samedi 11 février 2023

"Starmania" : un Berger, un Rock'fort à son zénith ! Et une troupe d'artistes polyvalents à Monopolis, saga-cité sans issue.Une dystopie envoutante, magnétique au gout du jour.

 


Le célèbre Opéra Rock créé par Michel Berger et Luc Plamondon il y a plus de quarante ans, revient à Paris à partir du 8 novembre 2022 et en tournée dans toute la France.


Thomas Jolly signe la mise en scène de ce spectacle phénomène. Il est rejoint dans cette aventure par le chorégraphe de renommée internationale Sidi Larbi Cherkaoui. Le public, attendu à partir du 8 novembre 2022 à la Seine Musicale puis dans toutes les plus grandes villes de France, pourra redécouvrir tous les tubes incontournables de cet Opéra Rock : Quand on arrive en ville, Le Blues du Businessman, Le Monde est stone, Les uns contre les autres, SOS d’un terrien en détresse, Besoin d’amour…

 Ce projet est une traversée complète de l’œuvre, guidée par la volonté de remettre en lumière ce que Starmania dit de notre société, de notre monde. Et surtout, l''intention de Thomas Jolly était de proposer une narration lisible, par-delà la vie autonome que les chansons ont acquise en 40 ans de succès. La fable de Starmania s’est, d’après lui, effacée derrière les chansons et diluée au fil des mises en scène.Ce projet est une traversée complète de l’œuvre, guidée par la volonté de remettre en lumière ce que Starmania dit de notre société, de notre monde.

Starmania est une œuvre hybride, qui articule plusieurs disciplines, la musique, le texte, la scène, la danse ; plusieurs formats, ancrés pour les uns dans la culture française et européenne, l’opéra, la tragédie, pour les autres issus de l’univers canadien -et américain- des lyrics et de la comédie musicale ; plusieurs registres, allant de la science-fiction, très présente dans le projet original, au réalisme qui marquait davantage la version de 1988, le bar, la banlieue, le travail… Son principal défi est de prendre en compte toutes ces hybridations, qui font la profondeur de l’œuvre, et d’en rééquilibrer les valeurs.


Starmania est une œuvre tragique au sens classique du terme, c’est-à-dire marquée par le destin, l’inexorable. Tout le monde cherche à s’élever, mais tout le monde meurt. Chaque personnage incarne une tentative d’existence, mais toutes sont avortées. C’est une vision presque nihiliste, une œuvre sur la dépression, la mélancolie, l’angoisse du rapport au temps, l’angoisse et la violence de vivre. Les mots choisis par Luc Plamondon pour traduire ce mal-être, cette recherche éperdue d’une place – sa place – dans le monde sont d’une force incroyable. On dirait même shakespearienne : Luc Plamondon met des mots simples sur des états intérieurs complexes que nous connaissons- ou avons connu – tous et toutes. C’est certainement aussi l’une des clefs de leur succès populaire et intergénérationnel. 


Résultat un show impressionnant au coeur du Zénith de Strasbourg, cette termitière, cette citrouille orangée de Fuksas, architecte de l'urgence, de l'éphémère.Sur scène, une architecture digne de la ville Monopolis, structure gigantesque qui occupe le plateau immense et se déplace à l'envi. Un "Métropolis" expressionniste ou futuriste, une "saga-cité" cruelle.Escaliers, niveaux où se déplacent chanteurs et danseurs sous la houlette de Sidi Larbi Cherkaoui qui lui aussi plonge dans un nouveau registre qui lui sied à merveille. Déjà chorégraphe du clip du parfum Hermes Twilly le voici embarqué dans une aventure de comédie musicale où l'on ne peut pas faire dans le détail, mais le spectaculaire: mouvements de masse à l'unisson, courses débridées, frontal d'un ensemble tonique ou meltingpot de corps enlacés, ondulant à terre pour une orgie simulée...C'est beau et touchant, en symbiose avec la mise en scène et les décors, soulignant une dramaturgie très organique: entre corps et voix, tout est souffle et énergie, drame et amour. Une sylphide suspendue au cintre pour magnifier une scène digne du casino de Paris...J'aurais voulu être un chanteur" en figure de proue de cet opus gigantesque, lumineux. Les éclairages sont somptueux, inventifs, tissant des faisceaux d'ombre et de lumière, galvanisant les artistes. Inondant la salle, balayant l'espace surdimensionné des volumes de  la salle, comble pour cette occasion unique de partager émotion et souvenirs, nostalgie et découverte. Les chanteurs déploient leur talent à l'envi, jeu et chant de légende comme outil de transmission d'une histoire sombre et assassine. Ziggy particulièrement attachant. Alex Montembault en Marie Jeanne encore plus troublante à la voix de bronze envoutante.


