vendredi 15 décembre 2023

"Dieu n'est pas avec nous" que la Camarde est belle. Hervé Bohnert police la danse macabre en abstraction lettrée inouie.

 


La Danse macabre, tout un chapitre de l'histoire de l'art et de la religion. Et pour la gente chorégraphique, le paroxysme de deux mots incompatibles: la mort ne peut danser puisqu'il n'y a plus de souffle, de vie, de mouvement. Même la mort incarnée dans "La table verte" de Kurt Joos, ballet de la danse d'expression allemande, n'a jamais su la représenter....Alors pour Hervé Bohnert qui n'a de cesse de travailler à partir de matrice d'objets religieux, christ et autres accessoires de monuments religieux liés au souvenir et à la mort, la tache est simple. Evacuer toute représentation pour extraire le sens des mots: l'écriture, les lettres et leur police de caractère s'associent à cette réflexion spirituelle pour donner naissance à un opus singulier."Souviens -toi que tu vas mourir…" Pour sa nouvelle exposition personnelle "Dieu n’est pas avec nous" Hervé Bohnert, a collaboré avec l’atelier typographique de Bettina Muller, et présente une version inédite et surprenante de ses “danses macabres”. Soulevant à cette occasion des questions liées à l’action de l’Homme sur l’environnement, de l’Homme sur lui-même et celles de ses croyances, elle est aussi une critique sociale engagée et très actuelle. Surprenante relecture de la danse macabre que ces lettres de forme, de grandeur, de "police de caractère" bien différente qui viennent s'ancrer dans le papier Et donner des empreintes du poids de l'impression, de la trace des masses visibles issues de la force de celui qui les a immortaliser ainsi. Éternité de ces traces qui rend toute vanité possible. Révolution de palais pour la danse macabre qui ne s'affiche plus sur les murs des basiliques rhénanes pour apeurer la foule dévote. Décalage de lecture dans ces niveaux graphiques noirs qui rythment la tectonique des lettres de l'alphabet qui s'affichent. Affiche murale à décrypter selon la musicalité de cette composition radicale. Mais aussi très organique, comme la danse des corps de ces lettres majuscules, minuscules. Grands écarts ou petits bougés d'espace en mouvement cinétique. La réverbération du balayage oculaire faisant le reste de l'illusion du bouger. Suspension dans le vide en apesanteur de ces corps, illusion optique pour une approche poétique et distancée de la Faucheuse. Et tout le reste du travail de Hervé Bohnert, supports et surfaces fort divers pour nous mettre au pied du mur. Lui, le passe-muraille, fantôme bien incarné pour franchir les limites de notre entendement. Danseur qui s'ignore employant les mêmes fondamentaux que Rudolf von Laban: le poids, la trace, l'espace, l'ancrage pour créer et incarner le temps et l'espace.


En prime une brioche de sa confection en dégustation de vernissage comme un cercueil ouvert sur un squelette gisant à savourer en anthropophage sans modération...Humour et distanciation rituelle, païens sans hésitation.Une immersion saisissante, perturbante,du 'mort" représenté qui interroge le vivant. Ce face à face inopiné ressemble étrangement à une immersion indiscrète vers notre propre questionnement.

cauchemars du passé 2017 exposition musée alsacien: vanités eat-art pour le vernissage !


Souviens -toi que tu vas mourir… et "dansez, dansez sinon nous sommes perdus....." Pina Bausch

A la Galerie JP Ritsch-Fisch jusqu'au 15 Janvier 2024




"Danseuses: 50 heroines" de de Rosita Boisseau : hommage et restitution d'icones oubliées de la danse.

 


Valoriser des créatrices danseuses et chorégraphes, qui ont marqué la scène de la danse moderne et surtout contemporaine, a nourri de façon électrisante la démarche et l’écriture de ce projet. Spontanément, le désir de rendre hommage à des artistes dont les œuvres, les processus de fabrication, les réflexions m’accompagnent depuis longtemps s’est imposé.

Le choix des 50 noms déclinés dans cet ouvrage évidemment subjectif, qui jette une passerelle du XVIIIe au XXIe siècle, résulte de différents paramètres. D’abord, l’élan spontané d’adhésion à une œuvre, un travail et une trajectoire qui m’emportent et me stimulent. Les danseuses ici sont pour la majorité d’entre elles des chorégraphes et leurs univers sont tatoués dans leur corps et leur vie de femmes.

Elles ont formalisé parfois explicitement leurs péripéties personnelles dans leurs spectacles. Autrices, elles possèdent une écriture unique et se révèlent hautement originales. Certaines sont des pédagogues qui ont fait école et des «?maîtres?» dont on transmet l’esprit et la technique de génération en génération.



Rosita Boisseau est journaliste au Monde et à Télérama et critique de danse. Elle a publié des monographies sur Régine Chopinot, Philippe Decouflé, José Montalvo et Dominique Hervieu, un Panorama de la danse contemporaine (2006), Danse et art contemporain (2011 et 2021), Photographier la danse (2013 et 2018), Danse contemporaine (2016 et 2022), Le Cirque contemporain (2017), Pina Bausch (2019) et Danser hip hop (2021).

jeudi 14 décembre 2023

"Péplum médiéval": jeu de mains, jeu de vilains. Jeu de massacre. Farce et trappes aux oubliettes...

