samedi 23 septembre 2023

"Place": l'envers de l'Endroit..

 


CONCERT

Is this the promised land
or just another cool neighborhood?

À partir de l’anglais gentry — la petite noblesse, celles et ceux qui sont bien nés — a été forgé dans les années 1960 le concept sociologique de « gentrification ». Le terme désigne le processus d’installation de classes aisées dans des zones urbaines auparavant populaires, défavorisées et multiraciales. Tel est le sujet de Place, né dans le quartier de Fort Greene à Brooklyn.

Place, c’est l’histoire d’un lieu comme il en est d’innombrables dans le monde aujourd’hui. C’est aussi l’expérience personnelle de Ted Hearne, un compositeur témoin des mutations sociales de son lieu de vie, non sans conscience ni culpabilité d’être lui-même un maillon de la cartographie. Pour faire résonner le problème, il fait appel au poète, rappeur et activiste Saul Williams, lui aussi habitant de Fort Greene par le passé. En dialogue, ils écrivent le livret de cet oratorio contemporain qui porte les enjeux de justice sociale à la scène et fait de la boboïsation une question métaphysique. Comme le champ social qu’elle décrit, la musique de Ted Hearne fourmille d’idiomes et joue sur le collage et la fragmentation. Sa partition, à la croisée des influences du rap, du R’n’B, de la musique de chambre et des chorals luthériens de sa jeunesse trouve également, sous l’influence de Saul Williams, une perspective afro-futuriste inouïe.

Bel oratorio, concert visuel chanté comme un cri de gospel social et sociétal, cet opus de Ted Hearne oscille entre Starmania et  autre comédie musicale contemporaine. Les chanteurs y tiennent une place de choix et donnent à cette oeuvre étrange de par sa forme concertante et vidéographie, mêle étude sociologique et art total. Les médias s"y croisent et tricotent une narration limpide, celle dévoilant le sort de "migrants" ceux qu'on déplace d'un quartier à l'autre, d"un continent à l'autre de force ou subrepticement...Les musiciens, nombreux à la tâche de rendre une atmosphère tantôt dramatique, tantôt joyeuse excellent en qualité de surprises, détournements d'effets acoustiques, impromptus sonores. Les voix sont  d'une présente étonnante, marquées par les différences de tonalités, de timbres, de hauteurs et trahissent désarroi, injustice, révolte ou constat. Ces "endroits" où il faut être ou ne pas être, ces lieux, troisièmes lieux ou place forte de la gente propriétaire immobilière sans vergogne ni complexe sont évoqués par les circulations de personnages sur écran vidéo. Les quartiers urbains, les habitants, les destins déplacés, empêchés s'y croisent et interpellent notre réflexion et prise de conscience.. Le spectacle servis par le collectif "lovemusic" et les artiste qui entourent le dramaturge compositeur sont justes et pertinents et oeuvrent pour une musique chamarrée, variée, quasi mélodique qui séduit et enchante de le temps de cette pause musicale sur "la place", agora symbolique, lieu dit et surface de réparation d'une époque sans toit ni loi où l'autre, déplacé, est comme un pion manipulable à  merci Le soulèvement des vois agite la révolte, l'empathie et la complicité avec une population menacée, contrainte et violentée dans ses accroches et territoires violés...Par la loi de l'économie autant que par l'indifférence généralisée à ce sujet.


création française

Place (2018)
musique et direction | Ted Hearne
livret | Ted Hearne, Saul Williams, Patricia McGregor

voix | Steven Bradshaw, Sophia Byrd, Josephine Lee, Isaiah Robinson, Sol Ruiz, Krystle Warren, Eliza Bagg
guitare | Taylor Levine
basse | Braylon Lacy
synthé | RC Williams
batterie | Ron Wiltrout
éléctronique | Rohan Chander

collectif lovemusic
alto | Emily Yabe
violoncelle | Lola Malique
flûte | Emiliano Gavito
clarinette | Adam Starkie
trombone | Gabrielle Rachel
percussion | Marin Lambert

Au Maillon Waken dans le cadre du festival MUSICA—



coréalisation Musica, Maillon
commande Philharmonie de Los Angeles, Centre Barbican (Londres), Beth Morrison Projects (New York)
avec le soutien de Jazz & New Music, un programme de la Villa Albertine et de la Fondation FACE, en partenariat avec l'Ambassade de France aux Etats-Unis et avec le soutien du Ministère français de la Culture, de l'Institut français, de la SACEM et du CNM.


