lundi 2 octobre 2023

Musica à Bâle: Des formes "orchestrales" singulières et efficaces..Du millefeuille sonore au tout à Lego, un périple inoubliable au coeur de la composition musicale en soulèvement.

 


Musica remonte le Rhin pour clôturer son édition à Bâle avec les acteurs locaux de la création musicale.

Après la création de son opéra Don Giovanni aux enfers, Simon Steen-Andersen conclut Musica avec son monumental TRIO pour orchestre, big band, choeur et vidéo — une pièce qui détourne le sentiment de nostalgie pour littéralement s’éclater ! Le compositeur danois est l’hôte de cette virée bâloise : il nous invite au Musée Tinguely, avant un concert de Zone expérimentale, l’ensemble de la Hochschule für Musik/Sonic Space Basel, inspiré par sa pièce Staged Night présentée à Musica en 2020.

—Espace Don Bosco le 1 octobre
Musik inszeniert Musik
Zone expérimentale

Dans cette église désaffectée dévolue à l'étude de la musique"Hochschule fur Musik FHNW/sonic apace basel"un florilège de pièces contemporaines, mises en scène sobrement, c'est Simon Steen Andersen qui se taille la part belle: quatre morceaux extraits de "Insernierte Nacht for seven instruments and electronics de allant de l'inspiration de Bach, à Schumann en passant par Mozart: des relooking façon le maitre à compacter, coller, détourner les références et canons du baroque ou classicisme. Les instruments solistes se taillant la part belle à tour de rôle et interprétés par quelques virtuoses de l'exécution gymnopédique du compositeur démiurge du genre. Entrecoupées par un Aperghis croustillant, "Sept crimes de l'amour" ainsi que d'un opus de Poppe"Fleisch" le concert bat son plein de surprises, de voix émergeant du flux ou des impromptus musicaux singuliers, oeuvres de compositions radicales, exigeantes, solides témoins de l'écriture "disciplinée" des auteurs d'aujourd'hui.

Et c'est au Sportzentrum Pfaffenholz , une architecture remarquable de Herzog et de Meuron, les papes de l'architecture suisse et internationale du moment que le clou de cette escapade musicale à Bale va se dérouler!

Play Big!
Sofia Gubaidulina Revuemusik (1976/1999/2002), création française

Une pièce courte et très tonique regroupant déjà l'orchestre Basel Sinfonietta et le NDR Big band ouvre le bal: singulière composition audacieuse, périlleuse composition alliant les genres et strates en alternance. Déjà la fusion entre les deux ensembles opère de façon calque ou simultanéité de timbres, sons et autres astuces virtuoses de composition. L'acoustique singulière du gymnase avec ses moucharabiehs tectoniques comme des intra-squelettes laissant passer les ondes, les voix, les sons sidérants.


Michael Wertmüller Shimazel (2023), création mondiale

Voici un opus où à nouveau les deux formations rivalisent de  maitrise et de savoir faire d'interprétation: sur le fil et sans filet, les voici funambules d'un mélange alchimique entre jazz et classique, les masses de sons se doublant, s'intercalant ou faisant couches tectoniques de roches métamorphiques. Le son est phonolite, mêlant les strates comme des chaos, des séracs crissant, la musique reculant comme un glacier sous le choc des moraines. Du bel ouvrage où le sérac, un bloc de glace de grande taille formé par la fracturation,dépassement du seuil de plasticité de la glace d'un glacier, devient iceberg à la dérive. Débâcle salutaire pour évacuer du paysage tout obstacle à sa formation..