 Les costumes sont griffés de Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton qui a été approché pour habiller les personnages de la comédie musicale: “Comme beaucoup, j’ai été bercé par Starmania, a déclaré le créateur, une oeuvre à dimension visionnaire et dystopique qui me fascine.”  “Je me suis demandé comment les personnages, si emblématiques, de Starmania pourraient être habillés en 2022, glisse-t-il. J’ai souhaité élaborer un vestiaire ultra contemporain : chaque personnage incarne l’une de mes collections, comme un répertoire du vocabulaire de la maison.” Définie comme “une œuvre tragique à l’énergie noire” par son metteur en scène, l’opéra rock fait écho au travail de Nicolas Ghesquière dans sa dimension étrange. Et dystopique!

Une dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contrainte de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre. 

 

https://www.youtube.com/watch?v=5leHaR5jjbQ : clip hermès

Au Zenith à Strasbourg jusqu'au  13 FévrierPropos

Propos de sidi larbi cherkaoui:

De même que la musique confère aux mots un deuxième niveau de sens, j’aime trouver un troisième sens aux mots chantés. Chercher, à chaque fois, une autre vérité à l’intérieur d’eux. Il ne s’agit pas de rajouter quelque chose, mais d’aller toujours plus loin en profondeur.
La rencontre avec Thomas Jolly a été super. Il a une énergie folle, une vitesse d’esprit impressionnante. Il est vif, éveillé, conscient. C’était passionnant d’échanger avec lui, d’entrer dans sa vision, de me mettre au service de cette vision en tant que chorégraphe. La chorégraphie fait partie prenante de la dramaturgie. Je vais essayer de travailler avec les danseurs pour qu’ils incarnent absolument la musique. Que leurs mouvements donnent à la musique quelque chose de visuellement présent, de palpable. Thomas aussi a une conscience du mouvement très précise. Je lui dis à chaque fois : « mais tu es aussi un chorégraphe ! ». Il a cette capacité à savoir ce qu’il veut voir.

Il travaille sur le sens, celui de l’histoire, celui des mots. Il traduit cela dans des images fortes et avec une « physicalité » très présente, et cette « physicalité » sera l’un des partis-pris de notre travail.
Les danseurs sont 12, 6 hommes et 6 femmes. J’ai déjà travaillé avec certains d’entre eux dans d’autres contextes. Il y a aussi de nouveaux danseurs et de nouvelles danseuses, que je rencontre pour la première fois, et qui m’ont bluffé dans les auditions. Ils ont tous une sorte de vocabulaire très personnel, très pointu. C’est sur eux que j’ai envie de m’axer. Ils sont inspirés par des styles qui viennent de la rue, et qu’ils développent comme s’ils étaient le langage de chaque personnage. Leur caractère singulier, leur unicité doivent porter le mouvement, de la même manière que Starmania, en tant que musique, a été portée par des voix très particulières, de chanteurs et de chanteuses iconiques qu’on n’oubliera jamais. J’ai envie de trouver dans la chorégraphie quelque chose de cet ordre-là, qu’on se rappelle ce danseur ou de cette danseuse, qu’on soit bluffé par son énergie et sa capacité à se fondre avec la chanson, pour ne faire plus qu’un Ce qui me touche infiniment dans Starmania, c’est sa dimension apocalyptique, qui fait coexister un tel désespoir et une telle beauté. Comment l’œuvre parle d’amour, dans un univers d’individualisme extrême. Je suis aussi bouleversé par l’espace qu’elle donne à la diversité, par sa capacité à voir la
valeur des êtres humains, que la société a tendance à réduire à leur place sur une échelle, avec des gens au top et des gens tout en bas. En tant que jeune homme homosexuel, le personnage de Ziggy m’a énormément touché : à une époque où certaines minorités étaient invisibles, où il n’y avait pas de mots pour en parler, Starmania y parvenait d’une très belle manière. La beauté de Starmania, c’est de créer un univers pour tous.

