vendredi 28 juin 2024

"oh !" : soirée maxi/ mini du collectif OH: oh, surprise chez Apollonia!

 


Apollonia Échanges Artistiques Européens
Dernière soirée OH! de la saison. Grandes largeurs et petites longueurs, cette dernière soirée OH! de la saison joue avec les échelles et les musiciens du Collectif OH! : Kalevi Uibo, Jean-René Mourot, Francesco Rees, Pascal Beck, Michael Alizon, Christophe Imbs, Christophe Rieger, Phillip Klawitter et Philippe Rieger
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Mini ? Maxi ? On s‘invente une règle du jeu avec ses propres projets et enchaîne les formules, avec un minimum de retenue et un maximum de bonheur. Du solo jusqu‘à ce grand ensemble très joueur qu‘est le Dream Weapon Orchestra. On passe ainsi en revue tout ce qui fait notre musique. Dans les diagonales comme en travers, pour petits et grands, pour oreilles mini et maxi gosiers. Pas de limite à la taille du plaisir.
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📅 Jeudi 27 juin, à partir de 17h30
📍 Espace Apollonia, 23 rue Boecklin

Oh, que ça fait du bien de voir, rassemblés au coeur de l'extra-ordinaire exposition de Philippe Jacq "En découdre, un collectif, amoureux de musique, facteur de bruits et de sons au diapason de cette initiative colorée, chamarrée, participative et émancipatrice. Dans le ton donc de l'environnement fertile de l'art de "tapissiers" du réel, passementiers de l'art immersif, voici nos auteurs-compositeurs et interprètes, réunis pour un "work in progress", un bord de plateau inédit où vont se succéder de courtes pièces, sortes de "nouvelles", abouties ou en chantier! A coup de crécelle, cet instrument de charivarieur de carnaval, trublion de la fête, les morceaux se succèdent, animés de bonhommie, de sérieux, de convivialité.
 
Ce ne sera pas une "parenthèse" dans le concert, voici l'ensemble du même nom qui ouvre le bal: le ton est donné: musique inventive, libre, "free" sans concession aux canons de la conformité musicale.C'est au tour de Jean René Mourot d'ouvrir la rubrique "soliste" avec deux solos de "piano", tendre ambiance ou fulgurance du touché pianistique. Les titres des morceaux à inventer: on choisira pour le troisième très ludique; "ludions"ou "manèges" ou "la foire st jean n'aura pas lieu"....Du bon, du beau qui augure de la suite de cet événement insolite. Partageux et en intimité avec le public, autour du plateau. "Frankenstein concerto" en rajoute, du bien pimenté, sauce électro-acoustique et à l'unisson, à l'écoute les uns des autres pour faire monter la mayonnaise. Les instruments exultent, le plaisir de jouer sourd des corps des musiciens, de leurs instruments sous les doigts et dans le souffle de chacun des interprètes galvanisés par cette ambiance de proximité. Notons la fausse modestie de Christophe Imbs qui se cherche au clavier alors qu'il joue savamment des "mélodies" impromptues qui se chevauchent; de l'humour et de la distanciation, pour une inspiration de blagues: celle de la girafe entre autre et la pièce au sujet du "dormeur au volant": des anecdotes piquantes et drôles pour alimenter son inspiration et son imagination fertile.
La soirée va bon train avec un entracte au jardin convivial, bordé de fragrances de menthe et mélisse citronnée: un "endroit" où il fait bon vivre et être "ensemble". Les tartes flambées en nourriture terrestres de bon aloi. On remet le couvert avec une belle prestation très "musicienne" des deux frères Rieger et leurs complices: musique chatoyante, électroacoustique pleine de bidouillages savants en compagnie du guitariste Kalevi Uibo, également maitre de cérémonie de ce "cabaret" free jazz décapant. On est ailleurs sur la planète de la création collective et ça fait résonance et contrecarre la morosité ou monotonie de certaines formations. Du cousu main ou sur mesure dans une jolie démesure pour cette soirée qui "pour en découdre" fait de la haute couture pour essayer et revêtir les plus beaux atours incongrus de la création free jazz et autres détours musicaux: laboratoire autant que marmite magique où chacun s'affaire à faire de son mieux dans des échappées belles: "étonnez- moi, Benoit", ils ont du souffle, du doigté et ce "piano" de cuisiniers à l'ouvrage est une belle plate forme de recettes de maitres queux: un bon moment, plus de trois heures de concert sans "relâche", tendu ou relax, à l'image d'une bonne surprise. "0h" les beaux jours qui n'a de cesse d'interroger la création sous "covid" ou non, fertile bassin de réception d'une tectonique musicale éruptive. Du "cratère", du caractère pour scories déferlantes autant que poétiques. Ce sera au "Dream Weapon Orchestra" de terminer ce festin en beauté après avoir chipé la place à "La Strizza" et à "Plaine", formations du cru à géométrie variable.

