mardi 19 septembre 2023

"Artisans du son" ensemble Itinéraire : la musique au travail au Nouveau CFA des Compagnons du devoir: en bonne compagnie !

 


CONCERT PROGRAMMÉ PAR LE PUBLIC
une proposition de Louis Piccon

Louis Piccon est un jeune étudiant en architecture lorsqu’il assiste à la première édition de Musica en 1983. Dans le sillage de Iannis Xenakis, sa curiosité est piquée par les relations entre les arts. Quarante ans plus tard, son agence nunc architectes conçoit le nouveau centre de formation des Compagnons du devoir à Strasbourg. Fraîchement inauguré, les 6000m2 de l’imposant édifice, ses ateliers et sa rue intérieure de 60 mètres de long, sont un terrain de jeu idéal pour confondre le temps d’une soirée la matière sonore et la matière bâtie. L’architecte et les jeunes compagnons en apprentissage nous invitent à déambuler dans l’espace aux côtés des musiciens de L’Itinéraire, l’ensemble des « spectraux » qui célèbre cette année ses cinquante ans d’existence.

 C'est un lieu de travail que ce centre de formation des Compagnons du devoir et du "savoir faire": travail qui reste secret, confidentiel et qui ce soir là va être mis à l'épeuve de la création musicale à l'initiative de son jeune architecte et du festival Musica Idée lumineuse, ingénieuse pour mettre en valeur l'acoustique d'un lieu pensé pour accueillir aussi les sons, les bruits du quotidien de l'apprentissage et de l'excellence du savoir faire...Ce soir là le public est accueilli dans la grande "nef" hall central pour une déambulation silencieuse et recueillie concoctée par Pauline Oliveros "Sonic Méditation V": marche lente, posée, pointes et talons du spectateur posés au sol pour une empreinte pondérale, bien dans son assiette. Ecouter le silence, se confronter à la circulation des autres dans l'espace: très Rudolf von Laban et sa danse dynamique, directionnelle, intentionnelle, réfléchie dans tout le corps curieux de son espace sensible à créer.La plante des pieds devient une oreille et prépare à l'écoute des oeuvres qui vont suivre, choisies en fonction de leur relation étroite à l'architecture, à la réverbération et propagation du son dans l'espace.

Suit de Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale. En configuration classique l'ensemble nous donne à écouter un morceaux vibrant où chaque interprète dont l’accordéoniste semble laisser libre cour à une composition stricte et rythmée de longues durées sonores emportant l’ouïe et le regard au delà des configurations architecturales. Des impromptus sonres des "artisans du son" faisant appel aux sons percussifs d'objets du quotidien vont ponctuer le concert de façon joyeuse et ludique comme des entremets à déguster sans modération.

"Nomos Alpha" de Xénakis sera l'occasion pour le violoncelliste Florient Loridon de partager du haut de son estrade dans la nef, une oeuvre sobre et qui réinvente toutes les possibilités sonores de deux instruments en alternance: du frotté, du piqué, du pincé percussif avec quelques notes d'humour non dissimulées.Le plaisir affiché du musicien fait entrer en empathie dans cette musicalité pleine de fragrances sonores inédites. 

Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012) succède en salle dans une interprétation solo virtuose de Fuminori Tanada, concentré, oeuvre courte mais pleine de rebondissements acoustiques, le piano trituré en pincements, percussions et autres sonorités improbables.

Ascension du public dans les escaliers, les cursives du centre de formation pour écouter à pleines oreilles et résonances, les vibrations de la voix de Sarah Brabo-Durand pour l'oeuvre de Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)

Echo, en duo avec son complice logé à l'autre bout du bâtiment, au rez de chaussée. Voix et clarinette se répondent dans l'espace avec grâce et promptitude. Vibrations du timbre incroyable de la chanteuse qui grimpe dans les aigus avec en enveloppé chaleureux inouï, une force et une nuance surprenante de phrasés onctueux.Chevelure colorée fluorescente comme les couleurs sonores des sons émis par des cordes vocales virtuoses Un "instrument" corporel comme un médium semblable à ceux des artisans du son des compagnons du devoir! Une pièce spatiale qui implique le spectateur dans l'espace, stimule l'écoute et le regard, plonge le corps qui écoute dans les interstices de la musique.

