lundi 19 décembre 2022

"La belle au bois dormant" : sans rouet ni épine dans le pied, comme sur des roulettes! Baby doll-boom oblige!

 


"Du célèbre ballet composé par Tchaïkovski en 1890, Marcos Morau a tiré relecture audacieuse : une méditation sur la durée, où la Belle au bois dormant devient l’allégorie de notre rapport au temps. L’univers visuel foisonnant du chorégraphe revisite le sommeil de la princesse dans une procession impétueuse et débridée."

Et si l'on proposait une version freudienne de cet opus-dei iconoclaste en diable, païen, expiatoire et comme la "psychanalyse des contes de fées" de  Bruno Bettelheim, explore les bordures et les failles d'un récit mythique souvent édulcoré...?

C'est une termitière, gonflée, flottante qui pulse qui ouvre le bal: images surréalistes d'un microcosme qui ondule, se meut dans des mouvements choraux voluptueux. Rehaussés par des costumes vaporeux, sortes de crinolines ouvragées, tutus romantiques affriolants, de dentelles et coiffes à la nourrice dévolue à un bébé omniprésent dans les bras de chacune, de chacun. Car ici, on dégenre: pas assez de femmes pour incarner les nounous de cette pouponnière, berceau incubateur de la belle au bois dormant...Alors on berce à foison ce nourrisson indésiré que l'on se passe miraculeusement de bras en bras. Pouponnière à incubation tendre mais pas tant...Du rififi dans cette fourmilière, active, affairée qui ne cesse de bouger et de produire des effets redondants de mouvance qui finissent par lasser. Mais la lumière rougeoyante ambiante qui fait de l'espace scénique une matrice qui engendre la vie utérine de son sang menstruel nous longe dans une atmosphère mystérieuse et clinique.Label rouge....

Walter Sickert: crinoline !

De ces abeilles travailleuses va naitre une léthargie, une somnolence insoumise qui ira à l'encontre de ce sommeil sempiternel annoncé: la belle ne se réveillera pas, plongée dans l'enfance qui rebondit sous forme de poupon de plastique cellulose.Ce petit monde va et vient sur le plateau, en ligne horizontale, pions bien dressés en marche syncopée en cadence dans des glissés à la patin à roulettes impressionnants! C'est incroyable, absurde, fantastique à souhait. Et si conte de fée il demeure, la pièce faites de saynètes et d'entremets savoureux fonctionne à plein gaz. Les parcours et déplacements, les courses alternent peu à peu avec des portés, des duos et autres liens entre les danseurs, obnubilés par ce petit fardeau encombrant qu'est la belle: poupée à la Hans Belmer ou poupée mannequin qui ne fera jamais sa mue de sa chrysalide.? Une valse des fleurs épique pour évoquer la musique ....Qui demeure fer de lance désintégré, déstructuré du "ballet", coup de  balais à l'académisme!



Lâchés comme des salves inondant le plateau, les danseurs opèrent comme des images fuyantes, rémanentes qui passent et repassent, temps qui lutte contre l'oubli, la perte, la fuite. C'est beau, très esthétique et les costumes de crinolines, se transforment en aube ou tenue de sport, gilets rouges d'un labeur oppressant, mécanique, obligé. La lutte est dure, impitoyable et les décors que chacun arrache au fur et à mesure se démontent, disparaissent, comme des lambeaux arrachés à la matrice utérine.La communauté se dissout, la belle encore ingénue et adolescente dans les bras de quelques unes ne verra jamais l'adulte, ni le prince charmant. La marâtre peut-être qu'elle tient au final dans ses bras...Les corps se pressent, dérapent , regardent dans la direction du danger annoncé: ce qui va advenir de la vie de la Belle qui refuse de grandir et de se jeter dans la gueule du loup ou les bras du prince. Pas de baiser, pas de rouet ni de laine-coton, de ouate pour cette version débridée d'une Belle qui rode sans cesse sans s'assumer, bébé éternel dans les bras des langes et autres peaux protectrices.Chemises, lingettes et autres protections, couches et culottes en dentelle qui vont vers la nudité doucement cependant. Pan pan sur le tutu, sur le cul cul pour cette ode irrévérencieuse à Perrault, conte à rebours sagace et vertueux, antidote à la morosité, culottée et iconoclaste. Les danseurs, athlètes prodigieux pour cette performance aérobique impressionnante! Marcos Morau en prestidigitateur, agitateur remarquable metteur en scène à la Pina Bausch parfois interpellée! Épine dorsale d'une Belle agitée du bocal, fœtus éternel pour réjouir les aficionados du surréalisme ambiant!

A la Grande Halle de la Villette le 15 Décembre

mercredi 14 décembre 2022

"Smashed": pom pom show! A croquer comme fruit non défendu ! Un divertissement poétique très incorrect !

 


9 jongleurs, 80 pommes rouges, 4 services de vaisselle, interprété sur des chansons populaires de Tammy Wynette, du Music-Hall à Bach.