vendredi 10 février 2023

"Burning bright": Hugues Dufourt "Blake is black". Des "accessoires" comme des "sots l'y laissent" dans un salon des refusés!

 


BURNING BRIGHT, Hugues Dufourt


"Dans ce poème incandescent, William Blake exalte le choc des contraires, véritable matrice du monde et condition originaire de toute manifestation de la puissance créatrice. Le conflit primordial de l’ « innocence » et de l’ « expérience », ces deux états extrêmes de l’âme humaine, traverse tout l’œuvre poétique de Blake, lui imprimant sa dimension tragique et son style visionnaire. Non-conformiste et libre-penseur, violemment hostile à la moralité répressive ainsi qu’à toute forme d’oppression théologique et politique, Blake prit le parti de la Révolution française et dénonça la mise en esclavage des noirs d’Amérique, sans renoncer à une forme de quête mystique – dans la lignée de Dante et de Milton -, seule capable à ses yeux d’exprimer la splendeur des illuminations intérieures. La fureur éruptive et hallucinée de ses visions inspire crainte et effroi. Plongé dans les abîmes d’une condition de misère, l’homme peut néanmoins voir sourdre dans le monde une lumière brûlante qui lui indique, sans promesse aucune, la possibilité d’un règne autre que celui des prédateurs."
 

 
"Burning bright"
   Avec les percussions de Strasbourg: un puissant "Burning bright", une reprise depuis sa création en 2014 au TNS dans le cadre du festival Musica..
On retrouve avec enthousiasme et impatience la formation légendaire percussive,dans une configuration scénique en demi-cercle, le plateau occupé par une multitude d'instruments hétéroclites autant que "classiques".
Ambiance feutrée, fine et subtile pour rendre visible et perceptible  "The tiger", l'un des plus célèbres poèmes de la littérature anglaise de William Blake.Style tragique et visionnaire qui se plait à flirter avec les mille et une sonorités des percussions.
Multiples timbres et résonances, amples, diffus, dessinant un espace sonore inédit, étrange.
Secousses telluriques, sismiques et très tectoniques pour une œuvre inspirée par la profondeur universelle de la poésie, sans récit ni anecdote.Un spectacle aussi, grâce aux visions de science fiction qu'offre  ce déferlement de gestes des interprètes virtuoses de ces percussions surprenantes: un bac d'eau scintillant où parfois le musicien plonge ses plaques de cuivre résonantes....Une empathie singulière s'installe , une communion unique se forge tout au long de la prestation avec la tension, l'attention des musiciens sur le plateau, sur le fil d'une dramaturgie musicale faite de sons en couche, en strates qui gravissent les parois sensibles d'une audition collective en sympathie.
C'est comme un univers qui "grelotte", qui vibre, chiffonné. Des disques, des toupies frissonnent , réverbèrent la lumière en une scénographie magique et rituelle, en demi cercle chamanique.Ça grésille, frissonne, vrombit, rissole, crépite à l'envi comme un enfer de sons inédits. Embrasement, effondrement, fricassée orientale de gongs comme dans un temple maudit.On s'y engouffre, on résiste à la vision de cette avalanche tectonique, géologique en diable, cette usine à broyer le son, en tréfonds aquatique, en ventilation de tourniquet de mauvaise augure... Du granit rugueux dans ce séisme, cet ouragan, ce raz de marée où des tournesols lumineux scintillent comme une toile de Van Gogh sous la tourmente.
Du grand art pour cette performance saluée chaleureusement par un public, ce soir là, conquis par l'atmosphère apaisée, douce et planante au final de l'oeuvre proposée.
Des univers visuels et fantastiques au coeur de la création contemporaine! Hugues Dufourt, à la "hauteur" des ses péchés capitaux: les interdits harmoniques, "triolets" savants diaboliques. Un cabinet de curiosité, un "enfer" musical à observer en toute" obscénité". Ob-scène: derrière la scène.


