mardi 4 juin 2024

"Un requiem allemand" : Brahms au zénith pour un "requiem humain"

 


Contrairement à Mozart, Berlioz, Verdi ou Fauré, qui écrivirent des requiem latins, Brahms choisit de composer un Requiem allemand, c’est-à-dire non pas une messe des morts mais une méditation sur le devenir de l’Homme dans l’au-delà. Il choisit lui-même une série de textes dans la traduction allemande de la Bible, et imagina une vaste partition pleine de foi d’où les accents de terreur sont bannis.Ébauchée en 1856, au moment de la mort de Schumann, l’œuvre fut créée en 1869 ; Brahms y laissa infuser le temps, preuve de la confiance qu’il mettait dans sa propre inspiration et dans la clémence de Dieu qui baigne la partition tout entière. Le timbre lumineux de Pretty Yende et la noblesse de Ludovic Tézier sont ici les voix de l’apaisement.

Impressionnante entrée des membres du choeur de l'Orchestre de Paris qui remplit l'estrade lentement et s'installe pour interpréter ce morceau de bravoure et d'excellence qu'est "Le Requiem Allemand" de Brahms. Requiem, oratorio, ode funèbre ou cantate? L'office funèbre traditionnel semble bien loin...Sept mouvements pour magnifier et réinventer le genre. Un requiem "pour l'homme" universel et porteur d'un message de paix au final, empreint de magnificence, du brio du choeur qui exalte et semble frémir et jubiler de grandeur et d'émotions musicales. La masse sonore est dense et impressionnante, tantôt fine et sensible, tantôt grandiloquente et puissante. Contrastes qui font vivre et exister nuances et frontalité de la partition, sans égale. L'orchestre rivalise de présence et d'intensité alors que les deux solistes Pretty Yende et Ludovic Tézier animent cette ode de leurs interventions spirituelles et prégnantes. Des moments de pur bonheur, de concentration, dévotion  et logique implacable à la fois sur le plan dramatique et harmonique. L'ovation du public attestait ce soir là de la très grande qualité musicale de l’exécution d'une oeuvre phare et emblématique qui demeure une référence de non conformisme et d'universalité d'un genre dévolu aux morts et à leur célébration. Ici l'humain exulte et frémit et s'adresse plus aux hommes qu'aux fidèles.Promesses de paix et de réconciliation au final qui met tout le monde au diapason.

Petite histoire

La création partielle d'Un Requiem Allemand a lieu en 1867, comprenant les trois premiers mouvements. Si les 2 premiers mouvements sont bien reçus, une monumentale gaffe du timbalier dans le 3e mouvement noie le succès prévu sous un déluge de protestations qui l'imputent au compositeur. Malgré ce coup d'essai peu satisfaisant, la première complète de l'oeuvre en 1868 sera chaleureusement reçue.Dans son choix de textes pour le Requiem allemand, Brahms se montre très désireux d'avoir un propos très large sur la mort, et sur la consolations à apporter aux vivants. D'où un texte plus spirituel que religieux. Le choix du 5e mouvement (composé en dernier), comprenant le verset "Je vous consolerai comme une mère console son enfant" tiré du livre d'Esaïe, fait également office de dédicace de Brahms à sa propre mère, dont la mort inspira son requiem. Brahms au reste, n'avait-il pas déclaré qu'il "supprimerait volontiers du titre le mot "allemand" pour le remplacer simplement par "humain" ?

Aziz SHOKHAKIMOV direction, Pretty YENDE soprano, Ludovic TÉZIER baryton, Chœur de l’Orchestre de Paris, Richard WILBERFORCE chef de chœur  

Au PMC le 4 Juin

dimanche 2 juin 2024

"Les baigneurs" Cledat et Petitpierre dans le bain au MAMCS: ronds de serviette et art-doudou délicieux: c'est la ouate qu'ils préfèrent...


 "Les Baigneurs": Art Doudou !

Performance
Durée variable
Avec Yvan Clédat et Coco Petitpierre

De Picasso à Leger, le sujet des « baigneurs » est largement représenté dans la peinture moderne. Cette performance en est une déclinaison vivante et amusée, pendant laquelle un couple de grosses poupées en maillots à rayures, entièrement en tulle plissé, rejoue des scénes de bord de mer. Bain de soleil, farniente, jeux, et autres postures typique des baigneurs : Elles s’activent lentement autour de deux grandes serviettes bleues et d’un ballon jaune en tulle, comme une convocation primaire et enfantine de la mer et du soleil.