Cette pièce présente un mélange sensationnel de virtuosité, inspiré par le Tanztheatre de Pina Bausch. Une suite de tableaux vivants, vus comme des photographies anciennes rappelant les guerres, l’amour perdu, et le charme désuet du thé de l’après-midi.


Dans Smashed, l’utilisation des pommes comme accessoire de jonglage n’est pas anodine. En effet, la manipulation du fruit défendu propose un regard sagace sur les relations tendues entre sept hommes et deux femmes, écorchant gentiment le jonglage traditionnel et le cirque contemporain.

Ce travail drôle, inventif et original est comparé à de la danse théâtrale et remet en cause la perception du jonglage contemporain.

Le plateau s'anime avec une joyeuse bande de lords anglais très clean sur eux, simulant des gestes nobles, sauf que ce sont des pommes qui animent le moteur de leurs mouvements et que c'est ce petit détail qui tue! A la façon Pina Bausch dans son défilé de Kontakof , les voici répétant à l'envi avec petits sourires malins en coin, des tours de magie dans leur espace collectif.Des pommes-tétons, des pommes à terre, en l'air et tout bascule dans une douce dérision, suggérée. Pas de caricature de la grande dame de Wuppertal, mais un échantillon des capacités d'inventivité en inventaire à la Prévert. Sans mot, sans verbe...Des musiques d'antan, désuètes à souhait soulignent et révèlent la tendance à sourire de us et coutumes, des moeurs d'une micro-société ludique, un tantinet perverse et sagace sous les angles...Des dessus de table féminin pour satisfaire aux désirs des hommes, des portés pour mieux s'étreindre, des jeux de rôle, des jeux de pommes pour illuminer la scène . Les deux femmes, malines, mutines se font entourer comme dans "Les Louves et Pandora" de Jean Claude Gallotta, consentantes ou pas, esclaves . Là le bas blesse pour les féministes !Toujours en marche, en action, la grappe de comédiens avance, recule, en danse chorale, à l'unisson ou en individuelle parade. Un grand escogriffe en costume cravate comme ses semblables, joue à la star de la balle rebond, tel un Jacques Tati, Chaplin ou plus proche de nous Christophe Salengro, l'égérie de Philippe Decouflé. C'est drôle, décalé, fripon, coquin La danse chorégraphiée ici pour les besoins de la réception de toutes ces pommes en l'air, est juste, sobre, parfois acrobatique avec des clins d’œil au hip-hop ou capoeira...à la danse contact ."Complètement paf, bourré, brisé" traduit le dictionnaire de ce "Smashed" signé du collectif Gandini Juggling", au service de smash aérien de compétition de tennis ou badminton...Avec pommes en mains!La balle est dans leur camp et ce verger prolixe se transforme en autant de lieux, endroits hétéroclites singuliers.

Un divertissement intelligent, rythmé au cordeau plein de charme, de surprise, animé par une dramaturgie de cabaret, de jeux de jambes à la Mistinguett, music-hall où l'on reste incorruptible, imperturbable devant toutes sollicitations...érotiques, politiques, poétiques. C'est plein de verve, bien dosé comme un bon cidre acide, pétillant, bourru, délicieux, savoureux.Une tasse de thé pour lord échappé de sa tribu qui génère des femmes enceintes de pommes qui accouchent comme des call-girls désabusées très sexy. Et l'on croque la pomme, ce fruit défendu d'un paradis perdu et retrouvé. Au final, on se gave de cette chair végétale à l'envi tout en jonglant au passage. Jusqu'à une compote finale sur le plateau ou détritus et bris de vaisselle jonchent le sol dans un joyeux désordre tonitruant.Il y a de la casse dans ces scènes de ménages, ces tableaux successifs, saynètes virtuoses du jonglage qui mine de rien parcourt tout le spectacle. Discrètement ou ouvertement, objet et sujet de cet opus désopilant plein de distanciation, de recul. Sur l'humaine condition pas toujours radieuse, mais pleine de machineries, de subterfuges, de cachotteries inavouées qui font surface malgré tout; on veut étouffer les petits scandales, mais les voici réactivés par le biais des pommes!Jeu de circonstance pour pomme en l'air et saluts sur sol glissant plein de pelures et autres marmelade sur le tapis de scène Chacun des spectateurs invité à en emporter une part comme souvenir impérissable d'une soirée mémorable au Théâtre de Haguenau; un lieu plein de surprises de programmation à suivre assidument durant la saison...de la récolte des pommes bien sûr!

Le 13 Décembre au relais culturel de Haguenau

vendredi 9 décembre 2022

"PROG.HB.ZérO": la tête au carré cubique ! Des architectes de la saga-cité! Aurore Gruel fait la tête au carré des lombes!

 


Cie ORMONE France trio création 2021

PROG.HB.Zér0

À l’occasion d’un précédent spectacle, les artistes de la compagnie ORMONE ont imaginé un drôle de petit peuple, les Hommes Boîtes. Avec leur tête au carré en carton et leur corps de danseurs, les voici qui reviennent, propulsés dans le nouveau monde de PROG.HB.Zér0. Voyage inattendu dans un espace aux images foisonnantes.