Depuis le milieu des années 70, Les Percussions de Strasbourg et Hugues Dufourt entretiennent une relation complice. Près de quarante ans après Erewhon, le compositeur leur dédie une nouvelle œuvre phare en 2014.
  En 1977, à Royan, la création de Erewhon pour six percussionnistes et 150 instruments marque l’avènement d’un compositeur de trente-quatre ans et inaugure l’ère des grandes pièces pour percussions, ces symphonies modernes déjà expérimentées par Edgar Varèse ou encore Iannis Xenakis.
Grâce à cette partition extraordinaire, Hugues Dufourt, compositeur, philosophe, chercheur, entretient à l’évidence un rapport personnel et historique avec le groupe de Strasbourg et son prodigieux instrumentarium. Il n’avait pourtant pas remis l’expérience sur le métier, à l’exception de la brève Sombre journée (composée peu de temps après Erewhon en 1976-77) et, en 1984, La Nuit face au ciel, créée cette fois-ci par d’autres jeunes percussionnistes.
Burning bright est donc à la fois un retour aux sources et une nouvelle exploration de ce continent infini qu’est la percussion.
 
A l'issue de la représentation,Hugues Dufourt donne quelques clés pour appréhender cette œuvre nouvelle sur laquelle il travaille depuis 2010 : réflexions autour du geste (tailler, assembler, déplacer et briser), sur les modes de jeu, sur les associations instrumentales et la substance sonore. À ces objectifs théoriques correspondent des objectifs artistiques qui combinent essence de la percussion, temporalité, essence de la composition et esthétique.Et la notion d'accessoire se fait évidence pour cette opus de "l'inquiétude collective" aux formules et associations inédites."Un véritable magasin d'accessoires", les laisser pour compte de l'histoire, les "rebus" de la musique.De cette "cérémonie cannibale" les instruments se font festifs, reliques des interdits, retour des refoulés, des refusés, des revenants. A l'encontre des normes, la "hauteur" qui a la primauté dans l'écriture et la composition musicale Pas de registre fonctionnel, mais des apparitions brutes, terrifiantes pour un rapport à l'au delà menaçant fruit de l'épouvante. Le "waterphone" y devient la synthèse de l'angoisse filmique, cinématographique en diable. Le crime est presque parfait dans cette oeuvre sombre : comme plusieurs accessoires en un seul, trouvé en Afrique qui aspire à la hauteur, rauque dans cette "raucité" emblématique de l'opus.La notion de métamorphose platonicienne, transformation perpétuelle y fait rage: on "pèche", on se réincarne sempiternellement dans des pulsions qui ne savent plus quelle forme prendre... L'animalité échappe à la percussion dont l'avenir serait bien l'informatique!
Avec ce dernier point, Hugues Dufourt définit en quelque sorte le contour de son projet : « L’esthétique récente a souvent pris l’entropie pour un principe libérateur, alors qu’elle ne faisait que consentir à la pulsion de mort et sombrer dans un univers anomique et dépressif. Le propre de la percussion est au contraire de tirer son pouvoir d’émergence de son exploration des profondeurs. »

  Minh-Tâm Nguyen, Alexandre Esperet, François Papirer, Thibaut Weber, Hsin-Hsuan Wu, Enrico Pedicone
 
 

Jeudi 9 février 2023, 20h
Théâtre de Hautepierre, Strasbourg 
 


jeudi 9 février 2023

"EVE": je vis Eve sans Adam :"chanter c'est honorer l'oxygène": sans entrave, liberté je chante ton nom! Au féminin pluriel.