Cette performance  démarre à l'intérieur de la nef du MAMCS avec, parmi le public, au sortir des vestiaires, de plain-pied, les deux silhouettes burlesques en diable de Clédat et Petitpierre: telles deux figures quasi grotesques mais très attendrissantes, ces baigneurs, ours de peluche bariolés de rayures balnéaires , entrainent le public dans un univers tendre et douillet. En dépliant nonchalamment leur tapis de bain, parmi nous, ils interrogent leur place dans cet espace ouvert à tous. Gestes ralentis à deux temps pour mieux s'installer, prendre des pauses édifiantes de paresse, de relâchement, d'innocence.
Pris en flagrant délit de délicatesse, de respect l'un de l'autre, ils nous convoquent "gentiment" sur l'autre scène , la salle Gustave Doré avec son "christ quittant le prétoire" pour y déguster cette matinée de sensations douces. Au pied de l'immense toile, c'est séance de bronzette et de gymnastique douce, toujours. Amour et gestes tendres dans leurs costumes de peluche qui attirent les enfants, émerveillés par ces deux créatures inédites et singulières.

"Etre et paraitre", comme le titre éponyme de l'exposition voisine de Jeanne Bischoff. Le costume comme une seconde peau bien douillette, sans entrave ni empêchement. 

 


Costume à "danser", bouger en résonance avec le  "Ballet chaotique" de Jeanne Bischoff, une oeuvre singulière au regard de la composition musicale, picturale et chorégraphique...Nos deux baigneurs déroulent encore leur tapis de bain devant "Guilietta" de Bertrand Lavier: un joli décalage entre oeuvre conceptuelle devenue décor et pérégrination lascive de nos deux anti-héros de pacotille.Sans musique, ni parole.Un moment partagé par tous, enfants curieux, ébahis et parents, adultes ravis par ce charme désuet et tendre au rythme rassurant d'une marche lente et assurée, binaire et reposante... Une belle initiative des Musées : la liberté de la rencontre avec des artistes hors-norme, des "Poufs" du genre hybride et riche des arts corporels.

 

photo robert becker


Au MAMCS le 2 JUIN 15H 16H


 

picasso

seurat

portfolio: robert becker au MAMCS le 2 JUIN










"Carte blanche à Alexander Vantournhout": rencontre inédite en primeur! On la tourne! Et on la refait?

10 jours avec Alexander Vantournhout, ce ne sont pas seulement trois spectacles et des ateliers de pratique, c’est aussi une rencontre inédite avec l’artiste, qui lève le voile sur son univers pour le public du Maillon. Le temps d’une soirée « Carte blanche », il partage en exclusivité des travaux en cours d’élaboration et un extrait de sa future création. Une occasion unique pour toutes et tous de découvrir son cheminement artistique et de dialoguer avec lui.



« Pointe shoe » – conférence dansée: le pied de nez aux conventions qui se plantent!
avec Morgana Cappellari, danseuse de l’Opéra Ballet de Flandre

Sur scène, une ballerine chaussée de pointes... Équipée d’un podoscope* et de différents outils technologiques, elle nous partage la biomécanique de la chaussure de pointe et du tutu, tout en faisant référence à l’histoire de la danse et à son répertoire – en dansant, évidemment...* Un podoscope est un appareil de podologie permettant l’examen statique du pied grâce à la visualisation des empreintes plantaires d’un patient. Il permet de déterminer les points d’appui et ainsi différentes caractéristiques du pied.

Turlu-tutu et pan pan sur le tutu! En "crêpe" ou pancake !

