vendredi 29 septembre 2023

"" Sonic Temple #5 La lutte libre" : en un combat singulier! L'insoutenable poids des ondes. La frappe comme tonique sonore..

 


Méryll Ampe
a mené une longue enquête sonore au Mexique dans le contexte de la lucha libre, le catch masqué devenu symbole du pays. L’artiste pose le cadre — le ring imaginaire — d’une soirée où la musique devient elle aussi un sport de combat. Dans le bruissement de la foule des supporters se dégagent différents phénomènes de tradition expérimentale, des inspirations préhispaniques de Vica Pacheco aux maracas réinventées par Daniel Zea et François Papirer, en passant par la folk bruitiste de Julien Desprez. L’issue de la lutte est toujours une victoire, toujours une défaite. Alors, dans l’espace vidé de ses corps vaillants, de ses éclats et huées résonnent El llamado de Mario de Vega et les sifflets de la mélancolie.

Tonnerre d'applaudissements sur la bande son, sifflets, cris et rumeurs des houligans ou supporters d'un match invisible. C'est "Lucia libre" de Meryll Ampe 1st round comme prologue à la soirée Sonic Temple de MUSICA . Alors que le public s'installe calmement : Nicolas De Stael aurait adoré lui qui dans ses toiles sur les footballeurs revendiquait le son..Ici c'est le catch qui est visé, combat mexicain, masqué qui remplit l'atmosphère et l'espace de toute l'église St Paul.— C'est Gilles Olz qui succède à cette entrée en matière sonore avec deux oeuvres pour orgues: "Juan Cabanilles Pasacalles de 1tono" et "Estanciao Lacerna Tento de 6° tono": l "Primitivo" en création mondiale'instrument résonne et amplifie les sons par une gymnastique sonore incroyable...Belle image de l'instrumentiste aux commande dans une scénographie lumière adéquate.

"Primitivo" en création mondiale fait mouche. Dans un halo de lumières rougeoyantes, la silhouette du percussionniste se fait diabolique. François Papirer signe un opus digne de toutes ses capacités inventives et techniques, nourries d"une expérience prolifique et raisonnée d'un art de la percussion à perte de vue et d’ouïe. Les morceaux se chevauchent, s'articulent, s'emboitent et se superposent en nappes sonores denses et fluides. Celui ci est tel les sons de criquets, du ressac de la mer, de bâtons de pluie en tempête ou résonances percussives. Seul aux commandes il crée des univers singuliers, battements d'ailes d'un oiseau mécanique à la Hitchcock ou Nino Rota. Images cinématographiques qui sèment le trouble et mélange les genres... Locomotive, dynamo, moteur aérodynamique futuriste qui s'emballent autour de la nef et en font une performance de circuit automobile au Lingotto...Le sport est convié dans sa hargne, avec ses hordes de souteneurs infaillibles...Guerres, mitrailleuses, salves s'y rajoutent en un combat singulier tribal, la meute de sons rejoint les ondes déferlantes, les tonalités des matériaux préconisés. Coups de canon, feu d'artifice, pétarades et sirènes pour une réverbération du son amplifié par Daniel Zéa aux consoles. Les grésillements et scratchs comme ferments volubiles d'une musique tectonique à souhait. Murmurations célestes de bon aloi...

Une ou deux pauses encore en entremets ou entractes de Meryll Ampe pour nous ramener dans l'arène du jeu et du pain populaire : ça crie, ça cogne en "quatre boules de cuir", ça castagne pour une mise à tabac virtuelle. Tout bascule dans la vibration, la guérilla. pas d'arbitre dans cette embuscade sonore perpétuelle, sismique telle un tremblement de terre qui enfle et déborde.

Puis c'est "Animacy-or a breath manifest" que nous convie  Vica Pacheco: Foret vierge à l'ambiance végétale tropicale aussi soulignée par les pois de couleurs des spots à la Yayoi Kusama.

Julien Deprez à la guitare et au chant s'ingénie à crever l'espace avec "Simply Are": déflagrations et vibrations d'usine en délire technologique pour effets titanesques de bruits et de fureur.

