dimanche 17 mars 2024

"Soirées lauréates" à Music&lles : Des "elles" pour des envolées sauvages et belles.

 


Soirée en partenariat avec le Parc naturel régional des Vosges du nord et l’association Au grès du jazz. Le dispositif Music&lles est notamment co-financé par l'Union européenne au titre du Fonds social européen (FSE +), la Ville de Strasbourg et la Région Grand Est, en partenariat également avec L'Autre Canal, Le Gueulard +, Jazz Us et le festival Feminista.

Une soirée d'aventures sonores et musicales avec 4 showcases, pour découvrir les groupes strasbourgeois lauréats de notre nouveau dispositif d'émergence et d'accompagnement dédié aux femmes* lead, Music&lles.


yaL

Prix « découverte » yaL, c’est un projet d’expérimentation dans lequel différents registres et paysages sonores se mêlent et s’entremêlent, contrastent et éveillent les sens, à base d'électro, de chœur et de musique orientale. Sur scène, loops et boucles s'associent aux claviers, kalimba, carillon, au grand plaisir de nos oreilles.
 

Pour entamer et débuter la soirée inédite une bonne pioche! La chanteuse, diseuse et multiinstrumentiste se régale de trafics et bidouillages sonores à la console, invente des sons percutants en prolongements de ceux proposés par ses synthétiseurs. Femme-orchestre, se dirigeant elle-même de tous côtés, elle invente une façon d'être en musique, très singulière. Seule et avec plein d'autres partenaires sonores pour des univers variés, tonitruants ou poétiques. Du punch et de l'affirmation d'un style qui n'appartiendrait qu'à elle, Yaelle Monnet.

nanalerda
Prix « découverte » nanalerda traduit ses émotions intenses par le biais d’étrangetés sonores, de sa voix versatile et accrocheuse, sur des thèmes tantôt apocalyptiques tantôt personnels. Accompagnée de sa fidèle basse, GIZ, elle vous fera entrer dans un autre monde, celui où les abeilles font la loi et où les zombies dansent. Le dystopique saura-t-il réchauffer votre cœur ?
 

Alors la voici comme dit, alerte, joviale, joyeuse, impatiente de nous communiquer son émoi, son enthousiasme. Un "copié-collé" aux petits oignons, un "papa abandonné" autobiographique comme un autoportrait cinglant et attendrissant sur l'abandon, un "balcon rose" d’où elle nous conte fleurette et un "dernier" qui ne sera pas le dernier morceau de son show,  numéro d'équilibriste du son. Longue silhouette longiligne, bien plantée, ancrée au sol, le bras et la main esquissant des mouvements gracieux. Le sourire de Lena Richard ou la moue complice de son jeu plein de verve, de naïveté juvénile bien simulée... Du talent en herbe à cultiver, déployer de toute urgence pour le plaisir de la revoir évoluer en compagnie de son deuxième instrument, sa basse GIZ, compère et compagne de route fort attachante.Elle danse sur ses appuis et conquit.l'auditoire avec distinction, discrétion et perspicacité. Maline et féline interprète de ses propres créations.

​Lüssi
Prix « découverte » Lüssi est un duo associant voix, guitare et violoncelle dans un registre de l'intime. Une pop francophone aux rythmes asymétriques, pour mieux raconter de nébuleuses histoires, une musique inspirée par l'audace de Klô Pelgag, le monde coton de November Ultra ou encore l'énergie d'un Bill Laurance, musicien de jazz modern. Son nom s’inspire de la Sainte-Lucie, fête célébrée dans les pays nordiques, qui marque le début du solstice d’hiver, le début des longues nuits.