En quittant la barre, je deviens "un homme du milieu" disait François Raffinot, complice de Francine Lancelot  . Et voici donc une femme "du milieu" de la Danse qui s'offre au regard, seule sur le plateau, en introduction à cette soirée inédite, dite "carte blanche" à Alexander Vantourhout. Page blanche plutôt, objet et surface à remplir pour ce trublion de la danse circassienne belge. En tenue de répétition, la danseuse nous conte sa vie, son apprentissage et nous offre quelque démonstration de figures et postures de danse classique. Du bel ouvrage académique sans surprise, avec grâce et sourire aux lèvres. Que du bonheur en apparence.Des morceaux de piano spécifiques à l'entrainement en sus, une "corde" comme barre frontale et les exercices s'enchainent joyeusement. Barre-de traction, barre à terre, barre en l'air sur corde à sauter! Béjart avait fait une oeuvre remarquable en hommage à cet objet de culte,"La Barre", mobilier complice du miroir. C'est le "podomètre" qui va nous séduire, instrument de mesure de la répartition de l'équilibre corporel. Engin sur lequel elle grimpe et est filmée en contre-plongée histoire de provoquer des images hallucinantes de toute beauté, en agrandissement; spectres et empreintes colorées, déformées, monstrueuses, étirées des pieds et du corps de Morgana Capppellari. A la "Vives", illustrateur de BD (Polina la danseuse) ou à la Bacon. Plantes des pieds bien impactées comme une peinture couchée sur l'écran. Rallonges des membres et du corps,  prothèses entre monstruosité et beauté. Triviaux clichés en opposition aux canons de la danse classique... Clone, avatar de la femme qui s'entraine à loisir. Puis au tour de l'emblématique "tutu" plateau costume à danser: ici, c'est l'objet de tarlatane de labeur non talqué ni amidonné qu'elle enfile pour nous en montrer la souplesse, le rebond et la prolongation du mouvement. Elle décolle, tourbillonne en diagonales ou manèges froufroutants. L'écho du tulle en résonance de ses gestes. Comme une rémanence optique digne d'une séquence de cinémascope. Comme les ondes des ronds dans l'eau. Pas de colophane dans le bac pour ne pas déraper!Belle prestation savante et sobre, généreuse, en langue anglaise, charmante interprétation, diction et autre respiration salvatrice pour cet opus, lec-dem séduisante et instructive. A la pointe de la danse qui se pointe ainsi sur scène, dévoilant quelques recettes sur ce chausson  mythique, danse des petits pains à la Chaplin pour se ruer sur l'or dans les brancards de la technique. On songe à la prothèse selon Javier Perez: la pointe acérée des couteaux comme axe de tour des pointes du pied de la danseuse sur le piano de supplice martyr.

Javier Perez sur le fil


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« Boléro » – Solo : Toupies en folie.
avec Alexander Vantournhout

Ce solo conçu pour l’Opéra Ballet de Flandre se jouera prochainement avec un orchestre d’une soixantaine de musicien·nes. En avant-première, Alexander Vantournhout le partage avec nous.
Sa chorégraphie dialogue avec une des pièces les plus marquantes du répertoire classique en Belgique, le Boléro
de Ravel par Maurice Béjart. Sur une table-podium, Alexander Vantournhout anime des toupies ; une fois lancées, comme des ballerines, elles dansent toutes seules...

Ou presque, impactées par un lancer de dés qui n'aboliront pas le hasard de cette opéra de poche sur plateau en direct filmé et projeté en "grand" au dessus du manipulateur de toupies. Mouvements giratoires, déséquilibrés, en tourbillons qui s'épuisent: d'autres petites toupies colorées bleutées,prennent la relève, enivrées par la sempiternelle rengaine du Boléro de Ravel. Alexander jouant de dextérité, de patience, de concentration pour ne jamais interrompre ce ballet d'objets inédits. Ca tourne à l'envi sur ce petit nuage-plateau au dessus de lui qui donne une impression céleste de cosmos en désordre, en mouvement, planètes et astres en synergie avec les mouvements du corps du marionnettiste. Plein de poésie, d'invention, donnant aux toupies une dimension scénographique d'accumulation drôle et sur le fil. Les toupies en apesanteur sur l'écran, champignons et autres coulemelles gracieuses aux tutus rigides, vastes et magnétiques. Tutus plateau, pas romantiques pour un sou, machinerie comme un lancer de dés, de derviches tourneurs sur leur axe ou décalés. Faites vos jeux de hasard, jeu d'adresse circassien en diable, danse-objets de toute beauté. Ludique et plein de risque et de danger de briser le rythme... .

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« every_body » (extraits) – Duo

avec Emmi Väisänen et Alexander Vantournhout 

Dans every_body, Alexander Vantournhout et sa collaboratrice artistique Emmi Väisänen explorent les mouvements du quotidien. La pièce transforme une poignée de main banale en une chorégraphie élaborée impliquant bras, coudes et épaules, ou une simple marche en une multitude de mouvements de jambes. Le duo crée ainsi une toile de dynamiques corporelles, métamorphosant les mouvements élémentaires en quelque chose de remarquable

A Table ! Danses de table...pour "tout le monde"...Every body knows.