Au final après ces secousses telluriques, "llamadot" de Mario de Vega offre des images de cracheurs de feu, de sifflements stridents, vibratiles persistants, amplifiés, solubles dans l'air en fragrances musicales détonantes. Les phénomènes géologiques et sociétaux de concert dans cet événement inclassable, "lutte libre" sans toit ni loi aux moeurs de notre temps: violence, décibels à fond...L'arbitre sifflera trois fois pour extension des feux de la rampe sur le ring invisible d'un film transparent, d'une éloquence des sons et des bruits de foules.. Un assortiment où "nos héros sont morts ce soir" "racing bull" ou "rocky"musicaux pour un match tonitruant vu des estrades confortables du spectateur, témoin de combats, de luttes, d'affrontements musicaux bien particuliers.

commande Festival Musica, production Festival Musica, avec le soutien de Césaré, Centre national de création musicale de Reims, Pro Helvetia et FONDATION SUISA (Daniel Zea, François Papirer Primitivo)

jeudi 28 septembre 2023 — 21h00
Église Saint-Paul

 


mercredi 27 septembre 2023

"Poppe par Poppe" : poppe art singulier!

 


CONCERT

Enno Poppe est un compositeur de la prolifération. Chacune de ses pièces naît d’une idée ou d’un processus singulier qui se déploie de manière quasi virale dans la partition. Considéré comme l’un des compositeurs les plus originaux et accomplis de sa génération, il prend aussi régulièrement la baguette pour diriger sa propre musique. Tel est le cas à Musica où il conduit l’Ensemble intercontemporain dans l’interprétation d’une de ses pièces les plus marquantes, Prozession. L’œuvre est un immense flux découpé en neuf parties, chacune introduite par un duo différent. Est également donnée en création française, sa dernière œuvre en date, Blumen. Alors, Enno Poppe, le nouveau pape de la musique contemporaine ?


Enno Poppe
Blumen (2023), création française : un panel , une corolle florale séduisante

Un véritable florilège   de l'art de composer de Poppe, cet artiste inclassable qui dirige lui-même ce soir là l'Ensemble Intercontemporain de sa gestuelle atypique, longue silhouette gracile très mobile aux gestes précis, infléchis par le rythme et les interventions ciblées de chaque instrument. Ode aux chants des instruments dont le trombone sera une véritable révélation de sons inouïs et décalés, évoquant une voix languissante, un cri d'enfant, un râle animal...C'est tout un univers, une ambiance surprenante et pétrifiante qui anime cet opus fait de quinze séquences qui s'enchainent par de courts silences interrogateurs.Chacune possède son caractère, brève ou plus longue comme autant de "nouvelles" en littérature formant un recueil, un bouquet de pièces comme un herbier. Que l'on feuillette en regardant et écoutant ce jardinier qui s'affaire à distribuer les rôles des instruments, leur place sonore dans ces compositions miniatures de grande classe. Comme autant d'enluminures d'un recueil horticole, d'un petit catalogue de fleurs dispensant des fragrances et autres matières végétales. Blumen, c'est une ode à la diversité, à la singularité de chaque instrument, un doigté de direction d'ensemble à la mesure de la précision des orientations, des décisions d'écriture dans un espace temps restreint, une surface, ou superficie du son vaste et inventive. Monsieur Jack dans une narration sonore et sa mécanique du coeur...

Prozession (2015-2020) : un genre musical unique..

Une oeuvre gigantesque marquée par les contrastes et modulations constants. Du point de départ en prologue sur de légères percussions évoquant des gouttes de pluie  Puis le volume enfle, les instruments se font apparition sonore virulente et singulière, chacun dans sa sphère, rivalisant avec les autres pour mieux se perdre dans l'énorme masse sonore tonitruante. C'est magistral et pointilliste à la fois, chaque touche composant un paysage impressionniste chatoyant.Tableau très plastiquement sonore où la composition semble celle d'un peintre devant son chevalet. Poppe très investi physiquement dans une gestuelle nette et engagée, très chorégraphiée. Un homme singulier dirigeant sa musique à l'affut, aux aguets. Procession quasi mystique pour honorer les percussions, morceau de choix comme une "fanfare qui ne marche pas"....Processus de création en marche comme un flux incessant nourri de duos et solos d'instruments qui révèlent timbres, hauteurs, espace et densité sonore à l'envi.Une "microtonalité" au service du trouble et de l'incertain de la justesse des notes ou de leur appréciation par l'auditeur convoqué à cette messe ou cérémonie inaugurale.Une envergure sonore inouïe qui donne des ailes à l'Ensemble intercontemporain se jouant des embuches et difficultés, guidé par la baguette du prestidigitateur conducteur de cet opus unique et atypique à souhait.

