lundi 20 mai 2024

"Wonderwoman": l'invisibilité de la douleur mise à nue par ses artisans mêmes.

 

Nouvelle création de la sicilienne Chiara Marchese, Wonderwoman est un éloge à la résilience. Ici, la violence se combat à coup de tendresse grâce au super pouvoir d’une humanité débordante.

Invitée à Passages Transfestival en 2023 avec son spectacle Le poids de l’âme, Chiara Marchese revient à Metz. Dans un scénario abstrait, une immense obscurité donne à voir l’épaisseur et la densité du temps passé. Dans un corps à corps avec cette matière noire Wonderwoman navigue dans ses souvenirs d’enfance, en trouvant des vérités atroces et communes avec d’autres êtres humains. Wonderwoman est un combat sans armes pour se reconstruire. Comme dans la tradition kintsugi, la matière dorée arrive sur scène avec un pouvoir réparateur. Cinq fragments métalliques coupent la scène. Suspendue, en position horizontale, comme dans un sommeil éternel, Wonderwoman incarne et fait revivre tous ceux qui ont été victimes et les invite à briller à nouveau.

Wonder woman fragile, loin d'être intouchable, en proie aux agressions du monde...La femme face à nous sur le plateau ne manque pas d'audace, de charme, tout de noir moulée, cuir scintillant et autre attributs sexy et accrocheurs. Des baisers, une chanson de Françoise Hardy pour nous tremper dans le bain d'une vie dangereuse, périlleuse. Le plastic noir enveloppant ses ébats pour la protéger, la noircir, la rendre invisible aux yeux des prédateurs...Lumières absentes pour mieux dissimuler son existence et ses déboires. Le corps cependant suspendus à une balançoire, objet de désir autant que de risque et de danger. Chiara Marchese joue sur la corde raide, gagne ou échoue dans la conviction ou l'empathie que l'on peut ressentit ou pas face à son destin, son sort qu'elle provoque .Femme fatale, enfant qui se retrouve auprès de son armée de perroquets, jouets ou objets transitionnels de son passé Elle accouche du premier volatile, les jambes et cuisses ouvertes comme une "origine du monde" mais qui serait passée inaperçue dans la banalité du monde environnant. Seule sur le plateau, l'artiste voudrait bien être l'invincible, la cible chérie des autres mais ses tentatives semblent vaines. Les super pouvoirs n'opèrent pas et tout ce qu'elle déballe de récits, de paroles ou d'aveux fait mouche ou ne touche pas. Fragile et vulnérable proie, notre anti-héroïne se débat avec acharnement pour surnager de cette marée noire envahissante de plastic noir toxique. Les images, fortes et impactantes sont de mise et la scénographie remet en question l'invisibilité des violences faites aux femmes.

A l'Arsenal le 19 MAI dans le cadre du festival "passages"

"Happy Island": danse bien "madérisée" sauce La Ribot !

 

Happy Island tient son titre de l’île de Madère sur laquelle est basée la compagnie de danse Dançando com a Diferença d’Henrique Amoedo, une compagnie composée d’une vingtaine d’artistes en situation de handicap.Cinq de ces danseur·euses accompagnent La Ribot dans un spectacle jubilatoire qui restitue l’esprit de liberté de cette communauté singulière, que l’on voit au complet dans un film réalisé par Raquel Freire. Comme pour mieux confondre le réel et l’imaginaire, le film projeté en fond de scène et la performance désinhibent leur furieux désir de vivre. Pur hommage au désir de danser, la pièce exalte sur scène la beauté insoupçonnée de ces corps émancipés. Dans Happy Island, fiction et réalité se rapprochent d’un rêve vécu et rêvé. Ce qui existe et nous est montré n’est finalement que le témoignage de la vie et de l’art.

