vendredi 31 mai 2024

"Lettres à Lou": gare à Lou... garou...Christophe Feltz et Marcel Loeffler jouent au loup...

 


Spectacle de poésie musicale,«Lettres à Lou»de Guillaume Apollinaire Musiques de Frédéric Chopin, Érik Satie, Maurice Ravel & Claude Debussy, avec Christophe Feltz(jeu), Marcel Lœffler(accordéon

  le vendredi 31 mai 2024 à 20h à la salle Amadeus du Münsterhof, 9 rue des Juifs à Strasbourg,«Strasbourg Capitale Mondiale du Livre -Unesco 2024»

photo jl hess

"Les «Lettres à Lou»comptent probablement parmi les plus belles lettres d’amour de la littérature française.L’histoire commence le 27 septembre 1914: Apollinaire, l’un des écrivains les plus influents du XXe siècle, rencontre Louise de Coligny-Châtillon à l’occasion d’un déjeuner dans un restaurant à Nice. Immédiatement il tombe sous son charme, dès le lendemain il lui écrit: «J’éprouve maintenant moins de gêne à vous écrire que je vous aime. Je l’avais senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient.»Mais celle qu’il surnomme Lou, être sensible, insaisissable, frivole et déchaîné, n’est pas prête à lui accorder ses faveurs, si bien qu’abattu par ses dérobades, Apollinaire s’engage dans l’armée. Du front il confectionne une bague sur laquelle il inscrit «Gui aime Lou»qu’il envoie à son adorée.Il meurt de la grippe espagnole le 09 novembre 1918, deux jours avant l’armistice."....


Beau texte d'introduction au spectacle: une performance amoureuse à la manière de cette correspondance inédite entre Apollinaire et sa folle bien-aimée. Passion dévorante, charnelle autant qu'épistolaire, savante, livresque, poétique. Fantasmée aussi par la séparation, l'absence, l'éloignement de sa proie, sa muse, sa déesse.Amour, dévotion, mais aussi frivolité, légèreté du texte, des mots empruntés au langage imagé, tel "croupe" et autres attraits sensuels et érotiques, animal, organique...Le verbe d'Apollinaire n'est pas innocent mais bien "coupable" de désir charnel, de volonté de charmer, séduire. Christophe Feltz fait sourdre toute cette volupté des mots, cette syntaxe rythmée, musicale, ce phrasé harmonieux et frondeur à la foi. Le ton est varié, modulé savamment, dosé comme il faut,tantôt ludique, tantôt quasi dramatique et l'on voyage dans les contrées d'une carte du tendre désopilante, désorientante. Du bel ouvrage d'adaptation de ces textes sensibles, audacieux, pleins de verve, de tension, de tendresse et douceur aussi. 


La scansion, la cadence des mots se fait musique et l'accompagnement de l'accordéoniste sied à merveille à la diction du comédien-lecteur. Qui s'empare à bras le corps de cette prose à loisir, à l'envi. Les morceaux de musique inspirés de Satie, Ravel, Debussy font mouche dans cette atmosphère sereine ou chaotique de sentiments exacerbés. Les gestes du comédien-conteur renforcent les effets de suspens, surprise, colère ou admiration irraisonnée d'Apollinaire pour sa belle. Des tranchées aux lieux plus intimes des écritures confidentielles, on suit avec empathie et compassion secrète, les affres des maux de l'âme du poète, emprisonné dans sa passion déçue et bafouée.On plonge dans des univers, ambiances séducteurs et séduisants de très bon aloi. Les deux complices à l'unisson, en accord musical et prosodique bien huilé par une belle osmose, une entente cordiale et un respect total de la liberté l'un de l'autre. Félin pour l'autre pour magnifier cette correspondance amoureuse de la plus grande richesse littéraire. Apollinaire loin d'être en cage amoureuse, libéré, lâché dans l'atmosphère et l'espace intime et chargé d'histoire du Munsterhof. Un duo, tandem remarquable qui fonctionne en alternance ou symétrie pour partager un plaisir non dissimulé d'amour de la littérature et de la musique au diapason. 


Avignon 2005 Ce qui a inspiré Christophe Feltz....