 


Voix de Stras' - EVE Strasbourg

par Chœur de Chambre de Strasbourg

Voix de Stras’, bâtisseuses de ponts
“Sous le titre « EMPOWER VOCAL EMANCIPATION », les « Voix de Stras' » lancent un programme exceptionnel, en coopération avec les chanteuses du chœur amateur de l’Asian University for Women de Chittagong au Bangladesh”

EVE - comme Empower Vocal Emancipation, "Donner voix à l’émancipation" - est le nom d'une aventure inédite portée par Catherine Bolzinger et son ensemble lyrique professionnel Voix de Stras’ et des chanteuses du chœur amateur de l’Asian University for Women (AUW) de Chittagong au Bangladesh. Cette aventure de partage de chants, de voix et de valeurs, a donné lieu à la création d'une œuvre commune mais aussi une tournée de concerts dont voici le premier à Strasbourg.Construit comme une mosaïque, le programme mêle les oeuvres qui vont suivre.

On démarre le concert avec les oeuvres arrangées par Lionel Ginoux à partir des chants récollectés sur place par Catherine Bolzinger, chaque pièce porte le prénom de la chanteuse qui a donné sa chanson.. C'est Visages, création pour choeur de femmes a capella. Autant de "petites nouvelles" musicales au format court, brève intrusion dans le monde sonore protéiforme, polyglotte et pluriel de ce récital. Une myriade de petits bijoux, constellation de sons, d'origines géographiques et linguistiques panachées.Un panel coloré, chromatique, une galerie de portraits sonores de tous les continents ou provinces visités musicalement. Un canon rythmé en ouverture, de beaux fortissimo dans les aigus, alors que la cheffe au centre du groupe en demi-cercle sur l'estrade signe de beaux gestes qi qong, hauteur, intensité,volume, en caressant l'air amoureusement. Une "berceuse" avec soliste et choeur ouaté où le son se perd, feutré, comme un doux murmure caressant. Une autre mélodie spirituelle, mystique où le son disparait peu à peu, fuit et se perd à l'horizon.Le tout ravigoré par l'énergie d'un chant bucolique, champêtre, alerte à la facture tectonique, gaie, joyeuse et entrainante. S'enchainent les vibrations cosmiques d'autres pièces, très dansantes que les huit femmes entonnent d'un même élan. Le tout ponctué par quelques citations littéraires de circonstances. De ces "visages" on retient la multiplicités des traits et caractères, la beauté des sons distillés à l'envi par ce "coeur" palpitant de femmes musiciennes en diable.

Suit de André Caplet, Messe à trois voix égales, pour choeur de femmes. Un "sanctus" vivant, singulier, très nuancé, recueilli, alerte et plein de bonnes vibrations.Au tour de Catherine Bolzinger de nous offrir une composition originale de son cru:"Yamunai Attrile". Des murmures à l'unisson tapissent l'espace, une voix en soliste en émerge, puissante, le tout rythmé, scandé en cadence. Une atmosphère joyeuse en sourd, des sourires se dessinent sur les visages des chanteuses, galvanisées par ces caquètements en canon, cette communauté de volatiles comme un paysage pastoral, une petite symphonie, condensé de sonorités atypiques. "Chanter, c'est comme honorer l'oxygène" disait Björk la chanteuse!

Avec la composition de Pascal Zavaro "Raison labiale" nous voici plongés dans un monde sonore d'onomatopées, de borborygmes, de curiosité vocales inédites très seyantes à l'ensemble.Soupirs, cris vont bon train, cavalcade pour une volière rieuse et enjouée: c'est drôle et percutant, chaotique à souhait, vivant .Des sifflets, des claquements de langues sur le palais, des essoufflements, des baisers: un panel sonore riche et très bien orchestré...On y chante comme on respire, la magie du chant choral opère, une "humanité augmentée" pour ces rencontres métissées, féminin-pluriel de toute beauté et sensibilité.Avec "Kharnaphuly" de Catherine Bolzinger, tout commence avec des percussions corporelles, un chant relevé, complexe enchevêtrement de citations musicales, incisives, dissonantes dans des aigus purs et limpides. Les "visages" de Lionel Ginoux succèdent avec un solo émouvant d'une chanteuse en tenue indienne à la voix timbrée, vibrante, simple émission très troublante d'émotion, de souffle léger parmi le public.Une ode très douce suit, en tenue soutenue, en couches sonores séduisantes pour à nouveau soutenir et accompagner la voix soliste. Comme un choeur universel plein d'influences sonores diverses puisées comme des trésors linguistiques et musicaux rares. Quelle récolte fabuleuse que ces pièces rapportées pour le meilleur de leur existence dans les mémoires et inconscient collectif des populations interrogées.