"Queen of Hearts" un biopic original sur le harcellement médiatique: royal... ! Paparrazzis rois des médias....Reine de coer sur le carreau....

 

THÉÂTRE MUSICAL

Quel pouvoir une femme a-t-elle sur son propre récit dans un monde surmédiatisé ?


THÉÂTRE MUSICAL

Quel pouvoir une femme a-t-elle sur son propre récit dans un monde surmédiatisé ?

Jannik Giger, Leo Hofmann, Benjamin van Bebber, Sarah Maria Sun, Jude Ellison Sady Doyle

L’interview télévisée du journaliste de la BBC Martin Bashir avec la Princesse de Galles en 1995 est le point de départ de Queen of Hearts, une création collective qui expose dans une perspective féministe les relations complexes liant la capacité d’agir individuelle et le pouvoir des médias, la vie privée et le domaine public, la politique, l’opinion et les émotions. Depuis, les réseaux sociaux ont supplanté la presse people mais le règne de l’image subsiste, créant des icônes féminines portées aux nues ou conspuées en un battement de tweet. Le mythe de la Reine des cœurs demeure toutefois exemplaire de la revanche systémique à laquelle se confrontent les femmes qui osent parler — et la librettiste du spectacle de mêler aux mots de Diana ceux de Meghan Markle, Sinéad O’Connor, Paris Hilton ou Britney Spears. Pour exprimer les non-dits, au centre de la scène, la soprano Sarah Maria Sun déploie toutes ses qualités vocales dans une situation d’interview rejouée une fois encore, pour le meilleur et pour le pire.

C'est une très intéressante approche, un "biopic" théâtral et musical que nous livrent Jannik Giger et Leo Hofmann dans une mise en scène de Benjamin  van Bebber. Dans un dispositif sobre, un salon d'interview banal, deux personnages se scrutent, s'interrogent et vont faire basculer un simple entretien, en drame médiatique et personnel. Du destin de Lady Di joué et interprété par Sarah Maria Sun nous n'apprendrons pas grand chose, excepté la puissance et dureté de l'impact des rumeurs ou encensements à son sujet. Les images, les paparazzis la poursuivent, la traquent et sur l'écran frontal des images trahissent les méfaits de ces parasites incontournables. Documents qui stigmatisent notre héroïne et encourage le speaker à la bousculer dans ses retranchements. La voix est changeante, virtuose et oscille entre texte et chant, bascule de l'un à l'autre pour devenir aussi cris et aveux d'impuissance. Fatalité d'un destin qui se montre derrière un voile opaque pour dissimuler les contours de la vérité. Sorte de flou pour pénétrer les secrets d'un mythe encore jamais traité en terme de scénographie et spectacle musical. La pièce est sobre, émouvante et décrit toute une époque où la "princesse" est reine et subit toutes sortes de pression. Corps contraint de la cantatrice qui se meut hors les canons de sa condition de princesse et campe un personnage livré à une partition simple et accessible donnant lieu à un opus convaincant et perspicace sur une femme victime de sa position sociale. Son partenaire, Silvester von Hosslin comme un écho et extracteur d'aveux et confidence fort réjouissant. Faire valoir d'icônes vidéo omniprésentes, histoire de dessiner des espaces de mémoire autant que des gros plans serrés sur les visages. Un castelet de praticables comme rideau de fin dans laquelle les deux personnages perdent pieds et tirent le rideau.