Le tout à Lego

Enfin, Simon Steen-Andersen avec son TRIO (2019), création française  nous régale de sa singulière écriture mêlant ici le rythme d'un montage vidéographique inouï, avec la musique taillée sur mesure des thématiques et découpages visuels. Un challenge à la hauteur de ce compositeur épris de cinéma, d'images mouvantes ..Une architecture déstructurée ou inventive, style construction de Lego improbable silhouettes visuelles en déséquilibre inventif.A contrario de ses prouesses de grand angle ou de plans séquence, le voici attelé à un montage précis, net, un découpage musique-son-images d'archive très pertinent et impertinent à la fois. Les portraits de chefs d'orchestre au travail, gestuelles, mimiques, postures et attitudes et attitudes d'antan, les plans sur les interprètes, les espace de concert font tourner la tête et plongent dans une vertigineuse ascension aux enfers! Vision et attention auditive au paroxysme pour l'auditeur, bousculé par tant d'imprudence mesurée, calculée au millimètre près .Mètre -maitre-à danser autant qu'alambic surréaliste Simon fait preuve d'une audace insensée, résultat d'un long travail de décryptage de 400 heures de visionnage d'images de références. Résultat: un travail de fond tel le plasticien musicien virtuose du genre, Christian Marclay, accumulant des extraits d'images thématiques( téléphone, portes...) en compilations rythmiques époustouflantes: humour, détachement de la composition musique-image décapante. Une narration s'ensuit faite de clins d'oeils, de références, de mémoire d'un capital visuel sur la musique et son exécution... La klang-couleur-mélodie comme axe de recherche toujours bordé du concept de collages, superpositions, décalque de la musique. Les trois ensembles au diapason de cette performance indescriptible ouvrage gigantesque et mégalomaniaque, gargantuesque banquet sonore délectable. Fragrances, saveurs d'une cuisine déstructurée à l'envi où les trois chefs d'orchestre dont Titus Engel rivalisent de maitrise de la direction d'ensembles qui s'entremêlent à foison. De la très haute voltige pour ce magicien volcanique, éruptif, pas sage du tout de la musique d'aujourd'hui....Du montage musical qui colle aux images comme de le processus de création vidéo de Thierry de Mey, musicien de ses propres films sur les chorégraphies filmées et montées de A nne Teresa de Keesmaeker!

Une escapade à Bâle au gout des machines et chorégraphies de Tinguely, l’ôte pressenti en amuse bouche et oreille de ce périple musical hors norme. Une "clôture" pour le festival MUSICA où toutes les barrières sont ouvertes et franchies, mettant à bas frontières et territoires pour une circulation libre des sons, des musiciens, des compositeurs conviés à ce festin frugal ou roboratif des sons frissons.

Basel Sinfonietta
NDR Bigband
Chorwerk Ruhr
direction | Titus Engel le 1 Octobre dans le cadre du festival MUSICA



© Ralf Brunner


samedi 30 septembre 2023

"Memento : un livre des matières": Jérôme Combier, Ensemble Cairn : comme un monticule de phonolite incandescante.

 


CONCERT

Jérôme Combien peint une nature morte musicale, animée dans l'esprit de l'arte povera.

Les feuilles, la pierre ou le bois, les métaux, le verre ou le sable délivrent des propriétés sonores sur une scène aux allures de grand tableau. La musique — c’est aussi son pouvoir — redonne vie aux objets inertes de la nature morte. Elle les fait sortir du cadre et les porte à notre attention, comme pour mesurer l’écart entre le temps géologique de la matière et le fragile temps de l’humain à l’écoute.

Avec sa dernière création, Jérôme Combier fait écho au courant de l’arte povera et aux artistes Jannis Kounellis, Giuseppe Penone et Claudio Parmiggiani, ainsi qu’au land art de Richard Long. La salle de concert devient une surface sur laquelle gravitent des îlots sonores. La composition comme la disposition des choses font l’œuvre. Au centre du dispositif, un percussionniste fait exister les matières naturelles, et en les manipulant, les projette parmi les instrumentistes qui l’environnent. Ainsi absorbées dans l’écriture et dans l’espace, elles deviennent phénomènes, gestes, mouvements. La musique dès lors s’observe, exposée, sculptée, frottée, caressée, parfois brisée.

Memento est dédié à la mémoire de Raphaël Thierry.

Au sein de la salle de spectacle du Palais des Fêtes, le public est rassemblé autour de trois estrades et un coeur central d'où vont vibrer les sons incongrus et savamment orchestré par Corentin Marillier. Des plages plus ou moins longues engrènent le concert: les musiciens rassemblés par petit groupe dont un composé de trois instruments à vent entre autre. Sous la direction de Guillaume Bourgogne. Sons-matière pour chaque pupitre où l'instrument est considéré comme émetteur et vecteur de son hors norme. Le violoncelle devient percussion, les vents se font corde, et toutes les astuces sonores nées de la manipulation de matériaux bruts divers est un enchantement. A l'oeuvre le percussionniste rivalise d'inventivité en manipulant graines, cassantes, cosses, végétaux musicaux en diable! Du sable en cascade lumineuse au final, très esthétique image de la matière sonore et vivante. Peu de chose pour un rendu sonore déroutant: de "l'Art Pauvre" plein de richesse, de densité, de poids et légèreté en même temps.Les pièces sonores se succèdent offrant un panorama visuel flatteur. Les sons s'y glissent, radieux, solaires, inattendus et aiguisent la curiosité et l'attention chez l'auditeur. Un vaste paysage sonore où se renvoient les ondes, réverbérations et bruissements naturels. Comme un jeu d'aller et retour entre les groupes composés, tributaires d'un chef de partie singulier: ce prestidigitateur, agitateur de vibrations, de sonorités inouïes, qui font du bien dans leur chaleur et sensualité vivante. Le son acoustique au plus près des auditeurs dans cette vaste arène musicale. L'ensemble "Cairn"  exécutant cette cérémonie rituelle comme un culte à la beauté du son . Monticule ou tumulus de terre ou de pierre élevé par les Celtes en Europe, les Tibétains en Asie :  Pyramide élevée par les alpinistes et les explorateurs comme point de repère ou pour marquer leur passage ...A vous de choisir la meilleur définition pour qualifier ces explorateurs de sons, ces aventuriers des matériaux singuliers ou instruments acoutiques...