A la cité de la musique et de la danse le 26 Septembre dans le cadre du festival MUSICA


direction | Enno Poppe

Ensemble Intercontemporain
flûte | Sophie Cherrier
hautbois | Philippe Grauvogel
clarinette | Martin Adámek
cor | Jean-Christophe Vervoitte
trompette | Lucas Lipari-Mayer et Clément Saunier
trombone | Lucas Ounissi
saxophone | Vincent David
violon | Jeanne-Marie Conquer et Diégo Tosi
alto | John Stulz
violoncelle | Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin
contrebasse | Nicolas Crosse
guitare électrique | Benjamin Garson
piano | Hidéki Nagano et Sébastien Vichard
harpe | Valeria Kafelnikov
percussions | Gilles Durot, Aurélien Gignoux, Samuel Favre et Emil Kuyumcuyan

commande Ensemble intercontemporain, Festival Lucerne et de la Casa da Musica (Enno Poppe Blumen)
avec le soutien de la SACEM

© Harald Hoffmann


mardi 26 septembre 2023

"Lébranlement" : un concert sismique aux soulèvements tectoniques sur mesure à MUSICA: concert phonolitique....

 


CONCERT

L’Ensemble intercontemporain au grand complet, sous la direction de Pierre Bleuse, fait son retour à Musica pour une rencontre au sommet entre Hugues Dufourt et Michaël Levinas. Du premier est donnée La Horde d’après Max Ernst, une œuvre sombre qui fait référence à une série de compositions picturales du peintre surréaliste. Le second nous offre L’Ébranlement en création mondiale, une œuvre dont la composition est mue par l’idée de vibration. Le concert est aussi l’occasion de découvrir l’Australienne Liza Lim avec The Tailor of Time, une nouvelle œuvre pour hautbois, harpe et ensemble inspirée par la pensée soufie du poète et mystique persan Jelaluddin Rumi (1207-1273).


Michaël Levinas | Les voix ébranlées (2023), création mondiale

Les vibrations sont de bon ton, les instruments vont fonctionner comme des corps qui émettent des sons proche de la voix: ces "larmes de la voix" au dire du compositeur, un chant émis de l'orchestre entre rythme et forme de la passacaille ainsi que du  chant choral.Une oeuvre très tectonique et chorégraphique, , lignes croisées de cordes qui évoquent des enlacements de figure de danses tracées baroques. Les cuivres et les bois, proche de la réverbération vocale sont de bon aloi et servent un registre très puissant, vivant, organique, charnel et sensuel. Tous ces phénomènes d'instabilité nous rapproche de la danse, du souffle et les entrelacs esquissés comme du graphisme sonore basculent dans la cadence et le geste.Les registres de timbre comme autant de modulations, surprises ou plein et déliés d'une composition sonore virtuose. Ebranlement, soulèvement qui transportent l'auditeur dans un monde et une atmosphère singulière planante qui rebondit sur ses appuis comme un bon danseur de cordes en équilibre précaire. Mouvements de strates sonores sismiques pour un tremblement très émouvant de sons en fréquences singulières.
Hugues Dufourt | La Horde d’après Max Ernst (2022) 

