samedi 27 janvier 2024

"Maldonne" et mobile! Leila Ka : elle se dé-robe en robe des champs, des villes. L'étoffe des chrysalides pour seule parure.

 


Leïla Ka
France 5 interprètes création 2023

Maldonne

Véritable prodige de la scène chorégraphique d’aujourd’hui Leïla Ka impose son énergie sur scène. Précise, pressée, dramatique et paradoxalement relâchée sa danse nous propose des montagnes russes d’émotions. La chorégraphe tente dans Maldonne de créer une dramaturgie hypnotique portée par cinq femmes. Sur scène, des robes. De soirée, de mariée, de chambre, de tous les jours, de bal. Des robes qui volent, qui brillent, qui craquent, qui tournent … Toujours fidèle à son univers théâtral, elle fait évoluer les danseuses sur des musiques issues du classique, de l’électro et de la variété. De cette intimité au féminin la chorégraphe dévoile et habille, dans tous les sens du terme, les fragilités, les révoltes et les identités multiples portées par le groupe.

Un gang sororal : mâle-donne...
Cinq femmes sur le plateau nu, en longues robes vintage pieds nus dans le silence: une galerie de statues médiévales qui s'anime peu à peu de gestes spasmodiques dans un rythme en canon, en points de chainette, en maillon subtil de changement imperceptible. En savant tuilage. Ce quintet silencieux possède l'éloquence du mystère d'un spirituel rituel, l'étoffe du désir de bouger, de s'animer. Dans des spasmes, des halètements qui rythment leur souffle et leurs gestes au diapason. Autant de soubresauts qui hypnotisent, intriguent tiennent en haleine.Tableau vivant dans une galerie d'art, un musée de l'Oeuvre Notre Dame où les vierges sages et folles trépignent à l'idée de s'évader. Soudain surgit la musique et le charme est brisé: mouvements tétaniques ou circonvolutions élégantes et distinguées, alternent. A la De Keersmaeker ou Pina Bausch pour la grande musicalité gestuelle, le port de robes colorées ou pastel .Elles se vêtissent et se revêtissent sans se dérober, se parent de tissus, d'enveloppes, d'atours sans contour. La seconde peau des vêtements comme objet de défilé, de mouture charnelle. Anatomie d'une étoffe de chutes, de roulades au sol pour impacter la résistance à cette fluidité naturelle. Vivantes, troublantes les voici à la salle des pendus, les robes accrochées dans les airs, boutique fantasque de spectres ou ectoplasmes flottants dans l'éther. Dans une jovialité, un ton débonnaire. 
 

Complices et joyeuses commères , elles se soudent en sculpture mouvante pour des saluts prématurés qui se confondent en satisfecit et autre autosatisfaction: la beauté pour credo. Et les robes de devenir étoffe de leurs pérégrinations, de leurs ébats protéiformes. Clins d'oeil à la fugacité, à la superficie des désirs. Se revêtir d'atours séduisants et aguichants pour plaire, se plaire. Bien dans leur assiette, leur centre, la pondération des corps en poupe: l'assise et l'ancrage comme essor de leurs bonds, chutes ou simple présence sur scène Les voici en mégères apprivoisée, se crêpant le chignon dans des bagarres burlesque à la Mats Ek: mouvements spasmodiques, changements de direction à l'envi, énergie débordante.  "Je suis malade" comme chanson de geste, comique et pathétique à la fois.
 

Ou figures de "bourgeoises décalées" comme un Rodin mouvant en pose jubilatoire.Encore un brin de Léonard Cohen pour faire vibrer nos cordes sensibles. Les robes que l'on essore comme du beau linge, en famille,au lavoir, qui battent le sol comme des lambeaux, des serpillères de ménage qui se jettent à l'eau. Lavandières ou travailleuses d'antan. Fresque historique de la condition féminine brossée en moins d'une heure. La joie y est vive, les personnages attachants en phase avec le public attentif et concentré. Les "donna e mobiles" comme des plumes de paon dans un Rigoletto très féminin-pluriel de toute beauté. Leila Ka magnifie nos fantasmes de femmes, les expurge, les projette au dehors comme pour les exorciser en magicienne, prestidigitatrice de choc.
 
Leila Ka inaugurant de façon magistrale sa résidence d'artiste associée à Pole Sud, deux années durant: cela promet  du grabuge, du pep, du tonus, de la vitalité et de la réflexion bien entendu. Il n'y a pas "maldonne" mais bien affranchissement des limites à suivre sans modération.
La soirée de clôture du festival"l'année commence avec elles"se termine à l'issue du spectacle en compagnie de la "Watt compagnie", ensemble musical de danses multiples, déjanté et animateur de "club in house", danse jam et performance: DJ et danseurs pour nous secouer le popotin: un "theater show" convivial, participatif pour la nuit de choc qui se clôt dans une ambiance unique de partage et de convivialité des corps en mouvement perpétuel.
Vivement l'année prochaine avec ELLES... 