 
18h00 Parenthèses
18h15 Jean-René Mourot solo
18h30 Frankenstein’s Concerto
18h45 Christophe Imbs solo
19h00 Plaine
19h15 La Strizza
19h 30 - pause de 30 minutes
20h00 Parenthèses
20h15 Jean-René Mourot solo
20h30 Frankenstein’s Concerto
20h45 Christophe Imbs solo
21h00 Plaine
21h15 La Strizza
21h30 Dream Weapon Orchestra

dimanche 23 juin 2024

(L) Autre: je n'est pas un autre....Les jeux sont faits, carte sur table...

 


MAMCS - Musée d'Art Moderne et Contemporain le 23 JUIN 15H

Après sa création au festival Music Current à Dublin et avant de débarquer au Sound Festival en Écosse, lovemusic présente (L) AUTRE au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg.
Puisant ses inspirations de diverses sources telles que la télévision, le trolling en ligne, la théorie académique et la littérature, (L) AUTRE juxtapose des éclats de colère intenses avec des prédictions mystérieuses d'un voyant incompétent. Pendant ce temps, David Patrick Kelley manie un jeu de cartes tandis qu'une flûte basse est accompagnée de deux voix mystérieuses en arrière-plan.
Dans ce nouveau projet, lovemusic explore le concept de l'altérité - l'état d'être différent et étranger à son identité, étiquetant les individus comme subordonnés et les excluant des normes sociales. Le point de départ de ce projet a été une collaboration avec Sasha Blondeau sur une nouvelle œuvre Autres inapproprié•es, qui fait partie de leur nouveau cycle de travaux "Devenir|s mutant es". En référence à la théorie de Trinh Minh-ha et au concept du Cyborg de Donna Haraway, cette nouvelle œuvre questionne l'identité et la différence. Les œuvres de Neil Luck, Ann Cleare et Bára Gísladóttir explorent des thèmes allant de la représentation aux méditations sur soi et le pouvoir de l'anonymat, tandis que The Hyacinth Garden de Finbar Hosie, à travers des vignettes de The Waste Land de T.S. Eliot, explore la désillusion dans la société dans laquelle nous vivons. 
 

Dans l'Auditorium du MAMCS, c'est la rencontre avec lovemusic que l'on attend: toujours innovante, surprenante, inédite. Un éclairage sur "la transition"et ses processus humains et sonores en introduction de Adam Starke pour éclairer notre lecture de ce programme riche en "différences" et autres formes d'identité et altérité tant menacées de nos jours...
 
Plein feu sur le sujet avec l'apparition de bruits de pas, de crissements joyeux de grillons nocturnes...C'est avec la pièce citée que tout démarre:
de Finbar Hosie • The Hyacinth Garden* • performer, clarinet, viola, e-guitar, electronics and lights (2023)
Quatre petites lampes de chevet comme éclairage intimiste, des sons en ratures, stridences, pincements des cordes, chuchotements de voix: du vrai gribouillage, crayonnage ou coloriage sonore, esquisse à la patte picturale des traits de Cy Twombly . Ca grince, ça s’essouffle, alors qu'un officiant, templier ou devin en chasuble, cartomancier ou voyant, murmure et fait ses plans. Fracas, puis silence pour ce prédicateur de l'apocalypse, espoir ou fin du monde pour celui qui ne resterait pas vigilant face aux remous du monde. De la musique savante sachant mettre le doigt là où ça impacte.