Les traits, traces et fulgurances de l'écriture picturale de Max Ernst sont à l'origine de cette oeuvre forte, sombre et virulente.Frottage et grattages, des formes de tracés de dessin oniriques du peintre suréalistes seront les fondements de la pensée musicale de Hugues Dufour. Toujours proche du matériaux, des sons des matières, le voilà qui s'attelle à l"évocation géologique des couches, des traits, des signes graphiques de la densité, de la dynamique des plaques. Des "correspondances" à la Baudelaire, non pas des concordances fortuites animent cet opus atypique. On y décèle des traces de vent, de souffle, une érosion qui respire et entame le son, des déflagrations salvatrice d'une dynamo sonore intense et percussive. Les vents et bois comme des médias d'écriture sur une partition de rocs et minéraux, comme les forêts de Max Ernst, fossiles et étranges topic de choix pour le compositeur animé de la volonté de prolonger l'oeuvre du peintre de sa touche musicale. Une rencontre d'univers qui se catapultent, s'embrassent et se choquent comme des plaques géologiques mouvantes, cassantes. Un fossé d'effondrement des tabous et clichés de la composi tion pour créer un bassin 'de réception comme une surface de réparation des terres inconnues.Une "horde", tribu de sons aux mœurs indigènes chamarrés.La passion de Hugues Dufour pour l'art graphique et les beaux arts, une fois de plus convoquée pour nourrir son imaginaire, son esthétique, sa griffe musicale.


Liza Lim | The Tailor of time (2023), création mondiale

Que voici fantaisie, humour et exigence mêlés pour ce morceau de choix sonore plein de surprises, de décalages frondeurs et  pacifiques dans cette réflexion sur le temps, "la taille" du couturier sur le vêtement artisanal, le savoir faire et être des métiers de la couture. Coudre la musique, en découdre avec les ourlets imparfaits et singuliers de la facture d'un vêtement sur la mesure musicale Comme autant de points, traces et signes de marquages à la Kandinsky, l'oeuvre tisse, pique et coud du singulier, de l'humour issu d'une dramaturgie inédite: celle d'un percussioniste, trublion du concert, artisan de sons du quotidien, d'une joyeuse pagaille tonique et percussive au sein de l'opus. Une ponctuation drôle et décalée qui bascule dans le comique et la performance. Alors que harpe et hautbois fractionnent le temps dans leurs interventions pertinentes, venant orner le morceau d'une tinte, de timbres clairs ou chaleureux.Se tailler la part belle dans cet atelier de couturière des sons de Liza Lim qui enchante une "collection d'automne"défilé malin de sonorités sur le podium d'un voguin musical décapant. Haute couture sur mesure pour tous! Et l'Ensemble Intercontemporain au mieux de sa forme pour soutenir, transporter ces oeuvres en un ébranlement offensif!


hautbois | Philippe Grauvogel
harpe | Valeria Kafelnikov

direction | Pierre Bleuse

Ensemble intercontemporain
flûte | Sophie Cherrier et Emmanuelle Ophèle
hautbois | Coline Prouvost
clarinette | Martin Adámek, Alain Billard et Jérôme Comte
basson | Paul Riveaux et Marceau Lefevre
saxophone | Vincent David
cor | Jean-Christophe Vervoitte et Jean-Noël Weller
trompette | Lucas Lipari-Mayer et Clément Saunier
trombone | Augustin Barre et Lucas Ounissi
tuba | Jérémie Dufort
violon | Jeanne-Marie Conquer, Hae-Sun Kang et Diégo Tosi
alto | Laurent Camatte et John Stulz
violoncelle | Eric-Maria Couturier et Renaud Déjardin
contrebasse | Nicolas Crosse
guitare électrique | Benjamin Garson
piano | Géraldine Dutroncy et Sébastien Vichard
percussions | Jean-Baptiste Bonnard, Gilles Durot, Samuel Favre et Aurélien Gignoux

réalisateur informatique et musical | Carlo Lorenzi
ingénieur du son | Clément Marie

— A la Cité de la Musique et de la danse le 25 Septembre dans le cadre du festival MUSICA

commande Musica, Ensemble intercontemporain (Michaël Levinas, L’ébranlement) / Musica, Ensemble intercontemporain, Festival d’Automne à Paris (Liza Lim, The Tailor of Time)
avec l'aide à l’écriture d’une oeuvre musical originale du Ministère de la Culture et de la DRAC Grand-Est (Liza Lim, The Tailor of Time)
avec le soutien de la SACEM