samedi 30 septembre 2023

"Memento : un livre des matières": Jérôme Combier, Ensemble Cairn : comme un monticule de phonolite incandescante.

 


CONCERT

Jérôme Combien peint une nature morte musicale, animée dans l'esprit de l'arte povera.

Les feuilles, la pierre ou le bois, les métaux, le verre ou le sable délivrent des propriétés sonores sur une scène aux allures de grand tableau. La musique — c’est aussi son pouvoir — redonne vie aux objets inertes de la nature morte. Elle les fait sortir du cadre et les porte à notre attention, comme pour mesurer l’écart entre le temps géologique de la matière et le fragile temps de l’humain à l’écoute.

Avec sa dernière création, Jérôme Combier fait écho au courant de l’arte povera et aux artistes Jannis Kounellis, Giuseppe Penone et Claudio Parmiggiani, ainsi qu’au land art de Richard Long. La salle de concert devient une surface sur laquelle gravitent des îlots sonores. La composition comme la disposition des choses font l’œuvre. Au centre du dispositif, un percussionniste fait exister les matières naturelles, et en les manipulant, les projette parmi les instrumentistes qui l’environnent. Ainsi absorbées dans l’écriture et dans l’espace, elles deviennent phénomènes, gestes, mouvements. La musique dès lors s’observe, exposée, sculptée, frottée, caressée, parfois brisée.

Memento est dédié à la mémoire de Raphaël Thierry.

Au sein de la salle de spectacle du Palais des Fêtes, le public est rassemblé autour de trois estrades et un coeur central d'où vont vibrer les sons incongrus et savamment orchestré par Corentin Marillier. Des plages plus ou moins longues engrènent le concert: les musiciens rassemblés par petit groupe dont un composé de trois instruments à vent entre autre. Sous la direction de Guillaume Bourgogne. Sons-matière pour chaque pupitre où l'instrument est considéré comme émetteur et vecteur de son hors norme. Le violoncelle devient percussion, les vents se font corde, et toutes les astuces sonores nées de la manipulation de matériaux bruts divers est un enchantement. A l'oeuvre le percussionniste rivalise d'inventivité en manipulant graines, cassantes, cosses, végétaux musicaux en diable! Du sable en cascade lumineuse au final, très esthétique image de la matière sonore et vivante. Peu de chose pour un rendu sonore déroutant: de "l'Art Pauvre" plein de richesse, de densité, de poids et légèreté en même temps.Les pièces sonores se succèdent offrant un panorama visuel flatteur. Les sons s'y glissent, radieux, solaires, inattendus et aiguisent la curiosité et l'attention chez l'auditeur. Un vaste paysage sonore où se renvoient les ondes, réverbérations et bruissements naturels. Comme un jeu d'aller et retour entre les groupes composés, tributaires d'un chef de partie singulier: ce prestidigitateur, agitateur de vibrations, de sonorités inouïes, qui font du bien dans leur chaleur et sensualité vivante. Le son acoustique au plus près des auditeurs dans cette vaste arène musicale. L'ensemble "Cairn"  exécutant cette cérémonie rituelle comme un culte à la beauté du son . Monticule ou tumulus de terre ou de pierre élevé par les Celtes en Europe, les Tibétains en Asie :  Pyramide élevée par les alpinistes et les explorateurs comme point de repère ou pour marquer leur passage ...A vous de choisir la meilleur définition pour qualifier ces explorateurs de sons, ces aventuriers des matériaux singuliers ou instruments acoutiques...


création mondiale du cycle complet

Jérôme Combier Memento : un livre des matières (2019-2023)


percussions | Corentin Marillier
direction | Guillaume Bourgogne

Ensemble Cairn
flûtes | Cédric Jullion
clarinette basse | Ayumi Mori
trompette | André Feydy
accordéon | Julia Sinoimeri
violon | Constance Ronzatti
violoncelle | Alexa Ciciretti
piano | Maroussia Gentet

électronique | Etienne Démoulin
création lumière | NN

Commande Musica, Noirlac - Centre culturel de rencontre
production Ensemble Cairn
coproduction Musica, GMEM - Centre national de création musicale
avec le soutien de la SACEM, de la SPEDIDAM et de la SACD

Jérôme Combier a bénéficié d’une résidence de travail à la Maison Dutilleux Joy à Candes-Saint-Martin durant l’été 2023.

La musique de Jérôme Combier est publiée aux éditions Lemoine

© Gaelle Belot


"Concert pour soi, nostalgie": une écoute intimiste de la musique "domestique"

 


Des musiciens et musiciennes vous accueillent chez eux pour une expérience unique. S’ouvrir à l’intimité, stopper le temps, laisser la mémoire prendre corps.

La musique possède un pouvoir mystérieux, fascinant, terrifiant même... celui de nous absorber dans l’écoute. Comme un liquide, on glisse dans les sons. Parfois même, on disparaît l’espace d’un instant, avant de réapparaître autrement l’instant d’après. C’est dans cette faille spatio-temporelle, cet entre-deux-mondes étrange, que réside notre sentiment de « nostalgie » : une douce tristesse née entre un présent qui nous semble toujours incomplet et un passé que l’on est à deux doigts faire revivre mais qui s’efface si on l’approche. 