Des arbres biscornus, tordus, centenaires, ancêtres magnifiques de l'archéologie du végétal: sortes de monstres, quasimodo magnifiques et bienfaisants...Métaphores de ces corps "différents" des artistes en situation de handicap mental et moteur.? Peut-être pour cette folie débridée et enchanteresse, cette liesse sur le plateau et sur l'écran qui résonne des images filmées d'une expérience chorégraphique unique et singulière. Menée de "main de maitre" par la Ribot qui ne se ménage pas comme à son habitude. Alors se frotter au monde du handicap mental sera pour elle, étape, bivouac et expérience de plus à mettre à son actif. Que voici ces être bien vivants se coltinant sans entrave ni empêchement la joie et le plaisir de la scène. Un solo magnifique d'une interprète en long tutu rouge, les yeux bandés! Des passages et interventions clownesques, burlesques d'un lutin bondissant qui traverse la scène et brandit un rond de lumière. Lune, projecteur ou autre objet qui reflète, illumine ou divertit le rythme et la narration loufoque et fantasque de la pièce. Quand une des interprètes quitte son fauteuil pour appréhender le sol et s'y fondre, c'est à un moment d'émotion de tous les possibles que nous assistons.La danse magnifie, transfigure, ose l'impossible pour exulter les corps. Une poursuite de l'une d'entre elle aux quatre coins de la salle est un morceau de bravoure, de suspens, une performance qui interroge et fascine. Personne de doré vêtu, traqué par les feux de la rampe qui s'évade en sa compagnie. Enfreindre les lois et aprioiris, les embuches et autre "handicaps" pour mieux les inscrire dans la théâtralité et la dramaturgie. Chapeau à tous pour cet opus plein de charme, de délicatesse, de décence et de respect autant que de décollage et facéties incongrues. La "meute" s'amuse, nous réjouit, nous déplace et revisite les canons de la beauté. Magnifiés, considérés et grandis, voici les artistes de la compagnie "Dançando com a diferança" au sommet d'une montagne de surprises et inventivité débridée qui fait du bien et raconte les corps comme autant d'histoires et de récits singuliers. Juste une petite différence ou "un p'tit truc en plus"....

A l'Arsenal salle de l'esplande le 19 Mai dans le cadre du festival "passages"

"Megastructure": enchevêtrements, entrelacs et autres facéties de corps complices.

 

Suite à une blessure, Isaiah Wilson sera remplacé par Wilchaan Roy Cantu.

MEGASTRUCTURE tisse avec curiosité la trajectoire de deux corps en constante cohabitation dont le mouvement forme d’étranges et périlleuses associations.Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger brisent avec MEGASTRUCTURE les conventions habituelles du spectacle vivant pour parler d’intimité, dans sa forme la plus pure, celle du corps en mouvement dans un espace partagé entre les performers et le public. Permettre ici à tout un chacun de pouvoir pleinement et viscéralement s’identifier à ce que raconte les performers au plateau. Ce duo est comme un puzzle dont les pièces se démontent, se cherchent, se casent, se testent, se réinventent en permanence. MEGASTRUCTURE est une pièce chorégraphique sans composition sonore, sans décor dont la musicalité naturelle est générée par les corps en direct, dans une énergie percussive.

Seuls, à deux sur le plateau nu de l'Arsenal, ils font miracle de jeux de corps segmentés, virtuoses de la simplicité évidente mais très recherchée de décomposition des gestes. En autant de questions/réponses, de dialogues variés et prolixes. Sur un rythme très compté, calculé, le son et le bruit des corps comme simple support musical. Le souffle, la respiration et le timing extrêmement précis des gestes millimétrés. Comme autant de poses, attitudes ou postures qui s'emboitent, se génèrent, prennent le relais l'une de l'autre. Félins pour l'autre, les deux danseurs médusent et hypnotisent. Des fragments, des brisures, des fractures de membres manipulé pour credo et leitmotiv récurent.A vous couper le souffle, en apnée pour mieux retrouver ses esprits et les suivre dans cet exercice périlleux d'extrême concentration. Une chorégraphie, duel, duo, tandem à loisir et à foison. Sarah Baltinzger et Wilchaan Roy Cantu démantibulés, déstructurés, segmentés dans une kiné-sphère solide et construite. Sans cesse en "décomposition" chorégraphique, en canevas savant qui se modifie. Corps et graphie qui impacte l'espace, défie la musicalité des gestes qui s’égrènent à l'envi.  Miettes et morceaux corporels se retructurent, s'aditionnent, se conjuguent au mode interactif en direct et sous nos yeux comme une architectonique des plaques en mouvement. Sans faille ni bassin d'effondrement mais dans une avancée ludique et percussive de toute beauté.

A l'Arsenal Grande salle plateau le 18 Mai dans le cadre du festival "passages"