vendredi 6 janvier 2023

"Les possédés d'Illfurth": à la recherche du "duende" perdu....

 


"Il est des légendes qui hantent les mémoires villageoises. En 1869, d’étranges phénomènes surviennent à Illfurth, au sud de l’Alsace, où deux enfants victimes de possessions démoniaques furent exorcisés. Natif de ce village, Lionel Lingelser s’empare de cette histoire et y mêle son propre parcours, celui d’un jeune comédien dans son apprentissage, ses doutes mais aussi ses tourments.

Rarement les frontières entre réel et fantasme se sont autant brouillées. Personne et personnage se confondent dans un va-et-vient constant entre le récit intime et la folie libératrice. La grâce de cet incroyable comédien, seul sur scène, transporte le public dans un bal d’émotions exacerbées. Lionel Lingelser offre un flot intarissable de rires, de larmes et croque le présent jusqu’à la dernière miette. Un coup de cœur et un coup de maître !"

Coup de maitre à danser pour cet acteur-comédien hors pair qui déboule dans la grande salle polyvalente de la MAC de Bischwiller: seul et avec" tambour et trompette" il arpente l'espace, vêtu d'une houppelande noire, couronné comme un roitelet de pacotille. Apparition prometteuse de charivari, de tohu-bohu bien frappé à la mesure de ce conte pas "de fée" du tout, fait plutôt pour réveiller en nous fantasmes et cauchemars... Faits d'hiver ou de saison dans ce parcours initiatique d'une vie d'enfant malmené par le sort, fils d'Alsaciens du Sundgau, ficelé par une adhérence au territoire, à l'accent et à toutes sortes de légendes du cru qui façonne un imaginaire, un comportement social de sauvage atypique.Il est avec nous, ce personnage protéiforme, polymorphe en diable qui incarne toutes ses idoles ou tous ses détracteurs en un tour de main de prestidigitateur. Lionel Lingelser "incarne" au plus près de ses attitudes physiques changeantes, de sa voix médusante, les hommes et femmes de son environnement proche; de son metteur en scène tyrannique qui le bride où l’exhorte à trouver son "soi-même" dans le jeu de comédien à son grand-père fantasmé...Un curé diabolique s'échappe de son univers en proposant une visite guidée scolaire détonante de la cathédrale de Strasbourg...Tout converge ici sur le plateau à mener tambour battant un récit multiple qui obéit à une dramaturgie savante de comédie, cabaret, show ou drad queen aux multiples visages. Facéties et aventures burlesque ou dramatiques au poing. Un club de basket héberge son adolescence en un calvaire sexuel forcé, obligé de moeurs divagantes: un viol récurent de l'entraineur devient banalité jusqu'au jour de la rupture!! Un destin destructeur, façonné par la survie, le chagrin, les souvenirs évoqués à la pelle sur l'immense plateau. Le comédien-danseur, acrobate ou circassien dans l'âme et le corps nous entraine en empathie avec son "autobiographie" qui comme une claque se reçoit en plein visage et heurte notre bonne conscience.Cet enfant, cet adolescent, cet homme torturé possède un corps expressif à l'envi, pétri de langage corporel issu d'un travail sur les masque, le "masque" ce petit appendice qui met en évidence toute la carcasse d'un humain pas si légendaire que cela. Car tout ce qui est évoqué ici dans un texte original est réalité, faits et gestes contemporains qui émergent d'un corps galvanisé par les mots, les silences, l'immobilité aussi dans des éclairages variants selon les ambiances, les univers évoqués. Il danse, saute et parcours la scène avec une aisance, une souplesse, un bougé libre et stimulant. On partage grâce à son charisme, la destinée de ces "possédés" d'Illfurth comme un feuilleton passionnant, en apnée, médusé par le savoir faire et être de ce comédien pétri de talents.Et ce "duende" tant recherché par cet homme au masque de comédia d'el arte raté, va émerger subitement pour donner des ailes de chauve souris à cet homme hybride, à la cape de Zorro perdu. 

 

A la MAC de Bischwiller le 5 Janvier

lundi 19 décembre 2022

"La belle au bois dormant" : sans rouet ni épine dans le pied, comme sur des roulettes! Baby doll-boom oblige!

 


"Du célèbre ballet composé par Tchaïkovski en 1890, Marcos Morau a tiré relecture audacieuse : une méditation sur la durée, où la Belle au bois dormant devient l’allégorie de notre rapport au temps. L’univers visuel foisonnant du chorégraphe revisite le sommeil de la princesse dans une procession impétueuse et débridée."