Enfin pour terminer ce cheminement sonre trois pièces vont se succéder comme autant d"écho au concept de la soirée: les sons inédits issus de l'écoute et de l'observation des bruits du quotidien, interprétées par tout l'ensemble Itinéraire au grand complet, son chef Mathieu Romano pour coordonner toutes les complexités des morceaux

Vont se succéder de Gérard Grisey Périodes (1974)
d'Annette Schlünz In den Flüssen (2005) et pour clore le joyeux et inédit morceau de
Iannis Xenakis Phlegra (1975) : une suite étonnante de sons d'instruments à vent qui comme des klaxons réinventent un espace à la Jacques Tati dans "Trafic   ": un joyeux embouteillage où le son rivalise de courts circuits, de pratiques musicales inédites où le compositeur excelle en touches humoristiques. Des espaces sonores qui épousent toute une architecture d'un bâtiment dévolu à l'apprentissage autant qu'à l'inventivité de ces "artisans du son", musiciens, apprentis ou architectes au service de ce qui se nommerait : le paradis des droits et des devoirs de la création...sur les sentiers inconnus de la découverte.


Pauline Oliveros Sonic Meditation V : Native (1971)
Grégoire Lorieux Very Long Durations (2023) - création mondiale
Iannis Xenakis Nomos Alpha (1966)
Michaël Levinas Quatre études pour piano (1992-2012)
Núria Giménez-Comas Coratge (Comme un écho dans la distance) (2023)
Gérard Grisey Périodes (1974)
Annette Schlünz In den Flüssen (2005)
Iannis Xenakis Phlegra (1975)

dimanche 17 septembre 2023

"Don Giovanni aux enfers": polymorphe méphistophelès musical, monstre, hydre maléfique: un opéra dévastateur...

 

clara beck

« Repens-toi, c’est ta dernière chance ! » Don Giovanni tente de se dégager de l’étreinte glacée de la statue du Commandeur : « Non, vieil orgueilleux ! » – « Alors il n’est plus temps ! » De tous côtés surgissent des flammes et la terre commence à trembler sous ses pieds. Un chœur de démons s’écrie : « Cette horreur n’est rien comparée à tes péchés, viens, il y a pire encore ! » Dans un cri d’effroi, Don Giovanni est précipité dans les enfers, au milieu des âmes suppliciées et de leurs bourreaux. Sa carrière de libertin achevée sur terre, le voilà qui entreprend dans les enfers de l’opéra une odyssée cocasse sur les traces de Dante et d’Orphée, en  compagnie de personnages maudits ou démoniaques empruntés à quatre cents ans de répertoire.


Il y a eu "la nouvelle vague" au cinéma, la "nouvelle danse" et voici venir en majesté "la new discipline" en musique contemporaine. Rien de neuf en soi si l'on songe à "Dance" où Sol LeWitt, Phil Glass et Lucinda Childs opéraient déjà la pluridisciplinarité, le multi média pour une oeuvre totale, surexposant image, danse en live et rythme musical...Sauf que les technologies ont évolué et qu'à présent le mixage, découpage, la surexposition, le meltingpot sont des outils banalisés. Exhalation pestilentielle que ce "Polystopheles" anti héros du nouvel opéra du trublion de la scénographie sonore, visuelle, musicale Simon Steen Andersen : conteur hors pair dans le monde de la narration dramatique pourtant liée à la dérision, la distanciation de mise en scène. Se frottant à des interprètes chanteurs lyriques, le voilà quelque peu piégé par une accumulation, un empilement, un patchwork de citations, de références autant au véritable Don Juan qu' à des semblables dans d'autres univers musicaux: de l'opérette au baroque. Savantes références, certes, qui nous transforme Zerlina en homme-objet nu pathétique, Méphistophélès en un diable suspendu dans les airs..Qu'importe, l'impact visuel est fort et poignant.

La descente aux enfers est source d'images filmiques, sortes de plans séquences vertigineux où le metteur en scène est acteur de cette dégringolade symbolique, cette course infernale, poursuite, fugue, où il s'implique comme performeur. Ainsi le rythme est tambour battant,essoufflant, hypnotique. Décors et costumes en osmose avec les périodes musicales traversées: du french cancan aux gambette en boites hirsutes, aux atours baroques froufroutants. Les voix sont celles du belcanto autant que proches des scratches et turbulences synthétiques.Un grand fatras prolixe et chatoyant pour détrôner un mythe envahissant: Don Juan séducteur, ravageur des coeurs devient victime d'une chute fatale à sa gloire, sa réussite. Les pieds dans le plat, Andersen ne fait de cadeau à personne, ni même au spectateur, témoin d'un glissement de sens dramaturgique. Un conte de fée peu orthodoxe qui déboussole les canons du genre, renverse en spirale comme dans un gouffre sans fond, les valeurs d'antan.


Du Sam Szafran en toute évidence iconique et plasticienne, aspirant au vertige.Le festival MUSICA complice et protagoniste avec l'Opéra du Rhin pour cette célébration d'un tournant de la "nouvelle discipline" musicale, indisciplinaire et peut- être un peu trop rangée, déjà!