Au tour du gymnaste et de sa comparse Emmi Vaisanen de s'exprimer sur tapis roulant de studio de bodybuilding, stretching, steps et autres machineries de mouvements artificiels, mesurés en chambre....Body my body,"My blood, my body, my landscape" de Jan Fabre comme égocentrisme narcissique de référence. En introduction de ce duo anti-gymnique, un chassé-croisé, esquives à la Anne Teresa De Keersmaeker dans "Mikrokosmos" de Bartok...quelques belles empreintes d'une formation à PARTS après une école de cirque pour Alexander! Pétri de belles références  intelligentes.Enchevêtrement des jambes, à quatre pattes, quatre mains qui s'entremêlent en rythme, liaisons et illusions d'optique sur la perspective. Tricot en torsade et torsion des membres inférieurs dans une concentration extrême, histoire de ne pas rompre ce charme de trouble visuel. Tout se confond, se mêle à loisir.Confusion, leurre comme credo, danse d'orteils bien posés sur ce sol mouvant qui avance alors qu'ils donnent une impression de recul. Figures syncopées et altières pour un duo, mouvant, glissant, périlleux. Du tapis volant de rêve pour contes d'effets visuels très probants.

Au tour d'une table, de devenir objet-support de la danse. Assis de part et d'autre de l'objet à quatre pieds, les deux circassiens s'adonnent à des combinaisons savantes de petits bougés, infimes bascules de poids, d'appuis, d'impacts pour donner naissance à des espaces corporels en mémoire de la matière à la Odile Duboc, l'impact des expériences inscrit dans les corps pensants-penchants. Dans un beau halo de lumière le jeu s'offre , ludique, plein de malice et de bonheur, réjouissant et percutant: suspens et autre magie au poing pour ce numéro de choré-cirque fascinant. Pédalage dans le vide, apesanteur en appui, table complice et partenaire de ce trio singulier plein d'invention et de recherches laborantines de studio et paillasse de laboratoire expérimentaux. Résultats qui se livrent avec aisance dans la décontraction et le désir de partage.Établi sur lequel le travail se fait en reprise de tablier et sablier de l'espace et du temps. Incubation et fermentation des gestes comme objet de réflexion. "Je suis une école de danse" disait Boris Charmatz pour son "Bocal"...

Dialogue avec...
Ces « avant-premières » artistiques seront suivies d’un échange avec Alexander Vantournhout et Barbara Engelhardt, directrice du Maillon

Un bon moment de remarques, questions réponses sur le métier à tisser du lien entre les disciplines. Alexander se raconte, gaucher contrarié ambidextre converti pour synchroniser et vivre différemment la symétrie et autres constructions architecturales de prédilection.i Le corps plie et ne rompt pas pour cet auteur d'un nouveau genre: le "circo-graphe" magicien du mouvement et de l'optique. Au gré des agrès, du "programme d'actions" à inventer et répertorier pour un nouveau glossaire, une nouvelle syntaxe du spectacle vivant. Loin et près du chapiteau de légende circassien, du "cheval" ou du lion de monstration. La "co-émergeance de l'objet" en point de mire avec le partenaire pour une adaptation de l'homme à l'objet. Une tasse sans queue fait l'affaire pour se remémorer la qualité d'un mouvement inscrit dans le corps. Comme les objets inutiles de Put-Put ou de objets introuvables de Jacques Carelman. Les univers s'ouvrent et l'on s'y engouffre avec délectation. Affaire à suivre...Un nouveau matérialisme en pensée mouvante et percutante: en toupie qui danse, en table qui bouge, à la pointe du désarmant!

 Samedi 1 JUIN au Maillon


pour mémoire: Avignon IN 2018 Le sujet à vif SACD

"La rose en céramique" de Scali Delpeyrat et Alexander Vantournhout
Rrose Selavy
Il est son double articulaire, danseur, clone de ses sentiments, double de son destin; l'autre, c'est un homme "normal" qui se souvient et s’embarrasse de tas de choses pour bloquer son chemin, entraver sa course. Les objets le hantent: serviette brodée ou lave vaisselle contenant souvenirs et passé.Tous deux occupent le plateau du Jardin de la Vierge et l'un questionne le monde: ce qui est "important",  c'est de discerner ce qui l'est de ce qui ne l'est pas ! En désillusion, désenchanté, il clame tandis que son ombre, compère le manipule ou se contorsionne savamment dans de beaux engrenages de gestes virtuoses. Torse nu, en short, ils se séparent, se retrouvent dans des entrelacs de corps. Évoque un point noir en cicatrice sur fond de violoncelle. Et si "Rrose Selavy" gardons notre rond de serviette brodée dans nos cœurs et avec eux allons sur les chemins de traverse: le lave vaisselle qui lui servira de tombe ou de cercueil se chargera d'essorer la nostalgie !