jeudi 16 mars 2023

"Gli Anni": limonade chorégraphique pétillante, romancée, relevée. Déplier le corps leporello. A livre ouvert.

 


Marco d’Agostin Italie solo création 2022

Gli Anni (les années)

Chorégraphier à partir des secrets du corps. Celui d’une danseuse en particulier, Marta Ciappina. C’est à quoi s’attache Marco D’Agostin. En créant Gli anni (Les années), pour et avec elle, l’artiste italien tente une nouvelle approche : danser comme à l’ombre d’un roman, avec les imprévus et les décalages que suscite le montage musical, une playlist de chansons pop et rock des années 80 à 2000.


 

Tout comme en littérature – que l’on pense au titre éponyme des romans de Virginia Woolf ou d’Annie Ernaux croisant mémoires intimes et collectives – Les années (Gli anni), ces récits de vie qui vont de la saga familiale à l’autobiographie, se consacrent au temps. Et c’est bien ce que convoque Marco D’Agostin à travers l’écriture de cette nouvelle pièce. Déjà dans son solo Best Regards présenté la saison dernière à POLE-SUD, lettres et correspondances tenaient un rôle prépondérant dans cet hommage rendu au danseur et chorégraphe britannique disparu Nigel Charnock.
Dans Gli anni qu’il crée en tandem avec Marta Ciappina, danseuse et pédagogue qui en est l’interprète en solo, le chorégraphe italien poursuit la traque des signes dont il fait la matière de ses créations. À partir du corps même de l’interprète, de ses gestes singuliers et vibrants, de sa mobilité fluide ou disloquée, Marco D’Agostin fait de ces mouvements les messagers d’un récit sans faux semblants, à la fois cru et délicat. Sans pour autant recourir aux mots, Gli anni fait son office et met à jour d’indicibles émotions à travers une forme abstraite qui s’adresse à tous. Une danse énigmatique des souvenirs émane du corps désarmé de l’interprète.

Limoncello...

Compte, décompte comme lors de l'apprentissage, à l'école, en famille: compter des citrons en rythme, en dansant, en errant sur le plateau, chemise blanche brodée et pantalon seyant: elle, une jeune femme au visage lisse, ouvert, à l'écoute, à l'affut. De l'envergure dans les geste, bras ouverts, des mouvements acérés et directs entre l'air et le sol, dans des directions divergentes. Fluidité et efficacité des décisions de chemin, de parcours: en avant, à rebours comme happée par le passé-présent, un sac à dos pour seul bagage. Elle en extirpe un chien, statue de porcelaine, immobile objet, sujet de mémoire. Une carte magique, des lettres en petits cubes carrés...Des objets souvenirs qui tiennent ç corps. Alors que sur un petit écran suspendu, quelques préceptes kinésiologiques s'affrontent à ses gestes et en soulignent la source.


Mouvance dictée par la verticalité de la colonne vertébrale, par ce qui soustent chaque geste: l'énergie, le fluide.Émouvante figure incarnant les strates des mots qui nous forgent, la danseuse se meut et s'émeut devant nous en grande empathie. Regard attachant, séduisante personne irradiant autant de la malice que du détachement. Marta Ciappina en modelage constant incarnant à sa guise les propos et intentions du chorégraphe Marco D'Agostini. Mutine et distancée, présente et forte d'imprégnation du sujet. Elle se libère alors sur un patchwork de musique pop, rock, souriante, épanouie, séduisante.C'est comme un roman, une histoire à construire le temps de la représentation, avec un lettrage de scrabble, une missive lue par un spectateur. Danse revolver qui fait "bang" avec humour désopilant et dérisoire meurtre d'un polar nanar. 


