jeudi 11 mai 2023

Claudine Simon: anatomie du clavier.....Autopsie d'un instrument à réinventer.

 


Claudine Simon est pianiste, artiste, improvisatrice, elle développe un travail de création sonore qui s’attache à expérimenter, en l’hybridant, la facture et les capacités de son instrument. Musicienne polyvalente, elle manifeste un goût pour les écritures de frontières entre musique, danse et théâtre.Elle conçoit Pianomachine, un dispositif qui intervient au coeur du piano, de sa structure, transforme son timbre, sa lutherie, met en question son unité d’organisme. En modelant les capacités sonores de l’instrument, elle ouvre un nouvel espace de jeu qui lui permet de travailler dans ses marges, dans ses entrailles et c’est sa propre grammaire sonore qu’elle peut revisiter et régénérer.

// Concert // Musique contemporaine // work in progress
 
Elle présente ce 11 mai à la BNU Strasbourg une étape de création d'une autre œuvre en solo en gestation. Dans le cadre de "Oh les femmes" de Sturmproduction et son évocation d'un "matrimoine" musical fort à propos. 

Il s’agit pour elle d’établir des passerelles entre des sensibilités, des perceptions, entre différents langages pour approcher les multiples aspects du sensible. Et la voici dans ce répertoire inédit pour "piano étendu" façonné en direct devant nos yeux, actifs à l'écoute musicale si singulière. Improvisation totale pour cette artiste qui joue sur le fil, la corde raide et tendue d'un instrument percussif inattendu. Deux préludes de Debussy vont inspirer sa performance:" Les cathédrales englouties" et  "Des pas dans la neige". A la première écoute on pressent son inspiration qui peu à peu se dérobe, disparait puis s'épuise dans une totale fuite et fugue personnelle. Des entrailles du piano, telle une chirurgie anatomique, elle extrait des sons improbables, glisse autour de son établi, debout sur son tableau de bord. Telle une cheffe cuisinière au piano, elle égrène en caresses et douceur, avec tendresse les entrailles de son instrument. Dissection joyeuse et mystérieuse, autopsie savante et maitrisée d'un engin à dompter.Marteaux sans mètre ou sans maitresse de maison close dans un bloc opératoire, laboratoire clinique qui ne serait surtout pas aseptisé.Glissades, frottements, dérapages contrôlés, grincements, racles, râles dans un doigté affiné, câlin. Ustensiles d'une cuisine raffinée, déstructurée, des roulements à bille, des craquelures, de la pluie surgissent, d'infimes vibrations résonnent. La reprise d'une phrase rythmique, d'une gestuelle appropriée fait signe et sens et de là nait une dramaturgie naturelle, s'ébauchent des paysages sonores troubles, confus, évanescents. Onirique panorama vivant d'une musique qui s'invente, se cherche et se trouve, comme on touille dans un chaudron une potion magique inouïe. Elle frappe, mélange les tons, pince les cordes à l'envi mesurée, toujours. A l'intuition, dans de l'audace et pour le plus bel étonnement de celui qui écoute, regarde et pressent une aventure musicale singulière. Des sirènes en longues tenues pour faire rêver et approfondir les sons, étirer le temps et l'espace sonore. Claudine Simon, alchimiste du piano inaccoutumé .Intempestif...

Formée au CNSMD de Paris auprès de Jean-François Heisser, Pierre-Laurent Aimard, Alain Savouret, elle fait de nombreuses rencontres qui nourrissent son parcours et sa pratique artistique. Comme soliste, elle se produit à l’Opéra de Lyon, la Roque d’Anthéron, l’Opéra Comique, la Cité de la Musique, au festival d’Aix-en-Provence.. ainsi qu’à l’étranger (tournées en Inde, Chine, Europe…). Dans le même temps, son travail de création se centre sur la conception de performances sonores et scéniques qui lui permettent d’interroger son rapport à l’instrument.
En 2021, elle conçoit Pianomachine, commande du GMEM, qui est une performance dans laquelle elle se confronte à un piano augmenté de systèmes électromécaniques. Elle poursuit actuellement sa recherche en lutherie avec Anatomia, performance sonore et plastique de dissection de l’instrument qui sera créée à Musica à l'automne 2023.


Avec:
Claudine Simon (France) | piano

 

mercredi 10 mai 2023

"Yes" : la danse sifflera trois fois..

 



Fouad Boussouf
Le Phare CCN du Havre Normandie   France duo création 2021

YËS + Ballet Urbain (documentaire) 

Les pièces de Fouad Boussouf, débordantes d’énergie et de générosité, sont toujours une invitation au dialogue. Dans YËS, duo spécialement créé pour Yanice Djae et Sébastien Vague, interprètes de sa compagnie, on retrouve la puissance du geste et ce sens de l’entente qui caractérisent les spectacles du chorégraphe.