Ann Cleare • eyam iii (if it’s living somewhere outside of you) • bass flute & shadow instruments (2015) :la pièce suivante voit apparaitre Emiliano Gavito, en noir et pantalon doré, silhouette se découpant sur le fond d'images vidéo de nuages passagers sur le ciel bleu. Ils défilent comme les sons de son instrument, soliste, sirène prolongée, amplifiée, entre voix et émission de souffle, interrompu, rallongé en extension spatiales: comme un bourdonnement, une plainte.Crachin et postillon, vols d'insectes en bouche, en boucles obsédantes. Danse et volutes, le son tourne, percute l'espace, se fraye un chemin discret jusqu'à nos oreilles.

Suit, de Bára Gísladóttir • Rage against reply guy, • bass clarinet, violin, cello, e-guitar and electronics (2021)
Des flashs lumineux, une ambiance de fond aquatique et tous sont habillés de noir et tissus mordorés, scintillants:les images vidéo passagères, floues sèment l'atmosphère de furtif, d'éphémère. L'ambiance est lascive en longues phrases musicales. La brutalité, dureté de la guitare, blesse et tranche. Irruption inopinée pour une prochaine cacophonie organisée au flux agressif continu.Les cordes apaisent un instant puis c'est la reprise du chaos déchirant: déflagrations, bouleversements tectoniques à l'appui.
 
L'oeuvre de Sasha Blondeau • Autres inapproprié•es* • flute, clarinet, viola, cello, e-guitar and electronics (2024) s’enchevêtre sans interruption, un appel du saxophone désespéré au diapason de cette évocation de "distinction de soi et de l'autre", position à tenir pour instaurer l'écoute des différences. La bande son très riche défile et cloches et prairies surgissent de ce paysage sonore hors norme
 
Au final, de Neil Luck • Deepy Kaye • performer, viola, cello and video (2018) prend la forme d'un discours, prêche tonique de Emiliano Gavito: conteur qui pose carte sur table, en accord avec les gestes des images vidéo projetées simultanément. Du beau travail synchrone, en cadence, bordant les mains directionnelles à l'écran qui semblent désigner, monter. L'accélération des propos, le jeu de pile ou face de pièces lancées au hasard sur l'écran, fait mouche et touche. Les jeux sont faits? La virulence de l'attitude du porteur de mégaphone en fait un "happy end" percutant, chargé de réflexions sur l'audace d'être soi en ces temps de ségrégation et de "distanciation sociale"...
 
Ce concert éclairant, magistralement interprété par le collectif lovemusic est déterminant et grave, plein de lisibilité poétique autant que politique: celle qui se niche en filigrane entre les portées et notations musicales. Pas de "bécarre" ici mais beaucoup de dièse et d'énergie, de tectonique, d'icônes fugaces, de cartomancie et de hasard qui comme un coup de dés jamais n'abolira la vie.
 
* commissioned by lovemusic, premiere
lovemusic
Emiliano Gavito, flute/performer
Adam Starke, clarinet
Emily Yabe, violin/viola
Lola Malique, cello
Christian Lozano Sedano, e-guitar
Finbar Hosie, electronics

mercredi 19 juin 2024

"Médée poème enragé": engagé....Orpailleuse de toison, médusante Médée, monstre ou femme adulée....