, A Pole Sud le 26 Janvier

vendredi 26 janvier 2024

"Claire Days et Lussi: concert au féminin". A l'ombre de deux jeunes femmes en fleur sous le "signe" du chant-cygne d'étang.

 


Claire Days & Lüssi Concert au féminin Carte blanche à l’Espace Django

Dans le cadre de notre festival, il nous semblait important de montrer des femmes à l’œuvre dans d’autres domaines artistiques que la danse. Cette année, nous avons donc demandé à nos voisins et amis de l’Espace Django de nous concocter une soirée 100% féminine. Ils nous proposent deux songwriters folk qui réunissent les continents pour une soirée sublime et engagée.« Claire Days » c’est l’aventure menée par la française Claire, autour d’une folk saturée, hybride, qui tend vers le rock indé et s’affranchit des genres. Un nom d’emprunt pour une musique habitée qui s’inspire d’univers tantôt sensibles, tantôt volcaniques, tout en allant chercher de la tension et de l’étrangeté, à la croisée d’artistes comme Fink, Lianne la Havas ou encore Feist.


Une soirée musicale libre d'esprit et de conception, "jeune" et attirante assemblée de spectateurs, curieux de découvrir Lussi qui remplace au pied levé  Safia Nolin: quelle audace et quel culot mais aussi quel plaisir pour cette jeune chanteuse de nous livrer ses chansons à texte, sa vie et son plaisir de rencontrer son premier vrai public en "première" ou lever de rideau. Elle égrène ses oeuvres très personnelles avec une voix claire, frêle et comme un filtre très aigu de soprano légère. Chansons qui content ses débuts, son histoire, en français, pour une compréhension et une sympathie directe. Accompagnée sur le plateau par une violoncelliste Lucille Carbillet,chevronnée, en symbiose, en complicité avec ses accents tendres, tristes, nostalgiques, très doux et enveloppant. Lussi c'est aussi un personnage, ménestrel, habillée en gente dame médiévale, damoiselle troubadour des temps anciens: tunique blanche aux manches bouffantes de circonstance. Lussi in the sky pour notre plus grand plaisir. 

Et oh surprise sur la scène deux jeunes femmes interprètes en langue des signes de ses textes. Deux "danseuses" qui se prêtent au jeu de magnifier le vocabulaire gestuel de cette langue "chant-signée" chant " cygnée" comme une chorégraphie de mains, de bras qui tanguent, se dérobent, s'animent au gré du contexte, au gré des décibels, du volume vocal, des intentions d'interprétation. De la vraie Notation chorégraphique Laban adaptée au son. Du grand art partagé par le public au complet, fasciné par cette gestuelle inventive, descriptive mais sans redondance ni mimétisme incontournable Une expérience qui se renouvelle dans la deuxième partie consacrée à la chanteuse Claire Days accompagnée de son guitariste Ugo Del Rosso. 


À 13 ans, Lüssi écrivait des textes, apprenait le chant et la guitare et s’est tournée vers le conservatoire où elle restera quatre ans en section jazz. Actuellement, elle est plutôt orientée pop et donne des cours de chant.C’est bien au chaud, devant son feu de cheminée, que Lüssi compose sa musique : des chansons douces aux textes brumeux, envolées vocales et rythmes cassés. Une pop francophone, pleine de modernité.Son univers charbonneux rappelle la voix mystique d’Aurora, l’audace de Klô Pelgag ou encore le monde coton de November Ultra.Accompagnée par Lucille Carbillet au violoncelle, Lüssi saura entraîner le public dans son univers musical fait de simplicité et de douceur…


Claire Days, c’est l’aventure menée par Claire autour d’une folk saturée, hybride, qui tend vers le rock indé et s’affranchit des genres. Un nom d’emprunt pour une musique habitée qui s’inspire des univers tantôt sensibles, tantôt volcaniques de Feist et Laura Marling, tout en allant chercher de la tension et de l’étrangeté chez Warpaint, Lump ou The National. Le registre est quasi semblable à celui de Lussi: confidences, aveux, intimité,nostalgie, tendresse, autoportrait en chansons très personnelles, en français. Pour expérimenter l'impact de notre langue sur la versification, les sonorités, la prosodie . L'anglais que la chanteuse a toujours affectionné dès sa plus tendre enfance en écrivant ses textes dans la langue de Shakespeare.Elle nous conte modestement comme entremets, la genèse de ses textes, s'adresse au public avec reconnaissance et empathie. Sobre et limpide personnage, douce et belle voix timbrée qui sourd de ses lèvres, de son regard, de son attitude ouverte et partageuse. Un texte pour sa soeur très profondément en symbiose avec son caractère pudique et sincère, un "ombre" qui la tarabuste, sorte de rêve récurent pour exprimer le recueillement sur soi, l'introspection qui peut se partager. Du bel ouvrage de dame accompagné par la danse d'un jeune homme en fauteuil Adamo Sayad qui danse de tout son buste, ses jambes les mots et les sons de ses textes. Les deux jeunes interprètes à ses côtés pour lui traduire en direct ce qu'il traduit et prolonge pour ses pairs dans le public. La danse des signes n'est pas un "lac à assécher" mais une source d'adaptation intelligible et riche pour aborder la musique, le chant et toutes ses variations, ses modulations. Concert chansigné par "Deux mains sur scène" et gilets vibrants On pose un regard sympathique à l'égard d'une expérience riche d'enseignement sur la multiplicité des vecteurs de communication. Les 2 M(i)SS Rachel Frery et Séverine Michel George à l'affut du texte à traduire à interpréter.Un plaisir pour Claire Days que de partager et vivre ces instants uniques.Et les ombres de planer sur ce récital à deux voix, bordé de charme et de découvertes musicales.

