022

jeudi 8 décembre 2022

"Nostalgie 2175": le réchauffement climatique, couveuse d'un "Bébé" porteur d'avenir...

 



"L’écrivaine allemande Anja Hilling situe sa pièce en 2175. Après une catastrophe écologique, les humain·e·s se sont adapté·e·s, dans un monde où il fait 60°, mais les femmes ne peuvent plus être enceintes naturellement. C’est pourtant ce qui arrive à Pagona. Elle sait qu’elle n’a que 2 % de chance de survivre à l’accouchement, mais elle décide de garder l’enfant, une fille, et reconstitue pour elle son histoire et celle des deux hommes qui l’entourent : Taschko, le peintre écorché vif, et Posch, l’entrepreneur esthète. Anne Monfort met en scène cette histoire de transmission et d’amour où se mêlent le désir, la beauté et la force d’évocation de la peinture et du cinéma, la violence et l’extraordinaire énergie vitale des êtres. En 2175, que reste-t-il du vieux monde, celui d’aujourd‘hui ?"

Une foret à l'automne, des futs en érection, à la verticale pour simuler un environnement figé, médusé par la chaleur...Une maisonnette toute colorée, translucide, un sol réverbérant la lumière et trois personnages en proie , pour l'une, à un inventaire des effets cliniques du réchauffement climatique: elle brosse ainsi un panorama du désastre, pas si dramatique que cela, qui désormais dirige et conduit chacun à un comportement hors norme, Toujours à fleur de peau, le texte qui s'avère écriture entre monologue, dialogue et adresse directe au public, se charge de sens et de rythme, de poésie et de douleur, de charme et de réalité incontournable.La femme, Judith Henry, "resplendissante"Pagona, se livre et nous invite en empathie à partager doute et certitude, interrogations et ravissements. C'est face aux deux autres partenaires, un peintre déséquilibré, atteint d'une folie créatrice déviante et un savant technocrate aux valeurs sures, qu'elle brandit sa foi en la vie. Ce "bébé" qu'elle nomme à l'envi comme amant, progéniture ou création individuelle, propre à son être.Les deux hommes l'entourent, Mohand Azzoug en Taschko versatile, Jean Baptiste Verquin en Posch,en réplique froide et calculée.L'amour des uns pour les autres en est le thème central, ce qui glisse sur la peau du monde sans qu'on ne puisse se toucher, effleurer l'autre sous peine de danger, de contamination.Bébé, cette créature fictive, enfant improbable, autant que signe de mort pour la  parturiente, hante les paroles de Pagoda. La musique signée Nuria Gimenez Comas se fait actrice, personnage qui dialogue avec la partition des comédiens, accompagnant le timbre des voix, rythmant la diction, avec des appuis quasi dansant sur la surface du sol magnétique, luisant, réverbérant la lumière changeante. Tantôt chaleur insupportable, tantôt froideur d'un bleu glaçant mais fort esthétisante..Et le texte de Anja Hilling de déborder d'humanité sans frôler la science fiction trop porteuse de rêve ou d'utopie. Ici la réalité est de mise, on s'y colle et confronte avec courage, espoir, parfois joie et jouissance: pas de fatalité: on s'adapte, le monde change à notre insu mais l'intelligence est ici de mise pour réagir, aimer, tenter l'impossible: se rejoindre malgré tout, se toucher peut-être à nouveau sur cette superficie du corps si érogène: la peau, tissu de désir, de douceur, de lumière, interface entre dedans et dehors. L'argent aussi, moteur du présent détermine les attitudes voraces et cupides de Posch, face à la rêverie angoissée de Taschko: les deux pères en opposition face à la future mère-morte en couche que sera Pagona.Et si 2175 était une date butoire pas si lointaine?Que ferions nous, aussi de cet avenir qui semble pas si affirmé: "je ne sais pas" murmure Pagoda, emportée dans une barque fluorescente, bordée de mousse verdoyante dans des lumières fantastiques...Le voyage se termine sur la rive où se joue une suite inconnue: pas de final ni de morale à cette narration incongrue, musicale, miroitante et pleine de verve, de facétie, de recul aussi Une robe de plumes pour Pagona, un rêve réalisé qui lui sied à merveille mais qui ne lui permettra pas pour aussi d'esquisser une échappée belle!La mise en scène signée Anne Monfort épouse avec finesse intrusive les mots, la musicalité du texte et des corps en mouvement, animé par le son omniprésent de la composition originale musicale. Scénographie et costumes de Clémence Kazémi alliant couleurs, luminosité d'un univers jamais sombre malgré la gravité du propos.f

Anne Monfort dirige la compagnie day-for-night depuis 2000 et a créé les textes de nombreux·ses auteur·rice·s vivant·e·s comme Falk Richter − dont elle est la traductrice en français −, Thibault Fayner, Mathieu Riboulet, Lydie Salvayre… Son théâtre interroge ce qu’est le « point de vue », intime et historique, sa dimension politique. Elle met ici en scène l’écriture d’Anja Hilling, écrivaine allemande née en 1975, connue internationalement depuis son texte Tristesse animal noir, écrit en 2007.