 On la connait déjà mais la voici plus mûre et plus sereine, assurant avec beaucoup de tact et de sureté un show tendre et quasi nostalgique, poétique à souhait. Aux côtés de sa partenaire violoncelliste, en osmose et symbiose naturelle. Toute de blanc vêtue en costume virginal très stylé, strict et amidonné, au caractère voisin de sa musique sobre et aux paroles dosées de tendresse.  Sa comparse tout de noir gainée si proche de son instrument qu'elle en devient comme cette clef de sol d'une image de Man Ray gravée au dos de son modèle photographique. Romane Riat et Lucille Charbillet, binôme, duo de charme en chambre dans ce beau décor cosy très feutré et intime.

Exotica Lunatica
Coup de cœur du jury  Nouveau duo de la scène strasbourgeoise, Exotica Lunatica est formé de la compositrice et multi-instrumentiste française Daphné Hejebri et de la chanteuse, guitariste, réalisatrice et performeuse grecque Eleanna Konstanta. « Enter The Moon », leur premier album, est sorti en juin dernier. Une musique de transe, des enchevêtrements sonores qui s’écrivent en échos, des sonorités ethniques, polyphoniques, incorporant des éléments classiques et les fusionnant à d'autres plus actuels. La relation de l'humain au vivant, aux éléments, à la matière, aux sens, à la transcendance de soi sont explorés dans une atmosphère mystique, cosmique.

Pour clore cette soirée hybride, un duo de choc: deux créatures, magiciennes ou sorcières maléfiques toutes en noir, gothiques à souhait, post punk hurlent et frappent leurs douleurs avec énergie, passion, plus encore, leur rage d'exister, de jouer, de chanter. Maitrisant plusieurs instruments, clavier, guitare sèche, mélodia, elles savent tout faire et hypnotisent, capturent le public jusqu'à l'agacement et dérangent l'ordre musical. La voix tonique et ravageuse, sauvage et belle exulte en permanence. Sa comparse, sauvage la seconde à la frappe de batterie et djembé, dégenrée, cuisante, envoutante. Deux jeunes femmes grecques en plein envol qui arrachent. Le dernier morceau inspiré du folklore grec apaise en fait retomber sur terre le spectateur-auditeur. Du chien, de l'insolence, de l'audace pour ces furies hantant la Salle du Château comme deux anges éperdus de transfiguration. Au pied levé de surcroit suite à   l'expiration d'un des deux claviers!​ Eléanna Konstanza et Daphné Hejebri, chamanes inspirées. On se souvient de son "phantasmagoria" crée à Musica en 2017....


Cette image résumant l'esprit d'initiative et d'étrangeté du festival "Music&lles" initiée par Sturm Production et son Pygmalion Séverine Cappiello aux commandes. Une soirée étonnante avec "elles", envolées acoustiques de notre temps, de personnalités musiciennes en herbe, en devenir dans cette pouponnière de talents et incubateur de musiques nouvelles. De chrysalide en papillon de nuit, loin des "éphémères" apparitions. Musiques- actes- elles, les "music&lles" feront parler d'ailes même. Sturm und Drang pour donner de la voix, un -des-endroits où créer sur la bonne voie de la musique avec elles.

rappel sur Lussi:

https://genevieve-charras.blogspot.com/2024/01/claire-days-et-lussi-concert-au-feminin.html

sur "phantasmagoria" de Daphné Ejebri

https://genevieve-charras.blogspot.com/2017/09/jeunes-talents-clarinet-counterpoints.html

et "nouvelle pièce"

https://genevieve-charras.blogspot.com/2022/09/a-mi-mots-et-sans-fausses-notes-de-gout.html

vendredi 15 mars 2024

"Les forces vives": "in memoriam" : Simone, Georges, Françoise, Maurice et les autres....