 


Médée Poème Enragé :

Médée aime Jason et ira jusqu’à tuer sa propre famille pour lui permettre de s’emparer de la toison d’or. La radicalité de son amour pour lui – lui qui finira par la trahir – l’amènera à commettre un acte tout aussi radical : tuer ses propres enfants. Jean-René Lemoine nous livre ici une version contemporaine éminemment puissante du mythe de Médée. Il y est question de Médée la « barbare », Médée l’« étrangère » ; de celle qui se fera esclave de Jason, qui se révoltera contre son joug, qui se délivrera de la soumission où elle se tenait prisonnière. Ce mythe ne nous parle-t-il pas fondamentalement de ce que sont les féminismes ?

photo robert becker

Allongé au sol, il-elle gît couverte de son manteau, enveloppe de toile, dos à nous, le crane rasé ou tondu...Une longue robe comme vêtement, soyeuse, brillante, des chaussures à talons ouvertes. Femme, homme, hybride ou androgyne. C'est sans doute à une autre Médée que l'on va se heurter, se confronter ou faire communion. Les paroles sourdent de ses lèvres par le truchement d'un micro amplificateur de son vibrant. Sa voix se fait naturelle à travers un texte d'une grande richesse linguistique, au phrasé recherché, au vocabulaire déferlant. 

photo robert becker

D'emblée l'empathie se déclenche, un processus de complicité étrange se met en place grâce à la proximité que le public entretient de fait avec le comédien. .A l'intérieur d'une cave, sous la voute, rassemblé en U, il vibre dans la tension qui s'installe. Tension des propos et de leur crudité, leur cruauté ou au contraire de leur tendresse.Le personnage est évoqué par toutes ses facette, ses relations avec Jason, son frère, ses enfants qui jalonnent le récit, précis, fébrile, envoutant. Parfois médusée, figée, tantôt alanguie dans des postures suggérant les propos érotiques ou orgiaques , Médée pétrifie, asphyxie, déconcerte mais passionne l'auditoire. Longue silhouette enveloppée de satin de soie plissé, sculpture vivante et mouvante, les yeux animés, vifs, virulents, interrogateurs...


Grâce au jeu très subtil et dosé de Simon Vincent, parfait être androgyne, lisse ou plein de plis et replis de sa robe fanée ou en plissés d'amour. Car c'est d'amour fou et passionné dont il s'agit en ces temps et lieux inondés par un texte proféré pudiquement ou rageusement selon les épisodes de la pièce. Monologue rempli de paysages, d'images très cinématographiques qui lancent et propulsent le spectateur dans des sphères sensibles.On "rembobine", on "accélère" le temps et la course des séquences comme un projectionniste en cabine.Paysages sonores d'ambiance, plage, oiseaux, cris d'enfant comme écrin d'évasion et d'espace mental. Loin des clichés picturaux de Méduse ou autre Gorgones mythiques aux vertus pétrifiantes, notre Médée, humaine, féministe, cruelle et maternelle se livre comme une sacrifiée du destin mais résistante et vindicative. Elle fait "cuire l'oncle, tue sa rivalise, sorcière maléfique mais terrassée par les vendanges tardives de l'amour-fou. Sexe cru et scènes de copulations fort bien évoquées par la plume de l'auteur, lui-même "enragé", épris du personnage.Dans "des nuits de satin blanc" ou des intrusions musicales d'opéras dramatiques, emprunts discrets à Tosca et Tristan et Isolde, le comédien navigue et part à l'assaut de cette furie hors norme qui tient autant de la tendre mère que de la criminelle acharnée.

Un personnage à redécouvrir dans la syntaxe de Jean -René Lemoine qui s'attelle à la tache de ressusciter celle qu'on ne connait que par tranche de vie. Par Corneille entre autre auteur. Dans ce décor nu de cave, mur blanc, escalier en marche comme des reposoirs pour notre anti-héros, objet de cet opus singulier dont la mise en espace d'Hélène Schwaller affirme l'existence charnelle. Attractive, envoutante interprétation d'un comédien taillé pour le rôle, sur le fil, dans le déséquilibre permanent, monté sur ses chaussures à talons, échasses vers le ciel. Un moment de théâtre de chambre, d’alcôve qui fait éclater bien des préjugés et autres considérations au sujet de cette mythologie qui ne cesse de nourrir notre appréhension du présent, de l'actualité. Une pièce souterraine autant que sous-marine au pays des dieux qui nous hantent encore.

photo robert becker

de Jean-René Lemoine, mise en scène Hélène Schwaller, avec Simon Vincent. 

Festival de caves – Théâtre Souterrain à strasbourg le 19 JUIN