Le rêve de Jean-Louis Trintignant de donner à entendre les mots d'Apollinaire dans la Cour d'honneur a croisé le désir du Festival d'Avignon de faire une place particulière à la poésie et aux poètes cette année. Et quel poète, Apollinaire, qui nous parle dans une douce mélancolie du désir, de la guerre, de la mort et de la vie. Accompagné par deux musiciens, Daniel Mille à l'accordéon et Grégoire Kornulik au violoncelle, la voix inoubliable de Jean-Louis Trintignant donne corps à cette langue. Sous les étoiles, assis devant une petite table, il dit des extraits des Poèmes à Lou et du recueil Alcools, relayés par la musique d'Érik Satie et de Daniel Mille. En 1914, Guillaume Apollinaire tombe fou amoureux de Louise de Coligny, alias “Lou”. Exaspéré par les rebuffades successives de la belle, il décide de s'engager dans la Grande Guerre et est incorporé au 38e régiment d'artillerie à Nîmes. De là, il écrira à sa bien-aimée des poèmes enflammés, correspondance où l'image hallucinée de Lou se mêle à celle des tranchées. Ces lettres sont devenues Poèmes à Lou.

 


 


mercredi 29 mai 2024

"Through the Grapevine": des drôles de jeux de rôles inversés: bêtes à deux dos....


Through the Grapevine
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Alexander Vantournhout / not standing

 Le chorégraphe, danseur et circassien Alexander Vantournhout poursuit son exploration du duo, dans un travail mené cette fois avec le danseur Axel Guérin. Tous deux ont des morphologies très différentes, et cette différence constitue à la fois le point de départ et le moteur de la performance. Tantôt fondés sur un principe de symétrie, tantôt inspirés par le déplacement des animaux, les mouvements dévoilent le potentiel expressif et créatif de la différence, de tout ce qui échappe à la norme. À l’inverse de toutes les constructions imaginaires, virtuelles, publicitaires ou fantasmées d’un corps parfait, dont on retouche l’image s’il le faut, qui s’impose à toutes et tous. Dans une scénographie nue qui permet la concentration du regard, le toucher joue ici un rôle essentiel. Non sans humour, les interprètes s’éprouvent l’un l’autre, échangeant régulièrement le rôle de celui qui guide et de celui qui se laisse guider, de protagoniste ou d’antagoniste. Les codes étroits du duo classiques explosent ici au profit d’une danse intime et originale.

Corps à corps. Corps raccords. Corps accords

Deux hommes sur le plateau, torses nus, pieds nus, en shorts rayés; sobriété et frugalité au menu!S'ensuit un jeu d'évaluation, de mesures, de mensurations anatomiques du plus drôle effet. Ils se toisent, se considérent afin de mieux exister, s'estimer:félins pour l'autre. De galipettes savantes en jeu de construction, Lego ou mikado, les voilà s'affrontant en autant de référence d'art martiaux ou capoeira mais surtout de jeu de construction architecturale tiré au cordeau. Cela donne des figures, attitudes, postures où l'on ne sait plus quel membre appartient à qui tant les combinaisons s'imbriquent, s'emboitent, et viennent à former des perles de structures changeantes. Les corps racontent la complicité, l'osmose de ces deux jumeaux, siamois qui fusionnent, s'enlacent sans se lasser, esquivent ou accueillent l'autre: en danger toujours, assuré par un rythme, une rigueur drastique que l'on ne soupçonne pas. Le naturel du déroulement du show faisant foi. Et loi de sobre ébriété humoristique oblige, exécution décalée comme ces mesures et estimations d'espèces d'espaces personnels et communs.Tout en bascule, en équilibre-déséquilibre sur le fil de la seule narration des corps exposés à un récit organique et sensuel.


Cette bête à deux dos, quatre pattes se meut en manège, les distances exécutées comme avec des compas dans l'oeil, des unités de mesures comme le mètre ou le pouce, le "pied"....Maitres à danser, mètres à tracer un duo insolite, soudé, collé en toute distanciation ou nonchalance feinte. Bobines de laine qui se dévident, pierre qui roule et amasse douceur et détente...Du grand art, de l'intuition animale à foison pour cette pièce où le suspens dans le silence préfigure des sculptures mouvantes incessantes. Ça roule ma boule en roulé-boulé bien huilé comme une machinerie ou des leviers ou bielles de locomotives.


Le karma sutra des circassiens: enivrez vous...through the grapevine...

Quitter le sol pour accéder aux étoiles dans des jeux d'équilibristes, les appuis restreints de seule partie de corps pour accueillir sauts, bonds et rebonds en plein vol. Figures libres de performeurs, cascadeurs et circassiens du mouvement, points de chainette, tricotage des corps comme de la matière à penser en petits bougés sempiternels, dans une énergie fluide et respirée. 