 

Entre le jour et la nuit, il se passe parfois de drôles de choses. Les trois personnages de la pièce se réveillent dans un univers qui les surprend. Il y a là de quoi jouer et danser entre images, sons, couleurs et objets à explorer. Et les Hommes Boîtes sont ravis d’en profiter, de sauter d’un univers à l’autre et d’inventer ensemble. Plaisir de la découverte et jeux nés de l’imagination sont, pour les héros de cette histoire pleine de rebondissements, l’occasion de se doter de nouveaux pouvoirs.
Créé par Aurore Gruel, PROG.HB.Zér0 poursuit la démarche entreprise par la chorégraphe depuis les débuts de sa compagnie fondée en 2004 : engager le corps dans l’acte poétique. Spécialement conçue pour le jeune public, cette nouvelle pièce pleine de fantaisie s’attache aux sensations en croisant différents langages artistiques : danse, musique, arts visuels. Dans ce spectacle, corps, objets, images s’animent, créant de nouvelles situations, d’autres paysages et récits. Selon Aurore Gruel, il s’agit « d’explorer les formes simples, les couleurs ; de faire de plus en plus de choses tout seul comme s’asseoir, ramper, attraper, courir, sauter, grimper, glisser, imiter… » et d’embarquer le public dans cette aventure.


C'est tout un univers de lumières au sol, au mur qui tracent des images, des hiéroglyphes colorés, mouvants aux formes carrées, petits lego mobiles animés de bonnes intentions icono- graphiques! Les spectres graphiques se promènent, se déplacent comme des pièces de puzzles ...Des cubes-écrans font office de toile de projection, en monticules: c'est du Alwin Nikolais ou de Loie Fuller, toile tendue pour accueillir le mouvement lumineux et le défier. De petits personnages se révèlent, les hommes-boites coiffés d'une structure cubique, masque corporel pour mieux révéler les mouvements du corps.Ils grimpent, réfléchissent dans des attitudes de "penseur de Rodin", ils s'emboitent en autant de pièces d'architecture en construction-déconstruction.Maison, escalier, marches, tout ce qui ne tourne pas rond! Des percussions en bande son signée Hervé Birolini pour accompagner les mouvements à angle droit, sorte de cache-cache enjoué, immergé dans des lumières fleuries au parterre.Les rencontres jouent au couple amoureux qui s'embrasse au carré, qui se poursuit à l'aveuglette dans des lueurs bleu-vert de toute beauté.Des acrobaties périlleuses sur les blocs carrés, des conversations, fusion de baisers et échanges animent le plateau.Soudain l'escalier sculpture s'anime, se met en jambes de façon comique, personnage insoupçonné.dissimulé derrière la structure.


Des nymphéas lumineuses comme décor changeant.On se salue poliment, on s'encastre savamment, en rouage ou engrenage et sur fond de pellicule photo les trois protagonistes asexués font leur cinéma muet, burlesque, mécanique, robotique. De beaux arrêts sur image explorent maille et chainon de corps, alors que le graphisme à la Paul Klee inonde le fond de scène à loisir.Quelques mouvements lents au ralenti laissent le temps d'apprécier la gestuelle, sobre et efficace langage sans queue ni tête, pour arrondir les angles.Telle une marquèterie sans joint avec mortaise souple, les corps s’emmêlent joliment. Puis ce sont des bandes tendues, liens horizontaux comme des fils tissés qui forment un ballet de tendeurs animés par les trois danseuses: géométrie et lumières stroboscopiques mouvantes, zébrures électriques pour partition colorée, telle des signes de notations chorégraphiques.


Le mapping signé David Verlet est un trésor de formes à géométrie cubique variable, inventive et très esthétique aux couleurs pastel donnant un ton et des variations chromatiques insolentes et recherchées.Des tourniquet de cubes évidés à la Sol Lewitt, Donald Judd ou des sculptures très contemporaines de Robert Schad font décor très pertinent et cette "boite de nuit"séduit par son ingéniosité, sa pertinence!Que du bon, que du beau signé Aurore Gruel pour nos bambins émerveillés, considérés comme des esthètes en herbe, des architectes de demain: en connaisseuse du nombre d'or qui fait écho à ces architectures de cité radieuse où il ferait bon vivre avec ces hommes boites matriochka angulaires à la Xavier Veilhan...Les interprètes dont Julie Barthélémy de toutes les expériences extraordinaires, au top de la perception!

Mais comment ces personnages peuvent-ils voir à travers ces masques boites coiffant leurs têtes s'interrogent les enfants spectateurs intrigués par cette science fiction de toute beauté? Par le dessous des masques, ne voyant que leurs pieds! On salue la performance de perception individuelle ,de l'espace des autres.....

A Pole Sud jusqu'au 9 Décembre