mercredi 22 mars 2023

"The Passion of Andréa 2" : petits meurtres et arrangements entre amis....Le chant-contrechant de Simone Mousset

 


Simone Mousset Luxembourg trio création 2019

The Passion of Andrea 2

Que faisons-nous de la passion, quelle est-elle aujourd’hui ? Simone Mousset a retenu celle, incertaine, d’Andrea. La jeune artiste luxembourgeoise voit en cette quête existentielle, une métaphore de notre monde, de ses difficultés. Curieux chemin de croix laïque parcouru par un extravagant trio masculin.

 


Pour sa seconde création, Simone Mousset se veut détonante, voire même décapante. Sur scène, ils sont trois, comme la Trinité. Un chiffre qui, dédoublé, rejoint l’âge de la mort du Christ. Mais peu importe d’improbables références, dans La passion d’Andrea 2 nul besoin de distinguer entre fiction et réalité. Cette malicieuse épopée s’intéresse au malaise de nos civilisations. Climat d’urgence perpétuel, informations continues et contradictoires, pertes de repères sont ici prétexte à renouer avec l’imaginaire, avec ses mondes ludiques, parfois délirants ou surréalistes, ses accents drôles teintés d’humour british.
Dans cette performance inédite oscillant entre théâtre dansé et comédie de mœurs, mêlant chant et voix à la chute des corps et au burlesque des situations, Simone Mousset joue les fauteuses de trouble. Elle aiguille ses trois personnages en mal de définition vers l’improbable récit d’une série de science-fiction dont le premier épisode nous aurait échappé. Espiègle protocole qui embarque le public dans ses déroutes et suscite la réflexion autour de l’obscur malaise existentiel de nos sociétés.

 S'il fallait décerner une palme à la pièce comique dans la programmation de Pole Sud ce serait sans aucun doute à celle ci: un condensé léger, efficace, sensible de retenue, de drôlerie, de frôlement des genres avec des touches impressionnistes savoureuses de couleurs locales. Trois anti-héros s'emparent discrètement du plateau, le temps de convoquer des Andréas multiples façonnées par l’ingéniosité de la dramaturgie.Exemplaire jeu et présence des interprètes, escogriffes bienveillants dans un monde absurde, décalé.En "anglais" souvent pour une touche distinguée en plus, tout bascule pour ces trois lustigs désopilants, face à leur destin bouleversé. Leur identité c'est Andréa, convoquée comme Arlésienne, spectre hantant la scène, icône inconnue au bataillon mais toujours convoquée pour l'action!Nos trois Andrea rivalisent de malice, se traquent, se tuent, disparaissent et meurent pour l'une avec une grâce irremplaçable.Un art de la chute en vrille magnifique, des pauses désopilantes, des grands jetés incongrus à la Cunningham.....Un trio décapant, insolite, surprenant avec des ballons de baudruche suspendus au dessus de leurs têtes comma autant d'épées de Damoclès pas si menaçantes que cela.Le chant est performant, quasi évangélique ou grégorien, aux accents liturgiques à capella sans se la jouer avec des voix ambrées, de tête, de gorge ou de poitrine à l'envi.Jolie cérémonie entre amis ennemis qui se cherchent et se trouvent. Un cour de récré désinvolte et raffinée pleine de charme et de taquineries.Quels talents ainsi réunis que ces pantins plein de maladresse, de malaises qui se frappent, s'offusquent, se chamaillent, larrons en foire; gamins ou gavroches indisciplinés.Une petite comédie musicale aux accents chantés de West Side Story en diable!Petits arrangements entre amis et meurtres dans des jardins luxembourgeois en primesauterie!

Et on refait la scène originelle: "the begining" en révérence désuète, baroque et coquine. Le public, en empathie totale avec ce trio infernal et tendre, burlesque en perruques, shorts et pieds nus, dégingandés, désarticulés et maladroits à l'envi.Les stalagmites ou cocons qui les menacent, qui sont "méchants",  s'effondrent un à un devant ces démonstrations de savoir danser et chanter sur fond de musique ambiante qui croule comme eux dans des univers absurdes et fantastiques....