Et si l'on proposait une version freudienne de cet opus-dei iconoclaste en diable, païen, expiatoire et comme la "psychanalyse des contes de fées" de  Bruno Bettelheim, explore les bordures et les failles d'un récit mythique souvent édulcoré...?

C'est une termitière, gonflée, flottante qui pulse qui ouvre le bal: images surréalistes d'un microcosme qui ondule, se meut dans des mouvements choraux voluptueux. Rehaussés par des costumes vaporeux, sortes de crinolines ouvragées, tutus romantiques affriolants, de dentelles et coiffes à la nourrice dévolue à un bébé omniprésent dans les bras de chacune, de chacun. Car ici, on dégenre: pas assez de femmes pour incarner les nounous de cette pouponnière, berceau incubateur de la belle au bois dormant...Alors on berce à foison ce nourrisson indésiré que l'on se passe miraculeusement de bras en bras. Pouponnière à incubation tendre mais pas tant...Du rififi dans cette fourmilière, active, affairée qui ne cesse de bouger et de produire des effets redondants de mouvance qui finissent par lasser. Mais la lumière rougeoyante ambiante qui fait de l'espace scénique une matrice qui engendre la vie utérine de son sang menstruel nous longe dans une atmosphère mystérieuse et clinique.Label rouge....

Walter Sickert: crinoline !

De ces abeilles travailleuses va naitre une léthargie, une somnolence insoumise qui ira à l'encontre de ce sommeil sempiternel annoncé: la belle ne se réveillera pas, plongée dans l'enfance qui rebondit sous forme de poupon de plastique cellulose.Ce petit monde va et vient sur le plateau, en ligne horizontale, pions bien dressés en marche syncopée en cadence dans des glissés à la patin à roulettes impressionnants! C'est incroyable, absurde, fantastique à souhait. Et si conte de fée il demeure, la pièce faites de saynètes et d'entremets savoureux fonctionne à plein gaz. Les parcours et déplacements, les courses alternent peu à peu avec des portés, des duos et autres liens entre les danseurs, obnubilés par ce petit fardeau encombrant qu'est la belle: poupée à la Hans Belmer ou poupée mannequin qui ne fera jamais sa mue de sa chrysalide.? Une valse des fleurs épique pour évoquer la musique ....Qui demeure fer de lance désintégré, déstructuré du "ballet", coup de  balais à l'académisme!



Lâchés comme des salves inondant le plateau, les danseurs opèrent comme des images fuyantes, rémanentes qui passent et repassent, temps qui lutte contre l'oubli, la perte, la fuite. C'est beau, très esthétique et les costumes de crinolines, se transforment en aube ou tenue de sport, gilets rouges d'un labeur oppressant, mécanique, obligé. La lutte est dure, impitoyable et les décors que chacun arrache au fur et à mesure se démontent, disparaissent, comme des lambeaux arrachés à la matrice utérine.La communauté se dissout, la belle encore ingénue et adolescente dans les bras de quelques unes ne verra jamais l'adulte, ni le prince charmant. La marâtre peut-être qu'elle tient au final dans ses bras...Les corps se pressent, dérapent , regardent dans la direction du danger annoncé: ce qui va advenir de la vie de la Belle qui refuse de grandir et de se jeter dans la gueule du loup ou les bras du prince. Pas de baiser, pas de rouet ni de laine-coton, de ouate pour cette version débridée d'une Belle qui rode sans cesse sans s'assumer, bébé éternel dans les bras des langes et autres peaux protectrices.Chemises, lingettes et autres protections, couches et culottes en dentelle qui vont vers la nudité doucement cependant. Pan pan sur le tutu, sur le cul cul pour cette ode irrévérencieuse à Perrault, conte à rebours sagace et vertueux, antidote à la morosité, culottée et iconoclaste. Les danseurs, athlètes prodigieux pour cette performance aérobique impressionnante! Marcos Morau en prestidigitateur, agitateur remarquable metteur en scène à la Pina Bausch parfois interpellée! Épine dorsale d'une Belle agitée du bocal, fœtus éternel pour réjouir les aficionados du surréalisme ambiant!

A la Grande Halle de la Villette le 15 Décembre

mercredi 14 décembre 2022

"Smashed": pom pom show! A croquer comme fruit non défendu ! Un divertissement poétique très incorrect !

 


9 jongleurs, 80 pommes rouges, 4 services de vaisselle, interprété sur des chansons populaires de Tammy Wynette, du Music-Hall à Bach.