Le risque à fleur de peau, les regards aiguisés par la concentration et l'attention que requièrent ces exercices de haute voltige. Un bonheur partagé par le chorégraphe et le public, invité lui aussi à mesurer ses capacités et envergures physiques dans le petit cabinet ouvert et dédié aux curieux, joueurs et adhérents à la curiosité et confrontation avec son propre corps.Indice de masse corporelle et poids exclus: on y découvre son propre équilibre, son envergure et autre fondation tectonique de notre charpente corporelle...La "médecine" du bonheur, du soin, clefs de cette performance hors norme enchanteresse et enthousiasmante: transports en communs garantis pour cette créature binôme étrange et sans nom...

Des maitres à danser d'antan! Pas "deux poids , deux mesures" pour ces mètres du temps...Di-vins grains nobles d'une vendange tardive! Ce qui re-lie de vin l'un et l'autre pour un millésime fameux.





Au Maillon jusqu'au 31 MAI




dimanche 26 mai 2024

"Koudour": l'amour itinérant ou les pleurs inondables....Le bal de la mariée mise à nue par sa culture même...

 


Koudour est la dernière création de l’actrice, metteure en scène et autrice Hatice Özer, qui présente également cette saison Le Chant du père. En romani turcique, koudour est un verbe qui signifie mourir de désirs. Dans les fêtes de mariage traditionnelles, au rythme de la danse, des désirs enfouis rejaillissent, jusqu’à la transe. Hatice Özer s’inspire des récits d’exaltation chez les soufis du XIIIe siècle, des contes du Moyen-Orient et des soigneurs fakirs d’Anatolie. Entourée de trois musiciens virtuoses − Antonin-Tri Hoang, Benjamin Colin et Matteo Bortone −, elle est la « femme au tambour », maîtresse de cérémonie de ce mariage sans mariés, où les spectatrices et spectateurs seront les convives. 


Et voici la suite de la soirée turque aux accents de percussions, de gaité, de convivialité

On change de salle pour migrer dans la grande salle Koltes du TNS. Le plateau est nu, recouvert de tapis, une balustrade et deux montées d'escalier pour accéder à la scène, future salle de bal, salle des fêtes dévolue aux mariages dans la curieuse cité modèle en Dordogne. Cité refuge pour émigrés, en U , jaune à l'architecture fonctionnelle, historique et peuplée d'exilés qui se retrouvent et y prolongent leurs us et coutume à l'envi ! C'est toujours notre conteuse qui mène l'action: récit malin et enjoué des pérégrinations rituelles et sociétales des Noces turques. Grave et sérieux passage à l'âge adulte, histoire de femmes soumises mais se questionnant sur leur passé et avenir. Belle évocation des femmes de 60 ans qui posent et s'exposent à l'envi dans des postures enrobantes, sexy et très évocatrices d'une séduction empêchée, bridée par la culture et l'éducation des filles. Avec humour, distanciation et beaucoup de respect Hatice Ozer se raconte, décortique son prénom, nous dévoile mille et un détails croustillants de ces coutumes toutes bien vivantes et partage avec ses trois musiciens en bord de scène, la vie et l'oeuvre du peuple turc exilé. C'est touchant, troublant et très émouvant, à fleur de peau. Toute de dorée vêtue, en paillettes et strass, elle navigue dans des univers proches et lointains, familiers ou "exotiques". Un bonheur de la voir pleine d'énergie, chanter, conter, prendre des fous rires et brosser un portrait-panorama de sa famille, très grande famille à tiroir dont il semble impossible de s'affranchir. Mais en femme libre, comédienne, elle propose une autobiographie salée, pimentée, vécue et débridée. Elle apprend à jouer du tambourin, espace réservé aux seuls hommes en banlieue parisienne et pas pour jouer dans "les mariages"! Pour son plaisir, ses "loisirs" de femme émancipée. Au regard de la gente masculine c'est blasphème et usurpation du pouvoir. Une performance de meneuse de cabaret percutant qui n'a pas d'égale dans le monde du théâtre contemporain. Et c'est le bal qui démarre sur le plateau du TNS, le public invité à vibrer et danser avec comédienne et musiciens. Parade qui ira jusque dans les balcons se poursuivre pour initier, convoquer et inviter chacun à partager cet esprit festif que l'on a du mal à quitter. Que voilà une "bonne maison" partageuse, multiculturelle naturelle et spontanée..Emplie de sérieux, de gravité aussi au vu du sujet. La mariée mise à nue par ses musiciens et pairs, même.

Au TNS jusqu'au 25 MAI

 

Koudour est la deuxième création de l’actrice, metteure en scène et autrice Hatice Özer – avec sa compagnie La neige la nuit. Elle est accompagnée ici de Antonin-Tri Hoang, compositeur et musicien multi-instrumentiste, Benjamin Colin, percussionniste bruiteur multi-instrumentiste et créateur sonore, et Matteo Bortone, contrebassiste et compositeur.