 


En 2019, durant le festival EXTRADANSE, Fouad Boussouf présentait Näss (Les gens), spectacle de groupe venu clore une trilogie sur les identités plurielles. Une façon pour le chorégraphe de relier les pratiques actuelles de musiques et de danse de son pays natal, le Maroc, à sa propre écriture. Aujourd’hui, devenu directeur du Centre chorégraphique national du Havre en 2022, il revient à POLE-SUD avec une récente création, YËS. Hommage aux interprètes de sa compagnie Massala – accompagné d’un film documentaire où ses danseurs prennent la parole – ce duo prend en compte les étapes d’un parcours artistique où il est souvent question de mémoire, de souvenirs, de traces, où transmission et pédagogie tiennent aussi une place d’importance. Aussi Fouad Boussouf s’est-il inspiré des véritables personnalités de Yanice Djae et Sébastien Vague pour réaliser avec eux cette pièce
empreinte d’humour et de poésie. 


Danseurs, mais aussi experts en sifflements et en beatbox, les deux interprètes s’en donnent à cœur joie, jouant de leurs différences pour mieux se mettre au défi. Il émane de ce tandem exalté, alliant virtuosité technique, jeu d’acteur et musicalité à la danse hip-hop, une énergie communicative aussi authentique et sensible que l’amitié qui lie dans la vie les deux interprètes dont le chorégraphe a fait la connaissance lorsqu’ils étaient encore adolescents.

Ils forment un couple idéal, tout deux de même taille, vêtus de noir. L'un est quasi statique et interroge du regard l'autre qui se meut déjà, prolixe, les yeux au ciel...Complices, compères et comparses de la scène, ajustés l'un à l'autre, cabriolant comme deux escogriffes malins et plein d'humour dans leur gestuelle singulière à chacun. Pas d’esbroufe pour cette paire de hip hopeurs de charme aux accents dansant virtuoses et athlétiques: de l'énergie, du tact, de la retenue aussi dans leur proximité fraternelle. La danse les réunit, le sifflement, un art respiratoire, expiratoire unique est leur maitrise de concurrence. 

Souffle animé de mélodies "la panthère rose", "le bond, la brute ou le truand" et pourquoi pas siffler "la reine de la nuit" de Mozart pour attirer l'autre, le séduire comme le chant d'un oiseau.C'est juste, concis et cela s'inscrit dans un temps idéal, brève prestation jubilatoire qui s’accompagne d'un film documentaire fort édifiant, laissant libre paroles et gestuelles aux interprètes de la compagnie Massala. Fouad Boussouf évoqué comme un "encadreur"venant "nettoyer" leurs suggestions ou affirmations chorégraphiques. Et justement nos deux artistes y sont filmés sur une voie ferrée: attention "et j'entends siffler le train"....

A Pole Sud jusqu'au 10 Mai

dimanche 7 mai 2023

"Nous nous sommes rencontrés sur une étoile" : grand écart ! Lovemusic, funambules de la création musicale....Sous une bonne étoile...

 



Dans le cadre du festival Arsmondo Slave. le 6 MAI à la salle Bastide de l'Opéra du Rhin.
Distribution Voix Léa Trommenschlager Flûte Emiliano Gavito Clarinette Adam Starkie Violoncelle Céline Papion Piano Nina Maghsoodloo Collectif lovemusic

Présentation

« Nous nous sommes rencontrés sur une étoile » : c’est ainsi que commence l’œuvre multilingue et intimiste d’Ana Sokolović. Le programme imaginé par le collectif strasbourgeois lovemusic est conçu comme un dialogue entre l’ancien et le contemporain, entre la voix et les instruments, entre la France et les pays slaves, entre différentes langues… et, par-dessus tout, un dialogue entre les œuvres de compositrices et compositeurs dont les esthétiques sont résolument singulières et contrastées. Celles-ci se font cependant écho et se rejoignent dans l’intensité de leurs sonorités, dans un certain minimalisme et une tendance à l’introspection. Comme un fil rouge venant ponctuer ci-et-là le programme, le concert propose également d’entendre des chansons traditionnelles slaves, dans des arrangements commandés pour l’occasion au compositeur Arthur Lavandier.

"J'ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse." Rimbaud "Les illuminations"

C'est tout l'art et la manière de ce concert: faire le grand écart en déséquilibre et nous faire vibrer, de surprise en surprise pour aller plus loin dans l'écoute et la visibilité de la musique. Quand tout démarre avec un solo de violoncelle, doux et contrasté avec la pièce d'Anna Sowa – Variations sur le thème de la mazurka from Tymbark” le ton est donné. Ésotérisme et virulence des accents quasi tziganes, langoureuse lenteur rêveuse de l'exécution de Céline Papion. Ce sont des dissonances "préparées", des sons inédits, des coups d'archet francs. Glissando et autres "vraies" fausses notes comme des "fausses routes" où il fait bon se perdre à l'écoute. Comme une mélodie de village polonais triturée et malaxée nous confie Adam Starkie lors d'un court intermède introductif. 
 