Et des images de films familiaux en super 8 de défiler au lointain: on y aperçoit des fillettes qui comptent des citrons! Et la boucle est bouclée...A rebrousse poil.Rembobinez! Limonade pour trinquer...Faites vos jeux, l'histoire peut recommencer ou continuer. Comme il vous plaira de feuilleter ce livre à corps ouvert, d'en faire un exercice d'Oulipo littérature potentielle ou de leporello...Le leporello, également appelé livre accordéon, ou encore livre frise, est un livre qui se déplie comme un accordéon grâce à une technique particulière de pliage et de collage de ses pages. Danse qui se plie et se déplie à l'envi, se lit, se relie à toutes les fantaisies sur la perception du désordre, de l'incongru, de l'absurde.Un téléphone jaune relié de la main à l'épaule par l'omoplate pour anatomie de l'énergie du geste...Belle image du flux qui relie. Sans raccrocher surtout, la communication n'est pas interrompue...


A Pole Sud jusqu'au 16 Mars..

 


"Candide" de Léonard Bernstein: Pangloss, Cunégonde, Candide et les autres....Bernstein s'amuse....

 


Strasbourg Palais universitaire de Strasbourg Dates 15 17 19 mars 2023


En partenariat avec La Filature – Scène nationale de Mulhouse et avec le Service de l’action culturelle de l’Université de Strasbourg, dans le cadre de la programmation anniversaire de son dispositif Carte culture.

Direction musicale Samy Rachid Opéra Studio de l'Opéra national du Rhin, Chœur de l'Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse

Pangloss et Martin Lambert Wilson Candide Damian Arnold Cunégonde Floriane Derthe La Vieille Dame Liying Yang Maximilien Oleg Volkov Paquette Brenda Poupard Le Capitaine Andrei Maksimov Le Gouverneur Glen Cunningham Vanderdendur Iannis Gaussin

Comédie musicale en deux actes.
Livret de Lillian Hellman et Richard Wilbur, avec Hugh Wheeler, John Treville Latouche, Dorothy Parker et Stephen Sondheim. Créée le 1er décembre 1956 au Martin Beck Theatre à New York. Version de concert.

« Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles. » Ainsi parle Pangloss à son disciple Candide pour l'encourager sur les chemins de l'optimisme. Il faut dire que la vie est plutôt douce à la cour du baron de Thunder-ten-tronckh. Mais voilà Candide bientôt arraché de ce coin de paradis après avoir échangé un baiser innocent avec la belle Cunégonde. Mis à la porte du château, il découvre la guerre et entame un périple autour du monde, de Lisbonne à Buenos Aires, en passant par Paris, Venise et l'Eldorado. De déconvenues en mésaventures, le malheureux voit les grands principes de Pangloss se fissurer à l'épreuve de l'expérience. Il en viendrait presque à délaisser les sirènes de la métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie pour cultiver son jardin...
Avec Candide (1759), Voltaire raille joyeusement l'optimisme aveugle et les travers de la société occidentale avec un sens de l'ironie et un comique de situation qui annoncent déjà le théâtre de l'absurde. Mis en musique par Bernstein un an avant West Side Story, ce conte philosophique devient progressivement un classique de la comédie musicale américaine, porté par son ouverture et l'air des bijoux de Cunégonde, le pyrotechnique « Glitter and Be Gay ». Lambert Wilson prête sa voix au philosophe Pangloss et emporte avec lui la troupe des jeunes chanteurs de l'Opéra Studio dans un réjouissant voyage en absurdie.

En tout démarre par une belle introduction du Président de l'UDS Unistra Michel Deneken l'occasion de cette "fête" pour célébrer avec les étudiants, les 30 ans de la carte culture, dispositif qui fédère les institutions pour fidéliser les jeunes à l'art et ses monstrations diverses! Hommage à la "jeunesse", à l'enthousiasme, ce qui nous porte et transporte en commun dans des mondes parallèles tout à fait fréquentables.

Alors en avant pour le chantre de l'optimisme pour une écoute exceptionnelle au Palais Universitaire, transformé pour l'occasion en salle de spectacle impériale...Le directeur de l'Opéra du Rhin, Alain Perroux,complice de ce challenge technique et artistique comme partenaire idéal !