"Zingarelle" en hommage à Verdi de Catherine Bolzinger fait office de "correspondances" sidérantes entre vocalises classiques et théâtrales et sobriété des mélodies ethniques.Une belle soliste lyrique s'en empare pour donner au morceau toute sa légitimité dans ce programme d'un cru plutôt abrupte et sans fioriture.Le tout rehaussé par l'intervention du choeur, enrobant la voix, bordant les sons et enveloppant de chaleur la solitude vocale d'une muse "Echo"perdue dans ces paysages inconnus d'Orient. 

On embarque ensuite allègrement avec "Estaca"de Catherine Bolzinger pour une lecture plurielle d'oeuvres en citations qui s'enchainent virtuosement: on visite "Carmen" Ennio Morricone, un tango mythique et autres  fantaisies adaptées du répertoire, pour un voyage incongru et burlesque.Un melting pot humoristique sans façon, abreuvé de sonorités de références, en correspondance toujours avec les recherches musicales d'autres continents.C'est comme un poulailler enchanté, un paradis sonore accueillant qui ouvre les portes à la diversité sans négliger l'intégrité de chacune.Presque un final en conclusion. Mais une dernière prière cambodgienne vient nous bercer, c'est "Sophom"de Lionel Ginoux, encore une facette, un profil de ces "visages", une plainte gracieuse, recueillie à six voix, très habitée, incarnée, vécue d'un même souffle engendrant la vie.

Au final les dix chanteuses se groupent, solidaires, pour une unisson fédérative, libératoire et libertaire en hommage au chant qui unit et fait avancer la communauté.

Et la cheffe de nous conter la genèse d'un de ses morceaux: une légende d'entrave, de pieux empêchant la liberté de deux personnages reliés à un handicap: on peut franchir les montagnes et se libérer de son joug pour mieux apprécier la liberté et l'identité de chacun: un credo partagé par toutes celles qui sur l'estrade de la salle résonante et chaleureuse du Munsterhof ont fait office de bannière, de porte drapeau de l'empathie. Se délivrer des entraves pour mieux aller vers l'autre et partager cette expérience unique: des "EVE" sans Adam dans une échappé belle, une envolée sonore riche de vibrations pluri-elles.


  • Bela, chanson de la tribu tripura du Bangladesh
  • Novita, chanson du Timor oriental
  • Marjana, chanson d’une tribu chakma du Bangladesh
  • Roshani, chant de cueillette du Népal
  • Soma, chant patriotique de Rabindranath Thakur dit Tagore (répertoire bengali )
  • Sonali, chanson d’État de l’Assam
  • Marjana, chanson de la tribu Chakma du Bangladesh
  • Sophorn, prière cambodgienne
  • Mahla et Umayching, chanson de la tribu Marma du Bangladesh

NB : chaque numéro porte le prénom de la chanteuse qui a donné sa chanson.

Chansons européennes arrangées par Catherine Bolzinger :

  • Estaca, hymne à la liberté catalan
  • Greensleeves
  • Libertango, d’après Astor Piazolla
  • Die beste Harmonie, d’après Wolfgang Amadeus Mozart

 salle du Munsterhof le 8 Février à Strasbourg

A Breitenbach le 9 Février

 

"A un moment où le monde se rétrécit, secoué par les guerres, maladies et injustices qui font que les gens restent de plus en plus chez eux, de peur de l’Autre, les chanteuses des « Voix de Stras’ » se comportent de manière totalement anticyclique – avec un projet en coopération avec les chanteuses du chœur amateur de l’Asian University for Women de Chittagong au Bangladesh, Catherine Bolzinger et les membres de son ensemble lyrique professionnel – les artistes européennes et asiatiques construisent des ponts culturels qui sont de ceux dont le monde a actuellement besoin.