 

Les Forces vives


D’après Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge, La Force des choses (tomes 1 et 2)
Simone de Beauvoir © Éditions Gallimard / Animal Architecte dans le cadre de Temps fort LANGUES VIVANTES du 11 — 28 mars 2024 au Maillon

 


Après BANDES (2020), spectacle très librement inspiré de Lipstick Traces : une histoire secrète du XXe siècle de Greil Marcus, Animal Architecte plonge dans une nouvelle œuvre-monde, radicalement différente : le cycle des mémoires de Simone de Beauvoir. Les forces vives que l’on retrouve dans le titre du spectacle sont celles qui traversent les Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge et La Force des choses : la quête du bonheur et l’inquiétude existentielle, l’émancipation et les pesanteurs diverses du monde. Une exploration subjective du passé, de soi et du monde, de la grande histoire – guerres mondiales, guerre d’Algérie – autant que des événements de la petite : des visages, des rencontres, des émotions. Avec grande sensibilité et l’intelligence des textes qui caractérise son travail, Camille Dagen parcourt les pages de la philosophe à son propre rythme et met en scène avec son équipe une entreprise d’écriture plutôt qu’une figure d’écrivaine. Donnant une forme théâtrale à sa rencontre avec Beauvoir, la metteuse en scène nous invite à entendre une des grandes voix du XXe siècle et ouvre un espace pour, peut-être, penser à nos propres vies en écho.

Une fillette descend des cintres en nacelle domestique comme un ange mais pas vraiment angélique: à grand renfort de cris, de jurons, d'existence sonore! Voici notre Simone, jeune et rebelle mais aussi obéissance en prise avec des parents bien rétrogrades et conventionnels. Le portrait s'esquisse d'une des égéries féministes de la littérature française. Alors en voiture Simone pour une épopée hors du commun, une odyssée de la vie fantasmée de l'autrice, accompagnée par son environnement familial, son époque, ses guerres-trois qui passent par le filtre du temps-. Performance des sept comédiens et comédiennes en majorité quatre heures durant sans lassitude, rythmée par une mise en mots et en scène fort atypique. Un "décor" amovible entre appartement bourgeois aux parois amovibles et cages comme autant de frontières, de murs de prison à abattre. Les "mémoires" de Simone comme base d'adaptation ce que qui n'est ni un biopic, ni un portrait. Plutôt une fiction ludique ou grave à propos de destinées qui dépassent le commun et engendre respect, écoute, responsabilité aux regards de l'Histoire.Simone à tous les âges, à tous les étages face à sa révolte, son époque incarnée avec énergie, force et détermination Le jeu est parfois outré, tendre ou enjoué, les scènes se succèdent avec virulence, volubilité et marquent des repères, des pistes de réflexion, d'imagination en direction du public loin d'être passif ou indifférent. L'empathie opère entre spectacle et vie courante. Après l'entracte salutaire pour tous car l'émotion travaille et investit les corps auditeurs collectifs et participatifs d'une virée dans le temps, voici une séquence truculente: les comédiens en devant de scène jouent et gagnent en simulant des recherche sur les réseaux sociaux des critiques du temps des parutions des pamphlets romanesques de Simone. Du rythme, de l'humour, de la distance pour incarner des personnages "off", critiques ou témoins qui agrandissent l'espace familial oppressant et conservateur... Un moment où les acteurs se donnent à fond dans des simulacres mimétiques de personnes phares de l'époque qui se rebellent devant tant d'audace littéraire et sociale! De Beauvoir, au pouvoir et l'on se replonge dans l'histoire de l'Algérie, endroit douloureux et épineux traversé par notre héroïne...La paire binôme Animal-Architecte Camille Dagen et Emma Depoid œuvrant comme deux piliers architecturaux et narratifs de cet édifice hors norme: la maison De Beauvoir comme boudoir asphyxiant pour une créature désobéissante en mouvement, en soulèvement constant. Costumes et praticables à l'appui pour nous plonger dans un univers, une atmosphère où poses, attitudes et postures sont chorégraphiques et spatiales à souhait. Un joli numéro de danse désopilant et libérateur comme issue de secours à ce destin enfariné et plombant d'une femme loin d'être légère. Pas deux poids deux mesures pour ce tandem de la jeune création théâtrale et scénographique en herbe. Des animaux-architectes, tectonique en vol libre comme Simone au firmament du cosmos performatif.