 


les 2 M(i)SS de "deux mains sur scène"

A l'Espace Django le 25 Janvier dans le cadre du festival "l'année commence avec elles"

jeudi 25 janvier 2024

"ANGST": du fil sonore à retordre pour cette "anatomie de la chute" !

 


Performance autour du fil et de la peur

 Marchant au-dessus du vide, réalisant des sauts incroyables en risquant à tout instant de chuter, l’acrobate risque sa vie dès qu’il performe. Lorsque le corps fait face à un danger, l’esprit se réfugie derrière la peur. L’aborder entre artistes de cirque, transgresser ce tabou, permet d’explorer cette émotion fondamentale de notre humanité, présente en tous lieux, de tout temps, chez chaque individu. Celle qui peut nous sauver la vie comme nous pousser droit dans le mur ! Sur scène, confrontant la parole et les corps en action, Lucas Bergandi et Clément Dazin jouent avec les frayeurs du public, avec les leurs en tant que fil-de-fériste et jongleur, mais aussi celles qu’ils ressentent au quotidien. Si la peur fait résonner en nous l’écho d’une mort possible, la joie éclatante du circassien sur son fil semble clamer qu’elle éveille tout autant l’envie de vivre.


 Entrée en scène d'un jeune homme décontracté en apparence: mais ce prologue nous dévoile ses angoisses d'artiste pourtant habitué depuis 24 ans à exercer son métier! Il jongle en commentant d'une voix douce et feutrée les recettes de ses secrets de fabrication de jeu. Les balles sont légères, épousent son corps bien ancré, le poids et le centre de gravité mobilisés pour un bel équilibre. Comme son complice qui le rejoint. Félin pour l'autre, les voici devisant sur le métier tout en intégrant le dispositif, agrès et praticable du "fil". Une discipline de fer, un apprentissage où la répétition, l'endurance, la pugnacité sont de mise. Pas d'improvisation ni d'aléatoire dans l'exercice de cet art du vide. Maitrise et contrôle constants sont mobilisés. Funambule, homme de l'air sur la brèche sans cesse. Pour le meilleur d'un dialogue haut perché comme deux oiseaux qui devisent sans se diviser. Le risque est constant et l'accident arrive..Chute à l'appui. Rude, au sol, sans tapis: feinte, leurre ou réal incident corporel? Le doute s'installe...Et cela fait l'objet d'un bel exposé sur le mécanisme organique qui se déploie dans cette situation: l'anatomie d'une chute! Du bel ouvrage, tendre et haletant, palpitant: de la danse du fil qui glisse, recule, patine, fait des double salto sans effet de performance gymnique. De l'imagination dans les corps pour rendre ce spectacle au delà d'une simple dimension circassienne. Des "fils d'aplomb" sonorisés en herbe en quête d'équilibre-déséquilibre constant pour brosser un tableau mouvant et périlleux de deux artistes en quête de danger: même pas peur! La réverbération du son du fil confère au spectacle des vibrations, résonances, fréquences pour l'oreille interne qui dirige toutes les opérations de stabilité. C'est le public qui tremble et frémit à l'envi, se libère en éclatant de rire même quand les situations des deux protagonistes sont incertaines. La complicité, la solidarité de ce duo soudé est fondamentale, naturelle et rend ces deux interprètes sympathiques et proches.


Lucas Bergandi et Clément Dazin se rencontrent en 2009 au Centre National des Arts du Cirque où ils étudient ensemble durant trois ans. En tant qu’acrobate et musicien, Lucas Bergandi collabore ensuite avec diverses compagnies sur des projets en danse, arts du cirque ou de la rue et se confronte un temps à l’intensité et l’exigence du travail au sein des Théâtres de Variétés allemands.

Puisant dans l’expérience de diverses pratiques – danse, théâtre gestuel, jonglage, gymnastique, Clément Dazin conçoit des spectacles de cirque faisant fi des frontières entre disciplines. Il s’intéresse depuis quelques années à la place du texte et de la parole dans ses créations, souvent inspirées de thématiques contemporaines.

En 2016, il fonde sa compagnie, La Main de l’Homme, à Strasbourg. Très active localement, elle présente également ses spectacles dans les grands festivals internationaux, de Rio de Janeiro à Taipei.

Au TJP jusqu'au27 Janvier 

A la MAC de Bischwiller le 30 JANVIER 20H