Au TNS jusqu'au 15 Décembre

mercredi 7 décembre 2022

"Man's Madness": folie des hommes...Marino Vanna divague et navigue à flot...sans perdre pieds!


Marino Vanna France 4 danseurs création 2022

Man’s Madness

"De la folie des hommes, Man’s Madness, et du désordre des corps, Marino Vanna fait écriture. Un quatuor à la fois délicat et puissant où géométrie des formes et musicalité, alternent entre tension et abandon. Avec pour ligne d’horizon, une physicalité ouverte au mixage des styles tant musicaux que dansés.

 

Dans No-Mad(e), sa première création présentée à POLE-SUD en 2019, Marino Vanna invitait le public à suivre le récit abstrait et sensible de son propre parcours artistique. Un solo initiatique à la découverte de son propre langage irrigué par une passion pour la danse cultivée depuis son plus jeune âge.
Second volet de cette recherche, Man’s Madness. Dans cette récente pièce, le jeune chorégraphe se retrouve au plateau en compagnie de trois autres danseurs : Sandy den Hartog, Lory Laurac et Joël Brown. Élargissant son champ de recherche sur le mouvement, il chorégraphie un quatuor qui fait la part belle à chaque interprète. Ainsi la danse fourmille de motifs qui se déploient dans l’espace ou bien se joue du déséquilibre, oscillant parfois entre scansion et répétition ou encore entre unissons et orages gestuels. Complice de ce mouvement, la création sonore d’Alexandre Dai Castaing dont le parcours artistique, tout comme celui du chorégraphe, est porté par de multiples influences et styles. Une autre façon pour Marino Vanna d’explorer différents états de présence et qualités de corps, créant sans cesse de nouveaux paysages, de nouveaux territoires à défricher sur le chemin de cette singulière quête chorégraphique."

Quatre danseurs en prologue évoluent dans le silence, lentement, assurément.La bande son diffuse des sons de chocs de pierre, un brouhaha minéral qui génère des mouvements hachés, tranchés de Joel Brown, soliste de profil .Trois autres personnages en rebonds sur les temps binaires se glissent dans un rouage infernal de répétition, mécanique réglée à l'identique, usine où tous pareils ils sont soumis au règlement, à l'unisson consentie.A la chaine tayloriste de robots formatés dans des lumières rasantes, crues, sculptant les corps pour un ralliement à l'ordre.De lentes vrilles en spirales après une pause "photo" immobile et c'est le flux et reflux qui fait surface.Un beau ralenti, spacieux, voluptueux inonde l'espace, le détend, le prolonge


.Quand survient la musique de Steve Reich, tours, suspension, enroulement et frôlements du sol apparaissent dans l'écriture chorégraphique qui se multiplie, se diversifie au fur et à mesure. Ondulations, balancements, moulinets, balayages et tours de bras pour créer des vagues, des avancées du buste arrondi, happé par un aimant aspirant.On caresse, on embrasse l'air avec voracité, détermination et engagement, la musique galvanisant les corps amoureux d'un rythme sempiternel ascendant. Le tempo est roi, directif, autoritaire en osmose avec le style répétitif captivant, entêtant et communicatif! L'un se détache du groupe, s'enroule, joli mouvement fin et raffiné au corps. En contraste avec les musiques toniques, saccadées, très rythmées, de beaux et puissants ralentis modulent l'énergie; un solo d'envergure, bras et buste, épaules offerts en petites secousses sismiques qui ébranlent la vision d'un corps dansant...Un couple rescapé ré-anime deux corps au sol vers la rectitude, l'érection savante. Un enchevêtrement s'ensuit, maillage tendre et sensuel pour sculpter l'espace, à la Shiva, Dieu aux mille bras. Corps en arc, courbé, renversé, arcbouté pour un très beau solo de Sandy den Hartog, impromptu spatial magnifique. 


Retour au prologue pour une marche frontale commune, agitée, possédée puis qui s'éparpille, se disjoint toujours en rythme scandé binaire, obsessionnel: la machine va se dérégler, se coincer, se gripper, enrayée, emballée pour ces prisonniers ravis, téléguidés par une force extérieure innommable.Guidés par la musique, traqués par la lumière possessive, le renoncement, l'abdication  font surface et l'on capitule sous le joug de la folie ambiante qui règne, maitresse et invasive... Une belle et nette composition chorégraphique, servie par de beaux interprètes inspirés, discrets objets manipulables d'une ligne directrice aboutie et lumineuse...

 

A Pole Sud les 6 et 7 Décembre