Tirer la langue, les langues.
Alors pour continuer Ah ljubav, ljubav / Ah l’amour, l’amour (chanson traditionnelle de Bosnie) nous conduit dans un tout autre univers: mélodie tournoyante, alerte, relevée, dansante, interprétée par tout le groupe, soudé, harmonieux, complice de cette pièce plus "traditionnelle" où déjà la voix chaude et voluptueuse de Léa Trommenschlager se fait entendre...Et la flute de Emiliano Gavito de rappeler des accents slaves...
Pour suite, de Jug Marković – Wash me blue fait contraste. Grand écart très bien agencé où clarinette et violoncelle dialoguent en radicale opposition. Charme des éclats du vent où les sons se frottent, s'allient, vibrent et se disputent la place à l'envi.Sur la corde raide tendue de l'audition et de l'écoute attentive requise à cette occasion. Funambules du son avec des crescendo grinçants en désaccord parfait ! Une lente descente en dégringolade au final pour clore et ne jamais conclure le morceau.
 
Trŭgnala Rumjana / Rumyana sortit chercher de l’eau (chanson traditionnelle de Bulgarie) 
C'est à nouveau une mélodie charmeuse, "rassurante" et fort harmonieuse qui baigne l'atmosphère ludique et chatoyante du concert. Une bouffée de rythmes allègres et mouvants, très mélodiques, calmante, berçante.
A Francis Poulenc avec Huit chansons polonaises (extraits) de succéder en contraste, pour piano et voix, superbement habité, à l'atmosphère énigmatique et planante façon mélodie française. La chanteuse littéralement invitée à visiter ce répertoire avec brio et force. 
 
 Sara Glojnarić avec– sugarcoating #2  vient ensuite colorer le récital et confirmer que la musique se regarde en train de se créer sous nos yeux ébahis par tant de virtuosité d'interprétation: ce "tout va bien" ironique pour piano, clarinette, et violoncelle est un morceau d’anthologie!A savoir que le jeu de la pianiste excelle dans les péripéties et acrobaties techniques à foison: il faut observer Nina Maghsoodloo à l'oeuvre pour le croire.Fabrique de sons à décrypter, de martellements, de "grands écarts" vertigineux, prouesse très esthétique. Avec les bras en amplitude et raccourcis, les doigts à l'affut de fugues impromptues, de frappes éruptives, spectaculaires Un phénomène musical inouï, du jamais vu passionnant, des troubles tectoniques qui bouleversent les codes: oser, étonner et séduire à coup sûr avec cette pièce bordée de samplings en boucle discrètes, en échantillons sonores à vitesses différentes. Une pièce en "miettes", en "morceaux" qui décoiffe, décale, morceau de choix du récital.
 
Puis, c'est "маруся / Marusya" (chanson traditionnelle d’Ukraine) pour pimenter le tout et revenir à la tradition: très dansante virevolte légère et relevée, cadencée, en cavalcade où une fois de plus la voix est reine, déployée, vivante, chaleureuse et enchanteresse. Tout le groupe galvanisé par tant de gaité et de vivacité apparemment "facile".
On termine en beauté avec Ana Sokolović – Tanzer Lieder (extraits) toujours en alternant contemporain et traditionnel avec grâce et subtilité.Les registres agencés avec talent et ingéniosité comme sait le faire le collectif "Lovemusic" et qui serait comme sa griffe, son image de marque et de fabrique. La voix flotte dans une atmosphère feutrée, discrète, secrète."Voix instrumentale" tant elle semble se fondre avec les trois autres instruments, en osmose totale. La composition aidant à cette fusion, cette puissance sonore, ce volume axé sur l'expression de la passion, de la virulence. Les ascensions vocales portées par les instruments : imitations labiales de sons animaliers, de percussions en écho....Poursuites endiablées, élans, rebonds tectoniques, ambiance d'une musique savante à déguster à l'affut de toutes variations imprévues à l'oreille.
Un rappel pour terminer dans la danse et la légèreté et le collectif a fait son oeuvre: nous faire voyager dans la cosmogonie bigarrée de la musique, des musiques de notre temps...Etoiles au firmament de la jubilation sonore.Sous une bonne étoile...
 
 
 Programme

Anna Sowa – Variations sur le thème de la mazurka from Tymbark
Ah ljubav, ljubav / Ah l’amour, l’amour
(chanson traditionnelle de Bosnie)
Sara Glojnarić – sugarcoating #2 маруся / Marusya
(chanson traditionnelle d’Ukraine)
Francis Poulenc – Huit chansons polonaises (extraits)
Jug Marković – Wash me blue
Trŭgnala Rumjana / Rumyana sortit chercher de l’eau
(chanson traditionnelle de Bulgarie)
Ana Sokolović – Tanzer Lieder (extraits)