L'Orchestre Philarmonique et l'Ensemble Ictus se révélant à saute mouton d"un registre à l'autre dans une incroyable maitrise et une réelle performance rythmique!



À la fois compositeur, metteur en scène et vidéaste, l’artiste danois Simon Steen-Andersen s’empare d’un thème majeur qui hante l’histoire de l’opéra depuis ses origines : la descente aux enfers. Jouant malicieusement avec l’art du collage, de la déconstruction et de la transposition, il fond dans une nouvelle création personnages, situations et musiques empruntés à un large corpus d’œuvres du répertoire lyrique, de Rameau à Boito en passant par Berlioz, avec pour point de départ la scène finale du Don Giovanni de Mozart. Esthétiques, époques et langues s’entremêlent au fil d’une plongée spectaculaire dans les entrailles de la plus infernale des machines : le théâtre.

Ictus, Chœur de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg

Direction musicale Bassem Akiki Conception, mise en scène, décors, vidéo, lumières Simon Steen-Andersen  

La Statue du Commandeur, Polystophélès, Un médecin Damien Pass

Christophe Gay 

Sandrine Buendia Tisiphone, Turandot, Sycorax, Eurydice, Une ombre, Une parque Julia Deit-Ferrand 

François Rougier

Geoffroy Buffière   

A l'Opéra du Rhin jusqu'au 21 Septembre

samedi 16 septembre 2023

"Nightmare" j'ai fait un rêve....Lovemusic et la new discipline à Musica

 


Nightmare

CONCERT

Le collectif lovemusic orchestre un cauchemar diurne duquel jaillissent quelques-uns des plus jolis monstres musicaux composés ces dernières années. Comme dans tout bon film d’horreur, Ted Hearne commence par instaurer un sentiment de douce nostalgie… pour mieux nous faire glisser dans les atmosphères inquiétantes de Bára Gísladóttir et Christopher Cerrone, avant d’assister au dédoublement de personnalité selon Natacha Diels et à l’irruption des voix dans la partition d’Andreas Eduardo Frank. Le pieu du concert est planté par Helmut Oehring qui nous conduit en langue des signes et en cris d’effroi dans les méandres de l’enfer de Dante et Botticelli en compagnie des charmants Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov.

Dans l'enceinte du Temple Neuf, le collectif Lovemusic a trouvé refuge et va surprendre à sa bonne habitude. Déjà metteur en espace et graphistes de la musique d'aujourd'hui qu'ils chérissent, les voici plongés au coeur d"une tendance qu'ils cultivaient déjà; la musique qui se regarde autant qu'elle s"écoute, la mise en espace des musiciens, frontale délibérément. Et les costumes; des "bleus" de travail violets, couleur ecclésiastique, baskets blanches: des musiciens au travail....Un violon esseulé en prologue du haut de la tribune, puis un quatuor se forme, guitare électrique, violoncelle, violon, clarinette . Les sons fusent, dissonants, décalés, les corps des musiciens impliqués dans des postures singulières.Les créations s'enchainent à l'envi dans une ambiance, un univers bousculé, meurtri; cauchemar ou musique décapante, à vous de choisir. Le clou du concert résidant dans un morceau de Helmut Oehring ou les quatre musiciens simulent des gestes chorégraphiés au cordeau, sorte de signalétique du buste, des bras et mains avoisinant le langage des signes à la Philippe Decouflé. Un régal visuel,rythmique où les percussions corporelles font écho à cette gestuelle ponctuée de cris divers et épatants.Précision des postures qui s'enchainent rapidement, attitudes de recueil ou d'explosion corporelle. Un jeu saisissant pour cette oeuvre phare, infernale écriture musicale, vocale et physique où le quatuor excelle. Un concert édifiant où chaque interprète se prête au jeu instrumental, théâtral et vocale avec une aisance et un talent fou.


Ted Hearne Nobody’s (2010), création française
Bára Gísladóttir Rage against reply guy (2021), création française
Natacha Diels Second nightmare for KIKU (2013)
Christopher Cerrone The Night Mare (2011), création française
Andreas Eduardo Frank m0nster (2022)
Helmut Oehring (iɱˈfɛrno) (from MAPPA) Contrapasso I–V (to: Wladimir Putin : Sergej Lawrow) (2022)


collectif lovemusic
flûte | Emiliano Gavito
clarinette | Adam Starkie
violon | Emily Yabe
alto | Léa Legros Pontal
violoncelle | Lola Malique
guitare | Christian Lozano Sedano
piano | Nina Maghsoodloo
percussions | Marin Lambert
électronique | Finbar Hosie