Un bel appartement dans le quartier de l'Orangerie nous accueille: chez des violoncellistes, interprètes de haut niveau pour un petit séjour en cocooning musical. Franchi l'immense couloir, en attendant la prestation, on se détend et s'imprègne du lieu;deux petits salons d'accueil cosy pour une mise "en forme" recueillie. C'est Paola Bodin Navas qui nous conduit au grand salon, où assis nous ferons face aux musiciens le temps d'un voyage très intimiste dans trois univers musicaux, si proches, si lointains. Un solo de Witold Lutoslawski "Sacher Variations" pour violoncelle bien sur! Une oeuvre où l'artiste fait vibrer son instrument, prolongation de son corps dans des ralentissements, lamento ou glissando remarquables. L'émotion de cette proximité avec l'interprète joue et gagne en écoute, concentration et partage interactif. La grande armoire qui nous fait face laisse entrouverte une reproduction de Joan Martin, peintre, "Sadak à la recherche des eaux de l'oubli": sturm und drang musical autant que pictural: la scénographie inspire cette "nostalgie" thématique du récital.

Fait suite, la "Suite n°2 en si mineur, BWV 1067-extraits de Bach"

Un départ en soliste pour Paula qui sera rejointe par Antoine Martynciow: une étrange complicité d'interprètes qui se bordent, s'accompagnent, se doublent dans cette interprétation au plus près de l'instrument, de sa sensualité, de ses mesures, hauteurs et timbres si nuancés.

Fera office d'épilogue une oeuvre de Kaija Saariaho, "Sept papillons" pour une ballade bucolique sur les cordes du violoncelle: ajustant une multitude de timbres insolites, des passages virtuoses, guidés par la musicalité de l'interprète. Celui qui nous sortit sa partition d'un joyeux désordre créatif, se révèle stricte et confiant dans son toucher, ses glisser et petits coups de doigts sur les cordes.

Un récital bien "chambré"comme dans une alcôve baudelairienne, bien timbrée et tempérée au plus juste d'une relation étroite entre auditeur et interprète.

Le samedi 30 Septembre 15H 30 dans le cadre du festival MUSICA

vendredi 29 septembre 2023

"Everything is important": Jennifer Walshe enflamme le Quatuor Arditti!

 


SPECTACLE

Tout, tout, tout peut être pris en considération en musique : le désastre écologique, les technologies numériques de contrôle de la société, l’accroissement des inégalités sociales… EVERYTHING IS IMPORTANT est peut-être le meilleur exemple de ce que Jennifer Walshe nomme « une nouvelle discipline ». C’est-à-dire une façon ouverte de créer, en prise avec le monde et usant de tous les moyens disponibles : la notation, l’improvisation, le texte, la vidéo, les actions scéniques, l’environnement, les avis et convictions de chacun, chacune, etc. Composée non pas « pour » mais « avec » le Quatuor Arditti, la pièce expose une liberté de penser et d’agir peu commune. Peut-être frise-t-on le relativisme ? Absolument, et celui de la compositrice irlandaise est strict et rigoureux, jubilatoire même, renversant tout procès en anticonformisme en affaire de sens.


création française

Jennifer Walshe Everything is important pour voix, quatuor à cordes et vidéo (2016)

Ecouter et voir le Quatuor Arditti est toujours un bonheur, un délice d'écoute : alors en compagnie de Jennifer Walsche c'est une surprise plus que déroutante. Les complices de toujours se piquent au jeu pluridisciplinaire de la performeuse-chanteuse avec malice, humour et engagement. Leur performance inouïe de servir cette oeuvre atypique est à saluer et l'on peut souligner leur aisance à se frotter à tous les registres. Cette opus très "nouvelle discipline" se révèle objet non identifiable tant les rebonds sonores, les événements vocaux versatiles s'accumulent et donnent le ton: irrévérencieuse prestation d'une trublione de la scène musicale auprès de solides interprètes aguéris à toute forme d'hybride, de baroque formel et c'est un phénomène dorénavant apprivoisé que cette formule spectaculaire originale qui mène sur les chemins du décalé, coupé, crié ou murmuré. La technique vocale usant et abusant de sautes de timbres, de hauteur, d'octave à profusion. Comédienne, chanteuse, performeuse Jennifer Walshe prouve ici que tout est important, rien n'a négliger dans la sphère de la recherche laboratoire de la musique indisciplinée, indisciplinaire...


performance | Jennifer Walshe

Quatuor Arditti
violon | Irvine Arditti
violon | Ashot Sarkissjan
alto | Ralf Ehlers
violoncelle | Lucas Fels

commande Internationales Musikinstitut de Darmstadt, Huddersfield Contemporary Music Festival, Gong Tomorrow (Danemark), November Music (Pays-Bas), Centre Culturel d’Onassis (Grèce) et le Quatuor Arditti
© Kai Bienert

Salle Ponnelle dans le cadre du festival MUSICA le 29 Septembre