Au Maillon les 14 et 15 mars dans le cadre de "Temps forts-la suite"


mercredi 13 mars 2024

Youness Akoulakoul: "Ayta": la vie sans les plis, pli selon pli.

 


Youness Aboulakoul France 6 interprètes création 2024

Ayta

L’aïta ou ayta est un chant ancestral marocain qui exprime les joies et les peurs mais qui signifie aussi « cri » ou « appel » en arabe dialectal marocain. Prenant appui sur cette pratique musicale exaltant la liberté et la quête de la justice, Youness Aboulakoul réalise une manifestation chorégraphique portée par six femmes interprètes. Six corps qui tentent de résister au pli par la verticalité. Un groupe en marche, qui avance, tombe, se soulève, se plie, se déplie et se replie, mais finit par retrouver une verticalité portant la trace de toutes ces luttes acharnées. Exercice rituel d’élévation et de pli, la performance s’inspire librement de l’esprit résistant et rebelle de l’ayta, exprimant à travers ces six interprètes la force et la liberté du corps de l’individu qui s’oppose à tout système, qui cherche à le diriger et à le contrôler. Autant poétique, politique que philosophique, la pièce décrit un chemin qui part du bas vers le haut. Chorégraphe, performeur et musicien, Youness Aboulakoul et les interprètes portent un sujet puissant, qui relie les racines marocaines originales à des phénomènes malheureusement encore contemporains.

Un rythme indéfectible sourd de nulle part en continu, frappé sempiternel comme une danse, une ritournelle obsédante, obsessionnelle. Les femmes sur le plateau semblent faire corps et se confondre en moitié moins selon le point de vue du spectateur. Sorte d'alchimie de composition chorégraphique très ténue et subtile qui dévoile petit à petit, six facettes comme un kaléidoscope.La petite meute avance, recule à l'unisson, sororale, soudée, conduite à chaque virevolte par celle qui guide en figure de proue, le groupe. Méthode labanienne de danse chorale et sagittale en parfait état de marche. Ne pas céder, ne pas plier sous le joug de la domination serait ce credo qui anime une heure durant ce choeur mouvant, aimanté par la musique qui s'affirme conductrice et vecteur de cette discipline: ce qui se plie, pli selon pli à une démarche très cohérente de repli. Repli sur le groupe, pas sur soi, repli d'une défaite guerrière où l'on gagne à écouter l'autre plutôt que de le soumettre. Mise en pli, sous pli d'une théorie chère à Deleuze, énoncée dans "Le pli" dont s'inspirer le chorégraphe. Sur un fond de scène échevelé de longs plis et replis de tissus flottant sous les lumières, sorte de paravent ou rideau mobile.Et ce chorus de battre une mesure démoniaque sans arrêt, ni pause. Lancées comme des salves dans l'espace, les six interprètes peu à peu divaguent légèrement, s'échappent d'un moule gestuel pour conquérir d'autres endroits, d'autres lieux. Sans pour autant quitter le groupe surtout. Cette symbiose, osmose entre ce groupe des six est hallucinante. Hypnotique et incandescente montée en puissance d'une révoltée qui gronde, sourd et se fond dans l'éther. Vêtues de tenue seyantes, sport et autre legging moulant, elles se dé-voilent peu à peu, les visages neutres, les regards directionnels de celles qui savent où elles vont, pourquoi elles ne cèdent pas au penché, au pli pour se laisser formater. Origami de la danse proche de cette marche entre volonté et automatisme qui nous fait se mouvoir. Une oeuvre , une ode au mécanisme de la soumission-rébellion de toute beauté dans une sorte d'abstraction d'écriture, une signature bien à soi de la part de Youness Aboulakoul très surprenante et convaincante. On plie mais ne rompt pas.

On songe à "Codicille-Insurrection" d'Odile Duboc où les danseurs peu à peu rompent le chorus pour s'échapper au fur et à mesure d'un rythme infernal....

 13 et 14 Mars à Pole Sud