A Pole Sud jusqu'au 22 MARS



lundi 20 mars 2023

Quatuor Diotima : Ligeti et Janacek en majesté. Accords à corps. Quatre quatuors pour un Quatuor de charme.


 Le quatuor à cordes Diotima a donné un concert lundi 20 mars à 19h en l’Auditorium de la Cité de la Musique et de la Danse de Strasbourg.Concert introduit judicieusement avec quelques pistes de lecture édifiantes par l'un des quatre interprètes.

Au programme : des œuvres de Ligeti et Janáček, oeuvres qui se croisent, se rejoignent malgré l'écart des époques, des origines géographiques des deux compositeurs, pourtant pas si éloignés l'un de l'autre..

Leoš Janáček
 
"Quatuor n°1, La Sonate à Kreutzer" 1917: un petit anti-opéra, concentré de surprises, de bribes de mélodies à peine naissantes, de reprises, toujours avec beaucoup de finesse dans la composition, de grâce, de délicatesse et de fougue dans l'interprétation. Des mélodies interrompues, des contrastes saisissants dans ces quatre mouvements encore inspirés par la littérature et l'ambiance de cette "Sonate à Kreutzer"si singulière. De l'électricité dans l'air tant la fusion des tonalités est éclatante, hérissante et acérée. Avec une "vélocité" surprenante et pleine de dextérité, de maitrise très pointue pour interpréter cet opus rayonnant.

"Quatuor n°2, Lettres intimes": des mélodies très dansantes, légères, vivaces envahissent l'atmosphère, l'univers "épistolaire" de ce morceau de bravoure, des balancements, oscillations vastes, larges et bascules même des corps des musiciens. La musique en est survoltée, saccadée, alerte, comme aiguisée sur les archets tendus. Des sautes d'humeur, de mesures, de tonalités, de hauteur: tout surprend, déroute, déphase et l'écoute de ce quatuor, entre accalmie et voracité, se fait délice et attention très concentrée.Des couches de sons comme autant de strates nuageuses, des danses de salon distinguées qui dérapent...Du Janacek, séduisant, décapant à l'envi, servi par quatre artistes au diapason, en complicité et osmose totale pour restituer l'âme de l'oeuvre en toute sincérité. Un "opéra" latent, autobiographique, enflammé, éruptif en diable.

György Ligeti
 
"Quatuor n°1, Métamorphoses nocturnes": une musique plus "abstraite", emplie de sons pincés, glissés, percutants.Le son tournoie, sourd des instruments, violent, rapide comme une volière loquasse. La tension est tenue, les sonorités s'échappent, filtrées, striées comme un insecte fragile se frottant les élytres. Froissements aigus singuliers, cordes pincése à répétition...Oeuvre de jeunesse, grotesque;, fantastique aux tonalités sacrées.
"Quatuor n°2": comme un feu d'artifice de toutes les possibilités imaginables par le maitre des instruments à corde se délectant de toutes les audaces, péripéties et "gymnastiques acrobatiques" d'un genre nouveau et décapant. La dramaturgie naissant de tous ces aspects versatiles, changeants, désorientent l'écoute. Pas de monotonie, d'assise dans ce monde musical riche et fluctuant que ce soit l'un ou l'autre des compositeurs se côtoyant cette soirée là, le temps d'apprécier leur proximité autant que leurs lointaines affinités pour la danse, le folklore, les contrastes de tons, de volume.
Une soirée exceptionnelle, généreuse, menée de main de maitre par des interprètes virtuoses, captifs et jouissant de talent et de sensibilité rares et poignants.Passeurs de musicalité et d'émotion, le Quatuor Diotima touche, émeut, ravit et se joue des chalenges: porter au zénith la musique, ses auteurs et leurs partitions de corps et de sonorités inouïes.
 
Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, Franck Chevalier, Pierre Morlet          

samedi 18 mars 2023

"Mineur non accompagné" : les lois de l'hospitalité....Surface de réparation où les "ni-ni" se reconstruisent...