 


Fresque truculente et merveilleuse, ce péplum médiéval exprime toute la fascination de son metteur en scène pour le Moyen Âge. De cette époque souvent réduite à un sombre mélange d’obscurantisme et de cruauté, Olivier Martin-Salvan se concentre sur le déclin, lorsque la guerre de Cent Ans et la fin du monde féodal constituent aussi le décor d’un incroyable foisonnement culturel et artistique. Ce n’est plus l’Antiquité du cinéma qui se dresse sur scène, mais un vrai château fort et ses environs. 


Toutes et tous, du Roi au bouffon, partagent une langue aussi vivante qu’étrange, polyphonique et poétique, composée par l’auteur Valérian Guillaume en tressant les mots du présent et ceux du passé. Pas moins de 15 comédien·ne·s dont ceux et celles, en situation de handicap, de la troupe Catalyse, habitent ce monde haut en couleurs, inspiré de Brueghel l’Ancien et de Rabelais, qui puise dans les contes et les farces de l’époque. Avec ce jeune héraut nouvellement arrivé, nous sommes invité·e·s à le parcourir.

C'est comme un magasin de friandises, de sucre d'orge, une boutique fantasque animée de petits personnages tonitruants. Un château "en Espagne", château de carte pour décor, un arbre où poussent des artichauts, et une foule de petits pions de jeu de dames ou d’échec pour faire vivre le plateau. Un roitelet de pacotille Ubuesque avant l'heure, des cavaliers montant des animaux de carnaval. C'est dire si l'ambiance est relevée, le ton pas toujours flatteur et rehaussé par des mots affriolants, néologismes ou virelangue, calembours ou jeu de mots d'un langage peu châtié. Les costumes de cette cour des miracles sont dignes d'un Philippe Guillotel, d'un jeu de cartes où les jokers, roi, valet et reine sont tête bêche et font des galipettes pour nous émerveiller, nous ravir le temps de la représentation quasi circasienne.Du quasi Decouflé où tous ont des airs de bestioles, pattes et griffes dehors, queue ou prolongements, extensions du corps burlesques et satiriques. Dignes de Clédat et Petitpierre ainsi que la scénographie Quant à la musique fanfare ou populaire de Vivien Trelcat elle enchante ce microcosme bigarré à l'envi.Et les comédiens de la compagnie Catalyse de brûler les planches, de se jeter à l'eau avec talent et savoir être sur scène. Se mêlant aisément aux autres interprètes, faisant figures de bouffons, comiques et autres farfadet volubiles et généreux à souhait. "Avec l’invitation que je fais à la Troupe Catalyse (7 interprètes), nous sommes nombreux sur le plateau, quinze acteurs ! Je dis souvent que les acteurs de Catalyse sont imbattables sur le Moyen Âge. C’est-à-dire, dans l’idée que je me fais de la culture médiévale, il y a quelque chose de très direct et de très intense dans leur manière de s’exprimer. Avec eux, les mises en abyme, enchâssements, digressions et intrigues ou théâtres simultanés m’apparaissent comme une évidence. Nous construisons de grands tableaux collectifs et sommes pour la majorité présents au plateau de façon quasiment ininterrompue, formant des fresques dans lesquelles on découvre, en s’attardant, des miniatures, comme des événements soudain plus intimes au cœur du nombre." dixit Olivier Marmin Salvan . Et le texte signé Valérian Guillaume de traduire cet amour du monde Médiéval, bien loin d'un scénario "péplum" cinématographique réduisant l'époque à un fatras chaotique désopilant.

guillotel

.Entravés, empêchés dans ces oripeaux de luxe, chatoyants leur donnant des aspects enfantins, naïfs, comiques Grotesque aussi. Rabelais et Brueghel au rendez . Et pas que: on songe à Fortunato Depero et son ballet plastique, à Oskar Schlemmer avec ses formes géométriques et monstrueuses...

depero

Ca va tambour battant à un bon rythme alors que l'histoire nous est contée et animée par les interprètes tous galvanisés par ce "vivre ensemble" très prégnant. Le Moyen Age comme univers où tout semble trivial, rustre, entier et franc de collier L'imagerie d'Epinal ou de Wissembourg surgit parfois tant les sketches ou saynètes parlent de postures, d'attitudes, de comportements du quotidien, de caractère. Le mime parfois s'ingère, la danse macabre, Camarde tendre et affolée se profile. Et la matrice avale chacun dans son tunnel évocateur de l'Origine du Monde de Courbet. On s'amuse, on sourit devant cette communauté de biens ou réduite aux acquêts, on s'émerveille du jeu des acteurs tous égaux sur le plateau, égaux à eux-mêmes et farceurs , arroseurs arrosés dans ce monde tonitruant. Chanson de geste et monde mystérieux au poing.

Au Maillon les 14 et 15 Décembre