création française

performance | Sarah Maria Sun et Silvester von Hösslin

composition | Jannik Giger et Leo Hofmann
mise en scène, livret et video | Benjamin van Bebber
livret | Jude Ellison, Sady Doyle
lumière | Thomas Giger
vidéo | Flor de Fuego
scène et costumes | Lea Burkhalter
dramaturgie | Juliane Votteler
œil extérieur et management tournée | Jeanne Charlotte Vogt
assistante mise en scène | Judith Holland-Moritz
scène et assistante costumes | Julia Kraushaar
scène et assistante tournée | Prisca Grandi
voix | Josef Böhm, Lisa Pottstock, Alexandra Idele, Marla Johanna Breuker, Clara Gallagher
direction technique | Julian Gresenz

Orchesterschule Insel
coordination | Dorothee Mariani
violon | Iryna Polova, Lou Scheffer, Alma Bleich, Diart Krasniqi et Alesandro Garcia Fontan
alto | Fabian Louzan, Jari Szekely et Benjamin Sutter
violoncelle | Dorothée Mariani, Tomas Dias, Josefa Schweizer et Anjay Arumugam
Contrebasse | Noah Sutter et Alan Infante

Au Maillon Wacken dans le cadre du festival MUSICA—


représentations
ven 22 sept - 19h
sam 23 sept - 19h


coréalisation Musica et Le Maillon
commande Gare du Nord, soutenue par la Fondation pour la musique Ernst von Siemens, la Fondation Nicati-de Luze et la Fondation Suisa
avec le soutien de Pro Helvetia et Ernst Göhner Foundation.


jeudi 21 septembre 2023

"Oration of loss" une musique afro diasporique...

 


Pour son premier concert en France, la formation vocale Ekmeles nous fait découvrir trois figures qui incarnent le renouveau de la création musicale afro-américaine. Libérer les consciences, œuvrer pour la diversité et décoloniser la musique contemporaine est l’engagement de George Lewis depuis les années 1970. Sa voix est l’une des plus influentes dans le monde de la musique aujourd’hui, et dans son sillage, une nouvelle génération arrive. En font partie les compositrices Hannah Kendall et Corie Rose Soumah qui toutes deux s’appuient sur un héritage profond, celui de la mémoire de l’esclavage et des corps suppliciés pour la première, celui de la mélancolie des identités fragmentées pour la seconde.


créations françaises

Hannah Kendall this is but an oration of loss (2023)

Trois harmonica comme sur un filet de souffle ténu tiennent une ligne musicale fine et fragile. Les voix des trois chanteurs se distinguent alors en timbres, hauteur, tenue et variations multiples Un jeu scénique discret anime les interprètes habités et mus par une précision extrême et radicale de la partition.


George Lewis Lone Coast Anacrucis (2023) 

L'ensemble interprète avec brio une oeuvre complexe en hommage à la diversité; celle des langues, des couleurs de peau, celle des origines. Texte, voix et corps engagés dans cette cérémonie où de petites percussions timbrent le tout.Des expressions, des mimiques et surtout toute une gamme de sons issus des tréfonds de la voix: gorge, souffle, respiration, jusqu'à l'ecoeurement parfois simulé, l'espectoration, le cri, le borborygme.Et l'accordéon de s'immiscer dans ce gouffre de sons étranges pour mieux étirer l'espace sonore.


Corie Rose Soumah like a frog on the road to it (2023)

A nouveau de l'expression vocale en touches étouffées, les mains en percussion sur le souffle de la bouche et toutes sortes de manières d'émettre ce qui donne naissance à un panorama infini des possibilités d'inventivité du vent corporel Sur fond de bande sonore, les sonorités se fondent et s'accompagnent somptueusement.

A St Paul le 21 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


Ekmeles
soprano | Charlotte Mundy
mezzo-soprano | Elisa Sutherland
contre-ténor | Timothy Parsons
ténor | Tomás Cruz
baryton et direction artistique | Jeffrey Gavett
basse | Steven Hrycelak

accordéon | Iwo Jedynecki



commande du Festival Ultima pour la nouvelle pièce de George Lewis
Ekmeles est lauréat du prix Ensemble 2023 de la Fondation pour la musique Ernst von Siemens

ce projet est soutenu en partie par Mid Atlantic Arts par l'intermédiaire de USArtists International, un programme en partenariat avec la Fondation nationale pour les Arts, la Fondation Andrew W. Mellon et Trust for Mutual Understanding.