 Sous l’égide des départements, il existe en France des centres d’accueil spécialisés de mineur·es non accompagné·es ayant fui leur pays. Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel, poètes pour la scène, fondateur·rices du g.i.g (groupe d’informations sur les ghettos), se sont immergé·es dans l’un d’entre eux, situé dans un ancien centre de colonie de vacances au milieu d’une forêt normande. Comprendre la vie de ces mineur·es en errance, saisir les dimensions de ce qu’on appelle en sociologie « l’occupationnel », échanger, écouter : telle est l’amorce de ce projet théâtral dont la démarche documentaire est de mettre en récit la parole de jeunes personnes vouées au déracinement, à l’isolement et à la précarité, et aussi de celles et ceux qui travaillent dans le centre. Restituer poétiquement cette forme de vie collective dessine un geste politique : interroger l’acte d’hospitalité censé animer cette institution et donner la parole à celles et ceux dont l’existence est placée sous le signe de l’invisibilité.



Un petit stade de foot sera l'unité de lieu, en vert et blanc, couleurs inversées. Deux personnages en tenue de sport, training noir, arpentent cette superficie en jouant à faire tournoyer une balle sur son axe rotatif. du bout des doigts. Et au sol, de vieux ballons, usés, cabossés mais fort esthétiques dans cette scénographie déjà bien évocatrice: surface de réparation, buts et autres repères au sol pour se "reconstruire", se cadrer et épouser une autre forme de "seconde vie"..Car il s'agit bien de se réinventer, de se forger une identité dans ce foyer, chambre des merveilles pour plus d'un MNA, migrant ici "accompagné" par la bienveillance de tous les "encadreurs". C'est à une sorte de lecture à deux voix que nous sommes invités, conviés, convoqués. Sur des sortes d'ardoises, leur texte est inscrit qui se déroule à travers leurs lèvres, leur jeu en dialogue. Les deux protagonistes, auteurs de ce "documentaire" singulier, acte posé comme une récollection de témoignages semblent très à l'aise. Témoins et acteurs de leur processus de création sur ce sujet sensible et brûlant, méconnu encore du "grand public". Faute d'information et d'engagement juridique, social de la part des "autorités". A nous de découvrir en sons, en images l'univers bousculés mais battant de ces "mineurs" naviguant à vau l'eau dans cette société qui les "supporte" plus qu'elle ne les "porte". Ni mineur, ni majeur, ces "ni-ni" se confient aux auteurs, artistes en "résidence" dans des foyers d'accueil. Et le texte qui se construit est pudique, humoristique, jamais fataliste ou déprimé. Pas de destinée pré-établie, mais un combat singulier, un match de foot où l'on défend son territoire, son équipe avec sincérité et non violence.La surface de réparation prend tout son sens et les filets de but, tout leur cachet de protecteur, de panier pour mieux contenir et renvoyer la balle. C'est touchant et une heure durant, le rythme va bon train sans sifflet ni pénalty. Suite à ce dialogue enjoué mais grave, une discussion s'ensuit avec le public rassemblé à l'occasion de cette "petite cérémonie" en l'honneur des enfants migrants. Sensible et responsable, le terrain se déblaye de ses préjugés et l'on en vient à se "poser des questions" entre autres à travers un questionnaire qui engage notre réflexion, le sens de nos actes ou de notre ignorance de tous ces faits. Une pièce originale et décapante, où les deux poètes metteurs en scène et acteurs jouent à franchir les embuches, marquer des buts et avancer pour une prise de conscience collective d'un "phénomène" social et politique hors norme. Ce qui nous re-lie au monde d'aujourd'hui en toute conscience artistique. Sur mode mineur sans bémol ni dièse, en état majeur sans anicroche pointée. Nié parfois en bécarre pour déni d'ignorance étouffant la réalité.

Au TNS jusqu'au 25 MARS

 

Sonia Chiambretto est écrivaine et metteure en scène. Son œuvre pour la scène, attachée à la démarche documentaire et influencée par l’objectivisme poétique américain, est notamment publiée chez Actes Sud-Papiers (CHTO, 12 Soeurs slovaques, Mon Képi blanc), Nous (État civil) et L’Arche éditeur (Supervision, Polices !, Gratte-ciel). Yoann Thommerel est poète et metteur en scène. Ses textes, lorsqu’il ne les porte pas lui-même (poésie-action, performances) sont régulièrement mis en scène au théâtre. Il codirige avec Sonia Chiambretto la compagnie Le Premier épisode.