Un opéra comique, opérette idéale bordée de références à des univers musicaux proches du "genre": ainsi  se promènent à travers la partition des chants, du choeur et de l'orchestre, des bribes mozartiennes, un peu de Lenhart,un peu de Bernstein style West side Story dans les introductions à suspense, les silences percutants, les pauses parlées. 


Lambert Wilson en maitre de cérémonie, un conteur-lecteur idéal doté d'une diction, d'une élocution hors pair: incarnant un Pangloss, comédien et personnage versatile de toute beauté. Il chante bien sur, aisé, performeur de charme en compagnie des "jeunes voix" de l'Opéra Studio, solidaire et laissant la place à ces chanteurs-comédiens, engagés, séduisants, convaincants. A la façon d'un Pygmalion bienveillant...Notons l'interprétation maline, coquine de Floriane Derthe, en Cunégonde à la technique vocale irréprochable, ne contournant aucune difficulté, enracinée et débordante d'authenticité. Moulée dans une robe scintillante, elle donne à entendre et voir ce personnage clef de l'intrigue, des rebondissements et coups de théâtre multiples de cette fable fondatrice. Elle se comporte face aux événements rocambolesques qui ponctuent la narration et la musique, avec aisance et abordant les contre-Mi bémol avec décontraction, désinvolture et sans filet. Les autres se partagent le devant de scène frontal, Candide, Damian Arnold,adorable "jeune homme" éperdu et transi, la vieille Dame, Liying Yang, drôle et solide, pleine d'humour et de détachement: bref, des interprètes aguerris, lyriques à la solide formation qui prennent la scène pour cette version concertante avec un jeu pertinent, sobre et fort éloquent. L'Orchestre portant cette légende de littérature philosophique comme un berceau musical où les références parfois à la Carmina Burana du choeur font basculer dans tous les espaces de navigation géographique de cet opus incongru."Candide" comme une ode à la fantaisie, à la voix, au récit et aux aventures inénarrables d'un microcosme qui prend des proportions de résonances gigantesques. Le chef Samy Rachid à la baguette, souple, rebondissant, le corps engagé dans cette musicalité fantasque de haute volée, défiant les embuscades et embuches d'une partition versatile, d'une composition sonore complexe et ravissante !

Une fête à partager avec la jeunesse estudiantine et les officiels réunis à cette occasion pour que la sacro sainte culture descende de son socle, de son piédestal pour être abordée sur les marches du Palais sans dérouler le tapis rouge.

mercredi 15 mars 2023

"Actuelles" : "Une rose au milieu des ruines" : le tour du monde de la voix de Warda...Des "dé-orientés" avec boussole , cap et repères de navigation- cabotage.

 


CINQ SOIRÉES DE LECTURES A ECOUTER, VOIR, SAVOURER

Actuelles est un temps fort proposé par le TAPS autour de l’écriture du théâtre d’aujourd’hui.

Cinq textes de théâtre actuel sont sélectionnées par les artistes associé·s au TAPS, Pauline Leurent et Logan Person, et le comité de lecture du TAPS. Ces textes sont ensuite lus et mis en musique par des artistes de la région (comédien.nes, musicien.nes, directeur.trices de lecture) lors de cinq soirées uniques.
Chaque soir, le public prend place au sein d’une scénographie qui privilégie la proximité avec les artistes, inventée par des étudiant·es de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR).
La créatrice culinaire Johanna Kaufmann concocte des mises en bouches inspirées par les textes et dégustées à la fin du spectacle lors d’un échange entre le public, les auteur.trices et l’équipe artistique.

Du 14 au 18 mars 2023, 20h30, au TAPS Laiterie
Tarif unique 8 € – Pass 5 soirées 25 €


Dans ce long poème dramatique, empreint de mélancolie, l'idole transgénérationnelle représente la femme aimée perdue, la mère patrie, celle qui contient dans sa voix, la promesse de jours meilleurs.