création mondiale du cycle complet

Jérôme Combier Memento : un livre des matières (2019-2023)


percussions | Corentin Marillier
direction | Guillaume Bourgogne

Ensemble Cairn
flûtes | Cédric Jullion
clarinette basse | Ayumi Mori
trompette | André Feydy
accordéon | Julia Sinoimeri
violon | Constance Ronzatti
violoncelle | Alexa Ciciretti
piano | Maroussia Gentet

électronique | Etienne Démoulin
création lumière | NN

Commande Musica, Noirlac - Centre culturel de rencontre
production Ensemble Cairn
coproduction Musica, GMEM - Centre national de création musicale
avec le soutien de la SACEM, de la SPEDIDAM et de la SACD

Jérôme Combier a bénéficié d’une résidence de travail à la Maison Dutilleux Joy à Candes-Saint-Martin durant l’été 2023.

La musique de Jérôme Combier est publiée aux éditions Lemoine

© Gaelle Belot


"Concert pour soi, nostalgie": une écoute intimiste de la musique "domestique"

 


Des musiciens et musiciennes vous accueillent chez eux pour une expérience unique. S’ouvrir à l’intimité, stopper le temps, laisser la mémoire prendre corps.

La musique possède un pouvoir mystérieux, fascinant, terrifiant même... celui de nous absorber dans l’écoute. Comme un liquide, on glisse dans les sons. Parfois même, on disparaît l’espace d’un instant, avant de réapparaître autrement l’instant d’après. C’est dans cette faille spatio-temporelle, cet entre-deux-mondes étrange, que réside notre sentiment de « nostalgie » : une douce tristesse née entre un présent qui nous semble toujours incomplet et un passé que l’on est à deux doigts faire revivre mais qui s’efface si on l’approche. 

Un bel appartement dans le quartier de l'Orangerie nous accueille: chez des violoncellistes, interprètes de haut niveau pour un petit séjour en cocooning musical. Franchi l'immense couloir, en attendant la prestation, on se détend et s'imprègne du lieu;deux petits salons d'accueil cosy pour une mise "en forme" recueillie. C'est Paola Bodin Navas qui nous conduit au grand salon, où assis nous ferons face aux musiciens le temps d'un voyage très intimiste dans trois univers musicaux, si proches, si lointains. Un solo de Witold Lutoslawski "Sacher Variations" pour violoncelle bien sur! Une oeuvre où l'artiste fait vibrer son instrument, prolongation de son corps dans des ralentissements, lamento ou glissando remarquables. L'émotion de cette proximité avec l'interprète joue et gagne en écoute, concentration et partage interactif. La grande armoire qui nous fait face laisse entrouverte une reproduction de Joan Martin, peintre, "Sadak à la recherche des eaux de l'oubli": sturm und drang musical autant que pictural: la scénographie inspire cette "nostalgie" thématique du récital.

Fait suite, la "Suite n°2 en si mineur, BWV 1067-extraits de Bach"

Un départ en soliste pour Paula qui sera rejointe par Antoine Martynciow: une étrange complicité d'interprètes qui se bordent, s'accompagnent, se doublent dans cette interprétation au plus près de l'instrument, de sa sensualité, de ses mesures, hauteurs et timbres si nuancés.

Fera office d'épilogue une oeuvre de Kaija Saariaho, "Sept papillons" pour une ballade bucolique sur les cordes du violoncelle: ajustant une multitude de timbres insolites, des passages virtuoses, guidés par la musicalité de l'interprète. Celui qui nous sortit sa partition d'un joyeux désordre créatif, se révèle stricte et confiant dans son toucher, ses glisser et petits coups de doigts sur les cordes.

Un récital bien "chambré"comme dans une alcôve baudelairienne, bien timbrée et tempérée au plus juste d'une relation étroite entre auditeur et interprète.

Le samedi 30 Septembre 15H 30 dans le cadre du festival MUSICA