Cette pièce présente un mélange sensationnel de virtuosité, inspiré par le Tanztheatre de Pina Bausch. Une suite de tableaux vivants, vus comme des photographies anciennes rappelant les guerres, l’amour perdu, et le charme désuet du thé de l’après-midi.


Dans Smashed, l’utilisation des pommes comme accessoire de jonglage n’est pas anodine. En effet, la manipulation du fruit défendu propose un regard sagace sur les relations tendues entre sept hommes et deux femmes, écorchant gentiment le jonglage traditionnel et le cirque contemporain.

Ce travail drôle, inventif et original est comparé à de la danse théâtrale et remet en cause la perception du jonglage contemporain.

Le plateau s'anime avec une joyeuse bande de lords anglais très clean sur eux, simulant des gestes nobles, sauf que ce sont des pommes qui animent le moteur de leurs mouvements et que c'est ce petit détail qui tue! A la façon Pina Bausch dans son défilé de Kontakof , les voici répétant à l'envi avec petits sourires malins en coin, des tours de magie dans leur espace collectif.Des pommes-tétons, des pommes à terre, en l'air et tout bascule dans une douce dérision, suggérée. Pas de caricature de la grande dame de Wuppertal, mais un échantillon des capacités d'inventivité en inventaire à la Prévert. Sans mot, sans verbe...Des musiques d'antan, désuètes à souhait soulignent et révèlent la tendance à sourire de us et coutumes, des moeurs d'une micro-société ludique, un tantinet perverse et sagace sous les angles...Des dessus de table féminin pour satisfaire aux désirs des hommes, des portés pour mieux s'étreindre, des jeux de rôle, des jeux de pommes pour illuminer la scène . Les deux femmes, malines, mutines se font entourer comme dans "Les Louves et Pandora" de Jean Claude Gallotta, consentantes ou pas, esclaves . Là le bas blesse pour les féministes !Toujours en marche, en action, la grappe de comédiens avance, recule, en danse chorale, à l'unisson ou en individuelle parade. Un grand escogriffe en costume cravate comme ses semblables, joue à la star de la balle rebond, tel un Jacques Tati, Chaplin ou plus proche de nous Christophe Salengro, l'égérie de Philippe Decouflé. C'est drôle, décalé, fripon, coquin La danse chorégraphiée ici pour les besoins de la réception de toutes ces pommes en l'air, est juste, sobre, parfois acrobatique avec des clins d’œil au hip-hop ou capoeira...à la danse contact ."Complètement paf, bourré, brisé" traduit le dictionnaire de ce "Smashed" signé du collectif Gandini Juggling", au service de smash aérien de compétition de tennis ou badminton...Avec pommes en mains!La balle est dans leur camp et ce verger prolixe se transforme en autant de lieux, endroits hétéroclites singuliers.

Un divertissement intelligent, rythmé au cordeau plein de charme, de surprise, animé par une dramaturgie de cabaret, de jeux de jambes à la Mistinguett, music-hall où l'on reste incorruptible, imperturbable devant toutes sollicitations...érotiques, politiques, poétiques. C'est plein de verve, bien dosé comme un bon cidre acide, pétillant, bourru, délicieux, savoureux.Une tasse de thé pour lord échappé de sa tribu qui génère des femmes enceintes de pommes qui accouchent comme des call-girls désabusées très sexy. Et l'on croque la pomme, ce fruit défendu d'un paradis perdu et retrouvé. Au final, on se gave de cette chair végétale à l'envi tout en jonglant au passage. Jusqu'à une compote finale sur le plateau ou détritus et bris de vaisselle jonchent le sol dans un joyeux désordre tonitruant.Il y a de la casse dans ces scènes de ménages, ces tableaux successifs, saynètes virtuoses du jonglage qui mine de rien parcourt tout le spectacle. Discrètement ou ouvertement, objet et sujet de cet opus désopilant plein de distanciation, de recul. Sur l'humaine condition pas toujours radieuse, mais pleine de machineries, de subterfuges, de cachotteries inavouées qui font surface malgré tout; on veut étouffer les petits scandales, mais les voici réactivés par le biais des pommes!Jeu de circonstance pour pomme en l'air et saluts sur sol glissant plein de pelures et autres marmelade sur le tapis de scène Chacun des spectateurs invité à en emporter une part comme souvenir impérissable d'une soirée mémorable au Théâtre de Haguenau; un lieu plein de surprises de programmation à suivre assidument durant la saison...de la récolte des pommes bien sûr!

Le 13 Décembre au relais culturel de Haguenau