Amar, jeune égyptien, réfugié politique, essaie de retrouver l’amour et l’espoir dans les bras de son amante, Elsa, dans une chambre d’hôtel en écoutant de la musique arabe.Nejma, une jeune palestinienne venue en France pour faire des études de médecine, rêve de participer à un télécrochet et chanter les chants patriotiques de son idole.Saci, un chibani algérien, tue le temps et l’amertume depuis la mort de son épouse, en repassant en boucle la chanson de leur amour.Issam, jeune exilé syrien, parcourt la ville à la recherche d’un lecteur CD pour écouter la chanson préférée de sa fiancée, Sana.

Quatre personnages arabes, tous éprouvés par l’exil et la douleur de voir le monde arabe s’effondrer, se raccrochent à un univers culturel intime qu’ils convoquent en écoutant la musique de la diva Warda-al-Jazaïria.

La scène de la salle des TAPS Laiterie est transformée à l'occasion: huit laies de voile ou toile blanche sont suspendus, comme des fantômes ou personnages qui vont parfois masquer, occulter la présence de cinq comédiens-ennes-. Assis où campés sur un amas de ruines, briques ébréchées et confettis de cendre noire, comme autant de vestiges d'un passé-présent-et avenir de ces populations d'exilés, de migrants qui peuplent le monde arabe et les pays environnants du moyen orient. Dé-s-orientés, ces personnes là qui pourtant prônent "l'amour arabe", l'amour de la culture arabe..Peu à peu se profilent des caractères, inquiets, amoureux, généreux, rêveurs. Un père, incarné brillamment par Frédéric Solunto à la voix qui porte et très nuancée, contrastée, chérit sa fille qui ne songe qu'à chanter pour vivre, se libérer, exister à la façon de Warda, la diva emblématique du chant d'espoir, de vie, de chaleur. C'est touchant, émouvant et la musique live de Sarah Jamali, s'ouvre délicatement dans une attente jouissive comme les préambules amoureux, les préliminaires de la musique même de la grande chanteuse. Petit à petit se révèlent toutes les thématiques abordées sans militantisme dans la discrétion, la suggestion de toutes les facettes de la douleur, de la mélancolie sans nostalgie de valeurs perdues. La perte comme un gain, un regain de joie, de réalisme pour bâtir à nouveau sur des bases nouvelles à inventer. Le texte est sobre, la langue efficace et sans fioritures, et avec empathie on croise chacun d'eux avec intérêt, curiosité et découverte de singulières destinées. Aux consoles la musicienne semble orchestrer, unir et fédérer ces hommes et femmes vouées au "déplacement" au "soulèvement" à la Didi Huberman..(qui fut une exposition transdisciplinaire sur le thème des émotions collectives, des événements ...) Les corps se soulèvent et ne se "révoltent" pas sans raison organique et émotionnelle....Comme une danse libre et volontaire, un aveu de chorus unissant les énergies pour construire et s'identifier sans haine ni regrets.

On rejoint les questions politiques par le biais de la poésie et de la gourmandise: à cet effet l'autrice cuisinière Johanna Kaufmann  ne fait qu'une "bouchée" de cet univers craquant plein de fragrances, de saveurs miellées, douces et quelque peu "Madeleine de Proust"; sur sa petite lunch-box confectionnée "maison" est écrit: "mange mon enfant, mange, tant qu'il en est encore temps"! Tout y serait résumé tant ce partage d'émotions collectives lors de cette lecture incarnée, écoutée et déroulée avec passion, nous fait adhérer à un inconscient collectif fort et authentique..."Keine Rose ohne Dornen".....

 

Directrice de lecture : Houaria Kaidari

Musicienne : Sarah Jamali

Scénographie (HEAR) : Alwena Le-Bouill, Gildas Chambard, Noa Jacquin, Hinda Rezgui

Comédien.nes : Kadir Ersoy, Sarah Ouazana, Marie Paillat, Frédéric Solunto, Najim Ziani